samedi 14 décembre 2024

Le Seigneur des Anneaux : La Guerre des Rohirrim

Spider-Man : Across the Spider-Verse, Les Tortues Ninjas, Transformers : le commencement, le renouveau des séries à succès de la pop culture semble passer par les animés davantage que les suites exsangues produites à la chaine par des studios en mal d’inspiration. 
Si ce prequel à la trilogie de Peter Jackson ne se hisse malheureusement pas à la hauteur des films précédemment cités, il n’en demeure pas moins une pierre supplémentaire dans un édifice solide que l’on n’a pas fini d’explorer. 
Réalisé par le japonais Kenji Kamiyama, cet épisode fondateur de la dynastie des seigneurs du Rohan situé quelques deux cents ans avant la quête de Frodon déroule un scénario au final assez convenu de quête de pouvoir, trahison, amour déçu et révolte féministe en reprenant un bestiaire restreint et déjà vu (les oliphants et les aigles), ainsi que des personnages attachants pas toujours servis par une animation à deux vitesses. 
On passe ainsi de magnifiques morceaux de bravoure (l’avènement de la tour de siège, le vol des aigles) à des séquences à peine dignes d’un OAV des années quatre-vingt. 
La splendide bande originale aux accents martiaux ne suffit pas toujours à porter cette Guerre des Rohirrim qui aurait mérité plus de souffle, d’inventivité et un dessin à la hauteur de ses enjeux, celui d’une jeune guerrière libre et indépendante, fille de Helm Poing-de-Marteau qui va devenir la légendaire Héra et croiser la route d’un certain Gandalf le gris. Mais ceci est une autre histoire

samedi 30 novembre 2024

Heretic

Le début d’Heretic renvoie presque au plan près à l’introduction de Knock Knock sorti en 2015 : deux charmantes jeunes filles trempées par la pluie frappent à la porte d’une maison isolée habitée par un homme seul. La ressemblance s’arrête là car, alors que le danger vient de l’extérieur dans le thriller horrifique d’Eli Roth, c’est bien dans les méandres de cette étrange demeure que vont se retrouver piégées les deux missionnaires mormones venues convertir un retraité moins inoffensif qu’il n’en a l’air. 
Le concept de départ s’avère d’emblée passionnant lorsque le personnage campé par un Hugh Grant, visiblement très investi dans son rôle, déroule sa rhétorique autour de son rapport aux religions tandis que la caméra du duo Scott Beck et Bryan Woods installe par petites touches d’abord imperceptibles un climat de tension de plus en plus inquiétant. 
Tant que la parole se substitue aux actes pour distiller la peur, le jeu du chat et de la souris s’avère passionnant dans sa première manche avant de s’étirer en longueur et de montrer les limites du système. 
Très vite, un ennui poli s’installe avant que le film ne bascule dans une seconde partie plus convenue où, malgré tous les efforts de son interprète, M. Reed ne parvient plus que rarement à incarner une menace crédible. 
Avec un concept assumé jusqu’au bout et une petite demi-heure en moins Heretic aurait pu s’inscrire dans la lignée des meilleurs films d’épouvante de ces dernières années. L’intention est là mais le résultat n’est hélas pas à la hauteur de l’idée de départ.

dimanche 24 novembre 2024

Gladiator 2

Rome lui a tout volé. Ses parents, son enfance, son peuple adoptif, sa femme qu’il jure de venger avant de traverser à son tour le fleuve des morts. 
Alors quand, au détour d’une conversation avec sa mère dans une geôle romaine, Lucius s’érige soudainement en défenseur de la cité contre la tyrannie et la corruption qui la rongent, on est en droit de trouver le revirement de situation un peu rapide. 
Et pour cause, cette suite inattendue au premier opus de Ridley Scott vingt-quatre ans plus tard ne s’embarrasse pas de vraisemblance historique ou même scénaristique et s’évertue avant tout à proposer un spectacle quasiment ininterrompu de combats épiques et de complots dans une Rome plus décadente que jamais. 
Alors que le Gladiator premier du nom déroulait la destinée d’un homme liée à la Grande Histoire en prenant pour théâtre les arènes de gladiateur, cette suite tardive emprunte le chemin inverse et fait la part belle aux combats tous plus jouissifs les uns que les autres (aux tigres de Russel Crowe succèdent des singes agressifs, un rhinocéros brutal et même des requins amateur de chair humaine) dans une succession de revirements de situations dont la seule légitimité semble tenir au souvenir de Marc Aurel mainte fois cité au cours du film. 
Malgré un casting des plus intéressants (Pédro Pascal en général fatigué et Denzel Washington en intriguant vénéneux), un duo d’empereurs décadents que n’auraient pas reniés Tinto Brass ou Fédérico Fellini et une réalisation toujours aussi maitrisée, on appréhendera ce Gladiator 2024 sous l’hospice du péplum généreux et, reconnaissons-le, totalement jouissif plutôt que de la fresque à la fois intime, historique et politique qui faisait tout le sel de son prédécesseur.

samedi 16 novembre 2024

The Substance

Le mythe de Faust patiné d’une touche de Dorian Gray et de Docteur Jekyll and Mister Hyde, brûlot féministe et charge contre le culte de l’image et l’instrumentalisation des corps, clins d’œil appuyés aux maitres de l’horreur transatlantique (Cronenberg, Lynch, Kubrick), body horror inspiré par Brian Yuzna période Society, performance d’actrices et crescendo dans l’horreur jusqu’à la saturation, The Substance est tout cela à la fois et même un peu plus, trop sans aucun doute. 
En étirant sur deux heures vingt le pitch d’un moyen métrage, Coralie Fargeat prenait le risque de la démesure un peu forcée et de la saturation des spectateurs. Son nouveau long métrage n’évite malheureusement pas ces écueils malgré d’évidentes qualités graphiques. 
Servi par une image clinquante comme l’était Revenge sorti quatre ans plus tôt, The Substance souligne grossièrement chaque idée de mise en scène au risque de prendre le spectateur pour un demeuré incapable de saisir le propos de la réalisatrice. Gros plan sur le visage du producteur aux toilettes pour souligner sa vulgarité, gros plan sur sa bouche et ses doigts tâchés de mayonnaise pour imager son avidité, sirènes d’alarme pour annoncer le danger, Coralie Fargeat n’y va pas avec le dos de la cuillère et se complait dans une esthétique clinquante avec le risque de laisser le spectateur à distance. Incapable de freiner la montée en puissance d’un film qui semble lui échapper, elle conclut par une frénésie horrifique interminable qui frôle le ridicule en se réclamant d’un pied de nez libérateur aux conventions hollywoodiennes.
C’est d’autant plus dommage que le film regorge d’idées et que les performances de Demi Moore et Margaret Qualley prisonnières l’une de l’autre à leurs corps défendants sont en tous points de vue exceptionnelles. 
En traversant l’Atlantique, la réalisatrice française bouscule les codes en faisant preuve d’un formalisme brillant mais trop tape à l’œil pour être honnête, à la manière de ces verroteries que l’on admire de loin sans oser y toucher alors qu’il faudrait s’en emparer corps et âme pour en apprécier toute la valeur.

vendredi 1 novembre 2024

Anora

Lorsqu’elle rencontre le prince charmant dans sa boite de strip-tease aux confins de Brooklyn, Anora pense toucher le gros lot. Elle troque son string à paillette pour un manteau en zibeline et sa barre de lap-dance pour l’intérieur soyeux d’une voiture de luxe ou d’un jet privé. 
Le bal dure une semaine entière, de boites de nuit branchées en appartements luxueux, jusqu’à ce que minuit sonne et que le carrosse se transforme en citrouille quand débarquent le roi débonnaire et la reine intransigeante. Et lorsque les masques tombent, l’argent ne parvient plus à dissimuler la vraie nature des gens. 
Le prince charmant redevient le gamin pourri et égoïste qu’il a toujours été, la reine mère achète sa tranquillité à grands coups de dollars et de menaces et Anora revient à son point de départ car, comme le chantait les Rita Mitsouko en 1986, les histoires d’amour finissent mal en général.
Dés les premières images, le réalisateur Sean Baker introduit son héroïne (impressionnante Mikey Madison) au travers de son corps et de son rapport aux hommes. Battante, grande gueule et survivante, Anora vit de ses charmes sans rien attendre du lendemain ni de son prochain. L’avenir lui donnera raison après une parenthèse enchantée dont elle ne ressortira pas indemne. 
Malgré une durée un peu excessive et quelques longueurs, Anora dresse le portrait de personnages atypiques comme les affectionne le cinéma indépendant américain, et prend systématiquement le spectateur à contre-pied en multipliant les références pour mieux les contourner. 
Films de gangster sans l’ombre d’une arme, thriller sans mort, comédie grinçante, Sean Baker s’amuse avec une galerie de personnages aux réactions imprévisibles et aux comportements irrationnels dont l’alliance contre nature aboutira à un épilogue d’une brutalité parfaitement rationnelle. Entre le cinéma réaliste d’Abel Ferrara et l’absurdité revendiquée des frères Cohen, Anora multiplie les clins d’œil au cinéma de Scorcese tout en évitant une violence sous-jacente systématiquement désamorcée. 
Obnubilé par le langage corporel, Anora ne cesse de s’égosiller alors que son vrai pouvoir sur les hommes passe par son corps, tandis qu’Igor est sensé s’imposer par son physique alors que ses rares paroles font mouche à chaque fois, Sean Baker condense en un seul film le portrait d’une certaine Amérique laissée pour compte, les ravages de l’argent sur les corps et les âmes et le désespoir larvé d’une jeune fille rythmé par le bruit des essuis glaces sur un pare-brise enneigé.
Comme si Pretty Woman se prenait en pleine face le mur d’une réalité bien trop réelle pour être assimilée à un conte de fées.

lundi 21 octobre 2024

L'Amour ouf

Ils n’auraient jamais dû se rencontrer, et s’aimer encore moins. Elle avec le deuil de sa mère en bandoulière, élève appliquée au caractère bien trempé enfermée avec son père dans une solitude de survivants. Lui et son sourire frondeur, les poings en avant pour frapper avant d’avoir mal, élevé à coups de taloches et du mépris des institutions. 
Entre les docks prolétaires et l’effervescence du lycée, les arrangements minables et les coups foireux, entre le confort d’une vie bourgeoise et les années de taule, Jackie et Clotaire vont se reconnaitre, s’aimer, se perdre et, peut-être, se retrouver. 
L’Amour ouf appartient à ces films généreux et foutraques, vibrant d’un amour sincère du cinéma et mangeant à tous les râteliers, débordant d’une énergie folle et parfois épuisante, mais tellement enthousiasmant qu’on leur pardonne leurs maladresses, au point de se demander si elles ne font pas partie intégrante de la réussite du projet. 
Il n’est pas si courant de sentir vibrer une telle énergie dans une salle de cinéma et, disons-le, encore moins en France. Mariage presque miraculeux entre une réalisation inventive et particulièrement léchée, une bande son délicieusement nostalgique, une distribution absolument impeccable servie par des dialogues au cordeau et une galerie de seconds rôles tout simplement parfaits, le deuxième film de Gilles Lellouche, pourtant adapté d’un roman de Neville Thompson, ressemble à s’y méprendre à la version filmique de l’univers du romancier Nicolas Mathieu. 
On pense notamment à Leurs enfants après eux dans cette chronique d’une adolescence un peu zonarde, Aux animaux la guerre et sa délinquance de province, Connemara, et ce désir toujours prégnant de dépasser sa condition sociale. 
De ce maëlstrom de violence et d’amour entremêlées ressort au final l’espoir d’une vie qui ne se résume pas (seulement) à des aspirations matérielles et cette envie irrépressible de (re)tomber amoureux.

dimanche 20 octobre 2024

Smile 2

De Ring à It Follows, le thème d’une malédiction se propageant de corps en corps a, par son caractère inéluctable et profondément intime, engendré quelques-uns des films les plus effrayants de ces dernières années. Deux ans après le premier opus mis en scène par David Robert Mitchell, le réalisateur Parker Finn reprend une formule identique transposée dans le monde du show-business. 
La psychiatre Rose Cotter traumatisée par le suicide de sa mère alors qu’elle n’était qu’une enfant est ici remplacée par la pop star et ancienne junkie Skye Riley à peine remise d’un accident de voiture qui a couté la vie à son fiancé. Troubles psychologiques, drogue et pression médiatique, le terrain idéal pour que le cauchemar recommence. 
Engagé sur le chemin balisé de l’épisode précédent fait de jump scares et d’une tension permanente plutôt efficace, cette suite indirecte trouve son propre ton en explorant la face cachée d’une Taylor Swift version névrosée, incapable de différencier ses hallucinations d’un quotidien de plus en plus oppressant. 
Campée par une Naomi Scott diablement convaincante dans un rôle casse gueule, cette star médiatique sous pression constante et constamment soumise aux regards des autres est le parfait réceptacle d’une malédiction basée sur la folie et l’altération de la réalité. 
En dépit d’un final qui frôle la sortie de route avec une créature en CGI sortie de nulle part et de quelques faiblesse scénaristiques (mais où est donc passé le personnage de Morris après l’épisode de la chambre froide ?), Smile 2 s’acquitte à merveille de son statut de film d’épouvante, sans révolutionner les codes du genre mais avec une application qui force le respect.

samedi 12 octobre 2024

Terrifier 3

Le plus terrifiant dans l’épopée sanglante de Art Le Clown, outre sa propension à la mutilation et aux meurtres les plus déviants, est sans aucun doute l’absence totale de mobile et une mythologie réduite à sa plus simple expression. 
A la différence de ses glorieux prédécesseurs, de Jason à Freddy en passant par Michaël et Chucky, rien ou presque ne vient ici expliquer ou à défaut contextualiser ses débordements. 
Mise à part une vague histoire de démon à la recherche d’une porte pour investir notre dimension, Art Le Clown agit de la manière la plus atroce, gratuite et imprévisible qui soit, le mal à l’état pur sans règle ni morale si ce n’est la mise en scène grand guignolesque de mises à mort de plus en plus barrées. Et en matière de gore et de perversion ce troisième opus n’est pas en reste.
D’une séquence de démembrement à la tronçonneuse en passant par une séance de torture médiévale avec l’assistance involontaire de malheureux rats, Terrifier 3 ne recule devant rien et s’en prend même aux enfants avec une jubilation rarement vue sur grand écran. 
L’introduction d’une comparse au grand clown muet constitue la principale nouveauté de ce nouvel épisode, à tel point qu’elle aurait pu occulter le personnage principal si un montage erratique lui en avait laissé le temps. Vicieuse, craspec et complètement folle, cette version trash d’une Harley Quinn morte vivante aurait mérité un temps d’écran plus long pour exprimer pleinement son incroyable morbidité. 
Souffrant d’un montage hasardeux durant lequel le spectateur se retrouve projeté d’une scène à l’autre sans aucune transition, et d’un scénario réduit à sa plus simple expression, Terrifier 3 joue à fond la carte de la surenchère et du nihilisme, allant jusqu’à trucider la quasi-totalité de son casting pour laisser place à une fin aussi expédiée qu’ouverte et un retour que l’on pressent imminent pour le clown le plus pervers du panthéon horrifique.

samedi 28 septembre 2024

Speak No Evil

Difficile de résister à l’enthousiasme communicatif de Paddy et Ciara Field, surtout lorsque l’on est empêtré dans une relation qui bat de l’aile et que ses préceptes de vie parfois étouffants contrastent violemment avec la liberté de ce couple de Britanniques exubérants. 
C’est la réflexion que partagent Louise et Ben Dalton lorsqu’ils acceptent leur invitation pour un week-end à la campagne qui se révèlera plus long que prévu. 
Avec ce remake d’un film danois, le réalisateur Britannique James Watkins retrouve toute la hargne et la critique au vitriol d’une certaine frange de notre société déjà prégnante dans son premier long métrage, le très éprouvant et réussi Eden Lake sorti en 2008. 
Si le film démarre doucement pour n’atteindre son apogée horrifique que dans la dernière demi-heure, il instille un malaise palpable par petites touches, porté en grande partie par un James McAvoy encore marqué par son personnage retors et versatile des Split et Glass chez Shyamalan. Mais l’intérêt du film, outre sa tension crescendo et son explosion de violence finale, réside avant tout dans le dynamitage en règle de conventions sociales bourgeoises tenues pour établies (l’éducation positive, le régime végétarien et la protection de la nature) par un couple hédoniste et libertaire dont on se surprend à envier la liberté de ton et l’absence de règles. 
Dérangeant et amoral jusque dans son climax (l’enfance sacrifiée et la transmission de la violence), Speak No Evil nous précipite dans une mêlée sanglante où, au-delà des valeurs de bien et de mal, le vernis social se fissure sous les coups d’une brutalité primale dont personne ne ressortira indemne.

samedi 21 septembre 2024

Le Fil

Le film de procès est un genre à part entière qui fait souvent la part belle à des face à face tendus entre partis de la défense et procureurs, aux retournements de situations et réquisitoires homériques pour que triomphe la vérité. Daniel Auteuil réalisateur et acteur principal de ce nouveau thriller judiciaire emprunte une tout autre voie. 
Pas de ténors du barreau, de témoin surprise ou de victimes injustement condamnées, Le fil explore les arcanes d’un procès malheureusement ordinaire, un féminicide pour lequel le mari est le principal suspect en confrontant des points de vue contradictoires jusqu’au verdict et à la révélation finale. 
D’un classicisme assumé, le film de Daniel Auteuil choisit de suivre ce procès à hauteur d’hommes et de femmes avec un avocat sincère mais sans lustre, Maître Jean Monier, qui n’hésite pas à s’accommoder des arrangements les plus mesquins pour arriver à ses fins, et un accusé magnifiquement interprété par Grégory Gadebois dont le physique massif contraste en permanence avec une fragilité de façade et une sincérité presque enfantine. 
Mené comme une enquête autour d’un meurtre sordide, le Fil multiplie les témoignages des proches de la victime et de l’accusé et ce faisant, dévoile peu à peu des pans d’une vie modeste faite de petites concessions et de heurts, de secrets enfouis et d’une déchéance que l’on comprend inéluctable. 
Glaçant et d’une noirceur peu commune lors de sa révélation finale, le film interroge la notion de culpabilité, de duperie et l’incroyable difficulté de juger des affaires criminelles sur la base d’intimes convictions. 
Le Fil, c’est tout à la fois ce petit morceau de tissu retrouvé sous l’ongle de la victime, la corde raide sur laquelle évoluent chaque jour les professionnels du pouvoir judiciaire et ce lien ténu entre petits bonheurs et drames intimes qui font une vie.

samedi 14 septembre 2024

Kill

Après la vague du cinéma asiatique de ces vingt dernières années, c’est au tour du cinéma indien de se frayer un chemin vers les salles hexagonales, et plus largement européennes, avec une démesure qui n’a de cesse de nous surprendre. 
Loin des films d’actions débridés et des comédies romantiques chantées et dansées emblématiques de Bollywood, ce nouvel ovni du cinéma d’action reprend des recettes largement exploitées pour dérouler un scénario réduit à sa plus simple expression et laisser libre cours à un déluge de violence non-stop. 
Un train pris en otage par des dizaines de bandits, des membres des forces spéciales parmi les passagers et c’est parti pour une heure quarante-cinq de nuques brisées, de strangulations, égorgements, et de membres fracassés. 
On aurait pu s’attendre à une énième variation autour d’un Piège de cristal indien ou d’un The raid ferroviaire, mais nous sommes à Bollywood et ça change tout.
Alors que le héros met en charpie une quarantaine d’adversaires à mains nues dans des déluges de sang, il se refuse à la moindre embrassade avec sa promise d’une chasteté des plus intransigeantes. 
Alors que les bandits font des efforts conséquents, mais vains, pour paraitre le plus méchant possible, ils semblent tous issus de la même famille, abordent de sympathiques têtes de vendeurs de naan et appellent leur chef tonton. 
En choisissant le décor confiné d’un train comme lieu unique de l’action, le réalisateur, s’il exploite plutôt intelligemment les espaces confinés pour orchestrer ses affrontements, s’épargne aussi les chorégraphies martiales exigeantes qui restent la marque de fabrique du cinéma d’action asiatique. 
Affaibli par un scénario quasi inexistant et une interprétation plus qu’approximative, Kill compense par une explosion quasi ininterrompue de violence dans sa seconde partie et le film prend alors un tour inattendu lorsque les bandits deviennent les proies terrifiées d’un vigilante ultra violent dans une inversion des rôles plutôt osée.
Excessif dans ses poussées de romantisme contrarié comme dans sa célébration d’une violence débridée, Kill demeure une curiosité à découvrir mais qui restera sur le perron du panthéon des films d’actions.

dimanche 8 septembre 2024

Beetlejuice Beetlejuice

Il aura fallu attendre 35 ans pour que Tim Buron donne une suite à son mythique Beetlejuice et 5 ans pour qu’il renoue avec le grand écran après une série de films plus ou moins inspirés. Bonne nouvelle, Beetlejuice Beetlejuice marque le grand retour du plus gothique des réalisateurs américains au meilleur de sa forme. 
Suite directe du premier opus de 1988, ce Beetlejuice nouvelle formule, s’il multiplie les références à l’épisode original, n’en oublie pas moins d’embarquer une nouvelle génération de spectateurs avec des personnages inédits parmi lesquels Jenna Ortega, déjà habituée de l’univers du réalisateur depuis la série Mercredi et dans un rôle d’ailleurs assez proche, Monica Belluci, nouvelle égérie de Tim Burton, Justin Theroux incarnant un bellâtre trop mielleux pour être honnête et Willem Dafoe qui s’amuse comme un fou avec son personnage d’acteur décédé habité par son rôle de flic dur à cuire. 
C’est d’ailleurs le maitre mot de ce Beetlejuice Beetlejuice, la joie communicative que les acteurs de la première heure, Michael Keaton, Winona Ryder et Catherine O’Hara, comme les nouveaux venus insufflent à un patchwork surréaliste qui donne lieux à une multitude de scènes tour à tour drôles, touchantes, anticonformistes ou franchement gore mais toujours habitées par cet esprit frondeur qui reste la marque de fabrique de la franchise. Parmi ces moments épiques, la renaissance de Dolores incarnée par une Monica Belluci revisitée en fiancée de Frankenstein restera l’une des plus réussie de la filmographie pourtant bien fournie du réalisateur. 
Alors que le film s’ouvre sur un long travelling rythmé par le score reconnaissable entre mille du toujours fidèle Danny Elfman, les morceaux de bravoures s’enchainent les uns après les autres pour notre plus grand plaisir, et même si les thèmes les plus familiers du réalisateurs sont passés à la loupe (les banlieues américaines, la paternité, la mort, la religion, les histoires d’amour vénéneuses et un amour inconditionnel pour les laissés pour compte), on retrouve avec une joie sincère le plaisir partagé d’un réalisateur que l’on pensait trop vieux pour ces conneries. 
Beetlejuice Beetlejuice ne révolutionne en rien l’univers de Tim Burton mais il prouve si besoin est que la créativité de son auteur est bien vivace et que son plaisir de filmer est plus communicatif que jamais.

dimanche 1 septembre 2024

La nuit se traine

Bruxelles, la nuit. Une chanson de Petula Clark, une ville en ébullition, des manifestations Black Live Matters, des flics ripoux, des gangsters sur les dents, un sac d’argent dans la nature, une rencontre fortuite et au milieu de tout cela Mady, serrurier de nuit qui ouvre la mauvaise porte à la mauvaise personne. 
Coincé par une mystérieuse jeune fille et des malfrats nerveux, Mady a une nuit pour retrouver l’argent disparu et sauver sa peau. Pendant ce temps la colère gronde dans les rues de la capitale belge. 
Calvaire, Bullhead, Alabama Monroe, … Le cinéma belge n’en finit pas de se renouveler avec une énergie communicative et cette patte unique où le quotidien se perd dans des méandres insoupçonnés et nous entraine à la suite de personnages attachants parce que profondément crédibles dans des périples dont on ne ressort pas indemnes. 
Thriller sous influences, La nuit se traine, s’il n’entend pas révolutionner le genre, s’appuie sur une réalisation soignée et une impeccable direction d’acteurs pour nous embarquer dans une course sans temps morts au coté de Jonathan Feltre, omniprésent et impressionnant de réalisme dans le rôle d’un authentique gentil entrainé malgré lui dans un monde interlope dont il ne maitrise pas les règles. 
En refusant la carte ouvertement politique, le mouvement Black Live Matters n’est qu’une toile de fond pour l’intrigue principale, le réalisateur se concentre sur son histoire dont l’intrigue nous amène vers un dénouement peut être un peu candide mais en parfaite cohérence avec la psychologie de ses personnages. 
Sans manichéisme, même les salauds ont des raisons d’agir comme ils le font, ni sensationnalisme, Michiel Blanchart marque d’une pierre blanche l’univers pourtant déjà riche du polar urbain. 
La nuit se traine mais le film ne nous lâche pas une seule seconde et le refrain de Petula Clark raisonne encore lorsque l’écran s’éteint.

dimanche 25 août 2024

Emilia Perez

Il faut le reconnaitre, le pari est de taille. Mettre les femmes au cœur d’un film où un chef de cartel mexicain décide de changer de sexe sur fond de comédie musicale avec une actrice elle-même transgenre, le projet a de quoi décontenancer et pourrait verser dans le ridicule au moindre faux pas. C’est sans compter la foi inébranlable de Jacques Audiard dans son entreprise audacieuse et d’un casting aussi à l’aise dans le drame que lorsqu’il faut chanter la joie de l’amour retrouvé, la révolte face aux violences faites aux femmes ou le déchirement d’une vie perdue à jamais. 
Emilia Perez est un film qui se mérite et dont la montée en puissance se fait progressivement, par touches émotionnelles et l’entrée en scène de ses différentes protagonistes. 
Zoe Saldana d’abord seule dans une vie étriquée qui, pour reprendre ses termes, lui laisse un goût de merde dans la bouche et dont la destinée bascule lorsqu’elle croise le chemin de Karla Sofía Gascón dans le rôle-titre et de Selena Gomez en pauvre petite fille riche au destin forcément tragique.
Car oui, nous sommes au Mexique, pays des cartels, des violences et des disparitions dont les femmes sont les premières victimes d’une société encore profondément machiste. Mais pays de la résilience où tout peut encore arriver tant qu’il restera des gens debout contre la barbarie. 
C’est sur cette dernière image que se conclut le film, une invraisemblable reprise des Passantes, le poème d’Antoine Pol magnifié par Georges Brassens et repris par une fanfare de rue dans un irrésistible élan d’espoir et de ferveur populaire. Exit les personnages principaux pour laisser place à des anonymes reprenant en cœur cette magnifique chanson à la gloire des femmes. 
A l’image de son personnage central, Emilia Perez est un film transgenre et profondément viscéral, le réalisateur ayant compris qu’une chanson touche le cœur aussi bien voire mieux qu’un long discours.

jeudi 15 août 2024

Alien : Romulus

Après un remake en demi-teinte du mythique Evil Dead de Sam Raimi en 2013, Fede Alvarez s’attaque à un autre monument du cinéma d’horreur avec un résultat similaire pour des raisons toutes aussi identiques. 
Idéalement situé entre Alien de Ridley Scott et Aliens de James Cameron, cet Alien Romulus suit l’exploration d’un vaisseau spatial à la dérive par un groupe de jeunes adultes prisonniers de leur condition d’ouvriers et promus à une mort certaine au fond des mines à l’atmosphère viciée des colonies terriennes. Bien entendu le vaisseau en question n’est pas à proprement parlé désert et faute de caissons pour quitter leur planète nos jeunes pionniers vont tomber sur une forme de vie plutôt agressive. 
Alors que la version d’Evil Dead de Fede Alvarez oscillait entre idées originales et hommage servile à son modèle original tout en souffrant d’un manque de caractérisation des personnages principaux, on pourrait reprocher exactement les mêmes travers à ce nouvel Alien. Dés les premières images deux évidences s’imposent rapidement : des choix esthétiques méticuleux pour reproduire une atmosphère poussiéreuse et déliquescente, que ce soit sur la planète minière ou à l’intérieur des vaisseaux, et l’écriture plus qu’approximative des personnages qui frôlent tous la caricature. 
Si le garçon antipathique fait des efforts louables pour paraitre détestable puis rapidement insupportable, avec le pathos qui va de pair, il est systématiquement contrebalancé par le bon apôtre bien sous tous les rapports et accessoirement petit ami non déclaré de l’héroïne. Pour le reste, entre la sœur enceinte et la pilote à l’allure masculine, on reste dans les seconds rôles obligés qui disparaitront plus ou moins rapidement au fil d’un jeu de massacre couru d’avance. 
Pour son opus fondateur, Ridley Scott jouait la carte du château hanté et misait tout sur un alien unique pratiquement invisible pendant la plus grande partie du film. Avec sa suite testostéronée, James Cameron poussait les curseurs à fond en balançant des centaines de monstres face à une escouade de militaires hargneux et armés jusqu’aux dents. Coincé entre ses deux modèles, Fede Alavarez choisit la demi-mesure : une dizaine de créatures, quelques fusillades tardives et un face à face final avec un hybride inspiré du final d’Alien, la résurrection de notre Jean Pierre Jeunet national. 
Bien qu’il maitrise sa mise en scène et propose son lot de bonnes idées (les flux d’acide en apesanteur), le réalisateur oscille constamment entre hommage contrit qui sombre de le fan service servile et vain dans sa deuxième partie et volonté évidente d’y apposer sa propre patte. 
Moins cryptique que Prometheus et Alien Covenant, mais dénué de la touche personnelle et des univers propres aux réalisateurs d’Alien 3 et Alien, la résurrection, ce nouvel opus, loin d’être honteux, n’arrive pourtant que rarement à s’affranchir de ses glorieux modèles. Peut être est il temps de laisser tomber les suites-reboot-remakes et de créer de nouveaux mythes ?

mardi 16 juillet 2024

Horizon : une saga américaine chapitre 1

Le projet est monumental, raconter en quatre chapitres la naissance de l’Amérique moderne, celle des pionniers et de l’occupation des territoires indiens avec en toile de fond la guerre de Sécession et l’expansion des premières villes surgies de paysages encore vierges de toute modernité. 
Un pari que le scénariste producteur réalisateur et acteur Kevin Costner semble en train de perdre si l’on en croit les mauvais résultats au box-office de cette partie introductive de trois heures et la sortie repoussée du deuxième volet. Et pourtant quel film.
S’il ne cède pas à la facilité des ressorts narratifs propres aux séries télévisuelles avec une exposition parfois très brute de personnages surgis de nulle part et des intrigues qu’il faut saisir en cours de route, le premier chapitre de cette saga américaine reste passionnant et d’une ampleur folle. 
Portée par un casting au cordeau et une écriture qui ne devrait révéler sa puissance qu’au bout des quatre films, Horizon alterne les passages à fleur de peau (le départ des jeunes recrues pour le front) et des moments de bravoure impressionnants dont l’attaque des colons par les Apaches reste le point d’orgue.
Impitoyable avec ses protagonistes et rigoureux dans sa reconstitution historique, le film de Kevin Costner fait souffler un vent épique sur le western vu comme la matrice des Etats-Unis d’Amérique tels que nous les connaissons aujourd’hui. 
Si la multitude des personnages et des intrigues se prêterait naturellement au format d’une série télé (on pense notamment à DeadWood), Kevin Costner fait le pari fou du grand écran. 
Difficile de juger de l’œuvre avant sa conclusion finale dont les dernières images de ce chapitre 1 nous donnent un avant-goût, mais que ce soit par l’ampleur du projet ou le plaisir que l’on prend à parcourir ces grands espaces, on croise les doigts pour que le film trouve enfin son public et permette à son réalisateur de clore une saga qui s’annonce magistrale.

dimanche 14 juillet 2024

Longlegs

 

Une jeune recrue du FBI traumatisée par un drame survenu pendant son enfance doit faire face à un tueur machiavélique et déchiffrer les indices qu’il sème derrière lui. Sur le papier Lonlegs coche toutes les cases pour s’inscrire dans la lignée des meilleurs films d’horreur de ces dernières années. 
On pense bien sûr au Silence des agneaux avant que l’intrigue ne bifurque vers le satanisme et l’ambiance trouble chère à la série True Detective. Hélas Nicolas Cage n’est pas Anthony Hopkins et Oz Perkins n’a pas le talent d’écriture et de mise en scène de Nic Pizzolatto et Cary Joji Fukunaga. 
Porté par une esthétique volontairement datée et des effets de style lourdement appuyés, Longlegs hurle à chaque plan son désir d’apporter sa pierre à l’édifice de cette nouvelle vague fantastique passionnante portée par Ari Aster ou David Robert Mitchell. Et la présence de la toujours impeccable Maika Monroe est d’ailleurs le seul lien tangible avec le formidable It Follows sorti dix ans plus tôt. 
Car malgré quelques effets marquants et des idées de mise en scène intéressantes comme l’apparition progressive du visage du tueur, Longlegs déroule une succession de scènes attendues sans prendre le temps de développer ses personnages auxquels on ne s’attache pas vraiment. 
Trauma et tueur d’enfant, satanisme et enquête du FBI, tout y passe et le réalisateur déroule une liste des passages obligés du film d’horreur faussement vintage et tellement désireux de s’approprier le genre qu’il en oublie le spectateur en chemin. 
Le plan final enfonce le dernier clou du cercueil avec un Nicolas Cage en roue libre tellement ridicule qu’il en devient embarrassant et involontairement parodique. 
On préférera se replonger dans la première saison de True Detective, son interprétation exemplaire et son écriture au cordeau pour écouter le Diable nous murmurer à l’oreille.

mardi 9 juillet 2024

Le Comte de Monte-Cristo

Un millionnaire misanthrope et masqué, une croisade où se mêlent justice et vengeance, la disparition tragique du père et la trahison d’un ami cher. Difficile de croire que Bob Kane ne s’est pas inspiré du personnage d’Alexandre Dumas pour créer son Batman en 1939, car oui le Comte de Monte-Cristo contient en substance tous les éléments fondateurs du super-héros iconique de l’univers DC. 
Et c’est bien cet univers romanesque d’une richesse incroyable que les réalisateurs et scénaristes Matthieu Delaporte et Alexandre De La Patellière, déjà responsables de l’adaptation en deux volets des Trois Mousquetaires, sont allés chercher pour cette nouvelle illustration de l’œuvre d’Alexandre Dumas. Une veine qui ne semble pas prête de se tarir si l’on en croit les projets de spin off en cours. 
Si le Comte de Monte-Cristo puise son inspiration dans la culture populaire au sens le plus large du terme, on frôle parfois le fantastique lors des multiples apparitions d’Edmond Dantès et sa propension à se tirer des situations les plus périlleuses, et propose de ce fait une matière encore plus prompte à l’aventure que les Trois Mousquetaires, il faut reconnaitre au duo de réalisateurs un souffle épique et une volonté de spectacle débridé que l’on ne rencontre que rarement dans le cinéma français. 
Ne lésinant pas sur les moyens et le cadre historique parfaitement reconstitué, le Comte de Monte-Cristo s’appuie sur une partition musicale de premier plan et une distribution en parfaite adéquation avec une galerie de personnages aussi nombreux que hauts en couleurs pour servir une intrigue tortueuse à souhait.
Dense sans jamais perdre le spectateur en chemin, tour à tour épique et intimiste, et moins académique que les Trois Mousquetaires, ce nouveau Comte de Monte-Cristo met surtout en lumière une direction d’acteurs exemplaire et un casting de premier plan tout entier au service de son histoire. 
Si le film tire un peu en longueur, trois heures tout de même, on imagine mal comment mieux condenser cette incroyable histoire de vengeance aux multiples ramifications qui met à la portée de tous l’imagination foisonnante d’un romancier trop longtemps sous-estimé.

samedi 6 juillet 2024

Elyas

Elyas est un ancien militaire, membre des Forces Spéciales traumatisé par la guerre. Lorsqu’il revient d’une mission en Afghanistan, il n’est que l’ombre de lui-même, un homme brisé, psychologiquement instable et profondément solitaire. Poussé par un ancien compagnon d’arme il accepte néanmoins de servir de garde du corps à une adolescente et sa mère, richissimes membres d’une famille royale du Moyen-Orient exilée en France. L’enlèvement de Nour va précipiter les choses et réveiller le guerrier qui sommeille en lui. 
Sur le papier Elyas ressemble à s’y méprendre à une énième variation de Man on Fire réalisé vingt ans plus tôt par Tony Scott, lui-même inspiré librement par le film d’Elie Chouraqui de 1987. Et les similitudes entre les deux films sont légion, à commencer par la relation fusionnelle entre l’ancien soldat meurtri et la petite fille trahie par son père. 
Mais là où Florent-Emilio Siri tire son épingle du jeu c’est dans le caractère profondément paranoïaque de son récit. En faisant d’Elyas un homme instable et perturbé sous traitement médical, il instille un doute permanent sur la véracité des évènements se déroulant sous nos yeux. 
Entre complot et folie, Elyas entraine le spectateur dans une course poursuite effrénée qui ne laisse que peu de temps morts et réserve de belles surprises, comme cet affrontement sauvage dans l’espace exigu d’un camping-car, modèle de découpage d’une redoutable efficacité. 
Sans révolutionner les canons du genre, Elyas capitalise sur la présence minérale d’un Roschdy Zem une fois de plus impeccable en ours mutique et une mise en scène qui assume ses ambitions de film d’action tout en laissant la part belle aux émotions de personnages ambigus mais finalement attachants.

lundi 24 juin 2024

Vice Versa 2

En 2015 Pixar ajoutait une pierre de plus à son édifice déjà impressionnant avec cette plongée irrésistible dans la tête de la petite Riley âgée de 11 ans et dont les émotions s’emballent alors que la famille emménage dans une nouvelle ville. L’occasion de faire connaissance avec Joie, Peur, Colère, Tristesse et Dégoût en compétition permanente pour contrôler l’existence d’une petite fille attachante mais un peu perdue. 
En 2024 Riley est devenue adolescente et s’il y a bien un âge où les émotions échappent à toute logique c’est justement la puberté et son cortège de sentiments contradictoires. Le terrain idéal pour une suite attendue mais qui, comme ce fut le cas pour tous les plus grands succès de Pixar (Cars, Les Indestructibles, Monstres et Compagnie et tant d’autres) n’arrivera jamais à atteindre l’émotion du premier opus. 
Après une introduction lourdement explicative pour nous remettre en mémoire les protagonistes historiques, l’histoire débute enfin avec un cadre nouveau. Exit le déménagement pour laisser place à un stage de hockey qui, malgré un contexte plus fourni (l’amitié mise à mal par un changement de lycée) n’en restera pas moins l’intrigue principale d’une histoire un peu trop simpliste du point de vue de Riley. 
Du coté des émotions au contraire c’est la frénésie permanente avec deux fois plus de personnages mais un focus quasi permanent sur Angoisse alors que des sentiments comme Ennui, Envie ou Embarras auraient mérité plus de place. On a un peu l’impression d’assister au même périple que dans le premier opus et de visiter de nouveau des lieux emblématiques comme  la Mémoire à long terme, le Pays de l’Imagination, la Pensée Abstraite, ou la Production des Rêves et, malgré quelques bonnes surprises ce deuxième voyage perd son charme initial. 
Loin d’être ennuyeux ou bâclé, Vice Versa 2 reste un divertissement de haut niveau mais avec un sujet aussi riche, on ne peut s’empêcher de lui préférer Alerte Rouge qui, sur un thème similaire, arrivait à se hisser à un niveau de réflexion plus abouti sans pour autant sacrifier un spectacle de tous les instants.

dimanche 16 juin 2024

Les guetteurs

C’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures soupes. C’est ce qu’a dû se dire Ishana Shyamalan en se lançant dans la réalisation d’un premier film qui aurait pu, à quelques détails près, être réalisé par son père et dont il reprend les principaux ressorts dramatiques. 
Après un prologue efficace mais déjà vu une bonne dizaine de fois durant lequel un randonneur perdu dans une forêt disparait brutalement sous nos yeux, place au personnage de Mina incarné par Dakota Fanning qui, si elle a bien grandi depuis Man on fire, n’en conserve pas moins une belle présence à l’écran. 
On n’en dira pas autant de son personnage au pathos bien chargé et dont nous découvrirons le secret par une série de flash-back plus ou moins bien amenés. 
Tombée en panne de voiture dans la fameuse forêt, Nina trouve refuge dans une maison isolé habitée par trois autres réfugiés obligés de se mettre en scène tous les soir pour les mystérieux gardiens des lieux.
Après un postulat de départ intriguant et une première partie tout à fait intéressante qui renvoie une fois encore vers la filmographie de papa Shyamalan crédité à la production, le Village en tête, le film bascule ensuite dans une succession de révélations hasardeuses et une sortie de route malheureusement prévisible quand il joue la carte des bons sentiments au profit de la terreur pure. 
Prise de risque minimum donc pour cette première expérience qui, si elle manque singulièrement de personnalité propre n’en demeure pas moins efficace pendant la première heure et présage du meilleur lorsque, à l’image de Jennifer Lynch, Ishana Shyamalan aura réussi à tuer le père pour trouver sa propre voie.

samedi 25 mai 2024

Furiosa

Alors que la jeune Furiosa coule des jours heureux au sein d’une oasis entourée par des hordes de barbares, elle est arrachée à son clan, fait prisonnière, assiste impuissante à la mort de sa mère et grandit au milieu de ses ravisseurs jusqu’à ce qu’elle soit relâchée, devienne une combattante émérite, se venge et passe du statu de walkyrie à celui d’Imperator lors du final de Fury Road dont Furiosa constitue le prequel. 
Si ce scénario fait écho à de lointains souvenirs de cinéphile c’est qu’il est calqué presque trait pour trait sur l’épopée de Conan le barbare écrit et réalisé par John Milius quarante ans plus tôt.
George Miller cimente son film de références multiples, emprunte à son propre panthéon en reproduisant parfois à l’identique les spectaculaires cascades de Fury Road (l’attaque du Porte-Guerre devient un passage obligé depuis Mad Max 2), autant qu’à une imagerie religieuse appuyée lorsque Furiosa quitte à deux reprises le jardin d’Eden (le véritable paradis lorsqu’elle est enfant et le simulacre d’éden lors de l’évasion des concubines d’Immortan Joe) en cueillant un fruit. 
Alors oui, ce nouvel opus de la saga Mad Max tient toutes ses promesses en termes de spectacle total, de cascades chorégraphiées à la seconde près et de personnages iconiques dont la plupart pourraient faire l’objet d’un film à part entière. 
Pourtant, alors que George Miller a pour habitude de nous parachuter en pleine action dés les premières minutes du film, il prend ici le temps d’un long prologue pour poser l’intrigue et les personnages et compose avec Dementus un méchant (trop) bavard et poseur loin du charisme animal tout en menace larvée d’un Immortan Joe dans le précédent opus. 
Si l’énergie est toujours présente, on sent que, contrairement aux précédents épisodes de la saga, Furiosa a tendance à tirer sur la corde et recycler des idées déjà exploitées avec plus de brio. 
Entre de nombreux morceaux de bravoures et les digressions d’un Dementus à la limite du cabotinage, Furiosa aura au moins le mérite de prolonger le frisson de Fury Road qui ne constituait en son temps qu’une version dopée aux stéroïdes et extrêmement jouissive d’un Mad Max 2, à jamais le seul et unique mètre étalon en matière de cinéma post apocalyptique.

dimanche 19 mai 2024

When Evil Lurks

Drôle de film que ce long métrage argentin aussi fauché que les Terrifier de Damien Leone et animé par la même volonté de s’ancrer dans le cinéma de genre avec une énergie communicative et un goût assumé pour les excès et le gore. 
On se croirait presque revenu quarante ans plus tôt en plein âge d’or d’un cinéma bis italien hargneux et dérangeant, parfois un peu foutraque et boiteux mais diablement rafraichissant dans son économie de moyen et son inventivité. Et la découverte du premier infecté semble d’ailleurs tout droit sorti de l’Enfer des zombies d’un certain Lucio Fulci qui n’aurait pas renié le massacre à venir. 
Encouragé par les règles entourant l’éradication du mal qui s’empare d’une bourgade rurale, notamment l’interdiction d’utiliser des armes à feu sous peine de se retrouver soi même possédé, les protagonistes font la part belle aux armes blanches pour commettre leurs méfaits, nous offrant ainsi quelques scènes de meurtre du plus bel effet. 
Film de possession et d’invasion, When Evil Lurks illustre la déliquescence des corps et des âmes d’une communauté repliée sur elle-même et joue avec nos sens pour exacerber une atmosphère rapidement anxiogène. Que ce soit sur le plan sonore (les mots répétés en boucle par Jair) ou visuel (la glace qui coule sur ses doigts, la pouriture omniprésente et la décomposition des chairs), le film de Demián Rugna insuffle dès les premiers plans un malaise qui ne nous quittera pas. 
Handicapé par des seconds rôles peu convaincants (la mère et la femme de Pedro mal servies par des dialogues à rallonge et une interprétation peu convaincante) et des passages explicatifs interminables et maladroits (le trajet en voiture pour fuir la ville), When Evil Lurks ne parvient pourtant jamais à se hisser à la hauteur de ses glorieux modèles. 
Il n’en reste pas moins une proposition de cinéma sincère, plombée par une écriture trop approximative mais témoignant d’un véritable amour au cinéma d’exploitation.

lundi 29 avril 2024

Civil War

This is fucking war ! 
Ça y est, nous y sommes et les Etats Unis sont passés d’une société fracturée à une véritable guerre civile où des états armés font sécession contre le gouvernement fédéral. 
Mais plus que l’aspect politique du conflit, le film pourrait se dérouler dans n’importe quel pays du monde, c’est bien la guerre dans toute son horreur et sa brutalité, et la couverture de l’information que le réalisateur prend à bras le corps à travers une série de vignettes illustrant le périple d’un groupe de journalistes dans un pays dévasté. 
Dans Civil War il est question de reporters plutôt que de soldats, de déshumanisation plutôt que d’héroïsme. Car, et c’est le pari risqué du film, les personnages principaux de ce voyage au bout de l’enfer n’ont rien de sympathiques. 
Reporters de guerre shootés à l’adrénaline ou lessivés à force de regarder l’horreur droit dans les yeux, apprentie journaliste prête à tout pour faire sa place, l’humain n’existe plus à travers l’objectif d’un appareil photo et les cadavres ont beau s’entasser sur le bord du chemin, le principal reste l’interview ultime ou le cliché mythique. On pleurera les morts plus tard si on les pleure, et on se forge une carapace tellement épaisse pour durer dans le métier et éviter de sombrer dans la folie que l’on en perd sa propre humanité. 
Alex Garland conclut son film par une séquence glaçante mais avant cela le réalisateur d’Annihilation et de Men nous embarque dans un périple sur le fil du rasoir et d’une tension extrême, la traversée d’une Amérique en feu où tout peut arriver, surtout le pire, et où des soldats en uniforme affrontent les services secrets du Président à coup d’armes automatiques dans une Maison Blanche en proie aux flammes. 
Reflet déformant d’une réalité de plus en plus anxiogène, Civil War reste avant tout le portrait d’individus qui, livrés à eux même, sont capables des pires atrocités et de la froideur la plus totale pour s’en faire le témoin. Eprouvant et pourtant désespérément lucide.

samedi 20 avril 2024

Monkey Man

Retrouver la star de Slumdog Millionaire derrière et devant la caméra d’un film de baston énervé produit par Jordan Peele a de quoi éveiller la curiosité si ce n’est une attente fébrile. 
Le résultat, s’il n’est pas toujours à la hauteur de la hype générée par le film, est assez honnête pour susciter une bienveillance immédiate. 
Film d’action aux influences multiples, des récentes pellicules indonésiennes et thaïlandaises en termes de combats chorégraphiés jusqu’aux canons du genre américains pour la caractérisation du héros, Monkey Man puise à la fois dans l’iconographie de la culture indienne et dans les stéréotypes d’un genre très codifié. 
D’un divertissement très premier degrés à une dimension sociale exacerbée quand le personnage principal s’érige en défenseur des opprimés, les hijras (transgenres et homosexuels) en tête, le film de Dev Patel oscille constamment entre brutalité crue et onirisme, saillie gore et sentimentalisme à l’eau de rose, spectacle primaire et brûlot politique parfois naïf. 
Immergé dans les traditions hindoues par la figure du dieu Hanuman, le film n’en demeure pas moins résolument connecté à une modernité tout aussi prégnante en Inde, symbole de la prédation des plus riches et d’une avidité à peine voilée par le vernis du fanatisme religieux, des brutalités policières et des manœuvres politiques. 
Maladroit, épuisant dans son éclectisme, codifié à l’extrême et pourtant unique en son genre, Monkey Man est suffisamment sincère et généreux dans sa démesure pour engendrer la sympathie.

dimanche 14 avril 2024

La Malédiction : l'origine

Une jeune religieuse américaine se retrouve en Italie, enceinte malgré elle, dans un couvent peuplé de personnages inquiétants et de nonnes austères qui fomentent en secret un complot visant à restaurer la toute puissance de l’église, quitte pour cela à jouer avec des forces qui les dépassent.
Hasard du calendrier ou fuite malencontreuses, le scénario de ce prequel du film de Richard Donner ressemble tellement à celui d’Immaculée sorti sur les écrans français deux semaines plus tôt que la comparaison devient inévitable. Et si les deux films partagent un personnage principal porté par une interprète totalement investie dans son rôle (épatantes Sydney Sweeney dans Immaculée et Nell Tiger Free dans La Malédiction : l'origine qui a bien grandi depuis son rôle de Myrcella Baratheon dans Game of Thrones), la ressemblance s’arrête là. 
Car là où Immaculée réussissait à condenser en une heure trente un film de genre engagé et rageur, La Malédiction : l'origine étire sur deux heures une intrigue qui aurait gagné à plus de concision, coincée entre un cahier des charges obligatoire et des efforts manifestes pour développer sa propre identité. Et c’est précisément sur ce point que réside l’intérêt du film. 
Au travers de quelques scènes chocs, d’une mise en scène soignée et de la prestation de Nell Tiger Free, le film d’Arkasha Stevenson réussit à exister par lui-même tout en respectant les codes de la série (le prologue semble d’ailleurs tout droit sorti du film original de 1976). 
Moins viscéral et frontal qu’Immaculée, La Malédiction : l'origine n’en demeure pas moins un préquel à la fois fidèle et incarné d’une saga qui n’a pas inspiré que des chefs d’œuvres.

lundi 8 avril 2024

Pas de vagues

Comme le personnage d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, Julien aimerait changer la vie de ses élèves, ou du moins leur laisser un souvenir impérissable, celui du professeur de collège dont on reparle des dizaines d’années après avec reconnaissance et un brin de nostalgie dans la voix. 

Comme tant d’autres professeurs, Julien passe ses journées entre une falaise et un précipice. Le mur administratif et le bloc de ses collègues dont la bienveillance de principe ne supporte que mal leur remise en cause, et le numéro de funambule qu’il exécute chaque jour devant une classe qu’il tient à bout de bras comme une charge de nitroglycérine qui ne demande qu’un choc pour exploser. 

Ce choc, ce sera une expression mal interprétée, un traitement de faveur maladroit, un enchainement de quiproquos et de rumeurs aussi explosifs qu’une trainée de poudre. Alors commence une lente mais inexorable descente aux enfers que rien ni personne ne pourra enrailler. 

Des cours de récréations aux classes en passant par la salle des profs, la caméra de Teddy Lussi-Modeste suit ses acteurs au plus près et dresse le portrait sans concession d’une machine administrative et d’un corporatisme dont la nocivité passive n’a rien à envier à la brutalité d’élèves à la dérive. 

Si l’on peut reprocher au film un parti pris trop centré sur le professeur alors que le point de vue de Leslie n’est que trop tardivement explicité, Pas de vague se regarde comme un thriller passionnant dont la montée en tension s’accompagne d’une photographie glaçante de la solitude des professeurs confrontés à des situations qui les dépassent.

samedi 23 mars 2024

Immaculée

Le personnage de la nonne, au même titre que les soldats nazis ou les prisonniers, fait l’objet d’un sous genre à part entière du cinéma d’exploitation qui connut son zénith dans les années 70 à 80 en Europe et au Japon. 
C’est donc dans la lignée de la nunsploitation et son cortège de passages obligés (nonnes inquiétantes, couvent austère, châtiments corporels, imagerie chrétienne) que Michael Mohan situe son nouveau film. Mais s’il exploite à fond les codes du genre er tire le meilleur parti de ces lieux cloitrés dissimulant les secrets les moins avouables, le réalisateur américain ne se cantonne pas pour autant au film d’épouvante standard ponctués par les habituels jump scares. 
D’une durée salutaire d’à peine une heure trente, Immaculée dénote des productions actuelles par un montage aussi discret qu’efficace qui déroule habilement son histoire sans aucun temps mort. 
Incarnés par une pléiade d’actrices impeccables (seul Alvaro Morte semble se contenter du minimum syndical), les personnages déambulent dans des couloirs sombres où les portes claquent et les planchers grincent en plein milieu de la nuit. Mais malgré quelques effets convenus destinés à faire sursauter le spectateur à un rythme de métronome, Immaculée ne sombre que rarement dans la facilité et se hisse au-dessus des films d’horreur habituel par une réalisation et une direction d’acteur maitrisées de bout en bout. 
Gentiment anticlérical à ses débuts, le film sombre dans sa dernière demi-heure dans une rage nihiliste qui nous laisse pantois et haletant, souffrant avec une héroïne hissée bien malgré elle au rang d’icone féministe pourfendeuse de l’autorité ecclésiastique. 
De son prologue jusqu’au dénouement final, Immaculée tient les spectateurs en haleine et s’impose dés à présent comme l’une des meilleures surprises horrifiques de ce début d’année.

jeudi 29 février 2024

Dune Partie 2

En 2021 Denis Villeneuve faisait le pari un peu fou d’adapter le roman tentaculaire de Franck Herbert sur grand écran. Malgré des impasses narratives inévitables (le mythe de l'ordre du Bene Gesserit n’est par exemple qu’effleuré), ce premier film évitait les écueils d’une exposition trop scolaire tout en posant les bases de la mythologie et de la chute de la maison Atréides. 
Trois plus tard le réalisateur canadien nous embarque de nouveau sur Arrakis en compagnie de Paul Atréides et de sa mère Lady Jessica qui voit en son fils le nouveau messie. Elle n’est pas la seule et le survivant de la maison Atréides va se retrouver à la croisée des chemins, déchiré entre ses aspirations personnelles et une destinée hors du commun. 
Spectacle de haut vol porté par la musique de Hans Zimmer, Ce deuxième volet embrasse à bras le corps les thèmes chers à Franck Herbert parmi lesquels le pouvoir des religions et les mécanismes du fanatisme sont les plus intéressants. 
Entre pouvoir et responsabilité, l’auteur et à travers lui le réalisateur interroge les arcanes du pouvoir et la manipulation des foules (« annoncez leur la venue d’un messie et ils l’attendront pendant des siècles » proclame Chani dont la supposée clairvoyance s’oppose frontalement à l’emprise de la mère de Paul et sa propension à semer les graines du fanatisme). 
Space opéra réjouissant malgré la multiplicité des personnages et des intrigues, la saga Dune pensée par Denis Villeneuve réussit le pari d’allier spectacle total et réflexion pertinente sur la naissance et les dérives d’une religion.

samedi 24 février 2024

Sleep

L’ennemi intime. Depuis que son mari est sujet à des crises de somnambulisme, Soo-jin ne dort plus. De comportements étranges à des pulsions suicidaires, Hyun-su devient dans son sommeil un étranger au sein de son propre foyer, un inconnu de plus en plus menaçant pour sa femme, son chien et bientôt leur nouveau-né. 
Entre les impasses de la médecine et la tentation de l’occulte, Soo-jin se sent peu à peu basculer dans une angoisse irrépressible dont elle ne perçoit pas l’issue pour elle et sa famille. 
Grand prix du dernier festival international du film fantastique de Gérardmer, le premier film du coréen Jason Yu entremêle adroitement les codes de la comédie grinçante voire franchement morbide proche du Parasite de Bong Joon-ho dont il fut par ailleurs l’assistant, et le film de pure épouvante plongeant ses racines dans le home invasion et le récit de fantôme indissociable de la culture asiatique. 
Métaphore d’un couple au bord de l’explosion et d’un pays divisé depuis des dizaines d’années, Sleep alterne les séquences de jour et de nuit, basculant d’un portrait en creux de la classe moyenne coréenne à une ambiance inquiétante quand l’être aimé se mue en menace mortelle. 
Habilement mené et porté par deux acteurs incarnés dont le regretté Sun-kyun Lee récemment décédé et à la mémoire duquel le film est dédié, Sleep aurait gagné en puissance à conserver cette ambiguïté sur laquelle repose une grande partie de l’intrigue sans proposer au spectateur une explication trop évidente. 
Jason Yu signe un premier film parfaitement maitrisé et demeure l’une des figures montantes d’un cinéma coréen décidemment plein de promesses.

samedi 10 février 2024

Amelia’s Children

Si on ne pense pas forcément au Portugal quand on évoque le cinéma fantastique européen, le nouveau film du réalisateur Gabriel Abrantes s’est néanmoins fait remarquer au trente et unième festival de Gerardmer en remportant le prix du jury exæquo avec le franco-belge En attendant la nuit.
Et c’est bien dans la grande tradition des films horrifiques les plus classiques (demeure mystérieuse, malédiction familiale, sorcellerie, villageois hostiles) que se situe cette plongée en enfer pour Ed, jeune new-yorkais orphelin depuis sa naissance lorsqu’il découvre sa nouvelle famille au fin fond du Portugal. Après l’émoi des retrouvailles, sa petite amie Ryley commence à trouver sa nouvelle belle mère et son beau frère vraiment flippants. Et pour cause. 
S’il utilise toutes les ficelles des codes horrifiques, Gabriel Abrantes n’en oublie pas moins d’instiller une bonne dose de perversion dans cette histoire de quête de jeunesse éternelle sur fond d’inceste et de sacrifice d’enfant. 
Pression psychologique avec une montée en tension efficace et horreur physique lorsque l’on découvre cette figure maternelle défigurée par la chirurgie esthétique (le pendant moderne et sarcastique des sacrifices de vierges pour rester éternellement jeune), Amelia’s Children joue surtout avec une inversion des rôles pour prendre le spectateur à contre-pied. Témoin cette scène d’introduction où le véritable danger ne vient pas forcément de là où on l’attend, et le duo Ed et Ryley dont les stéréotypes masculins et féminins s’inversent continuellement (Ed est sujet à des crises de panique et passe son temps à être secouru tandis que sa fiancée endosse le rôle de l’héroïne qui pète des genoux à coups de marteau). 
Malgré un déroulé un tant soit peu prévisible, une réalisation convenue et quelques zones d’ombres dans le scénario, Amelia’s Children n’en demeure pas moins un film d’angoisse efficace qui explore avec une certaine impertinence les sentiers battus d’un genre horrifique qui ne demande qu’à se renouveler.