mardi 26 mai 2015

La loi du marché

Dès les premières images, le réalisateur Stéphane Brizé annonce clairement la couleur. Un long plan séquence sur le visage fermé de Vincent Lindon, un dialogue quasi improvisé sans aucun artifice pour nous détourner de l’objectif du film : dresser le portrait d’un père de famille à la recherche d’un emploi, et par là même de l’ensemble d’une classe sociale. 
Le constat est sans appel, à l’image du traitement de l’action. Plans séquences, quasi absence de musique, interprètes amateurs dirigés avec talent, refus de toute mise en scène, tout est mis en œuvre pour que le film soit aussi fidèle que possible au quotidien de ses protagonistes. Et c’est là qu’il atteint ses limites. 
Entre le documentaire qui témoigne d’une certaine réalité, et la fiction qui la met en scène, le film de Stéphane Brizé se retrouve assis entre deux chaises. Car on peut parler du monde ouvrier par le biais de la fiction, comme en témoigne le magnifique Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine. Allant même jusqu’à reprendre l’une de ses scènes mythiques, le départ en retraite, La loi du marché témoigne d’un certain ridicule de situation alors que Mammuth le transcendait avec poésie. Le plus cruel n’est pas forcément celui que l’on croit. 
En refusant toute dramatisation de son histoire, si l’on peut parler d’histoire, le film tient plus de l’instantané, certes réussi, que de la fiction. Genre auquel il s’apparente pourtant par la présence de Vincent Lindon et une trame scénaristique. Il n’y a guère que dans le dernier plan, selon la manière dont on l’interprète, que l’on entre vraiment dans une prise de position. 
Et vient alors la question qui fâche, à qui s’adresse le film ? Surement pas aux ouvriers, aux chômeurs, caissières de supermarché et autres vigiles qui trouveront peut-être amer de payer dix euros pour un miroir surement très fidèle de leur quotidien illustré sans aucun recul. Il reste alors le public cannois, que l’on peut imaginer ravi de s’immiscer avec délice dans le quotidien d’un smicard et d’assister avec délectation à un entretien d’embauche humiliant ou au debrief d’un stage avec un conseiller de Pôle Emploi. 
On ne peut enlever à Stéphane Brizé et Vincent Lindon leur sincérité ni leur talent qui font du film une vraie réussite dans son genre. Mais on peut s’interroger sur la pertinence du point de vue, l’intention du projet en fonction du public auquel il s’adresse. Peut-être les politiques trop éloignés des réalités du terrain pour en appréhender toutes les souffrances ? Alors oui, dans ce sens La loi du marché est un film politique. Et utile.

jeudi 21 mai 2015

Mad Max : Fury Road

Disons le tout de suite, Mad Max : Fury Road est une tuerie. Sans abuser de CGI par ailleurs pour une fois parfaitement intégrés à l’image, George Miller repousse (loin) les limites du film d’action en livrant une œuvre presque parfaite.
Cascades toutes plus impressionnantes les unes que les autres, plans minutieusement composés et image travaillée à l’extrême, ce quatrième opus du guerrier de la route est un spectacle total, une débauche de feu et de tôle déchirée dans un paysage désertique hanté par des personnages hauts en couleur. Car une fois encore le réalisateur assume totalement l’univers post- apocalyptique qu’il a tant contribué à populariser. 
Que ce soit au niveau des véhicules, de la caractérisation visuelle des personnages ou des lieux, tout contribue à porter aux nues un genre que l’on pensait depuis longtemps délaissé. Donc oui, Fury Road est un festival visuel absolument jouissif, une réussite formelle incontestable et une vraie déclaration d’amour au film de genre qui s’assume. Mais en réfléchissant deux secondes, ce n’est rien d’autre que le remake sur vitaminé de Mad Max 2. 
Poussant à l’extrême le concept qui l’a fait connaitre (nombre de spectateurs pensent immédiatement à la fameuse poursuite final de Mad Max 2 quand on évoque la saga), George Miller en réalise la version longue et boostée sans y apporter beaucoup de matière supplémentaire. Certes les idées nouvelles sont légions (les lanciers, les trois seigneurs se partageant l’eau, le pétrole et les balles, le personnage de Furiosa, la tempête de sable, les War Boys,…) mais le fond reste le même. On assiste à une gigantesque couse poursuite entre un Max plutôt effacé et une bande de punks dégénérés au service d’un gourou para militaire. Car l’une des grosses différences entre Fury Road et Mad Max 2 réside justement dans le personnage de Max. 
Attendu au tournant, Tom Hardy ne démérite jamais mais il est loin de l’anti héros égoïste du deuxième épisode de la saga incarné par un Mel Gibson autrement plus habité par son rôle. Le Max original n’aidait son prochain que si cela lui rapportait quelque chose (je suis là pour l’essence). Il n’était pas nécessaire d’avoir recours à des flashes back récurrents, et au final un peu lourds, pour montrer un homme brisé, vide et hanté par un passé qui ne le quittera jamais. Le Max de Fury Road se rallie (trop) vite à la cause de Furiosa et de ses protégées. On est loin du guerrier solitaire qui devient une légende à la fin de Mad Max 2. 
Souffrant de quelques baisses de rythme, notamment lors des retrouvailles de Furiosa et de ce qu’il reste de sa tribu, Fury Road se concentre donc sur la force de ses images sans prendre la peine de renouveler le mythe du guerrier de la route. Le résultat n’en est pas moins jouissif, mais on peut se demander si la grande majorité de tous ceux qui crient au chef d’œuvre ultime ont vu Mad Max 2 sur grand écran. Copiant son modèle parfois plan par plan (l’accident de Max au départ, l’attaque du camion-citerne, les amazones), Fury Road est surement ce qui se fait de mieux depuis longtemps en construction d’action. 
On pourrait passer des heures à décortiquer des plans travaillés au millimètre et à disséquer des cascades parmi les plus impressionnantes jamais vues sur un écran. Dommage qu’il lui manque la présence qui faisait des deux premiers films des classiques instantanés. Il n’y a plus qu’à espérer que George Miller ne tombe pas dans le piège de la surenchère pour les suites qu’il annonce déjà.

mardi 12 mai 2015

Hyena

Dès les premières minutes du film, Gerard Johnson impose son style, violent et agressif, comme les protagonistes de l’histoire qu’il déroule devant nos yeux. Bande son envahissante ou carrément absente, lumières crues et fumigènes, le réalisateur nous plonge dans un Londres fantasmé, ville cosmopolite et tentaculaire qui ne semble vivre que de nuit et où toutes les exactions sont possibles.
 Trafic de drogue, proxénétisme et trafic de femmes, meurtres sauvages et trahisons, c’est à un véritable catalogue des toutes les perversions humaines que nous convie le cinéaste. C’est au milieu de cette fange qu’évolue Michael Logan, officier de police corrompu, drogué et alcoolique qui se débat comme il le peut avec les fantômes de son passé, et pour qui l’équipe de flics avec laquelle il partage son quotidien semble être la seule véritable famille. 
Il y a du Vic Mackey chez ce flic dont la bande de policiers ripoux n’est pas sans évoquer The Shield. Et ce n’est pas la seule image qui nous vient à l’esprit au fur et à mesure que se déroule les évènements qui vont précipiter le destin de cet homme aux tendances autodestructrices. A mi-chemin entre Pusher et Bad Lieutenant, Hyena convoque le cinéma mean stream avec une caméra embarquée qui colle au plus près de ses personnages. 
S’il ne recule devant aucun tabou (le calvaire subi par la comptable des frères Karachi est d’une violence physique et psychologique marquante), Gerard Johnson ne tombe pas pour autant dans le piège de la surenchère, la plupart des scènes de meurtres se déroulant hors champs. C’est donc une excellente surprise que ce Hyena, du moins jusqu’au dernier plan qui laisse le spectateur un peu décontenancé. 
Partant du principe que le plus difficile dans une histoire est la fin, le réalisateur choisit purement et simplement de ne pas en mettre. Autant une fin ouverte peut être délicieuse (et à mon avis souvent souhaitable), autant un plan cut aussi abrupt a toutes les chances de frustrer le spectateur. Ce qui fonctionnait admirablement pour le final des Soprano ne colle pas pour ce film qui aurait mérité un peu plus d’accompagnement vers un final que l’on devine tout de même apocalyptique.

dimanche 10 mai 2015

Pyramide

Depuis le temps qu’il fréquente, et sert le genre dans l’ombre de son complice de toujours Alexandre Aja, on était en droit d’attendre de la première réalisation de Grégory Levasseur un film d’horreur, sinon d’épouvante, tendu et efficace. Le résultat n’en est que plus décevant. 
Non pas que Pyramide soit un ratage total, loin de là, mais le film n’arrive jamais à trouver son rythme pour au final se tirer une balle dans le pied au cours de ses quinze dernière minutes. Convoquant un genre assez peu exploité récemment sur les écrans, celui des malédictions pharaoniques avec un axe résolument horrifique, Pyramide pose ses jalons dès le début avec une utilisation ponctuelle et plutôt réussie du found footage. 
Le casting, au demeurant hétérogène, est porté par une Ashley Hinshaw qui assure à elle seule un capital de sympathie et de charme suffisant pour que le spectateur accroche à son personnage dès le commencement de l’histoire. Il s’en suit quelques scènes savoureuses (celle du personnage interprété par Christa Nicola qui se retrouve empalée et dévorée vivante par des rats géants est particulièrement féroce), une montée en tension qui joue sur des apparitions furtives d’une menace qui ne cesse de se rapprocher. C’est ensuite que les choses se corsent. 
Passe encore le personnage récurrent du caméraman qui aligne les blagues les plus creuses en toutes circonstances, l’apothéose est atteinte lors d’un final qui non seulement aligne les apparitions surprises du monstre les unes après les autres, mais dévoile également celui-ci alors que l’effet le plus efficace repose justement sur ce qui n’est pas montré. Le réalisateur tombe dans le piège du Pacte des loups qui voyaient deux heures de film réussi gâché par une bête dévoilée au grand jour et dépourvu de ce fait de toute son aura de danger. 
Qu’un scénariste et producteur aussi aguerri que Grégory Levasseur tombe dans un piège aussi grossier est pour le moins étrange, et on s’attendrait même à apprendre que cette fin explicite lui a été imposée par son producteur, si le producteur principal n’était pas Alexandre Aja lui-même. Voici donc une autre incursion dans le genre qui se solde par un amer constat d’échec. C’est dommage car elles ne sont pas si nombreuses. Mieux vaut donc visionner une nouvelle fois l’excellent Les ruines qui illustrait un thème assez similaire avec beaucoup plus d’intelligence.

samedi 2 mai 2015

Avengers : L’ère d’Ultron

La réussite du premier Avengers en 2012 tenait presque du petit miracle. Réussir la synthèse d’un groupe de super héros ayant chacun un développement individuel en parallèle était loin d’être gagné. Le pari a pourtant été relevé haut la main par un Joss Whedon inspiré qui nous livrait un film chorale aussi fun que maitrisé. C’était donc peu dire que l’on attendait la suite des héros masqués avec impatience. Hélas, la déception n’en est que plus grande. Car là où le premier Avengers était généreux, L’ère d’Ultron se montre bouffi et, il faut bien le dire, bordélique. 
A la manière des Fast and Furious, et à la différence de James Bond qui a su intelligemment se renouveler, le réalisateur tombe dans le piège de la surenchère et se prend les pieds dans le tapis. Difficile en effet de ne pas voir dans ce deuxième opus un remake à peine déguisé du premier avec davantage d’explosions et de combats, la clarté et la fraîcheur en moins. Car là où Avengers ou Captain America : le soldat de l’hiver déroulaient des combats d’une lisibilité exemplaire, L’ère d’Ultron multiplie les empoignades dantesques avec des dizaines de personnages, renvoyant à une gigantesque partouze où on ne sait plus à qui appartient ce bras ou cette jambe. La 3D, encore une fois totalement hors de propos, n’aide pas à rendre lisible une avalanche d’action qui oublie tout enjeu dramatique et le moindre fil narratif cohérent en chemin. 
Entre les explications pseudo scientifiques complètement incompréhensibles, les raccourcis et les poncifs (Hulk et Black Widow version King Kong ou la Belle et la Bête, au choix), on a du mal à se raccrocher à une histoire qui n’est là que pour aligner les moments de bravoures. Joss Whedon semble oublier qu’un combat n’a de sens que par son enjeu et non par le nombre d’immeubles réduits en miette. Ne jetons toutefois pas le bébé avec l’eau du bain, Avengers : L’ère d’Ultron reste malgré tout un spectacle haut de gamme, certes un peu écœurant mais réservant tout de même quelques bonnes surprises. Le combat entre Hulk et Iron Man (faisant écho à celui opposant Thor et le même Iron Man dans le premier épisode) est dantesque et l’introduction de nouveaux personnages, particulièrement les jumeaux Maximoff, est particulièrement intéressante. Notons que Black Widow trouve une adversaire de taille coté glamour en la personne de la très charmante Scarlet Witch. 
Le film s’achève sur une séance post générique moins généreuse que d’habitude qui annonce le prochain adversaire d’une équipe qui devra trouver le moyen de se ressouder. Joss Whedon annonce avoir quitté la réalisation de ce deuxième Avengers complètement lessivé, qu’il se rassure, nous aussi. Espérons que le dyptique à venir retrouve la voie de la sincérité qui a fait le succès du premier film, sinon c’est l’indigestion assurée.