samedi 25 janvier 2014

Dario Argento’s Dracula

Bon, d’accord, cela fait de nombreuses années que Dario Argento n’est plus que l’ombre de lui-même et qu’il frôle le ridicule (nombreux sont ceux qui pensent qu’il a franchi la ligne rouge depuis longtemps) à chaque nouveau film, se caricaturant sans jamais parvenir à renouer avec le génie qui fit de lui l’un des cinéastes les plus intéressants de ces vingt dernières années. Et ce n’est pas cette nouvelle version de Dracula en 3D qui nous fera dire le contraire. 
Désespérément long, assez mal interprété (Rutger Hauer fait vraiment le minimum syndicale dans le rôle d’Abraham VanHelsing), écrit avec les pieds, parfois franchement ridicule (cette apparition de Dracula en mante religieuse géante, il fallait oser tout de même), le film apporte encore un peu plus d’eau au moulin des détracteurs de plus en plus nombreux de l’un des maitres du giallo. 
Ceci étant dit, comme dans le tant décrié Mother of Tears, tout n’est pas à jeter dans ce Dario Argento’s Dracula qui renferme de petites pépites pour qui prendra la peine d’aller les chercher. 
Le film commence sur les chapeaux de roues avec une scène joliment érotique qui nous renvoie directement aux productions fauchées d’un Jean Rollin (on s’attend presque à voir débarquer Brigitte Lahaie dans la grange où s’ébattent les deux amants), voire, et j’assume la comparaison, aux productions Hammer. Nous sommes dans un petit village sur lequel plane une menace pour le moment invisible. Tous les villageois sont terrifiés et se cloitrent dans leur maison. Sauf une jolie jeune fille qui ne trouve rien de mieux que d’aller rejoindre son fiancé qui d’ailleurs la laissera rentrer seule en pleine nuit, avec les conséquences que l’on devine. Le décor est planté, tout cela est délicieusement suranné et en tout cas bien plus appréciable que les relectures épileptiques des grands mythes fantastiques (Van Helsing, I Frankenstein,…). 
Si encore une fois l’ensemble manque cruellement de cohérence et d’un minimum de rythme, on n’en appréciera que plus quelques scènes diablement efficaces comme celle où le comte Dracula règle ses comptes avec les villageois en train de comploter contre lui. Ne pouvant comme à son habitude pas s’empêcher de filmer sa fille dans le plus simple appareil, Dario Argento choisit en plus pour le rôle de Mina Harker l’actrice Marta Gastini qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, avec quelques années de moins. 
Quelques scènes érotiques, des effets gores en quantité raisonnables, une atmosphère qui nous renvoie aux meilleurs films de studios des années soixante-dix, cela suffit-il pour faire un film honnête ? Surement pas, mais c’est en tout cas suffisant pour ne pas lyncher celui qui nous a tant fait rêver quand il était au sommet de sa gloire.

samedi 18 janvier 2014

Le Loup de Wall Street

Les années 60, Henry Hill, Les Affranchis. Les années 70, Ace Rothstein, Casino. Les années 80, Jordan Belfort, Le Loup de Wall Street. Martin Scorsese poursuit (conclue ?) avec Le Loup de Wall Street son exploration d’une certaine Amérique, celle de tous les possibles, de tous les excès, où les chutes sont aussi rapides et spectaculaires que les ascensions. Une Amérique dominée par l’argent, le pouvoir et la corruption. 
Les points communs entre Jordan Belfort, Ace Rothstein et Henry Hill sont en effets légions. Ce sont des hommes partis de rien, ou presque, qui à force d’ambition et sans s’embarrasser de la moindre morale, vont gravir un à un les échelons d’un milieu propice à leur ascension. Ce sont des hommes accroc au pouvoir sous toutes ses formes, qui deviennent dépendant à toutes les formes d’addiction possibles (argent, alcool, sexe, drogue), qui trompent allégrement leurs femmes et n’hésitent pas à sacrifier leur vie de famille. 
Au fil des années, on passe de la criminalité la plus basique des Affranchis (extorsion, proxénétisme, drogue) au monde plus complexe des jeux avec Casino, pour finir dans l’univers de la haute finance et des traders en compagnie du Loup de Wall Street. Mais ce qui différencie le monde de Jordan Belfort de celui des Affranchis ou de Casino, c’est l’absence totale de valeurs, même les plus discutables. Là où les gangsters chers à Scorsese pouvaient au mois s’accrocher à un semblant de code d’honneur, les traders décris dans le film sont seuls. Ils n’hésitent pas à trahir leurs proches (parlons de collaborateurs plutôt que d’amis), rejoignant en cela le narrateur des Affranchis, mais sans que cela ne vienne heurter le moindre code moral qui de toute façon n’existe pas. 
Jordan Belfort s’est construit tout seul, et malgré les centaines de personnes qui l’entourent, il le restera jusqu’à la fin. Il est remarquablement interprété par un DiCaprio littéralement habité par son rôle, impressionnant aussi bien lors de ses harangues que lors de ses errances hallucinées ou de ses débordements. 
Magistralement maitrisé, Le Loup de Wall Street marque le pas sur la réalisation habituellement plus classique d’un Scorsese qui se lâche à tous les sens du terme. Le film restitue tout à fait l’ambiance que l’on imagine régner dans les salles de transactions, celle d’un monde à part où évoluent des hommes et des femmes en rupture totale avec la réalité. Que ce soit dans leur mode de vie ou leur travail quotidien qui consiste à spéculer sur des biens immatériels, pour ne pas dire inexistants, ils représentent ce que le libéralisme débridé et le self made man peut engendre de pire. Individualisme forcené, arrivisme et au final perte de toute valeur, sans parler des milliers de personnes entrainées dans leur chute inexorable.

samedi 11 janvier 2014

Du sang et des larmes

Passé la première heure de film, une question vient immédiatement à l’esprit, celle de la représentation d’une certaine réalité historique à l’écran. On dit que l’Histoire est écrite par les vainqueurs, c’est souvent faux. Preuve en est la vague de films américains sur la guerre du Viet Nam qui a fleuri sur les écrans dans les années 80 et 90. Ce sont les américains, pourtant militairement vaincus, qui ont imposés leur vision de ce conflit au travers de films partiaux ou au contraire très engagés. La même chose se produit aujourd’hui avec le conflit afghan. Quelle serait la version des faits (l’opération Red Wings qui avait pour but d’éliminer un chef de guerre taliban) qui nous est donné à voir aujourd’hui si c’était un cinéaste afghan qui était derrière la caméra ? 
La première partie du film de Peter Berg, maitrisé et efficace en diable, nous plonge donc dans le quotidien puis la mission en territoire ennemi de quatre Navy Seals. L’histoire vue du côté américain avec son lot de passages obligés (camaraderie virile, rites initiatiques, fiancée restée au pays, projets d’avenir quand tout cela sera fini,…) est forcément partiale et nous conduit tout droit vers un final héroïque à la gloire des soldats américains piégés par des talibans nécessairement sauvages et sanguinaires. Heureusement il n’en est rien. 
Le réalisateur fait basculer son film dans la dernière demi-heure, rendant hommage à l’honneur d’un peuple plus complexe que l’on veut bien nous le présenter, et évitant ainsi le piège grossier de la caricature. Alors que les personnages afghans qui interviennent dans cette dernière partie auraient pu faire l’objet d’un passage éclair justifiant à peine leur présence à l’écran, Peter Berg prend au contraire le temps de nous les faire connaitre, légitimant leurs actions futures qui changeront le cours de l’histoire. Il en résulte que Du sang et des larmes parvient à nous immerger dans la violence des combats rapprochés sans pour autant nous assener un trop lourd couplet patriotique que l’on aurait de toute façon eu du mal à avaler. 
Nous sommes encore loin de la finesse et de la maitrise de La bête de guerre, chef d’œuvre injustement méconnu réalisé par Kevin Reynolds en 1988, mettant justement en scène l’affrontement entre les russes cette fois, et les rebelles afghans en 1981. Ces mêmes rebelles dont les enfants, en partie radicalisés, affronteront les soldats américains trente ans plus tard.

samedi 4 janvier 2014

Nymphomaniac - Volume 1

Après une campagne marketing savamment orchestrée, voilà que déboule enfin le premier volume du nouveau film, annoncé comme sulfureux, de Lars von Trier. Premier constat, le film que l’on découvre en salle ne correspond pas au produit qui nous a été vendu à grand renfort de teasing et vraies fausses rumeurs depuis des mois. Ce qui ne laisse en rien présager de la qualité du film en lui-même. Un message nous annonce avant le début de l’histoire que nous allons découvrir la version censurée du long métrage. Pourquoi ? Cela reste un mystère. On peut deviner que la version dites uncunt ou director’s cut ou unrated ou ce que l’on veut sera réservée à un hypothétique DVD, si toutefois cette version existe ailleurs que dans l’esprit du réalisateur. 
Qu’importe, nous ne sommes pas là pour voir un film X mais la dernière création d’un réalisateur qui, malgré ou grâce à sa personnalité complexe et ses multiples provocations, restent passionnant à suivre. L’histoire commence avec la rencontre imprévue entre Joe, une jeune fille retrouvée battue et inconsciente en pleine rue par Seligman, un vieil homme solitaire qui la recueille chez lui pendant quelques heures. Le temps pour Joe de lui raconter son histoire, celle d’une jeune fille qui se considère elle-même comme un être mauvais, égoïste et nymphomane. Nous y voilà, car c’est là le centre névralgique du film tel que l’on nous l’a vendu, la nymphomanie et son cortège de relations sexuelles débridées. Mais est-ce bien là l’essence même du film ? 
Ce qui frappe en premier au bout de ces deux premières heures, c’est, outre le talent du réalisateur plus manipulateur que jamais dans sa manière de mettre en scène les situations les plus triviales et de les raccorder à de pseudos éléments culturels, le vide absolu de Joe. Rarement un cinéaste aura décrit de façon plus criante de vérité une personnalité aussi dénuée de sentiment que le personnage incarné simultanément par Stacy Martin et Charlotte Gainsbourg. Au bout de deux heures passée en sa compagnie, et alors qu’elle est présente dans presque tous les plans, on se rend compte que l’on ne sait rien, ou presque, de cette fille et que l’on n’a développé aucun affect pour elle. Joe ne manifeste de sentiment qu’à deux moments, lorsqu’elle admet être amoureuse de Jérôme, et lors de la mort de son père. Mais même à ces moment-là, il nous est extrêmement difficile d’être en phase avec elle et d’éprouver ne serait-ce qu’un début de compassion. Joe est comme une coquille creuse qui tente de combler un vide abyssal par des expériences sexuelles à la chaine. Cette addiction aurait pu être tout autre (alcool, drogue, nourriture,…) et elle n’est que le symptôme d’un mal de vivre beaucoup plus profond. 
Alors oui, le sexe est omniprésent et frontal (l’interdiction aux moins de douze ans est d’ailleurs étonnante), mais ce n’est là qu’un symptôme. Car Nymphomaniac n’est pas une exploration de la féminité comme on a pu le lire, ou un brulot provocateur de plus. C’est le portrait cru d’une personne malade qui cherche vainement dans le sexe un sens à sa vie. Lars von Trier nous démontre une fois de plus au détour de nombreuses scènes qu’il sait filmer les sentiments les plus extrêmes avec force et emmener le spectateur vers des zones d’inconfort total (la mort du père de Joe à l’hôpital est à ce titre insupportable). Il sait aussi jouer avec les images d’une façon que l’on pourra trouver virtuose ou agaçante (la scène d’ouverture sur un morceau de Rammstein ou la scène finale en split screen). Il n’en reste pas moins un artiste qui a encore des choses à dire, même si ces choses sont parfois difficiles à voir ou à entendre. 
Manipulateur, génie ou provocateur ? Il est surement un peu tout cela en même temps. Attendons le second volume de Nymphomaniac pour juger de l’œuvre finale.