dimanche 14 mai 2023

Misanthrope

En 2014, Damián Szifron pointait du doigt l’individualité et la violence ordinaire de ses compatriotes avec Les Nouveaux Sauvages, un film à sketchs réjouissant de cruauté et d’humour grinçant. Neuf ans plus tard le voilà aux commandes d’un thriller américain qui aurait pu se fondre dans la masse des poursuites acharnées entre un tueur insaisissable et une jeune policière particulièrement tenace. 

C’était sans compter l’énergie toujours intacte qui anime le réalisateur argentin, le soin porté à l’histoire qu’il raconte et sa propension à s’entourer des meilleurs talents. Parmi eux le directeur de la photographie Javier Julia, déjà présent sur le plateau des Nouveaux Sauvages, et dont le travail de composition éclate dans chaque plan du film.

Des rues de Baltimore qui ne semble pas avoir résolu ses problèmes de corruption depuis le dernier épisode de The Wire aux couloirs aseptisés d’un abattoir, Javier Julia exécute un travail d’orfèvre et livre un écrin de toute beauté pour un scénario haletant et une distribution au cordeau. Shailene Woodley qui marche sur les traces de Jodie Foster en Clarice Starling apporte à son personnage de jeune flic aux lourds traumas une telle dimension qu’on ne voit qu’elle à chaque apparition.

Mais si la relation trouble entre Eleanor et le tueur fait parfois écho au Silence des agneaux, la comparaison s’arrête là car contrairement aux tueurs en série, Damián Szifron s’intéresse aux tueurs de masse dont la finalité n’est pas de détruire des vies (le tueur exécute ses victimes à plusieurs centaines de mètres, aveuglément et au hasard) mais de mettre à mal un système qui lui est insupportable. Et c’est bien la toute l’ambiguïté du mal qu’il cherche à comprendre plutôt que d’expédier la mort ou l’arrestation du coupable en quelques plans libérateurs. La résolution de l’enquête ne se fera pas sans lourds sacrifices et les survivants en ressortiront changés à jamais. 

Alors oui, Misanthrope n’évite pas la comparaison avec ses glorieux prédécesseurs (Seven, Zodiac, Dragon Rouge) mais le film ne tombe jamais dans les travers de la copie et réussit même à prendre le contrepied des schémas habituels dès que l’occasion se présente (la vie privée de l’agent Lammark en est le plus bel exemple). 

Thriller implacable qui n’hésite pas à plonger dans les travers les moins reluisants de l’âme humaine, d’un psychopathe meurtrier aux magouilles politiciennes en passant par les guerres de pouvoir entre services, Misanthrope compte parmi ces films que l’on n’attendait pas, un miracle de justesse et d’équilibre et le rappel que l’on peut encore être heureux en sortant d’une salle de cinéma.