samedi 26 février 2022

Maigret

On connaissait le Maigret taciturne, patient, opiniâtre, bougon, celui de Patrice Leconte n’a plus goût à rien. A quelques années de la retraite, le commissaire se sent fatigué et détaché des plaisirs d’une vie trop tranquille. La découverte d’une jeune fille assassinée va le plonger dans une enquête au long court et réveiller en lui de douloureux souvenirs. 

A contrecourant des films policiers de ces vingt dernières années, une heure vingt-huit sans rebondissement ni retournement de situation notable, Maigret dégage une tristesse sans nom, celle d’une absence trop lourde à porter et qui finit par nous entrainer vers le fond sans que l’on éprouve l’envie de remonter à la surface. 

Porté par un Depardieu filmé comme le miroir du personnage de Simenon, le film de Patrice Leconte assume sa lenteur et son désespoir latent, d’autant plus beau et touchant qu’il fait écho à celui de son acteur qui n’en finit plus d’incarner son propre personnage crépusculaire. 

C’est surement là l’une des limites du film, un écrin taillé pour Depardieu au point que l’on ne voit plus que l’acteur au détriment du commissaire débonnaire amateur de blanquette de veau et des ginguettes en bord de Seine. Cela n’entame en rien le plaisir que l’on éprouve dans cette promenade taciturne en plein Paris au sein de ce couple brisé par une absence dont on ne parle plus mais qui les hantera jusqu’à la fin de leurs jours. Un plan rapide sur Madame Maigret en train de débarrasser la chambre d’ami avec dans les bras une mappemonde rangée dans un carton suffit à illustrer ce renoncement. 

Il faudra attendre la fin du film pour voir l’esquisse d’un sourire se dessiner sur les traits bourrus du commissaire, l’illusion d’une fille retrouvée le temps d’une enquête, avant de le voir disparaitre à son tour dans les rues de la capitale, engoncé dans son manteau et son incommensurable solitude.

mercredi 16 février 2022

The innocents

Qui n’a jamais observé un enfant en train de piétiner une fourmilière ou d’écraser un ver de terre pour éprouver sa supposée supériorité et imposer sa tyrannie du haut de ses cinq ans ? Qu’adviendrait-il alors si ces mêmes enfants se trouvaient dotés de pouvoirs incommensurables et laissaient libre cours à leurs instincts ? 

C’est de ce postulat que part le réalisateur norvégien Eskil Vogt pour explorer le monde de l’enfance à travers le prisme d’un conte horrifique filmé à la hauteur de ses protagonistes. Car si les mères sont reléguées à des rôles subalternes, les pères eux sont carrément absents et laissent libre court à un déchainement de violence aussi glaçant qu’inéluctable. 

D’une cruauté étonnante, The innocents ne se départ pourtant pas d’une luminosité constante, comme si l’horreur n’avait pas besoin de recoins sombres pour frapper. Et c’est bien cette menace perpétuelle dans la seconde partie du film qui nous tétanise, cette certitude que la mort peut surgir de partout, et tout particulièrement de la cellule familiale, cauchemar ultime pour un enfant. 

Isolés du reste de la communauté et dotés de handicaps physiques (décoloration de la peau), mental (autisme) ou psychologique (le tueur en série en devenir), les enfants constituent, une fois n’est pas coutume, l’atout principal du film. D’une justesse étonnante, il suffit d’un simple regard ou d’un visage contrarié pour que la caméra du réalisateur nous force à reconsidérer la scène avec un point de vue radicalement différent. 

Si le film souffre de quelques longueurs, The innocents impose son rythme et sa vision de l’enfance, celle des cauchemars et des peurs enfouies, des frustrations et de la violence refoulée, loin du monde des adultes qui de toute façon ne les comprendraient pas.