Ce grand fou de Lars von Trier n’en finit pas de jouer avec nos nerfs et les limites du bon goût qu’il franchit de plus en plus allégrement. Après l’amour sacrificiel, l’expiation dans la douleur du péché originel, la famille dysfonctionnelle comme allégorie de la fin du monde, la solitude et le mal de vivre camouflés derrière une sexualité pathologique, voilà qu’il s’attaque à la question de la place de l’artiste dans ce qui ressemble à son œuvre, sinon la plus personnelle, du moins la plus auto référentielle.
Car oui, cet architecte raté incapable de construire sa propre maison qui se réfugie dans les meurtres en série pour exprimer sa créativité et libérer ses pulsions les moins avouables n’est autre que le réalisateur lui-même, frustré de ne pas accéder au statut d’artiste et cantonné à la surenchère pour exister. L’œuvre de Lars von Trier ne serait donc qu’un tas de cadavres putréfiés artistiquement agencés comme un simulacre de création ? Pas si simple.
Car en dépit de messages frôlant la caricature (le tigre et l’agneau), de postures ouvertement provocatrices (misogynie assumée, fascination pour les figures de dictateurs), le réalisateur est trop malin, et doué, pour être cantonné à un gamin turbulent jouant avec le feu. S’il reprend une structure narrative familière (histoire chapitrée, inserts de stock shock, violence frontale), The House that Jack Built s’inscrit pourtant comme une expérience à part dans la filmographie du cinéaste. Mais n’est pas le cas de tous ses films ?
Avec une méticulosité qui confine parfois au documentaire, Lars von Trier nous fait partager les errances et les angoisses d’un tueur rongé par les TOC et incapable de la moindre empathie pour ses semblables. La séquence du nettoyage de la deuxième scène de crime et la conclusion du film illustrent une gêne quasiment physique pour le spectateur, provoquée par la répétition des mêmes gestes ou par une bande son agressive (nous sommes tout de même dans le dernier cercle des Enfers…).
Alors oui, une fois encore Lars von Trier nous interroge sur la véritable nature de l’art et l’essence même d’un artiste, tout en nous conviant à sa propre séance de psychanalyse sur grand écran. Dérangeant, parfois même difficilement supportable (la scène du pique-nique est insoutenable de froide cruauté), The House that Jack Built est une pierre de plus dans une maison qui, si elle ne figurera pas parmi les plus grands monuments du septième art, aura au moins le mérite de nous sortir d’une léthargie parfois confortable mais au final souvent stérile.
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