mercredi 18 décembre 2013

A Touch of Sin

Quatre histoires, quatre destins pour illustrer ce qu’est devenue la société chinoise aujourd’hui. Et vu le portrait sans concession que Jia Zhang-Ke dresse de la Chine, on comprend un peu mieux les réticences des autorités à lui ouvrir les salles de son propre pays. 
A Touch of Sin suit donc les destins tragiques de quatre personnages qui subissent de plein fouet le passage d’une dictature communiste à un libéralisme encore embryonnaire mais tout aussi cauchemardesque. Ici, tout est question d’argent. L’argent qui manque pour nourrir sa famille, l’argent qui sert à acheter les gens comme de vulgaires objets, l’argent détournée au profit d’une minorité de nantis. L’argent et son corollaire, la violence, psychologique ou physique, qui éclate comme une grenade et qui scelle les destinées des protagonistes de ce drame implacable. 
Construit comme un film à sketch où chaque segment est relié au suivant par un personnage ou un évènement (on pense à Pulp Fiction pour la construction narrative), A Touch of Sin bénéficie d’une magnifique photo et du talent d’un réalisateur qui ne recule devant aucune concession pour dénoncer l’état de la société chinoise telle qu’il la voit. Tour à tour western, drame, chronique sociale, voire même wu xia pian le temps d’une bref séquence (l’attaque au couteau de Xiao Yu renvoie directement à Lady Snowblood), le film ne cesse de mélanger les genres pour nous transporter dans un voyage au long cours aussi beau qu’éprouvant. 
Pour illustrer ses propos, le réalisateur s’appuie sur deux constantes qui reviennent à intervalles réguliers. La première, c’est l’attachement et l’identification de chaque personnage à sa province d’origine. Comme pour mieux symboliser l’immensité d’un pays que l’on traverse comme un continent, et donc sa diversité, Jia Zhang-Ke s’attache à ramener ses personnages à leur lieu de naissance qui les identifie au moins autant que leurs noms. 
Le deuxième élément récurrent est la présence des animaux qui apparaissent en écho aux scènes qui se déroulent devant nous. L’amante d’un homme marié voit un serpent traverser la route devant elle, tandis qu’un cheval roué de coups renvoie à cette même femme giflée à coup de billets de banque. L’interprétation est bien entendu propre à chaque culture, tout comme le rythme du film qui sera appréhendé différemment par chacun. Et c’est bien là son défaut principal. 
Traversé de plans magnifiques, de flambées de violence absolument démentes, A Touch of Sin s’étire sur deux longues heures que l’on sent passer. Avec un montage ramené à une demi-heure de moins, le film aurait sans nul doute perdu de son côté contemplatif mais gagné en intensité sans compromettre pour autant son intégrité.

dimanche 15 décembre 2013

La Désolation de Smaug

Un an après Un voyage inattendu et un an avant Histoire d’un aller et retour, voici donc le deuxième chapitre de la version du Hobbit de Tolkien vue par Peter Jackson. Autant le réalisateur illustrait de manière magistrale la saga du Seigneur des Anneaux, consacrant trois films foisonnants aux non moins volumineux livres de Tolkien, autant on peut considérer pour le Hobbit que Peter Jackson est davantage dans un exercice d’interprétation que d’adaptation. Etirer l’histoire, certes très riche, du livre fondateur de la saga en trois films demande en effet plus qu’un simple effort d’imagination. C’est le parti pris du réalisateur qui va jusqu’à inventer des personnages (l’elfe Tauriel), étirer des scènes plus que de raison, s’attarder sur des évènements ou des protagonistes à peine esquissés dans le livre original. Le résultat ? Un premier épisode qui peinait à convaincre, écartelé entre divertissement pur et saga fantastique cherchant en vain le souffle épique du seigneur des Anneaux. C’est donc avec une certaine appréhension que l’on attendait ce deuxième chapitre. Heureusement, Peter Jackson retrouve sa verve et le génie qui a fait de sa précédente trilogie un monument incontournable de l’héroïc fantasy. 
Débarrassé du passage obligé de présentation des personnages, le réalisateur consacre les deux heures cinquante de son film à des scènes d’actions toutes plus spectaculaires les unes que les autres, sans oublier la mise en scène des enjeux dramatiques qui trouveront leur dénouement dans le chapitre final. 
Résolument plus sombre que son prédécesseur, la Désolation de Smaug se veut aussi plus adulte par les thèmes qu’il aborde et la manière dont il appréhende la violence. Si le sang ne coule toujours pas, les têtes roulent et les combats gagnent en puissance, laissant espérer une bataille finale épique et brutale. 
Tout comme les Deux Tours pour le Seigneur des Anneaux ou même l’Empire Contre-attaque pour Star Wars, la Désolation de Smaug marque une rupture de ton par la noirceur de son sujet. Le roi des elfes ne se préoccupe que de la sauvegarde de son royaume, Bilbon est de plus en plus captif du pouvoir de l’anneau, Thorin laisse sa part sombre prendre peu à peu le dessus, tandis que leur inconséquence provoque le réveil de Smaug et le probable massacre de milliers de personnes. 
Tout en laissant présager l’impact que peuvent avoir l’aveuglement et la soif du pouvoir, la Désolation de Smaug n’en oublie pas pour autant d’être avant tout une formidable quête épique, une véritable chanson de gestes avec son lot de scènes inoubliables. Que ce soit dans le soin apporté aux chorégraphies de combat des elfes, à l’étourdissante descente en tonneaux ou bien entendu au réveil du dragon, Peter Jackson redresse la barre et nous offre un formidable espoir quant à la conclusion de sa deuxième trilogie.

samedi 7 décembre 2013

Zulu

Zulu démontre une fois de plus qu’il est extrêmement rare que l’adaptation d’un livre lui rende l’hommage qui lui est dû. Mise à part quelques exceptions notables (Fight Club, le Seigneur des Anneaux,…), retranscrire fidèlement à l’écran l’essence même d’un livre est prodigieusement difficile. Malheureusement, le film de Jérôme Salle ne déroge pas à la règle. Zulu reprend les principaux personnages créés par Caryl Ferey, les grandes lignes de l’intrigue et bien entendu le lieu même où se situe l’action. Mais là où le livre diffusait une atmosphère violente et vénéneuse, empreinte de perversions et de mutilations sexuelles (l’un des thèmes récurrents de l’écrivain), le réalisateur n’en garde que le vernis. L’un des intérêts du livre était de nous plonger dans la culture Zoulou, son histoire aussi bien culturelle que politique. Dans le film, cet aspect est complètement gommé au profit de l’intrigue policière, ramenée elle aussi à son plus simple argument. 
Alors bien sûr, on ne peut pas reprocher au réalisateur de faire des choix et de ne pas chercher à retranscrire mot pour mot une histoire qui d’ailleurs ne tiendrait pas dans un format de deux heures. Ce qui est plus gênant est le traitement qui est fait du matériau restant. 
Alors que le film bénéficie d’une très belle photographie reproduisant aussi bien l’ambiance des Townships de Capetown que les magnifiques paysages d’Afrique du Sud, la réalisation de Jérôme Salle est plate et purement illustrative. Le film bénéficie d’un casting solide, les différences flagrantes entre le personnage d’Ali Sokhela tel que l’a imaginé Caryl Ferey, et Forest Whitaker étant d’ailleurs un choix intéressant, celui-ci pâtit d’une direction d’acteurs visiblement réduite au strict minimum. Forest Whitaker fait preuve d’une passivité gênante tandis qu’Orlando Bloom accumule les poncifs de flics à la dérive. 
Sans parler d’un échec général, Zulu est cependant bien loin du film choral poisseux et violent que l’on était en droit d’attendre. Il reste un thriller dépaysant solidement emballé qui devrait satisfaire ceux et celles qui n’ont pas lu le livre dont il est tiré.