samedi 30 juin 2018

Sans un bruit

Le film de John Krasinski s’en sort plutôt pas mal au sein de cette nouvelle mode des films conceptuels (Get Out, Don’t breath, The Purge et consort) qui reposent sur une idée étirée sur un voir plusieurs longs métrages. 
Dans un monde récemment dévasté par une attaque massive de créatures réagissant au moindre bruit, une famille tente de survivre et de surmonter ses propres traumatismes. Présenté comme cela, Sans un bruit ne suscite pas vraiment un enthousiasme débordant, et pourtant. 
Evacuons d’emblée l’idée centrale du film reposant sur la naissance d’un bébé par définition braillard dans un monde où la principale règle de survie est le silence. Ne nous polarisons pas sur l’usage parfois un peu facile de jump scares portés par la musique opportune de Marco Beltrami, ni sur la succession de patchs scénaristiques (le clou, l’inondation de la cave) ou sur la découverte finale et quasi miraculeuse d’une riposte face aux envahisseurs belliqueux. Avec un esprit ouvert et une pré disposition à passer un bon moment, Sans un bruit remplit haut la main son cahier des charges de série B efficace et parfois même audacieuse. 
Loin de la hype un peu enflée d’un Get Out ou du recyclage sans âme d’un Don’t breath, le film s’ouvre sur un prologue assez traumatisant et s’offre le luxe de faire disparaitre des personnages importants (il faut dire qu’il n’y en a pas beaucoup à l’écran) pour servir une histoire certes linéaire mais pourvue d’une réflexion intéressante sur la cellule familiale. Le réalisateur n’hésite d’ailleurs pas à citer d’illustres références qui imprègnent des plans entiers du film. Le design insectoïde des créatures renvoie à celles de Starship Troopers tandis que le face à face entre l’une d’elle et Evelyn Abbott n’est pas sans rappeler la confrontation entre Helen Ripley et les Aliens. Difficile enfin de ne pas penser à la saga Resident Evil lorsque cette même Evelyn Abbott campée par une Emily Blunt combative et armée d’un fusil à pompe affronte le monstre dans une cave. 
Sans un bruit se termine sur une fin badass à souhait et suffisamment ouverte pour nous faire espérer une suite. Pas sûr que le concept soit déclinable à l’infini mais en l’état le boulot est fait et le film réussit à servir le genre horrifique sans recours à une pseudo caution morale.

lundi 25 juin 2018

Ceci est mon corps

Il y a du Jack Ketchum et du Bukowski dans ce court roman de Patrick Michael Finn. Un récit rude, âpre et douloureux comme peut l’être l’adolescence dont cette nuit d’horreur constitue une allégorie à fleur de peau. 
Il faut arriver au bout de ce texte cinglant comme un shot de bourbon pour comprendre la cohérence de la traduction française de A martyr for Suzy Kosasovich ainsi que la couverture épurée de cette nouvelle collection Equinox des Arènes. 
Car il est bien question de sacrifice et de religion, de chair, de sexe et d’alcool, de rite initiatique et de passage à l’âge adulte dans un milieu prolétaire n’offrant d’autres issues à une jeunesse désemparée que les bars interlopes, les églises poussiéreuses ou les usines qui les broient, au sens propre comme au figuré. 
Patrick Michael Finn nourrit son histoire de sueur, de sperme et de sang et concentre en quelques heures le destin de vies sacrifiées que rien ne pourra racheter, pas même l’innocence offerte en pâture à la misère physique et intellectuelle d’une jeunesse condamnée d’avance.

samedi 23 juin 2018

Une prière avant l'aube

Rarement un film aura autant été desservi par la rigueur avec laquelle il traite son sujet. 
Billy Moore est un jeune homme mutique et colérique, boxeur amateur et drogué, un personnage qui aurait toute sa place dans la filmographie de Gaspard Noé période Love et Enter the Void, la sexualité en moins. 
Arrêté par la police thaïlandaise pour possession d’arme et de stupéfiant, Billy va se retrouver plongé dans le quotidien éprouvant des prisons thaïlandaises. Confronté à la barrière de la langue et à une culture dont les codes lui échappent complètement, Billy se renferme sur lui-même et cherche une échappatoire à ce milieu sans pitié, qu’il trouvera dans la drogue puis la boxe. Et c’est bien là que le film se révèle à la fois parfaitement réussi et difficile à appréhender. 
Avec une économie de dialogues et une narration visuelle éprouvante dans la première moitié du film (mouvements rapides de caméra qui passe d’un personnage à l’autre, chaos des match de boxe et des bagarres retranscris par un montage cut souvent peu lisible), Jean-Stéphane Sauvaire retranscrit à merveille la tension permanente et la solitude du personnage, tellement bien que ce mutisme se transmet au spectateur qui pour le coup n’éprouve plus grand-chose pour les personnages présents à l’écran. Billy est seul, nous aussi et nous avons le plus grand mal à nous raccrocher à ce protagoniste dont les accès de violence sont les seules manifestations d’un quelconque sentiment. 
La seule étincelle d’humanité vient du personnage de Fame, troublant lady boy dont Billy tombe amoureux, et de ce très beau plan final qui renvoie l’acteur à son personnage par un renversant effet de miroir. 
Une prière avant l’aube constitue le témoignage sec et violent d’une descente aux enfers et d’une rédemption dans la douleur avec le parti pris d’une absence d’empathie assumé jusqu’au bout.

samedi 16 juin 2018

Hérédité

On ne choisit pas sa famille. 
La famille Graham se réunit autour du cercueil de la grand-mère dont l’aura ne cessera jamais de peser sur eux tout au long du film. 
Annie sa fille traine un héritage familial propre à conditionner n’importe qui en psychopathe en puissance. Son mari Steve tente tant bien que mal de préserver l’équilibre de la famille tandis que son fils Peter cherche dans la drogue une échappatoire à ce climat délétère. Charlie, la petite dernière affublée d’un visage difforme semble développer un lien particulier avec sa grand-mère décédée et son attitude suffirait à terroriser une armée de psychiatres. 
Pour son premier film, Ari Aster frappe fort et juste. Juste parce qu’il arrive à distiller une atmosphère vénéneuse et anxiogène par petites touches sans abuser des effets de jump scares ou des ficelles habituellement utilisées dans ce type de film. 
Sorcellerie, maison hantée, folie, on ne sait pas où se situer et c’est là l’une des grandes forces du film, de nous promener en terres inconnues en s’appuyant sur un environnement physique et psychologique éprouvant. 
Dès les premières images du film nous éprouvons ce malaise, cette impression d’une catastrophe imminente et inéluctable, sans savoir d’où viendra le danger. Petit à petit, en prenant son temps (le film dure plus de deux heures alors que la majorité des films de terreur tendent à condenser l’action sur une heure trente), le réalisateur instille son venin. Des mouvements de caméra amples, une musique anxiogène et des personnages qui s’enlisent petit à petit suffisent à nous amener progressivement vers un dénouement terrifiant. C’est peut-être dans la toute dernière partie du film où le réalisateur lâche un peu trop la bride à des scènes trop explicites que le film perd de sa puissance narrative, mais qu’importe, Ari Aster réussit à graver dans nos rétines des moments de pure terreur et une réflexion sur le poids de l’hérédité tout à fait captivante. 
La violence psychologique se mue en outrages physiques pour mieux incarner cette malédiction (le poids de nos histoires personnelles) que nous trainons tous de générations en générations. Parfois mis en péril par le jeu de plus en plus hystérique d’une Toni Colette constamment sur le fil du rasoir et par une fin trop explicative, Hérédité ne sombre jamais dans le ridicule malgré ses excès. 
On aurait aimé, à l’instar de modèles du genre comme Kill List, que la seconde partie du film exacerbe autant nos nerfs et notre intelligence que les cinquante premières minutes, mais il n’en reste pas moins qu’Hérédité se place d’ores et déjà parmi les grands films de frousse, un genre d’autant plus balisé qu’il devient difficile d’en renouveler les codes. Pari réussi haut la main, Hérédité fait partie de ces rares films que l’on rêve de revoir une deuxième fois pour en dénicher tous les indices cachés.

lundi 4 juin 2018

Le dernier arbre (Tim Gautreaux)

Le dernier arbre appartient à cette tradition littéraire typiquement américaine, celle de la domestication d’une nature par essence hostile, des fondations d’un pays alors en plein essor, poussée par un progrès technique encore balbutiant et les appétits de conquêtes d’hommes et de femmes livrés à eux même dans les bayous de Louisiane. 
Alors que les échos de la Première Guerre mondiale et son cortège d’atrocités raisonnent encore jusqu’au plus profond des marais, Tim Gautreaux dépeint avec une plume qui n’est pas sans rappeler celle de Donald Ray Pollock une Amérique en devenir, déjà rongée par la fièvre capitaliste, un territoire où la loi du plus fort s’impose par l’argent ou par les armes. 
Entre naturalisme et tragédie, l’auteur esquisse le portrait de ces pionniers engoncés dans leurs contradictions et leurs pulsions mortifères, un monde en mutation où surgit des moments de tendresse et d’humanité là où on s’y attend le moins. 
Une page se tourne alors que tombe le dernier arbre, les morts retournent au néant et les vivants s’échinent à panser leurs plaies et à vivre malgré tout. 
Le dernier arbre est un livre empreint d’odeurs de putréfaction et de fraternité, d’amour, de folie et de haine. Le livre d’une nation en devenir bâtie sur des rêves qui parfois se réalisent.