dimanche 24 février 2019

Grace à Dieu

François Ozon aborde un sujet difficile (la pédophilie au sein de l’église catholique) par le biais d’une affaire en attente de jugement (celui du père Bernard Preynat accusé d’attouchements sexuels sur mineurs et par ricochet celui du cardinal Barbarin pour non dénonciation de ces actes). Un film hautement sensible donc qui pourrait donner lieu à ces dénonciations médiatiques à rebondissements dont les américains ont le secret et qui enfantent parfois de véritables réussites (Les hommes du président, Erin Brockovich et tant d’autres). Sauf que n’est pas Alan J. Pakula qui veut. 
Obnubilé par son sujet, et on le serait à moins, François Ozon déroule son investigation de manière linéaire et assez didactique en oubliant au passage toute lecture cinématographique. 
Les seuls plans un peu osés se limitent à un cadrage sur la nuque des personnages et le découpage du film en trois actes pour les trois personnages principaux ne laisse que peu de place à la dynamique de l’histoire. Il en résulte un film en effet très lisible porté par de bons acteurs qui se laisse regarder avec intérêt. Mais on ne peut s’empêcher de regretter le manque d’ambition du réalisateur écrasé par son sujet. 
Il aurait en effet été aussi intéressant de se pencher sur les mécanismes de l’institution religieuse que sur le parcours des victimes. Même si le parti pris se justifie pleinement, il réduit le film à une dimension humaine certes importante mais qui nous oblige à considérer cette histoire par le petit bout de la lorgnette. 
Si certains choix d’écriture peuvent parfois gêner, je pense à la caractérisation des personnages principaux (le bourgeois catho, le bouffeur de curé et le marginal), ou à la représentation du père Bernard Preynat jeune (archétype du serial killer en puissance), Grace à Dieu demeure cependant un film réussi, important et suffisamment malin pour ne pas se perdre dans un didactisme stérile. 
Il n’en reste pas moins que l’on attend encore le grand film qui nous plongera dans le cœur de cette Église séculaire, tentaculaire et tellement puissante qu’elle parvient encore à dissimuler en son sein les monstres qu’elle engendre.  

dimanche 10 février 2019

La mule

Le nouveau film de Clint Eastwood représente en quelque sorte la jonction parfaite entre sa mythologie des États Unis vue au travers d’histoires vraies mais hors du commun de citoyens américains ordinaires (American Sniper, Sully, Le 15H17 pour Paris) et sa propre mythologie incarnée derrière et devant la caméra et essentiellement basée sur la rédemption (Impitoyable, Million dollars baby, Gran Torino). 
En ce sens, La mule est en effet un film très personnel mais aussi une pierre supplémentaire dans son panthéon de personnages hauts en couleur qui font individuellement la grande Histoire de ce pays de tous les possibles. Clint Eastwood incarne donc Earl Stone, mauvais mari, mauvais père de famille mais pépiniériste accompli qui, poussé par la faillite de son entreprise, va accepter de transporter de la drogue pour le cartel de Sinaloa. L’argent coule à flot mais coincé entre la DEA, les trafiquants et sa famille, l’étau se ressert autour d’un homme au crépuscule de sa vie. Car comme le dit si bien Earl, l’argent achète tout sauf le temps qui passe inéluctablement, ne laissant que des regrets à ceux qui n’ont pas su en profiter. 
Film testamentaire, drame parsemé de saillies comiques (la dernière réplique du film lancée par la fille d’Earl est à ce propos irrésistible), biopic fantasmé d’un destin hors du commun, La mule est un peu tout ça en même temps, portée par le visage tanné d’un immense acteur qui se voit en homme ordinaire avec ses failles et ses propres amertumes. 
Entouré par de solides interprètes, Clint Eastwood se dévoile avec ce qu’il faut de pudeur et un sens de la mise en scène toujours aussi juste. Sans atteindre l’épure sentimentale de Sur la route de Madison ou la puissance narrative d’un Gran Torino, La mule nous rappelle que le grand Clint en a encore sous le pied et qu’il faudra compter avec lui. Très longtemps on l’espère.