samedi 11 novembre 2017

Toutes les vagues de l'océan

Toutes les vagues de l’océan fait partie de ces romans monde qui abritent en leurs pages les destins croisés de dizaines de personnages, qui nous font voyager de continents en continents à travers les épisodes les plus sombres de notre histoire contemporaine. 
Roman historique, thriller, drame familiale, le roman de Víctor del Árbol foisonne de milles thèmes sans jamais perdre le lecteur en route. Et c’est bien là que la magie opère, celle d’une écriture précise et tranchante comme un scalpel, poétique et haletante. 
Visiblement fasciné par le thème de la transmission familiale, Víctor del Árbol nous entraine à la suite d’une galerie de personnages inoubliables de l’horreur des purges staliniennes (l’épisode de l’île de Nazino risque de hanter les lecteurs pendant de longues semaines) à la tragédie de la guerre d’Espagne. Dès les premières pages, l’écrivain accroche le lecteur pour ne plus jamais le lâcher lors d’un périple au long cours où plane l’ombre de la terrifiante Matriochka, et nous groggy de plaisir au bout de 700 pages que l’on ne voit pas défiler. Un vrai coup de cœur découvert, une fois encore, grâce aux conseils avisés d’un libraire passionné.

jeudi 2 novembre 2017

Carbone

Olivier Marchal aime ses gangsters, la vie nocturne, le clinquant de l’argent facile, la violence des malfrats, petites frappes, grand banditisme, flics véreux ou délinquants en cols blancs. 
Il les aime tellement qu’il en oublie parfois la crédibilité de ses histoires, même s’il réussit au final à nous emmener avec lui sur les traces de ces perdants que l’on a tant de plaisir à suivre dans leur chemin de croix, leur apothéose et la chute qui survient tôt ou tard. 
Pour cette nouvelle plongée en eaux troubles, l’ancien flic nous entraine cette fois sur les traces d’arnaqueurs à la taxe carbone. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, que ce soit la TVA, les portables ou les diamants, les ressorts restent les même. Pour commencer son business il faut une mise de fond et cet argent, le grand banditisme peut le débloquer en quelques heures sans poser trop de questions. Sauf que si on veut manger avec le diable il vaut mieux avoir une très longue cuillère. C’est ce que va apprendre à ses dépens Antoine Roca, un chef d’entreprise obligé de déposer le bilan, coincé entre sa belle-famille richissime et son entreprise en faillite. 
Une fois encore, les ressorts dramatiques sont connus et même si l’on devine sans trop d’efforts ce qui va suivre, on suit avec un plaisir certain ce loup de Wall Street à la petite semaine qui va se brûler les ailes. Car oui, Olivier Marchal sait s’entourer d’interprètes solides que l’on n’attendait plus, Benoit Magimel en tête avec sa silhouette épaissie et son regard fatigué. Si Depardieu s’impose toujours comme une force tranquille, le personnage interprété par Laura Smet souffre en revanche d’un manque d’épaisseur flagrant. 
On ne croit pas une seconde à l’histoire d’amour entre Noa et Antoine, tout comme on n’adhère pas non plus à cette expédition punitive façon racaille de banlieue menée par une bourgeoise manucurée et ses copines de shopping. Carbone souffre d’incohérences flagrantes et ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres. Citons pour finir une patrouille de policiers en planque qui attend patiemment qu’un homme se fasse flinguer avant de poursuivre les coupables en voiture. 
Olivier Marchal choisit pour commencer son film un procédé narratif (dévoiler immédiatement la fin) qui n’a de sens que si l’histoire est suffisamment charpentée pour supporter une telle révélation, ce qui n’est malheureusement pas le cas de Carbone. Il n’en reste pas moins, à défaut d’un film majeur, une illustration plaisante du milieu interlope du grand banditisme parisien, toujours aussi captivant lorsqu’il est vu par les yeux d’un homme visiblement fasciné par les truands qu’il met en scène.

mercredi 18 octobre 2017

Détroit

Il faut attendre dix bonnes minutes avant que la caméra de Kathryn Bigelow ne se fixe sur un visage. Dix minutes durant lesquelles la réalisatrice parcourt les rues de Détroit en proie aux flammes, aux pillages et au chaos. 
D’entrée, le décor est planté. La ville est au bord de l’insurrection alimentée par des tensions raciales et des discriminations faisant écho à l’interventionnisme américain au Vietnam. Dans ce contexte de quasi guerre civile, différents personnages convergent vers l’Algiers Motel où va se jouer une nuit de cauchemar. 
Après Zero Dark Thirty, la réalisatrice dresse un nouveau portrait au vitriol d’une nation aussi fascinante que complexe. Car c’est bien de l’Amérique dont il s’agit, au-delà du destin tragique des principaux protagonistes de ce fait divers odieux. Une Amérique terre d’accueil où tout est possible, une Amérique terre d’oppression pour les noirs et les latinos, une Amérique qui ne va pas tarder à passer du rêve hippie à la brutale réalité du libéralisme sauvage. Et c’est sous un angle quasi documentaire qu’une fois de plus la réalisatrice choisit de nous faire entrer de plein pied dans cette société à deux niveaux où la couleur de la peau est déjà un marqueur social indélébile. 
Refusant tout manichéisme et tout sensationnalisme, Kathryn Bigelow démontre une fois encore qu’elle appartient au panthéon de plus grand metteur en scène américain contemporain. Une scène au hasard suffit à illustrer ses choix. Un char entouré de soldats descend la rue d’un quartier populaire de Détroit. La caméra nous hisse en haut d’un immeuble où une petite fille noire écarte les rideaux de son appartement pour admirer la colonne militaire. Plongée de la caméra vers les soldats, retour au niveau du char en haut duquel le mitrailleur aperçoit un éclat de lumière. Pris de panique devant ce qu’il pense être un tireur isolé, il mitraille la fenêtre de l’appartement à l‘arme lourde, les balles creusent un cratère sur la façade de l’immeuble. Nous n’en verrons pas davantage. Pas de corps, pas de gerbe de sang, juste notre imagination devant l’innommable. 
Cette scène comme tant d’autre caractérise tout le talent d’une réalisatrice qui renforce ses propos avec une mise en scène sèche, sans fioriture, au plus près de ses personnages. Tout à tour film de guerre, huis clos étouffant, film de procès et chronique politique, Détroit s’impose comme une nouvelle pierre de taille dans la filmographie de Kathryn Bigelow et comme un miroir impitoyable tendu à une Amérique tétanisée par sa propre barbarie. Un mal nécessaire qui fait un bien fou.

vendredi 13 octobre 2017

Ça

Adapter au cinéma l’une des œuvres les plus emblématiques de Stephen King tient à la fois de l’épreuve de force et d’un certain confort. 
Si les fans comme les néophytes attendent évidemment le réalisateur au tournant, le roman d’origine foisonne tellement d’idées et de pistes à explorer qu’il parait difficile de ne pas trouver matière à un bon film avec un tel matériau. Et en réalisateur appliqué, Andy Muschietti, déjà metteur en scène d’un sympathique mais sous exploité Mama, livre un film honnête qui tient tous ses engagements sans toutefois dévier ne serait-ce que le temps d’une scène de l’histoire de départ. 
Grace lui en soit rendue diront certains, et il est vrai qu’il n’y a pas grand-chose à jeter dans cette histoire de passage à l’âge adulte, de peurs séminales et de responsabilités. 
Maniant habilement un scénario essentiellement centré sur les enfants, Andy Muschietti réussit à rendre le Clown Grippe-Sou au moins aussi effrayant que dans nos souvenirs. Catalyseurs des peurs les plus intimes de ces adolescents en marge de la société de Derry, la créature qui hante les égouts de la ville cède parfois à la facilité de CGI moins convaincants mais elle reste néanmoins l’une des réussites du film. A ce propos, le clin d’œil au cinquième épisode des Griffes de la Nuit n’est pas innocent puisqu’à l’image d’un certain Freddy Krueger, Grippe-Sou entraine ses victimes dans un monde parallèle et cauchemardesque qui n’est pas sans rappeler cet autre croquemitaine tapi dans les cauchemars de ses victimes. 
Très proche de l’esprit d’un Stand by me pour la description du monde de l’enfance confronté à la violence de ses pairs et aux dures réalités de l’existence, Ça fait cependant l’impasse sur certaines scènes clefs du roman comme ce moment pourtant essentiel durant lequel la jeune Beverly s’offre au groupe afin de les sauver tous. 
Il faudra attendre la deuxième partie de l’histoire consacrée à l’âge adulte pour juger de l’œuvre dans sa globalité mais en dépit d’un certain manque de personnalité on ne peut que saluer ce premier acte parfaitement bien maitrisé.

mercredi 20 septembre 2017

Mother !

Consternant, fascinant, long, excessif, décalé, ridicule, profond, surréaliste,… Les qualificatifs ne manquent pas pour cerner le nouveau film de Darren Aronofsky, et la liste pourrait s’allonger à l’infini. Que l’on adore ou que l’on déteste, Mother dérange, secoue (preuve en est les spectateurs quittant la salle avant la fin), bref interpelle, et c’est bien là l’essence même d’une œuvre.
L’histoire n’a que peu d’importance. Une femme vit avec son mari écrivain dans la maison de ce dernier qu’elle répare de la cave au grenier après un incendie dévastateur. Un homme fait irruption dans leur quotidien, puis sa femme, puis leurs enfants, puis… Ce couple, que l’on ne nommera jamais, voit alors son quotidien bousculé par l’intrusion de parfaits inconnus, adorateurs transis de l’œuvre du poète. A partir de ce postulat, le réalisateur déroule une trame qui va nous faire plonger en plein cauchemar jusqu’à une seconde partie dantesque. 
Mother fait partie de ces films qui nous forcent à réfléchir sur le sens de ce que nous venons de voir une fois les lumières éteintes. Et les interprétations possibles sont nombreuses. 
Partons tout d’abord d’un indice révélé par le réalisateur lui-même, Mother ne ferait pas (seulement) référence au personnage de Jennifer Lawrence mais à la Terre nourricière. Le film emprunte alors le chemin de la fable écologique avec cette maison (notre vieille planète) que la femme s’efforce de transformer en nid d’amour et que des intrus sans gêne (nous même) souillent jusqu’à la détruire complètement. 
Difficile aussi d’occulter l’image de la muse dans le personnage de Jennifer Lawrence, constamment auprès de son mari, attentionnée jusqu’au sacrifice et délaissée, brutalisée par l’égo de l’artiste qui prend la forme d’admirateurs envahissants. Cette muse qui vit le temps d’une œuvre et qui meurt pour mieux renaitre et engendrer l’œuvre suivante. 
Mais revenons aux bases de la psychanalyse, la maison ne serait-elle pas la projection de l’esprit dérangé d’une femme en mal de maternité ? Une maison qu’elle soigne, répare, nettoie jusqu’au moindre recoin, où le bureau de son poète de mari occupe le dernier étage tandis que la cave abrite une force invisible capable de provoquer des séismes et de faire gronder la chaudière. Sans parler de cette pièce cachée où tout prendra fin ? Une maison enfin qu’elle est incapable de protéger des assauts d’inconnus (ses propres peurs) qui n’auront de cesse de la harceler jusqu’au drame finale.
Alors oui, Mother regorge de pistes, de thèmes, d’explications plausibles ou non. Et malgré ses défauts évidents (le film traine en longueur et frôle parfois la pose théâtrale), il n’en reste pas moins un objet fascinant. Porté par l’incroyable performance d’une Jennifer Lawrence habitée par son rôle, Mother lorgne du côté de Bunuel et du Charme discret de la bourgeoisie dans sa première partie, et semble reprendre les séquences de guérilla des Fils de l’homme de Cuaron dans une seconde partie proprement hallucinante. 
Cauchemar éveillé empreint de symboles religieux où la monstruosité revêt les atours de la normalité, Mother est en tout cas une expérience cinématographique à ne pas rater.

vendredi 18 août 2017

Que dios nos perdone

L’histoire se déroule à Madrid en 2011. Un été caniculaire échauffe les esprits, une police sur les dents avec la venue imminente du Pape Benoît XVI, une société en pleine crise économique et un tueur en série qui s’en prend aux personnes âgées. Au milieu de ce marasme, deux flics à la dérive tentent d’arrêter le criminel tout en essayant de composer avec leurs propres démons. 
La Isla minima d’Alberto Rodríguez avait donné le ton en 2014, Que dios nos perdone le confirme trois ans après, le polar espagnol se porte à merveille. Doté d’une distribution parfaite, d’un scénario efficace et de personnages solides, ce thriller poisseux et sans concession nous embarque dans les méandres d’une ville faisant écho aux esprits torturés d’une paire de flics que tout oppose de prime abord. 
Non content de mettre en scène des protagonistes immédiatement attachants, le réalisateur Rodrigo Sorogoyen se paye le luxe de nous gratifier de séquences d’une maitrise cinématographique totale. Citons parmi tant d’autres une course poursuite haletante dans les rues de Madrid, ce plan séquence incroyable lors de la confrontation du détective Alfaro avec le tueur ou le face à face sous haute tension entre le détective Velarde et le fils d’une victime sous la lumière stroboscopique d’une ampoule défectueuse. 
Mais la véritable force du film provient sans nul doute de l’interprétation et de l’écriture des personnages, véritable colonne vertébrale d’un film passionnant de bout en bout. Le couple de flics fonctionne à merveille, épaulé par une galerie de rôles secondaires qui donnent à l’histoire toute sa crédibilité. María Ballesteros dans le rôle de Rosario fait merveille dans son jeu de séduction avec Velarde, lequel révèle des failles insoupçonnées lorsqu’elle s’invite timidement dans son appartement. 
Film moite et désespéré, profondément humain dans ce qu’il révèle de nos pires faiblesses, Que dios nos perdone s’inscrit dans la lignée de ces histoires qui nous hantent longtemps après le générique de fin.

lundi 14 août 2017

Dirty Sexy Valley

Fils illégitime de Détour Mortel et de Partie de chasse en Sologne, Dirty Sexy Valley occupe un créneau trop longtemps délaissé dans le paysage du roman de genre français, celui du bien nommé sexe and gore.
Abandonné depuis les heures de gloire de l’indispensable collection Gore chez Fleuve Noir, nourrie aux références cinématographiques les plus déviantes de ces 30 dernières années, ce genre réservé aux esthètes disparut hélas dans les oubliettes éditoriales. Jusqu’à ce qu’Olivier Bruneau ne prenne le taureau par les c… ornes et que les éditions du Tripode nous balance en pleine face cet ovni proprement (enfin façon de parler) hallucinant.
Ne reculant devant aucune limite, Dirty Sexy Valley assume pleinement son mauvais goût et son sens de la provocation, jusqu’aux lieux communs les plus éculés. Point d’originalité à chercher dans l’histoire donc, bien au contraire. Avec délectation et application, l’auteur se plait à illustrer les lieux communs les plus répandus du genre, et pousse ses scènes de sexe et de violence à son paroxysme.
On lui pardonnera d’autant plus facilement quelques faiblesses d’écriture que son premier roman déborde de générosité, de fun, de wtf et d’une volonté évidente de contenter ses lecteurs les plus avertis.

jeudi 3 août 2017

Baby Driver

Depuis l’accident de voiture qui a couté la vie à ses parents, Baby souffre d’acouphènes. Pour surmonter son handicap, il vit dans une bulle musicale qu’il façonne avec ses morceaux favoris. Malgré son jeune âge, Baby est également un conducteur hors pair qui travaille pour le compte de Doc et de sa bande de braqueurs. Baby vit de musique et de mouvement. Et si Baby symbolisait l’idée même que se fait Edgar Wright du cinéma ? 
Car c’est bien de cela dont il s’agit dans son nouveau film, des images et du son, de la musique, omniprésente, des personnages et une caméra en perpétuelle mouvement. A pied ou en voiture, en long travelling ou en plans séquence, le réalisateur compose sa propre partition autour d’un thème usé jusqu’à la corde, le film de braqueurs. 
La première partie du film est de ce point particulièrement intéressante. Avec un soin obsessionnel du détail, Edgar Wright suit son personnage principal dans la rue au rythme d’une play list qui pioche dans tous les genres musicaux. Il nous livre dès le début la meilleure scène de course poursuite que l’on ait vu depuis longtemps, et plante en quelques plans les acteurs de l’intrigue qui va se dérouler pendant une seconde partie plus classique, pour ne pas dire légèrement décevante. 
En revenant aux fondamentaux du film de braquage, Edgar Wright abandonne ses velléités de départ non sans soigner des plans d’une maitrise qui laisse sans voix. Alors que le film alterne des dialogues savoureux et des passages d’une banalité affligeante, le réalisateur expédie certains personnages de façon plutôt expéditive, s’encombre avec d’autres (le vieil homme sourd muet n’apporte pas grand-chose à l’histoire si ce n’est une caution morale à Baby) et étire plus que de raison un affrontement final qui défie toutes les lois du bon sens. 
Baby Driver commence comme une brillante comédie musicale sur fond de braquage et se conclut sur une parodie de Terminator. Rien de honteux, mais le film ne va pas au bout de ses promesses, tout en nous offrant de savoureux échanges entre une bande de malfrats tous plus réussis les uns que les autres. Ce qui n’est déjà pas si mal.

vendredi 28 juillet 2017

Dunkerque

Steven Spielberg, Stanley Kubrick, Ridley Scott, Mel Gibson,… Le film de guerre semble être un passage obligé pour les plus grands cinéastes américains, l’épreuve du feu qui, pour la plupart d’entre eux, enfantera de leurs plus beaux films. Christopher Nolan n’échappe pas à la règle puisqu’il livre avec Dunkerque un film formellement impressionnant, à la fois intime et pourtant universel. 
Ce qui frappe le plus dans de la première partie du film est le sentiment total d’immersion qui étreint le spectateur, projeté au milieu de ces soldats perdus, les pieds dans le sable, au-dessus de l’eau ou dans les airs. En cela, les choix esthétiques du réalisateur, pour ne pas parler de parti pris radicaux, semblent aussi osés que terriblement efficaces. 
En premier lieu, Christopher Nolan mise avant tout sur la puissance des images, avec un usage presque oublié du grand angle, plutôt que sur ses dialogues étonnamment rares pour un film de cette ampleur. Refusant le parti pris de la violence frontale (je ne me souviens pas d’une seule goutte de sang dans un film qui totalise des milliers de morts), il privilégie au contraire une tension presque permanente en filmant les assauts de l’aviation allemande à chaque sortie des bateaux anglais comme des attaques de prédateurs. 
Autre choix de mise en scène, l’anonymat d’un ennemi, pourtant omniprésent, que nous ne verrons jamais clairement pour mieux se concentrer sur les enjeux humains des soldats qu’il met en scène. L’histoire se situe en effet au cœur des trois armes principales de l’armée anglaise, les forces terrestres, aériennes et navales, avec une multitude de personnages et un entrecroisement de destins individuels qui forment la grande Histoire. 
Avec un art consommé du découpage et de la caractérisation de ses personnages, le réalisateur réussit le tour de force de ne jamais perdre son public en cours de route et de nous livrer une page d’Histoire méconnue avec son lot de bravoure, de lâcheté et d’absurdités. 
Avec Dunkerque, Christopher Nolan écrit une nouvelle page d’un cinéma sensoriel et illustre avec brio ce que le septième art peut nous offrir de mieux en termes d’illustration narrative, aidé en cela par une bande son savamment travaillé et l’impressionnant score de Hans Zimmer. 
Dunkerque figure sans conteste, dans un registre radicalement différent d’un point de vue formel mais finalement assez proche dans son propos, comme l’un des plus beaux films de guerre, et des plus beaux films tout court, de ces dernières années aux côtés du Tu ne tueras point de Mel Gibson.

mercredi 19 juillet 2017

Perfidia

Prélude au Quatuor de Los Angeles (Le Dahlia noir, Le Grand Nulle Part, L.A. Confidential, White Jazz), Perfidia se présente comme un voyage au long cours dans un Los Angeles traumatisé par l’attaque japonaise de Pearl Harbor. 
Avec le soin maniaque du détail qui le caractérise, James Ellroy nous embarque à la rencontre de plusieurs dizaines de personnages, marionnettistes ou acteurs d’une tragédie qui se nourrit de la folie des Hommes. Flics violents, femmes fatales, artistes engagés et espions japonais, ils dansent tous au-dessus d’un volcan qui menace de les consumer à chaque instant.
Roman après roman, Ellroy écrit l’histoire fantasmée de son Amérique, le pays de tous les possibles où se côtoient le meilleur et souvent le pire. Nourrit de ses fantasmes les plus intimes (le viol, son obsession pour une imagerie fasciste, le voyeurisme, le racisme), l’auteur dévoile des pans entiers de la mythologie qu’il écrit depuis des années, au risque de parfois perdre son lecteur dans les fils de ses multiples intrigues et personnages. Pivot central du roman où s’entrecroisent plusieurs destins, Dudley Smith hante les pages de Perfidia qui nous dévoile par la même occasion l’étonnante parenté du futur Dahlia noir. 
Roman historique autant que polar, miroir de son époque autant que de son auteur, Perfidia constitue la première pierre d’un second Quatuor de Los Angeles qui s’avère d’ors et déjà passionnant et foisonnant.

dimanche 2 juillet 2017

Le grand méchant renard

Adapté de la bande dessinée éponyme de Benjamin Renner, Le grand méchant renard et autres contes se présente comme une représentation théâtrale en trois actes. Chaque segment, indépendant des autres, met en scène des animaux aux comportements humains développant chacun une personnalité propre et souvent fantasque. 
Le film débute avec la course effrénée d’un cochon responsable affublé d’un lapin et d’un canard imprévisibles et totalement immatures pour remettre à ses parents un nouveau-né. Nous enchainons ensuite avec les tribulations du fameux grand méchant renard qui se voit obligé de materner trois adorables poussins qu’il projetait de manger en compagnie du loup. En conclusion, un conte de Noël constitue certainement le segment le plus faible du film. 
Toujours est-il que ce grand méchant renard relève haut la main le défi de plaire à la fois aux parents et aux enfants par le biais d’une animation aussi simple que travaillée, d’un discours adulte et d’un enchainement de péripéties qui ne laissent aucune place à l’ennui. 
Sans atteindre la puissance et l’universalité de certains Pixar ou Miyazaki, ce long métrage n’a pas à rougir sur la scène internationale et prouve, une fois de plus, la maitrise et la maturité du cinéma d’animation français.

samedi 1 juillet 2017

The last girl

A défaut de marquer au fer rouge un genre déjà bien exploité, The last girl aura au moins le mérite de nous présenter, non pas une approche nouvelle du film de zombie, mais une première partie qui contient à elle seule les germes d’une vision suffisamment décalée et dérangeante pour captiver notre attention. 
Le film s’ouvre sur une base militaire assiégée par des hordes de contaminés, au sein de laquelle quelques scientifiques entourés par des militaires sur les dents éduquent et étudient d’étranges enfants. Les choses se précipitent lorsque les barrières sautent, au sens propre comme au sens figuré, plongeant une poignée de survivant dans une Angleterre en proie au chaos. C’est à partir de là que le film s’embourbe dans les ornières balisées de ses innombrables prédécesseurs.
Desservi par un doublage français insupportable et une distribution bancale, The last girl patine rapidement et s’étire avec peine vers une fin pour le moins étrange, mais non dénuée de cynisme. Alors que Gemma Arterton assure le minimum syndical entre deux larmes (trop) appuyées, Glenn Close compose comme à son habitude une femme froide et dénuée de tout scrupule qui s’avère assez vite agaçante. 
Si le film est traversé par des scènes pour le moins marquantes, comme la procession des survivants au milieu d’une foule de zombies apathiques, The last girl n’en reste pas moins imprégné par des modèle dont il ne parvient jamais à s’affranchir. Le premier est sans nul doute le Jour des morts vivants de Romero dont il reprend une bonne partie de la trame, depuis la poignée de militaires, scientifiques et civils enfermés dans une base militaire qui finira par céder, jusqu’à l’étude des infectés par des savants dénués de la moindre émotion. Le film emprunte à 28 jours plus tard ses infectés porteurs d’un virus proche de la rage, à l’Armée des morts le plan choc de morts vivants fauchés par un véhicule en gros plan, tout en essayant de suivre son propre fil narratif porté par la jeune Sennia Nanua qui ne convainc qu’à moitié. 
Intéressant par sa volonté d’explorer de nouvelles pistes dans son approche d’une apocalypse zombie, The last girl reste une demi réussite (ou un demi échec, selon le point de vue). Trop long, souvent trop démonstratif lorsque le moindre sous-entendu est appuyé par un gros plan sur le visage larmoyant de la belle Gemma Arterton, le film ne possède ni l’urgence des longs métrages de Danny Boyle ni le réalisme cru de la première trilogie de Romero. Il reste une tentative louable d’illustrer un avenir désespéré où les derniers survivants contempleront les ruines de notre monde à travers les vitres de leur abri devenu prison.

mardi 6 juin 2017

The Jane Doe Identity

Après Grave, Brimstone, Get Out (et avant It comes at night ?), The Jane Doe Identity entérine le fait que 2017 sera bien l’année des films malins à budgets restreints entièrement basés sur une histoire solide, une réalisation soignée et quelques retournements de situation inattendus. 
Ancrée dans la plus pure tradition des films de genre, l’histoire se concentre autour de trois personnages principaux (un père, son fils et un cadavre) enfermés dans un lieu clos pendant une nuit de tempête. Unité de lieu, de temps, casting réduit, tous les ingrédients sont réunis pour entrainer le spectateur dans une séance d’autopsie au long court dont personne ne sortira indemne. Et de fait, la magie opère. 
En misant sur son atmosphère plutôt que sur des effets tapes à l’œil, et forcement onéreux, André Øvredal ne se refuse pourtant pas quelques jump scares mais démontre une capacité certaine à susciter une peur qui ira crescendo. Bien sûr on voit assez vite arriver la trame générale de l’histoire (dès la première scène de crime en fait) mais en procédant avec le corps de la victime comme d’un puzzle dont les éléments s’assemblent les uns après les autres, le réalisateur se met à la hauteur des spectateurs qui avancent au rythme des deux légistes. 
On peut d’ailleurs noter que le personnage du père, interprété par l’inoxydable Brian Cox, présente plus d’une similarité avec le médecin légiste chef de la morgue de New York dans le formidable roman Necropolis de Herbert Lieberman. Tommy Tilden se caractérise en effet à travers ses relations avec son fils (sa fille pour Paul Konig dans Necropolis), par une maitrise certaine de son art et un trauma lié à sa défunte épouse. Coïncidence ou inspiration, cette figure paternelle n’en acquiert que plus de profondeur face à Emile Hirsch. 
Mais la véritable énigme du film reste bien cette Jane Doe, cadavre trop parfait qui recèle de bien noirs secrets. Sans prétention et avec un véritable respect du genre, The Jane Doe Identity est une belle surprise dont la sincérité et l’efficacité devraient faire des émules.

jeudi 25 mai 2017

Alien : Convenant

Ex Paradise Lost, suite du préquel d’Alien premier du nom, ce nouvel opus brasse tellement d’éléments originels en essayant de faire du neuf qu’il prend le risque de laisser bon nombre de spectateurs sur le bord du chemin. 
En effet, point de Nostromo mais le Convenant, un vaisseau conduisant des milliers de colons vers une terre d’élection sous la garde de quinze membres d’équipage réveillés avant l’heure de leur sommeil artificiel. Lesquels, attirés par un mystérieux signal, vont (ATTENION SPOILERS) explorer une planète inconnue, ramener un virus et une entité meurtrière à bord avant qu’une vaillante jeune femme n’expulse la bête dans l’espace (FIN DES SPOILERS). 
Tout cela a un air de déjà vu et même si le film nous réserve quelques belles surprises en cours de route, on ne peut s’empêcher de trouver le recyclage un peu voyant. Alors certes, Ridley Scott sait s’adapter et travaille avec son temps. Exit l’acteur qui sue dans sa combinaison pour incarner le monstre, place aux images de synthèse (mouais). Si le réalisateur apporte à la saga une noirceur tout à fait étonnante qui pointait déjà dans le sous-estimé Cartel, s’il essaie tant bien que mal de recoller les wagons entre les précédents Alien et Prométhéus, s’il aborde à travers les androïdes David et Walter une réflexion sur les relations ambiguës entre le créateur et son œuvre qui finit par le dépasser, thème maintes fois illustrés au cours des siècles, il n’en reste pas moins que le film peine à trouver son équilibre. 
Ridley Scott utilise comme bon lui semble les éléments d’une mythologie qu’il a lui-même largement contribué à créer au service d’un récit que l’on devine remanié par une armée de scénaristes soucieux de donner un minimum de cohérence et une continuité à un Prométhéus déjà bien bancal. Le personnage interprété par Noomi Rapace n’est plus qu’un souvenir, le temps d’incubation des œufs se trouve inexplicablement raccourci pour les besoins d’un scénario trop gourmand qui mange à tous les râteliers. Autre exemple, cette séquence tout droit sorti d’une série B italienne où le monstre surprend deux amants sous la douche. Passons sur le fait que le réalisateur n’aille pas au bout de sa logique en éclipsant pudiquement la nudité de la jeune femme, mais était-il besoin d’enfoncer le clou à ce point quand le souvenir du monstre doté d’une redoutable queue et poursuivant une Ripley en petite culotte dans les coursives du Nostromo se suffit amplement en termes de suggestion ? 
En se posant à ce point en gardien du temple (bye bye le projet porté par Neill Blomkamp avec Sigourney Weaver et Michael Biehn), Ridley Scott semble bien décider à ancrer la saga dans le passé plutôt qu’à explorer le futur. Dommage.

lundi 22 mai 2017

Entre hommes

Difficile de classer ce livre culte de German Maggiori. Roman noir, polar hard boiled, trip halluciné, au final peu importe, Entre hommes nous emporte dans un tourbillon de destins croisés qui ne sont pas sans rappeler la structure narrative et la qualité littéraire d’un Donald Ray Pollock. 
Loin de l’univers de James Ellroy comme nous le vend maladroitement la quatrième de couv’, Entre hommes convoque une galerie absolument incroyable de flics, prostitués, et truands qui se croisent, se trahissent et s’entretuent dans un Buenos Aires cauchemardesque. 
Brassant les codes du polar avec un humour noir surréaliste, German Maggiori retranscrit à merveille la parano des camés, la tristesse des petits matins blêmes, cet entre-deux crépusculaire où l’on grille la dernière cigarette d’une nuit trop agitée, assis sur le rebord d’un trottoir anonyme. 
Entre folie et désespoir, l’auteur impose un style unique et faussement déstructuré qui n’est pas sans rappeler la gouaille populaire d’un San Antonio sous acide. Il nous prend par la main pour ne plus nous lâcher jusqu’à une fin désenchanté et quasi nihiliste qui nous laisse pantois, à bout de souffle, la bouche pâteuse mais heureux d’avoir déniché un si bon livre.

jeudi 11 mai 2017

Nécropolis

Chaque matin, la ville recrache ses cadavres broyés par la solitude, la violence, le désespoir. Chaque matin, tel Charon, Paul Konig, médecin légiste de la morgue de New York, décrypte des vies entières et des morts sur l’acier chromé de ses tables d’autopsies. 
Nécropolis est le parfait équilibre auquel aspire tous les écrivains, celui du fond et de la forme, de la puissance du style, de la profondeur de l’histoire et de la richesse des personnages. Chaque phrase est minutieusement travaillée pour parvenir à l’une des règles d’or de l’écriture, faire ressentir plutôt que décrire. 
Herbert Lieberman signe là un roman cathartique où le désespoir d’un homme fait écho à ce que les grandes métropoles peuvent produire de pire. Nécropolis devrait servir de modèle à tout aspirant écrivain tellement son écriture est maitrisée et son propos passionnant, sans aucune démonstration ostentatoire. 
Une pierre angulaire qui dépasse son statut de polar pour côtoyer les plus grands textes littéraires.

mardi 9 mai 2017

Get Out

Get Out s’inscrit dans cette veine de films malins à petits budgets qui parviennent à concilier un discours social avec une histoire suffisamment tordue pour nous tenir en haleine jusqu’à la dernière minute. Ou presque. Car si le film n’est pas exempt de quelques petits défaut, dont un final trop rapide et trop facilement expédié, le réalisateur Jordan Peele réussit à instaurer une atmosphère réellement pesante et anxiogène. 
Alors que Chris découvre sa belle-famille en compagnie de la belle Rose Armitage, nous plongeons avec lui au sein de ce foyer de libéraux fortunés trop polis pour être honnêtes. Et de fait, le vernis craque par petites touches, des détails ou des attitudes au début anodines qui virent assez vite au cauchemar éveillé pour ce jeune homme noir confronté, sous couvert de les dénoncer, à tous les préjugés raciaux. Car c’est bien à l’image des noirs que s’attaque le film, plus qu’à la condition de vie des gens de couleur aux Etats Unis. 
Oscillant constamment entre la comédie acerbe par le biais du bon copain de service, et le film de genre, Get Out s’achemine doucement vers un final digne de la Quatrième Dimension qui semble par de nombreux détails tiré par les cheveux (la salle d’opération éclairée à la bougie vaut en cela son pesant d’or). Volonté délibérée du réalisateur qui assume pleinement son statut de série B ou facilité scénaristique, il n’en reste pas moins que le film nous aura tenu en haleine pendant plus d’une heure trente, servi en cela par un casting impeccable et un solide sens de la réalisation.

mercredi 5 avril 2017

Le serpent aux milles coupures

La rencontre entre DOA et Eric Valette laissait présager du meilleur dans le paysage du polar français. Rendez-vous raté.
Non pas que Le serpent aux milles coupures soit un film loupé ou ennuyeux, loin de là, il regorge d’éléments intéressants mais ne parvient pas à se détacher de quelques scories qui plombe le polar français depuis plusieurs années. 
L’un des défauts du film, et pas des moindres, réside dans ses seconds rôles dont la plupart ont du mal à exister et dont certains en particulier nous plonge dans un profond malaise. La palme en revient à Pascal Greggory qui récite avec un manque total de conviction des dialogues beaucoup trop écrits, et dont la dernière réplique enfonce le clou d’un cercueil déjà bien lesté. Il est en cela accompagné par Stéphane Debac qui, si son jeu n’est pas à remettre en cause, incarne un personnage sensé trempé dans le trafic de drogue et qui semble sortir tout droit d’une sitcom familiale. Totalement décalé sans pour autant être comique, le personnage de Jean-François Neri n’est pas crédible une seule seconde à côté d’un Terence Yin qui frôle la caricature mais parvient in extremis à incarner un tueur glaçant pourtant bien (trop) gratiné sur le papier. 
Après une longue exposition parfois brouillonne, le film se concentre dans un village dont tous les agriculteurs sont racistes (…) et qui va se transformer en théâtre sanglant lorsque tout ce qui porte un flingue dans un rayon de dix kilomètres converge au même endroit pour le règlement de compte final. Et ce n’est pas la moindre des frustrations du film que de nous priver du combat bestial que l’on espérait entre Terence Yin et Tomer Sisley, combat expédié en quelques secondes. 
Si Eric Valette revendique de nombreuses influences allant du western rural au torture porn, et s’il les assimile plutôt bien dans une série B dont on ne peut nier la sincérité et l’efficacité, la sauce peine à prendre malgré le personnage de Tomer Sisley, sociopathe taciturne dont on n’apprendra pas grand-chose et qui tombe pourtant dans les travers les plus grossiers. En témoignent la séquence suicidaire trop démonstrative pour être honnête ou le demi-tour final pour aider une famille qu’il vient de séquestrer contre les méchants paysans du coin. 
Peut être que DOA aurait dû confier l’adaptation de son roman à un autre scénariste car il y avait matière à en tirer un film sec et nerveux, sans concession (le motard aurait pu se retrouver malgré lui entre deux feu sans avoir pour cela besoin de faire demi-tour, ce qui semble assez peu crédible dans sa situation). On sera en droit de préférer un Braqueurs sorti un an plus tôt et qui, avec un personnage central au final pas si éloigné, arrivait à nous proposer un spectacle autrement plus réjouissant.

samedi 1 avril 2017

Brimstone

La frontière entre dénonciation de la violence et complaisance semble parfois tellement ténue qu’elle laisse le spectateur désorienté et partagé entre fascination morbide et répulsion. C’est exactement le cas de Brimstone qui, par sa maitrise formelle et scénaristique au service de ses excès a de quoi perdre une bonne partie de son public en route. 
Car oui, le film est une réussite à plusieurs niveaux. Saluons tout d’abord un réalisateur et un directeur de la photo qui composent chaque plan (cadrage, éclairage) avec une minutie qui fait mouche à chaque fois. On se laisse happer par ces paysages sauvages que traversent des personnages hauts en couleur interprété par un casting impeccable. Et c’est là le deuxième atout de Brimstone, de Dakota Fanning qui porte à bout de bras un personnage aussi complexe que central, à Guy Pearce qui incarne un méchant que l’on n’est pas prêt d’oublier, sans oublier Emilia Jones ou la toujours aussi charismatique Carice Van Houten qui habite chaque plan avec un jeu quasi minimaliste. 
Riche en rebondissements et chapitré comme un passage de l’Ancien Testament, Brimstone nous replonge dans la boue des pionniers de l’Ouest Américain avec un réalisme que l’on n’avait pas vu depuis Dead Wood. Alors quoi ? Tous ces talents réunis ne suffisent ils pas pour composer un bon film ? C’est justement lorsque l’on aborde la finalité même du réalisateur que l’on commence à se poser des questions. 
Car à travers cette tragédie emprunte de religion, Martin Koolhoven ne fait rien de moins que d’illustrer les œuvres du Marquis de Sade. Comment ne pas penser par exemple aux Infortunes de la vertu devant le spectacle de cette jeune fille innocente qui passe de mains en mains et traverse les épreuves les plus humiliantes lors d’un Chemin de Croix unique en son genre ? Sauf qu’à la différence du divin Marquis, on ne peut même pas ici se raccrocher au plaisir de l’érotisme, ou alors un érotisme des plus déviants. Et c’est bien ce qui surprend le plus chez Martin Koolhoven, cette volonté de faire subir à ses personnages féminins les pires humiliations, tant physiques que psychologiques, sans leur laisser la moindre issu de secours, la plus petite possibilité de s’évader de ce qui ressemble à un avant-goût des Enfers sur Terre. Et si les femmes sont systématiquement humiliées, les hommes eux se divisent en deux catégories : les monstres infâmes et les futurs cadavres. Pas de demi-mesure, pas salut, pour personne. 
Le réalisateur condamne unanimement tous les protagonistes d’un film qui, sous couvert d’une critique ouverte de la religion et de sa vision des femmes, en adopte pourtant tous les codes. Car le personnage de Liz s’apparente en tous points à une martyr dans la plus pure tradition chrétienne, et cela jusqu’au dénouement final qui annihile définitivement toute forme d’espoir. Ce n’est certes pas en caricaturant les hommes à ce point ou en abaissant les femmes pour montrer combien elles souffrent que l’on porte un message féministe. Et ce n’est pas en revêtant les habits de martyr que l’on dénonce les excès des religions. 
Brimstone nous laisse pantois, impressionné par autant de talents et de bonnes volontés au service d’un spectacle nihiliste, aussi beau que pervers, mais dont on ne sait au final que penser. On aimerait aimer, mais on se sent gêner par la délectation avec laquelle le réalisateur nous inflige autant de cruauté. Il en restera l’image d’un prêcheur d’autant plus terrifiant qu’il n’en reste pas moins terriblement humain dans sa folie, et qui prend une dimension quasi surnaturelle à la fin du film, la révélation d’une Dakota Fanning qui d’un simple mouvement de sourcil fait passer toute une palette d’émotions et dont la seule présence illumine un long et douloureux chemin de croix, et un malaise indéfinissable qui nous hante longtemps après être sorti de la salle.

samedi 18 mars 2017

Grave

S’il ne représente pas, comme on peut le lire un peu partout, le renouveau du cinéma fantastique français (quel cinéma fantastique français au fait ?), Grave n’en constitue pas moins une incursion bienvenue dans un genre sommes toute assez peu exploré dans nos contrées. 
Dès la première partie du film, la réalisatrice Julia Ducournau nous embarque en caméra embarquée dans le tumulte du bizutage d’une école vétérinaire. Et pour quiconque a un jour vécu ce genre de rituel, force est de constater qu’elle fait preuve d’un réalisme presque documentaire. C’est au milieu de ce déferlement d’alcool, de bruit et de fureur que Justine va révéler sa vraie nature. 
Impeccablement interprétée par la charismatique Garance Marillier qui est la vraie révélation du film, cette discrète jeune étudiante, végétarienne convaincue comme toute sa famille, va progressivement basculer vers les penchants les plus noires d’une personnalité jusqu’alors ignorée. Bouleversement des corps, passage de l’adolescence à l’âge adulte, plaisirs charnels, animalité et humanité, Grave brasse autant de thèmes et sème autant d’indices que le spectateur attentif voudra bien en remarquer pour se livrer à toutes les interprétations sur les sens cachés du film. Car c’est bien l’un des travers français que d’intellectualiser parfois à outrance ce qui pourrait n’être en fait qu’un conte macabre puisant dans la plus pure tradition des femmes prédatrices (sirènes, sorcières et consort). 
Baignant dans une atmosphère souvent onirique, Grave est un film sous influence. Julia Ducournau se nourrit et cite, consciemment ou non, la plupart des maitres du fantastique qui ont bercé notre adolescence cinématographique. Les personnages décalés (le vieux qui joue avec son dentier dans la salle d’attente par exemple) ainsi que les visions presque surréalistes de chevaux en plein effort ou de cadavres de chiens renvoient assez directement à l’univers de David Lynch tandis que la musique et certains éclairages (les couloirs de l’internat baignés d’une lumière rouge) ne sont pas sans évoquer Dario Argento et les Goblins. Enfin, difficile de ne pas penser à Cronenberg lorsque l’on mêle à ce point désir de chair et pulsions sexuelles. 
Ceci dit, le film n’en conserve pas moins un ton à part, mélange parfois maladroit d’humour noir, de pur film de genre (voir le dernier plan qui semble sortir tout droit d’un épisode de la Quatrième Dimension) et de fable initiatique sur le passage à l’âge adulte, voire d’allégorie sur la sexualité féminine. 
Formellement très soigné, Grave se veut transgressif mais ne possède pourtant pas l’impact émotionnelle du magistral It Follows sur des thèmes finalement assez proches. Qu’importe, le film n’en reste pas moins une vraie réussite, certes imparfait mais qui, débarrassé des oripeaux de ses questions existentielles, nous emmène vers des contrées suffisamment tordues pour susciter un véritable plaisir même pas coupable.

dimanche 5 mars 2017

Logan

Enfin ! Il aura fallu attendre le dernier épisode de la saga pour offrir à Wolverine une adaptation digne de ce personnage aussi tourmenté qu’attachant. Et c’est chose faite avec un Logan qui, s’il n’est pas exempt de tout défaut, présente au moins le mérite de nous proposer une histoire et un traitement qui transcendent le statu même de l’un des membres les plus célèbres des X-Men.
(Très) lointainement adapté de Old Man Logan, le formidable mais incroyablement désespéré et jusque boutiste album de Mark Millar, le film de James Mangold en reprend essentiellement le décor, celui d’un futur proche au sein duquel les mutants ont pratiquement disparu (les raisons de cette disparition sont radicalement différentes entre le long métrage et le comic), ainsi que le personnage de Logan, usé et fatigué de son passé violent qui n’aura de cesse de le rattraper. Mais là encore la comparaison s’arrête là, les deux histoires prenant chacune des directions, et des conclusions très différentes. 
Avec une filmographie marquée par le western, au sens premier du terme (3H10 pour Yuma) ou fortement influencée par la mythologie de l’Ouest américain (Walk the line, Copland), James Mangold emprunte donc naturellement ce chemin pour ce qui se présente de prime abord comme la dernière aventure du mutant griffu. Difficile en effet de ne pas parler de western crépusculaire (terme tellement usité qu’il en devient presque un sous genre à lui tout seul) devant ce personnage solitaire et à bout de course qui affronte des hordes de despérados dans des paysages désertiques noyés de poussière. On pense bien sûr à Impitoyable de Clint Eastwood, mais aussi à la Horde Sauvage de Sam Peckinpah aussi bien pour le fond de l’histoire et ses survivants d’un monde à jamais révolu, mais également dans la stylisation des scènes de combats qui détonnent dans un film de super héros. 
Mais plus que sa violence, c’est la sauvagerie des affrontements qui surprend et que l’on n’osait plus espérer dans une adaptation de l’écurie Marvel. Cette sauvagerie propre à Logan comme à l’incroyable X-23 fait partie intégrante des personnages et on ne peut que rendre hommage au réalisateur de ne pas avoir éludé cet aspect fondamental des personnages au profit d’une classification plus grand public. Car oui, il faut oser harponner en gros plan une gamine de douze ans (clin d’œil au Vampires de John Carpenter ?) ou montrer cette même enfant démembrer et décapiter des dizaines de mercenaires en poussant des cris de chat sauvage. 
Si l’on peut déplorer l’absence d’un méchant digne de ce nom, bien que le film nous réserve une surprise dans sa deuxième partie, Logan n’en demeure pas moins une réflexion intéressante sur les relations filiales et le poids du passé, à travers un Professeur X qui jure comme un charretier et une Laura Kinney qui ne demande qu’à se faire apprivoiser. Au milieu de cela, Hugh Jackman campe un Logan plus associable que jamais qui, s’il verse dans l’émotion facile au tout dernier moment, n’en demeure pas moins un anti héros unique en son genre. 
Alors oui, au-delà de la dernière ballade du plus charismatique des super héros, Logan pourrait bien figurer au panthéon des meilleurs films du genre, loin des vannes d’un Iron Man ou des bastons démesurées d’un Man of Steel, mais au plus proche de la profonde solitude des parias.

jeudi 23 février 2017

Split

Même lorsqu’il est seul, Kevin Wendell Crumb ne s’ennuie jamais. Avec ses vingt-trois personnalités, dont Dennis, Patricia, Hedwig, Barry, Orwell ou Jade, il laisse place tour à tour à un dandy, un manipulateur, un enfant de neuf ans ou une femme autoritaire. Et c’est sans compter la vingt quatrième entité qui pointe son nez et compte bien s’imposer en mâle dominant au sein de cette meute aussi hétérogène que dangereuse. Car malgré un suivi médical attentionné, Kevin perd peu à peu pied avec la réalité, jusqu’à l’enlèvement de trois adolescentes qui va précipiter le drame. 
Après une laborieuse traversée du désert public et critique, M. Night Shyamalan revient aux commandes avec ce qu’il sait faire de mieux, un film malin et savamment troussé qui réserve quelques surprises à des spectateurs qu’il invite dans un défilé de personnalités dérangées que n’aurait pas renié le réalisateur de Psychose. Si la performance d’acteur de James McAvoy est en tout point admirable sans jamais verser dans le cabotinage outrancier, l’interprète aux multiples facettes se trouve aussi particulièrement bien entouré avec en premier plan Anya Taylor-Joy révélée dans The Witch et qui campe un personnage (presque) aussi torturé que son tortionnaire. 
Habilement construit, le réalisateur alterne les faces à faces entre Kevin et la psychiatre, puis Kevin et les adolescentes pour nous faire découvrir peu à peu la complexité de ses personnalités multiples, le film renouvelle habillement un genre mille fois visité (le face à face entre le psychopathe kidnappeur et ses victimes) et emprunte des chemins plutôt originaux. 
Split assure donc un spectacle haletant jusqu’à un final qui, loin du twist final sensé retourner le spectateur, se veut un clin d’œil à la propre filmographie du réalisateur (il faut avoir vu Incassable pour en comprendre le sens) et fait basculer l’histoire dans un registre radicalement différent qui appelle une suite. C’est malin, encore un tantinet égocentrique, mais cela n’enlève rien au plaisir du film.

jeudi 16 février 2017

A Cure for Life

On peut reprocher beaucoup de chose à Gore Verbinski, mais certainement pas sa générosité. Une générosité qui frôle la gourmandise lorsqu’il bourre ses blockbusters de scènes d’anthologie (Pirates des Caraïbes, Lone Ranger) et qui sombre aussi parfois dans l’indigestion comme c’est malheureusement le cas pour ce Cure of Life pourtant prometteur. 
Avec son remake plutôt réussi du Ring de Hideo Nakata, le réalisateur a prouvé qu’il savait susciter l’horreur avec une imagerie certes sophistiquée mais néanmoins personnelle (comme en témoigne par exemple le symbole sacrificiel des gros animaux, le cheval dans Le Cercle, le cerf et la vache dans A Cure for Life). Il récidive ici avec une histoire qui mêle malédiction ancestrale au cœur de l’Europe (terre de légende pour nos voisins américains), expériences contre nature et mythe d’immortalité tout en n’oubliant pas au passage de porter un bon coup de griffe à une industrie qui l’a laissé à genoux après l’échec critique et commercial de Lone Ranger. 
SPOILERS Car comment ne pas voir une allégorie revancharde dans cette cure qui extrait un fluide vitale du corps desséché de ces vieux riches qui n’ont eu de cesse toute leur vie durant de pressuriser leurs employés et leurs associés dans une course sans fin au pouvoir et à l’argent ? FIN DES SPOILERS 
Formaliste abouti, Gore Verbinski s’intéresse finalement davantage à la façon d’illustrer son histoire qu’à l’intrigue elle-même qu’il étire inutilement pendant toute la seconde partie du film. Jouant sur les formes (le cercle, justement, revient régulièrement avec le bassin autour duquel tourne Hanna, l’œil de la mère de Lockhart) et les scènes les plus surréalistes (le cerf qui déambule dans le sanatorium), le réalisateur arrive en quelques plans à imposer une vision dérangeante en citant, volontairement ou non, nombre de films passés. La ressemblance troublante entre Dane DeHaan et Leonardo DiCaprio jeune ainsi que l’atmosphère onirique du film renvoie en effet au Shutter Island de Scorsese, mais le réalisateur puise surtout aux racines du cinéma d’épouvante européen en invoquant aussi bien le monstre de Frankenstein que le Fantôme de l’Opéra. 
Il en résulte une immersion progressive dans un monde inquiétant où le spectateur perd pied en même temps que Lockhart et n’arrive bientôt plus à démêler le vrai du faux, le fantasme du réel. Malheureusement, le film se perd dans une seconde partie qui étire interminablement une intrigue qui se complexifie et s’étiole au fil des minutes pour aboutir enfin à un final libérateur qui aurait dû arriver une heure plus tôt. 
Indécrottable batteur de foire, Gore Verbinski en fait trop et c’est d’autant plus dommage qu’il montre une vraie capacité à instaurer un sentiment de peur et de danger, à marcher sur le fil ténu qui sépare le rêve du cauchemar, la folie de la raison. Ce qui n’est pas donné à tout le monde.

dimanche 5 février 2017

Soumission

Le dernier livre de Michel Houellebecq ressemble à un rendez-vous raté. 
Rendez-vous raté avec la polémique sensée entourer la parution du livre (Soumission semble même programmée pour cela) et occultée par les attentats qui éclatèrent le même jour contre Charlie Hebdo. 
Rendez-vous raté avec son sujet, la prise du pouvoir de façon démocratique en France par un président musulman. Car sous couvert d’une fausse admiration, l’auteur dresse le portrait à charge d’un courant politique tentaculaire et misogyne qui impose ses traditions séculaires à des français résignés ou vendus aux pétrodollars des émirats arabes. 
A cheval entre une étrange fascination pour les thèses pour le moins discutables du mouvement identitaire et une peur jamais totalement assumée d’un courant islamique qui investit l’espace politique, Michel Houellebecq semble plus à son aise pour décrire le parcours cafardeux de François, un professeur de littérature parisien spécialiste de Huysmans, que pour aborder de front le sujet politique de son livre. 
On est loin de la puissance nihiliste et cynique de Plateforme qui reste à ce jour son œuvre phare. Soumission de Michel Houellebecq chez Flammarion

lundi 16 janvier 2017

Chanson douce

Ce sont d’abord deux pages qui claquent à la figure comme un coup de fouet. Et puis doucement, par petites touches, Leila Slimani déroule le portrait en creux de personnages qui nous ressemblent de près ou de loin, et nous tend le miroir impitoyable de nos propres existences. 
Dans un style à la fois épuré et envoutant, elle égrène le temps qui passe avec son florilège de renoncements, tous ces rêves laissés sur le bord du chemin qui au final constituent une vie. On ne parlera pas de lutte des classes malgré les différences sociales des différents personnages car voilà belle lurette que plus personne ne se bat pour une cause collective. On essaie de vivre à défaut de mieux, on se débat avec nos contradictions et nos éclairs de lucidité pour au final toucher du bout des doigts un bonheur que l’on sait fugace. 
En faisant planer l’ombre de la mort sur son histoire dès les premières pages, l’auteur assume avec une lucidité glaciale le récit presque clinique d’une inexorable descente vers les affres de la folie, comme unique échappatoire d’une vie trop lourde à porter. 
Chanson douce de Leila Slimani chez Gallimard

Manchester by the sea

Manchester by the sea c’est avant tout l’histoire d’un incendie. Un feu qui dévaste des vies entières et qui brûle de l’intérieur un homme désormais incapable d’éprouver le moindre sentiment. 
Cet homme, Lee Chandler ne peut plus afficher ce masque de sociabilité qui nous permet de discuter avec le premier venu, de partager sa nuit avec une inconnue croisée dans un bar ou de supporter le regard chargé de reproche d’une communauté qui se fait juge malgré elle. Alors il part et se réfugie dans un travail alimentaire, se cloitre dans un mutisme seulement fissuré par des accès des violences incontrôlables et une douleur tellement intense qu’elle ne s’exprime plus par des mots. Jusqu’à ce qu’une autre disparition le rappelle bien malgré lui vers son passé et le force à prendre ses responsabilités. 
Outre son impeccable interprétation et sa direction d’acteur au cordeau, la principale qualité de Manchester by the sea réside dans le temps que prend le réalisateur pour développer son histoire. Loin de la frénésie de la plupart des productions actuelles, Kenneth Lonergan cale son récit sur les paysages enneigés du Massachusetts, les corps fatigués et les visages fouettés par le vent du marge de ses protagonistes chahutés par une vie de labeur. 
Tour à tour dramatique et mélancolique, poignant et taciturne, le film impose peu à peu son rythme et déroule une histoire à hauteur d’homme, sans pathos inutile ni héroïsme grandiloquent, et surtout sans porter de jugement sur ses personnages. Par petites touches et autant de scène mémorables (le malaise palpable lorsque Lee arrive dans l’hôpital où se trouve hospitalisé son frère, les trois petits cadres qui l’accompagnent dans ses déménagements, le face à face de Lee et Randi lorsque le silence fait place à un déferlement d’émotions), le réalisateur dresse le portrait d’un homme ravagé par son passé, d’une communauté ouvrière traumatisée par un drame absurde et nous fait ressentir avec acuité le poids du temps qui passe et qui n’efface rien.