samedi 27 octobre 2018

The Predator

Oublions le premier opus mythologique et fondateur, oublions sa suite urbaine et teigneuse, toute comparaison avec ses deux illustres prédécesseurs serait vaine et non avenue. Profitons juste de cette relecture que l’on attendait avec autant de crainte que d’impatience vu le niveau moyen des suites et reboots qui envahissent nos écrans depuis quelques années. 
Shane Black, déjà présent au casting de l’épisode original choisit pour cette nouvelle version une voie osée et périlleuse, celle de la comédie d’action. Et il relève le gant avec panache. 
Alors oui, le scénario ne s’embarrasse pas de vraisemblance (la scientifique manie les armes comme le plus aguerri des Marines), l’action prime sur le reste, quitte à emprunter des raccourcis parfois vertigineux, mais au final le plaisir ressenti à l’écran n’en est que plus intense. 
Fort d’une galerie de personnages aussi bien écrits qu’interprétés, d’un casting au cordeau servi par des dialogues qui font mouche à chaque répartie (et il y en a beaucoup !), The Predator aligne les scènes de bravoures comme un métronome. Pourtant, ce n’est pas dans l’action que l’on prend le plus de plaisir mais bien dans l’interaction de cette galerie de personnages bigger than life jouant une partition sans fausse note aucune. Soldats, enfants ou scientifiques, le réalisateur s’amuse avec les codes du genre pour mieux les détourner. 
Parsemé de moments gores du plus bel effet et de multiples trouvailles visuelles (le premier Predator apparait grâce au sang dégoulinant d’une victime coupée en deux), volontiers méchant (Olivia Munn qui s’écrase sur le sol en sautant du toit du bus), souvent drôle (le soldat atteint du syndrome de la Tourette), The Predator tutoie les films les plus funs de ces dernières années alors que le sujet ne s’y prêtait pas vraiment. Grace en soit rendu à un réalisateur respectueux d’une franchise parfois malmenée en citant les deux premiers opus à maintes reprises et en mettent en scène le fils de Gary Busey inoubliable dans Predator 2. 
A quelques semaines d’intervalle, The Predator est l’exact inverse du récent remake d’Halloween, comme quoi tout est affaire de talent.

jeudi 25 octobre 2018

Halloween

Au sein d’un système hollywoodien plus que jamais gouverné par un retour sur investissement rapide, la mise en œuvre de suites, remakes et autres reboots semble devenir un genre à part entière qui engendre de belles surprises (L’armée des morts, Piranhas, Vendredi 13, La colline a des yeux) ou de franches catastrophes comme cet Halloween d’un vide sidérant. 
Alors certes il y a de bonnes idées comme cette Laurie Strode traumatisée adepte du survivalisme, alors pourquoi ne pas l’exploiter à fond plutôt que de la réduire à une grand-mère vénère ayant raison contre tout le monde ? Car les poncifs de ce genre, le réalisateur semble prendre un malin plaisir à les enfiler comme des perles. 
Les adolescents sont tous plus abrutis les uns que les autres, les journalistes sont bien entendu irresponsables, quant aux médecins et aux policiers, ils remplissent le quota de victimes potentielles aux cotés de quelques jeunes fumeurs de joints le soir du 31 octobre. Difficile à avaler après 50 ans de slasher.
Passons encore que le script efface allégrement toutes les suites depuis l’épisode original, qu’il fasse les yeux doux aux mouvements féministes incontournables depuis quelques mois avec la subtilité d’un éléphant, on pourra difficilement supporter les partis pris d’un réalisateur remplissant avec la régularité d’un métronome son quota de meurtres dont la moitié se passent hors champs. Si le film nous réserve quelques plans gores du plus bel effet et des idées de mises en scènes bienvenues (Laurie Strode filmée dans la rue à la place même de Michael Myers 40 ans plus tôt), c’est bien peu comparé à l’indigence dont fait preuve David Gordon Green. 
La dernière demi-heure, entre fouille interminable de placards, bande son envahissante et combo fille, mère et grand-mère (enfin) unies contre le croquemitaine (coucou MeToo) est une torture pour tout fan de la franchise qui se respecte. Les personnages sont aussi mal écrits qu’interprétés, mis à part un Michael Myers imperturbable qui perd du coup son aura fantastique au sein de cet environnement peu crédible. 
Une résurrection de trop donc, surement pas la dernière mais de loin la plus dispensable.

The House that Jack Built

Ce grand fou de Lars von Trier n’en finit pas de jouer avec nos nerfs et les limites du bon goût qu’il franchit de plus en plus allégrement. Après l’amour sacrificiel, l’expiation dans la douleur du péché originel, la famille dysfonctionnelle comme allégorie de la fin du monde, la solitude et le mal de vivre camouflés derrière une sexualité pathologique, voilà qu’il s’attaque à la question de la place de l’artiste dans ce qui ressemble à son œuvre, sinon la plus personnelle, du moins la plus auto référentielle. 
Car oui, cet architecte raté incapable de construire sa propre maison qui se réfugie dans les meurtres en série pour exprimer sa créativité et libérer ses pulsions les moins avouables n’est autre que le réalisateur lui-même, frustré de ne pas accéder au statut d’artiste et cantonné à la surenchère pour exister. L’œuvre de Lars von Trier ne serait donc qu’un tas de cadavres putréfiés artistiquement agencés comme un simulacre de création ? Pas si simple. 
Car en dépit de messages frôlant la caricature (le tigre et l’agneau), de postures ouvertement provocatrices (misogynie assumée, fascination pour les figures de dictateurs), le réalisateur est trop malin, et doué, pour être cantonné à un gamin turbulent jouant avec le feu. S’il reprend une structure narrative familière (histoire chapitrée, inserts de stock shock, violence frontale), The House that Jack Built s’inscrit pourtant comme une expérience à part dans la filmographie du cinéaste. Mais n’est pas le cas de tous ses films ? 
Avec une méticulosité qui confine parfois au documentaire, Lars von Trier nous fait partager les errances et les angoisses d’un tueur rongé par les TOC et incapable de la moindre empathie pour ses semblables. La séquence du nettoyage de la deuxième scène de crime et la conclusion du film illustrent une gêne quasiment physique pour le spectateur, provoquée par la répétition des mêmes gestes ou par une bande son agressive (nous sommes tout de même dans le dernier cercle des Enfers…). 
Alors oui, une fois encore Lars von Trier nous interroge sur la véritable nature de l’art et l’essence même d’un artiste, tout en nous conviant à sa propre séance de psychanalyse sur grand écran. Dérangeant, parfois même difficilement supportable (la scène du pique-nique est insoutenable de froide cruauté), The House that Jack Built est une pierre de plus dans une maison qui, si elle ne figurera pas parmi les plus grands monuments du septième art, aura au moins le mérite de nous sortir d’une léthargie parfois confortable mais au final souvent stérile.