samedi 23 mars 2019

Dernier jour sur terre

Si la figure du tueur en série se veut emblématique d’une dérive individuelle prenant racine dans un contexte familial déséquilibré et perverti, celle du tueur de masse est souvent décryptée comme le produit d’une société incapable de voir et de traiter les signes avant coureur d’un dysfonctionnement conduisant presque inéluctablement à un drame. C’est ce dernier cas que choisit d’analyser David Vann à travers le personnage de Steve Kazmierczak qui, le 14 février 2008 assassina 5 personnes et en blessa 18 autres avant de se suicider. 
L’auteur déroule une enquête approfondie sur l’enfance de Steve Kazmierczak parallèlement à sa propre histoire qui présente de nombreuses similarité avec celle du tueur. Drame familiale, fascination pour les armes, enfance perturbée, David Vann se questionne sur les raisons qui conduisent deux personnes à prendre des chemins radicalement différents. 
Bien vite pourtant la figure de Steve Kazmierczak supplante l’autobiographie romancée et on suit avec un intérêt croissant les derniers mois, les dernières semaines et les jours précédent un drame que personne n’a vu arriver. L’auteur évoque l’entourage du tueur, son racisme latent, son homosexualité supposée et refoulée, sa passion pour les jeux vidéos de tir et la musique métal sans pour autant tomber dans la caricature ni chercher de supposer coupables. 
David Vann procède à la manière d’un Truman Capote, pour dresser le portrait d’une destinée tragique et, par la même, d’un environnement familial, scolaire et social impuissant à détourner Steve Kazmierczak de son destin inéluctable. Dernier jour sur terre se lit comme un roman noir, une enquête froide et implacable sur la transformation d’un jeune garçon fragile en monstre. Glaçant et indispensable.

Us

Porté par le sucés de Get Out, son précédent film aussi malin que légèrement surestimé, Jordan Peele creuse le même sillon avec Us et reprend les recettes qui ont fait sa récente renommée. En cela, Us partage les même forces et faiblesses que son prédécesseur et explore un thème similaire avec un angle d’attaque diamétralement opposé. 
[Spoilers] En effet, alors que le final de Get Out nous dévoile l’idée qu’un même corps peut héberger plusieurs âmes, la révélation de Us part du principe inverse, celui de deux corps partageant une même âme n’ayant pas pu être dupliquée. [Fin des spoilers]  
Duplicité et faux semblants, mise en scène fictive de nos vies et de nos relations sociales, Us et Get Out ont donc plus d’un point commun dont la maitrise du réalisateur pour créer une atmosphère anxiogène au sein même d’une cellule intime (la famille pour Us, le couple pour Get Out). En cela, Us nous offre l’une des scènes de home invasion la plus effrayante vue au cinéma depuis des lustres et, malgré un second degrés assumé tout au long du film, distille une réelle angoisse devant ces mystérieux agresseurs. Et c’est là où l’on arrive aux limites du scénario. Car il faut une solide ouverture d’esprit pour accepter la masse de questions sans réponse que nous assène le réalisateur sous prétexte de faire avancer son histoire vers un final pour le moins obscur. 
Le film s’ouvre ainsi sur une pièce remplie de lapins en cage, lapins que l’on retrouve à la fin et dont on apprend qu’ils servent de nourriture aux reliés. Au-delà de cette explication déjà triviale, faut il y voir une allégorie des cobayes soumis à des expériences de laboratoire ? A moins que le lapin blanc ne nous guide, telle Alice, au-delà du miroir et des apparences ?  
[Spoilers] Il en va de même pour les Reliés dont on apprend qu’ils sont condamnés à répéter les attitudes de leurs doubles d’en haut. Partant du principe qu’Adélaïde n’est pas l’originale mais bien le double de Red, n’est ce pas cette dernière, même cantonnée dans ces mystérieux sous sols, qui aurait dû conditionner la vie d’Adélaïde ? [Fin des spoilers] 
L’origine des Reliés reste des plus obscures (expériences scientifiques ? monde parallèle ?) non pas pour laisser au spectateur l’opportunité de se faire son propre avis mais, dirait on, par manque d’arguments pour boucler correctement l’histoire. Comment expliquer enfin ces robes rouges, ces ciseaux, ces gants autrement que par un soucis esthétique déconnecté d’une quelconque explication narrative ? 
Avec Us, Jordan Peele confirme son statu de réalisateur doué et malin mais à force de tirer sur un concept tout droit issu de la Quatrième dimension, il prend le risque de se cantonner à un animateur de train fantôme, rôle dont il semble néanmoins très conscient lorsqu’il campe les scènes les plus importantes de son film dans une fête foraine.

samedi 9 mars 2019

Le chant du loup

De par son ambition, la maitrise de son sujet et un rendu visuel impressionnant, Le chant du loup fait figure d’exception dans le paysage cinématographique français plus habitué aux comédies et aux drames intimistes qu’au thriller d’anticipation technologique. 
Porté par le bouche à oreille des spectateurs, le film d’Antonin Baudry fait son petit bonhomme de chemin vers le million de spectateurs et ce n’est que justice tant le pari est relevé haut la main. 
Si l’on arrive à accepter l’intrigue terroriste résumée en trois phrases de dialogues par un Mathieu Kassovitz lapidaire et admiratif devant la créativité des islamistes, et si on ferme les yeux sur quelques situations expédiées un peu hâtivement, alors on se laisse immerger par un spectacle haletant digne des plus grosses productions internationales. 
Car oui, les moyens déployés sont énormes (des sous-marins jusqu’au sound design confié à LucasFilms) mais toujours au service d’une histoire culottée (les russes ont envahi la Norvège et mettent l’Europe au pied du mur face à des États Unis attentistes), parfaitement maitrisée et documentée (on sent au passage le passé de diplomate du réalisateur) et servie par une distribution trois étoiles. La palme revient certainement à Reda Kateb, impérial dans son rôle de capitaine de sous-marin intransigeant et introverti sur lequel plane l’ombre du capitaine Marko Ramius d’À la poursuite d’Octobre Rouge. François Civil est particulièrement touchant dans ses quelques scènes intimistes avec Paula Beer, et Omar Sy prouve si besoin est qu’il peut être crédible sans afficher un sourire béat toutes les deux secondes. Parfois un peu à côté du rôle lorsqu’il s’agite à la manière d’un Louis de Funés par-dessus l’épaule de François Civil, Mathieu Kassovitz compose cependant un amiral acceptable porteur d’une hiérarchie militaire prisonnière de ses propres règles. 
Le scénario évite les chemins trop balisés du film de guerre en évacuant presque systématiquement les vies privées des personnages pour se consacrer sur l’action. Seule exception, les relations entre Chanteraide et Diane qui offrent à François Civil ses plus jolies scènes dans un registre intimiste d’une très grande justesse. Autre originalité du film, l’absence d’un ennemi étranger contre lequel se battre mais au contraire un retournement de situation qui oblige les militaires à se retourner les uns contre les autres. C’est malin et habilement exploité. 
Le chant du loup nous prouve qu’un cinéma français populaire, ambitieux et réussi peut trouver son public et concurrencer les plus gros blockbusters sans rougir de ses aspirations. C’est une excellente nouvelle, espérons qu’elle ouvre la voie à de nouveaux talents.