samedi 16 octobre 2021

Le dernier duel

A l’heure où il est de bon ton de chercher l’écho d’un féminisme militant dans tout et (surtout) n’importe quoi, Ridley Scott fouille les entrailles du passé pour en tirer un film d’une redoutable modernité. 

Nous sommes en France en 1386 et des rivalités de classe et les spoliations qui vont avec ont bientôt raison de l’amitié entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris. Le premier se jette à corps perdu dans les champs de bataille pour retrouver fortune, le second brille à la cour du cousin du roi, le comte Pierre d’Alençon qui en fait son homme de confiance. C’est alors que survient le drame lorsque Marguerite, la jeune épouse de Jean de Carrouges accuse publiquement Jacques Le Gris de l’avoir violée. Le jugement se fera au cours d’un tournoi à mort et sera le dernier duel judiciaire officiellement reconnu en France. 

Le dernier duel, c’est avant tout une habile variation de points de vue autour d’un drame perçu et raconté différemment par ceux qui l’ont vécu. Plus acéré que jamais, Ridley Scott adapte sa mise en scène pour filmer un drame en trois actes, le même répété selon les versions des différents protagonistes. C’est ainsi qu’une percée sur un champ de bataille devient tour à tour un acte héroïque ou une initiative dangereusement irréfléchie, un sourire échangé lors d’une danse sera perçu comme une invitation tacite ou une moquerie à peine voilée, mais c’est dans la scène du viol que le réalisateur donne la pleine mesure de sa maitrise de la narration. Le point de vue de Jean de Carrouges, cantonné au rôle de témoin, se cantonne au récit de sa femme ; celui de Jacques Le Gris à une troussade virile au cours de laquelle nous ne verrons que le corps prisonnier de Marguerite. Mais lors du dernier chapitre consacré à la jeune femme, l’agression est montrée dans toute son horreur avec des gros plan sur le visage de la victime et de son calvaire. 

Mené tambour battant comme une enquête psychologique dont les enjeux ne cessent de grimper tout au long du récit (la grossesse de Marguerite, le châtiment qui plane sur sa tête), Le dernier duel se conclue par un affrontement d’une rare intensité qui ne nous laisse pas une seconde de répit. Violent, captivant et résolument engagé, Le dernier duel révèle aussi une formidable Jodie Comer dont la présence irradie tout au long d’un film dont l’atmosphère déliquescente n’a rien à envier à La chair et le sang de Paul Verhoeven. Une œuvre importante et fascinante sur la résilience des femmes dont le combat pour exister à l’égale de l’homme ne date malheureusement pas d’hier.

samedi 9 octobre 2021

Mourir peut attendre

This is the end.  

Après avoir incarné James Bond pendant cinq opus, alternant le meilleur (Casino Royale reste indétrônable, tout juste devant le brillant Skyfall) et le franchement décevant (Quantum of Solace et Spectre), Daniel Craig tourne la page avec No Time to Die qui brasse encore et toujours les mêmes thèmes, à savoir un Bond dépassé par un monde dont les codes lui échappent, un dinosaure revendiqué qui n’a pourtant pas dit son dernier mot. Avec cette fois une volonté très prononcée d’humaniser son personnage à tout prix avec une avalanche de révélations, de disparitions, et un final définitif. 

Mourir peut attendre s’inscrit-il dans la tradition du personnage créé par Ian Fleming en 1952 ? Après une séquence pré-générique d’une belle intensité et d’une lisibilité exemplaire qui rappelle sur scène le fantôme de Vesper Lynd derrière lequel la malheureuse Léa Seydoux ne cessera de courir en vain (la conclusion de la scène durant laquelle Bond va faire ses adieux à son amour défunt est d’ailleurs limpide, Vesper est et restera son seul et unique amour), le film introduit un méchant peut convaincant dont les motivations resteront flous jusqu’au dénouement final et enchaine les séquences spectaculaires, parfois vaines, sans parvenir à imposer le double féminin supposé de 007 en la personne de Nomi. La belle surprise du film reste le personnage de Paloma incarné par Ana de Armas, en rupture de ton total avec la série, mélange détonnant de charme assumé, de maladresse feinte et d’une force létale hors du commun. 

Sans avoir à rougir face à ses prédécesseurs, Mourir peut attendre affiche une volonté un peu trop évidente et au final maladroite de déboulonner le mythe et de coller à l’air du temps. Le film aura le mérite de laisser une page blanche sur laquelle Barbara Broccoli doit déjà se pencher pour les dix prochaines années.