samedi 24 janvier 2009

Les noces rebelles

Saluons tout d’abord l’inventivité des distributeurs français qui ont transformé le titre du film et du roman dont il est tiré, Revolutionary Road, qui transcrit parfaitement l’essence même du film, en Noces rebelles, titre inadapté et limite racoleur.
Ce qui n’enlève rien à la force du nouveau film de Sam Mendes qui, dans la droite ligne d’American Beauty, continue à explorer la face obscure de l’American way of life, aidé en cela par des acteurs brillants.
Kate Winslet retrouve d’ailleurs là un rôle qu’elle avait un peu approché dans Little Children. Elle retrouve aussi Leonardo DiCaprio avec qui elle formait le couple romantique de Titanic. Si Jack et Rose avaient survécu au naufrage du Titanic, on peut d’ailleurs imaginer avec un peu de cynisme que Les noces rebelles en est la suite, quelques années plus tard.
Il est ici question d’un couple d’américains moyens des années 50 qui s’installe dans une banlieue plutôt aisée des États Unis. Quand ils se rencontrent, Franck et April Wheeler sont deux jeunes adultes pleins d’illusions et d’ambitions. Le monde leur appartient et rien ne pourra les empêcher de vivre leurs rêves. Celui d’être actrice de théâtre pour April. Mais le quotidien prend vite le dessus, ils ont des enfants, des voisins, Franck part chaque matin rejoindre des collègues de bureau dans un travail qui ne lui plait pas. April est une mère au foyer prisonnière de sa maison pavillonnaire. Ils s’enferment peu à peu dans une vie sans éclat. Alors que Franck semble s’en contenter, April refuse de faire le deuil de ses rêves et rejette ce quotidien trop banal et ce destin si prévisible. Ce sera le début d’une faille irrémédiable qui se creuse entre eux et qui les séparera définitivement.
On peut interpréter ces Noces rebelles de deux manières.
Franck peut être vu comme un homme à la recherche d’un bonheur simple qui tente tant bien que mal d’assurer à sa famille une vie stable et tranquille alors que sa femme pourchasse les chimères d’une vie pleine d’éclat, cherchant toujours plus loin un bonheur illusoire qu’elle ne peut trouver chez elle.
On peut aussi voir en April une femme qui se bat pour garder intacte cette volonté de vivre, non pas mieux mais pleinement, en accomplissant ses rêves, ou en essayant au moins une fois avant de s’avouer vaincue. Franck représente alors la lâcheté des hommes, prêts à sacrifier ses illusions pour une vie tranquille et confortable, entre femme et maitresse, travail et foyer.
C’est comme cela que je perçois ce film qui fait mouche et qui nous renvoie à notre propre bilan. Et nous, qu’avons-nous fait de nos rêves ?
Les noces rebelles est un film sous pression constante qui ne laisse que peu de répits au spectateur. La quasi-totalité du film se déroule dans des endroits clos, le bureau de Franck ou sa maison. Entre les disputes du couple, le désespoir de ces deux amants qui se déchirent, les relations de voisinage qui dégénèrent, l’atmosphère est lourde et nous entraine vers un final que l’on devine fatal.
Cette radiographie de vies sacrifiées au confort et à cette illusion de bonheur pour April prend tout son sens quand Franck et sa femme annoncent à leur entourage leur décision de partir pour Paris. On sent alors le sentiment de réprobation des voisins, des collègues de Franck qui eux, restent prisonniers de leur quotidien, n’ayant pas la force ou la volonté de s’en extirper. Cette période de leur vie où ils préparent leur départ sera d’ailleurs le seul moment de bonheur partagé pour eux, et la seule bouffée d’oxygène pour le spectateur. Comme dans les tragédies antiques, la vérité est proclamée par un fou, ici John Givings qui sort de l’asile et qui est le seul à dire ce que tout le monde pense.
Franck et April se sont rencontrés et reconnus par la force de leurs rêves, et c’est tout un monde qui les séparera peu à peu. Le contexte social de l’époque (l’homme travaille et la femme reste au foyer), mais aussi leurs relations à ce monde. Ainsi, lorsque Franck trompe sa femme avec une secrétaire, c’est pour assouvir ses instincts et se reconnaitre en tant qu’homme. Alors qu’April le fera par désespoir.
Et quand à la fin elle acceptera pour la dernière fois de jouer son rôle de femme modèle, cette scène de bonheur factice, sorte de mauvaise publicité pour la vie au foyer des années 50, sera sa dernière représentation en tant qu’actrice. April rêvait de jouer sur les planches pour mieux vivre sa vie. La société lui impose de jouer sa propre vie et de renoncer à ses illusions. Elle sort alors par la seule issue qui lui reste après une dernière représentation.

mardi 13 janvier 2009

Frozen River

Une rivière gelée à la frontière entre le Canada et les Etas Unis. La glace qui menace à tout moment de rompre, comme la vie de ces deux femmes, Ray et Lila qui se battent bec et ongles pour leurs enfants.
Ray, l’une de ces travailleuses pauvres dont le mari est parti et qui, à la veille de Noël veut offrir à ses deux fils une maison et une vie digne. Lila d’origine Mohawk qui vit dans la réserve indienne et qui lutte pour récupérer son bébé retenu par sa belle famille après la mort de son mari. L’argent est le seul moyen de concrétiser leurs rêves.
Pour cela, ces deux femmes à priori antinomiques s’allient pour faire passer contre rémunération des immigrés clandestins dans leur voiture à travers la rivière gelée de Saint Lawrence. En s’engageant dans cette voie, elles devront affronter les éléments naturels, la police et des employeurs plus que douteux.
Avec ce film indépendant, la réalisatrice Courtney Hunt dresse le portrait de deux femmes qui ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins, tout en conservant pourtant une dignité et des valeurs humaines qui les rendent d’autant plus fortes et attachantes.
En cela, le personnage de Ray est le croisement entre Beth dans L’Ame des guerriers de Lee Tamahori et Angie dans It’s a free world de Ken Loach. Mère courage, elle se bat contre un destin qui s’acharne et une société impitoyable pour donner à ses enfants un avenir et leur assurer de quoi subsister. Pour cela, elle n’hésite pas à exploiter la misère humaine et des malheureux encore plus en détresse qu’elle ne l’est elle-même.
C’est cet instinct maternel, cet amour pour leurs enfants qui les unissent et leur donne le courage de lutter.
La force de ce film tient avant tout à l’interprétation remarquable de Melissa Leo et Misty Upham, à la direction d’acteur d’une réalisatrice complètement en phase avec ses personnage, à sa propension à tirer parti de décors superbes et écrasants. Des personnages parfaitement écrits et une musique en phase avec l’atmosphère particulière de ce film en font une vraie réussite, une leçon d’humanité qui à aucun moment ne sombre dans le drame lacrymale.
Courtney Hunt nous montre sans aucun pathos une partie de cette société américaine laissée pour compte et des femmes qui ne possèdent rien que la formidable envie de s’en sortir. Quitte pour cela à participer à ce que le système leur propose de plus vil.
Elles l’assument et vivent avec, faisant leur l’adage manger ou être manger dans cette jungle qu’est devenu leur quotidien.

samedi 10 janvier 2009

Che - L'Argentin

On comprend dès la première demi heure du nouveau film de Steven Soderbergh que l’on n’est pas devant le grand film que mérite le destin hors du commun d’un homme qui ne l’est pas moins.
La première partie d’une œuvre qui en compte deux se concentre sur l’épopée cubaine d’Ernesto Guevara, de sa rencontre avec Fidel Castro jusqu’à la libération de Cuba de la dictature de Batista.
Alternant les scènes sur l’île et la venue du Che quelques années plus tard aux Etats Unis, le film souffre d’un manque de lisibilité qui semble du essentiellement à un problème de montage.
Si le choix du réalisateur de passer tout le long du film d’une époque à l’autre est intéressant, il n’arrive cependant pas à rendre l’épopée du Che captivante alors que le sujet s’y prêtait grandement. Par exemple, le parti pris de plaquer sur des scènes de bataille les discours du Che rend l’ensemble difficile à suivre et diminue à la fois l’impact des images et des dialogues.
Che – l’Argentin peut paraitre un peu obscur pour qui ne connait pas un minimum l’histoire cubaine. La bataille décisive de Santa Clara est très bien restituée d’un point de vue militaire, mais son impact politique n’apparait que peu. Les discours prononcés par le Che ainsi que ses interviews sont passionnantes et nous font percevoir une partie de cette personnalité complexe que fut ce médecin argentin devenu l’une des figures légendaires du vingtième siècle. Pourtant, le film ne se concentre pas suffisamment sur le contexte politique et idéologique qui a conduit une poignée d’hommes à débarquer sur Cuba à bord du Granma avec la volonté de libérer l’île d’une dictature installée par les Etats unis et l’espoir fou d’instaurer une révolution populaire socialiste à quelques kilomètres seulement de l’Amérique.
Enfin, on aurait souhaité de la part de Steven Soderbergh une vision moins uniforme d’Ernesto Guevara, car derrière la figure légendaire se cache un homme avec ses contradictions et sa part d’ombre. Sur un sujet aussi lourd à traiter, Oliver Stone avait fait de JFK un film passionnant, une véritable investigation, quitte à risquer la controverse.
Steven Soderbergh nous a déjà démontré avec Traffic qu’il savait raconter une histoire complexe et diriger une multitude de personnages troubles. Il faut donc attendre la seconde partie de ce dytique avant de juger trop sévèrement un film qui, malgré la déception qu’il engendre avec un tel sujet, n’en reste pas moins bien filmé et interprété.