mardi 29 décembre 2015

Star Wars - Le Réveil de la Force

Trente-deux ans. Il aura fallu attendre trente-deux ans pour retrouver l’univers originel de la saga Star Wars, et c’est à J.J. Abrams que revient l’honneur, mais aussi la lourde tâche de faire la jonction entre les personnages fondateurs du mythe et la nouvelle génération. L’attente était à la hauteur de la déception générée par les épisodes I, II et III que nombre de fans préfèrent carrément occulter. 
Ce qui frappe dans ce nouvel opus, outre la maitrise de la mise en scène du réalisateur, c’est le parfait équilibre entre les anciens et les nouveaux protagonistes, dû en grande partie à des personnages bien écrits et surtout parfaitement interprétés par un casting presque sans faute. Daisy Ridley et Oscar Isaac apportent un souffle résolument rafraichissant au film, mais la palme revient sans conteste à un John Boyega irrésistible dans un rôle à la fois drôle, décomplexé et finalement assez central comme le fut Harrison Ford en son temps. C’est d’ailleurs avec un plaisir réel que l’on retrouve la plupart des figures historiques de Star Wars, avec quelques rides et kilos en plus mais toujours le même plaisir à interpréter des personnages devenus cultes. Jusqu’au personnage du droïde BB8 qui est particulièrement réussi et qui possède une véritable identité sans prononcer un mot, à l’image du Wall-E des studios Pixar. La seule faute d’interprétation et d’écriture, et pas la moindre, revient surement à Adam Driver qui interprète un méchant bien fade. Davantage caractérisé par ses actes et son ascendance que par l’acteur qui l’incarne, Kylo Ren ne parvient pas à décoller d’un personnage pleurnichard, tiraillé entre le bien et le mal et jamais vraiment inquiétant malgré un design très réussi. 
Ceci étant dit, J.J. Abrams arrive à trouver le juste équilibre entre les scènes d’action et l’humour voire les clins d’œil appuyés (Han Solo à Leia : « tu as changé de coiffure ? »), multipliant les séquences de combat aérien à couper le souffle et n’hésitant pas à nous emmener derrière le rideau lorsque nous pénétrons dans les entrailles de gigantesques vaisseaux devenus épaves ou qu’un Stormtrooper enlève son casque. Passons quelques approximations (Kylo Ren sent la présence de Han Solo lorsqu’il débarque sur une planète mais pas quand il se trouve dix mètre derrière lui, Finn, simple soldat, explique en détail à la Résistance le plan détaillé de leur arme la plus secrète…), il reste au final des personnages pour la plupart réjouissants, une réalisation au cordeau et un juste équilibre entre action et humour, entre ancienne et nouvelle génération, alors que demander de plus ? Et bien par exemple que tout cela soit mis au service d’une histoire digne de ce nom. 
Penchons-nous un instant sur le résumé du Réveil de la Force. Dans une galaxie lointaine dominée par un empire tyrannique, un groupe de résistants tente de restaurer une République respectueuse des droits de chacun. Sur une planète désertique envahie par les sables, un pilote membre de cette Résistance cache une carte à l’intérieur d’un droïde avant que les forces du Premier Ordre ne débarquent pour massacrer tout le monde. Ce droïde sera protégé par une jeune femme habitée par la Force sans le savoir et qui sera amenée à quitter sa planète pour combattre les forces du mal aux cotés de la Résistance. L’histoire qui suivra verra un fils tuer son père, la destruction de planètes entières par le laser surpuissant du Premier Ordre, laser protégé par un bouclier et qui ne comporte qu’un seul point faible difficilement localisable. Laser qui sera détruit au cours d’une offensive désespérée par la flotte de la Résistance. On verra aussi une figure du mal drapée de noir, elle aussi habitée par la Force, une taverne peuplée d’extra-terrestres marchands, pilotes et chasseurs de primes, une entité maléfique qui tire les ficelles derrière le méchant le plus emblématique, etc, etc… 
Oui, le résumé du Réveil de la Force n’est au final rien d’autre qu’un condensé des épisodes IV, V et VI de Star Wars. Deux options s’offrent alors à nous. Ecrasé par un héritage trop lourd à porter, J.J. Abrams s’est vu incapable de s’affranchir de la saga d’origine au point de la copier plus ou moins consciemment. Ou bien, hypothèse plus probable, le Réveil de la Force se résume à une synthèse des épisodes précédents, un Star Wars pour les nuls n’ayant pas d’autre utilité que d’installer les bases d’une nouvelle saga pour une génération n’ayant pas grandi avec celle de Georges Lucas. Il aurait pourtant été simple de s’affranchir de l’histoire originale en prenant pour base la fin du Retour du Jedi. L’Empire se trouve défait, la République triomphe avec, pourquoi pas, Leia à sa tête ? Le Réveil de la Force aurait très bien pu prendre pour cadre cet environnement et décrire des forces du mal renaissant de leur cendre à la manière d’un Sauron dans le seigneur des Anneaux. Nous aurions alors là les bases d’une saga à la fois cohérente, complétement nouvelle et donc passionnante à explorer. Au lieu de quoi le réalisateur nous propose une copie carbone de ce que nous avons déjà vu, se permettant à peine quelques digressions pour marquer le film de son empreinte. C’est d’autant plus dommage qu’il nous prouve avec ce film qu’il est l’homme de la situation. 
On ressort du Réveil de la Force avec un sourire sur les lèvres mais un peu abruti par tant de choses à assimiler en si peu de temps, avec l’impression d’avoir avalé de force un résumé accéléré de la saga star Wars. Attendons la suite pour juger de la série dans son ensemble mais une fois l’excitation retombée, il faut bien reconnaitre que ce nouvel opus nous laisse un goût un peu amer dans la bouche.

mercredi 16 décembre 2015

Suburra

La mafia qui agrège pouvoir, violence et corruption demeure une source inépuisable d’inspiration pour les romanciers et les cinéastes. Et l’Italie reste, après l’Amérique, son cadre naturel et le berceau qui l’a vu naitre. C’est donc à Rome que se déroule l’intrigue, ou devrait-on dire les multiples intrigues de ce film choral qui multiplie les arcs narratifs sans jamais perdre le spectateur en route. 
Et c’est bien là que réside l’une des forces principales du film, cette capacité scénaristique à caractériser chaque personnage, et il y en a beaucoup, couplé avec un choix d’acteurs pertinent. Ceci est d’ailleurs particulièrement vrai pour les deux personnages féminins qui prennent une place de plus en plus importante dans l’histoire et ne sont jamais cantonnés aux caricatures habituelles (la petite amie junkie, la prostituée de luxe). 
Suburra met en scène une multitude de protagonistes qui évoluent dans différentes strates de la société et qui partagent un goût commun pour le pouvoir sous toutes ses formes. Du politicien véreux à l’homme d’église perverti par l’argent, de l’homme de main violent à la pute de luxe, des familles mafieuses du sud du pays aux gangs tziganes, c’est à un véritable voyage dans les strates les moins reluisantes d’Italie que nous convie le réalisateur Stefano Sollima, déjà responsable de l’adaptation en série télévisuelle de Gomorra auquel le film fait parfois penser. Adepte d’une réalisation soignée sans pour autant sombrer dans le maniérisme outrancier, le réalisateur apporte aussi une touche particulière à sa photographie qui propulse le film dans une dimension quasi irréelle. Impression encore soulignée par un chapitrage annonçant l’Apocalypse imminente et une musique aux accents techno pour le coup parfois envahissante. 
Si l’on peut regretter le manque de développement des personnages religieux à peine esquissés, force est de constater que Suburra reste dans la droite ligne des très bons films à la fois politiques (l’implosion du système italien rongé par la corruption), mafieux (les différentes forces en présences qui se disputent les marchés les plus juteux, les grandes familles qui essaient de maintenir un semblant d’ordre pour pouvoir œuvrer en paix) et un bel exemple de film choral (la collusion des différents personnages entre eux). Bien sur les thèmes abordés l’ont déjà été maintes fois. Le conflit des générations avec le jeune tueur qui se rebelle contre l’ordre établi par ses ainés, la victime humiliée qui se venge dans un sursaut de violence, les trahisons et les imbrications de la mafia avec le pouvoir politique et religieux sont des sujets récurrents dès que l’on aborde le film de gangsters. 
La force du réalisateur est d’ancrer son histoire dans une Italie très contemporaine aux accents on ne peut plus réalistes et une fois encore de rendre lisible et passionnante une histoire aux multiples ramifications. Ne reculant devant aucune violence (les passages à tabac et les meurtres, la prostitution de mineures ou les humiliations subies par les plus faibles), Stefano Sollima nous livre un film tendu, noir et au final passionnant.

dimanche 15 novembre 2015

Spectre

2006, Daniel Craig incarne James Bond pour la première fois à l’écran dans ce qui reste à ce jour l’un des meilleurs épisodes de la série, Casino Royale dirigé de main de maitre par Martin Campbell et magnifié par la présence de la sublime Eva Green qui incarne l’une des plus belles James Bond girls de la série. Le ton résolument introspectif et sombre du film marque un vrai tournant dans la saga. Tournant qui sera assez mal négocié deux ans plus tard avec le très inégal Quantum of Solace, mais parfaitement redressé en 2012 avec un Skyfall qui tient toutes ses promesses et renoue avec la thématique initiée dans Casino Royale. Dans ce contexte, Spectre fait figure de transition avec son prédécesseur. 
Toujours réalisé par Sam Mendes et interprété par Daniel Craig, Bond explore à nouveau les méandres de son passé pour remonter aux sources de sa Némésis, l’homme responsable de tous les deuils qui l’ont touchés depuis Casino Royale, le mythique Ernst Stavro Blofeld. Pourtant, Spectre marque une rupture de ton avec les épisodes précédents qui se rapprochaient davantage du personnage décrit par Ian Fleming dans ses romans que de l’espion incarné par Roger Moore ou Pierce Brosnan. 
La noirceur de Casino Royale ou Skyfall fait place à plus d’humour, un détachement qui renvoie directement à la période post Goldfinger où Bond devient davantage un espion tombeur de filles que le tueur alcoolique et névrosé imaginé et décrit par Ian Fleming dans ses romans. On peut regretter ce revirement tant la direction initiée par Martin Campbell en 2006 traçait la route à une mythologie sombre mais captivante, mettant en scène un tueur usé et vieillissant mais d’autant plus dangereux. 
Spectre se révèle donc être un film toujours spectaculaire, divertissant et respectant à la lettre le cahier des charges de la saga, tout en se permettant, signe des temps, quelques clins d’œil à l’ensemble des épisodes qui l’ont précédés et une auto parodie que l’on est en droit de trouver inutile. Ainsi l’arrivée de Bond et de Madeleine Swann (Bond serait donc à la recherche du temps perdu…) sur la base secrète de Franz Oberhauser alias Blofeld renvoie directement à Docteur No et Goldfinger. Christoph Waltz coincé par un personnage de méchant qui a été mainte fois caricaturé essaie de trouver le juste milieu entre cabotinage et sobriété. Même chose pour Léa Seydoux qui a la lourde tâche de passer après Eva Green, Diana Riggs et tant d’autres pointures. La française fait ce qu’elle peut pour exister dans un rôle qui ne lui laisse que peu de marge de manœuvre, mais tout de même d’avantage que Monica Bellucci cantonnée à faire de la figuration. 
Le film nous propose tout de même quelques scènes particulièrement réussies comme cette poursuite en voiture avec Monsieur Hinx ou une bagarre homérique et sauvage avec le même Dave Bautista. On s’amuse aussi de voir le réalisateur convoquer Stanley Kubrick et son Eyes Wide Shut lors de la réunion secrète du spectre dans laquelle s’incruste James Bond. Handicapé par une chanson de générique très basique (après Amy Winehouse, Lana del Rey sera donc l’autre grand rendez-vous manqué de la série), une scène pré générique certes impressionnante mais aux ressorts dramatiques limités, Spectre se limite donc à un très bon spectacle, une sorte de best of de ce que la saga Bond nous a proposé tout au long de ces cinquante dernières années. Ce n’est pas si mal mais au regard des derniers épisodes, on attendait mieux.

dimanche 8 novembre 2015

Regression

Cinéaste malin pour ne pas dire roublard, Alejandro Amenábar a l’habitude de jouer avec la perception de la réalité qui cache souvent une toute autre vérité. Ouvre les yeux, Les Autres en sont les brillantes démonstrations. Une fois encore, le réalisateur chilien nous plonge dans un contexte qu’il prendra un malin plaisir à déconstruire dans la dernière demi-heure du film. 
Nous sommes au début des années 90 dans une petite bourgade américaine secouée par des présomptions de plus en plus fortes d’activités satanistes. L'inspecteur Bruce Kenner recueille le témoignage troublant d’une fragile jeune fille qui semble avoir été victime de violences en tous genres de la part de son entourage le plus proche. Dès les premières images du film, Alejandro Amenábar instaure un climat pesant, chargé de menaces latentes sensées nous conforter dans l’idée que le Malin existe bel et bien et que ses adeptes sont partout. Et la plupart du temps le concept fonctionne. Au fur et à mesure que progresse l’enquête, nous perdons pieds en même temps que Bruce Kenner qui a de plus en plus de mal à démêler le vrai du faux, les menaces réelles ou fantasmées. Alourdi par quelques effets trop soulignés, le film s’engage pourtant sur des rails solides, mêlant sectes satanistes et sacrifices au sein d’une communauté où tout le monde semble se connaitre. Le virage que prend le réalisateur n’en reste que plus déstabilisant, et aurait pu apparaitre comme opportuniste s’il n’avait pas illustré sa première partie d’une aussi solide manière. 
Car les films qui se servent de l’argument fantastique pour ensuite le renier de façon condescendante ou pour le moins incompréhensible ne manquent pas. Citons par exemple The Secret de Pascal Laugier pour les dernières sorties. Alejandro Amenábar propose une toute autre manière d’aborder les choses en renvoyant dos à dos science et magie dans un final qui n’en reste pas moins effrayant. Car loin de se cacher derrière un pseudo argument fantastique, le réalisateur met à nu la nature même de l’homme, ou de la femme, capable de construire de toute pièce une réalité parallèle tellement effroyable qu’elle va entrainer dans son sillage une communauté toute entière. Pouvoir et responsabilité des médias, dérives de la science, manipulation, autant de thèmes qui servent de trame de fond à un film qui nous entraine dans une lecture biaisée de la réalité. 
Une façon brillante d’illustrer le thème même du film et de rappeler la célèbre maxime : et si la ruse ultime du diable était de nous faire croire qu’il n’existe pas ?

jeudi 22 octobre 2015

Crimson Peak

Guillermo del Toro fait partie de ces cinéastes, peu nombreux, qui arrivent à mettre leur immense talent au service d’un amour sincère du cinéma de genre. Mêlant super héros et mythe vampirique dans Blade 2, sublimant à l’écran un comic très graphique autour de la démonologie et, toujours, du super héros avec Hellboy, illustrant le film de monstre avec Mimic ou rendant hommage aux combats homériques du bestiaire nippon (Godzilla et ses suites) avec Pacific Rim, il jongle avec adresse entre le spectaculaire et l’humanisme, entre l’action et des scènes intimistes qui font mouche à chaque fois. Crimson Peak ne fait pas exception à la règle. 
Se tournant cette fois du côté de la Hammer et du flamboyant gothique italien, le réalisateur se fait, et nous fait plaisir avec cette histoire de fantômes à cheval entre deux continents et deux époques. Débutant aux États Unis à l’aube de la Révolution Industrielle, le film déroule sa seconde partie en Angleterre, terre de traditions et de légendes contrastant singulièrement avec la modernité encore naissante d’un continent en pleine mutation. Entre ces deux mondes que tout oppose (le stylo contre la machine à écrire, la nouvelle bourgeoisie contre l’aristocratie, les villes modernes contre la campagne glacée environnant Crimson Peak) se débat Edith Cushing, une jeune romancière tiraillée entre un amour de jeunesse et le charme mystérieux d’un baronnet anglais. 
Porté par un casting solide dominé par une impressionnante Jessica Chastain dans un rôle taillé pour Barbara Steele quarante ans plus tôt, Crimson Peak se révèle être une romance vénéneuse teintée de passion interdite, une histoire de fantômes dans la plus pure tradition du genre. Si l’on peut déplorer des effets numériques parfois peu convaincants et mal intégrés, il faut saluer le soin tout particulier apporté par le réalisateur au niveau des décors. Le château de Crimson Peak est un personnage à part entière à lui tout seul, un lieu maudit dont le délabrement n’est que l’écho de celui de ses occupants. Guillermo del Toro imprime sa patte dans chaque plan de ce nouveau film plus graphique que jamais, payant son tribu à ses multiples références. 
Parfois de manière un peu trop appuyée quand il donne le nom de Cushing à son personnage principal, en hommage à l’un des acteurs phares de la Hammer avec Christopher Lee. Preuve en sont les apparitions fantomatique des morts qui ressemblent à s’y méprendre aux Nazguls du Seigneur des Anneaux, eux même directement inspirés de la Mort dans Fantômes contre Fantômes du même Peter Jackson avec lequel le réalisateur a longuement collaboré. 
Nourri de multiples influences, Guillermo del Toro conserve cependant une sincérité dans sa démarche artistique qui force le respect, d’autant qu’elle se double d’une maitrise de l’image et de la narration peu commune. Ses projets futurs en témoignent, l’homme n’est pas prêt de faire des compromis dans ses choix artistiques et l’on ne peut que s’en réjouir.

Sicario

Les excès et les débordements de violence des cartels mexicains et colombiens sont une source d’inspiration inépuisable pour la littérature (La griffe du chien de Don Winslow), la télévision (Narcos) ou le cinéma (Cartel de Ridley Scott). L’appropriation d’un tel sujet par Denis Villeneuve mettant en scène des interprètes de la trempe d’Emily Blunt, Benicio Del Toro ou Josh Brolin ne pouvait que laisser rêveur. Le résultat est à la (dé) mesure de l’attente.
Plongeant dans les arcanes de la lutte sous terraine que le gouvernement américain mène contre les cartels de la drogue mexicains par l’intermédiaire des agents de la CIA, Sicario nous entraine dans les méandres obscurs d’un combat sans aucun code d’honneur, une guerre de position où, pour citer l’un des personnages, on déplace les frontières morales à sa guise pour ne pas avoir à les dépasser. 
Habilement construit autour de trois personnages clefs et extrêmement documenté, Sicario n’en demeure pas moins une fiction comme en témoignent les plans aériens du désert mexicain ou de Ciudad Juarez. Le réalisateur indique clairement dès le début du film qu’il ne va pas nous entrainer au cœur de la ville, nous immerger dans le quotidien des acteurs (victimes ou bourreaux) de ce drame, mais prendre une hauteur nécessaire à son récit aux enjeux multiples. Des enjeux incarnés justement par ce trio de personnages principaux. D’un côté l’agent du FBI Kate Macer, boussole morale du spectateur et véritable porte d’entrée vers un monde que nous découvrons en même temps qu’elle. De l’autre côté se trouve le mystérieux Alejandro, ancien procureur devenu tueur à gage au service de ceux qui lui permettront d’assouvir une vengeance toute personnelle. Entre les deux, le conseiller de la CIA Matt Graver distribue les cartes, tel un marionnettiste un brin cynique, à cheval sur le fil ténu de la frontière séparant le bien du mal, la criminalité de la moralité. Et c’est bien là le principal intérêt du film que d’éviter tout manichéisme en nous faisant comprendre que pour tuer un monstre il faut peut-être devenir un monstre à son tour. L’acte final d’Alejandro, tout comme celui de l’American Sniper de Clint Eastwood, le fait basculer si loin dans la violence qu’il empêche de fait toute iconisation alors que son personnage s’y prêtait totalement. 
Conscient de la lourdeur de son sujet qu’il choisit pourtant de traiter comme un thriller (et non comme un pseudo reportage), Denis Villeneuve ne tombe pas dans le piège de la facilité et de l’absolution de ses protagonistes. La guerre qu’ils livrent est sale, le rôle de la CIA est pour le moins trouble et les moyens démesurés que l’agence emploie restent à la mesure des enjeux pourtant dérisoires de ce conflit (contenir les cartels plutôt que d’espérer les anéantir). 
Sicario n’est certes pas exempt de tout défaut. Le personnage du policier mexicain corrompu semble en décalage avec le reste du film. Même si la volonté du réalisateur de donner plusieurs points de vue au spectateur est louable, ce segment est au choix en trop ou pas suffisamment développé. De même, on peut s’étonner de la facilité avec laquelle Alejandro se débarrasse de ses ennemis. Mais ces quelques scories sont vite compensées par une maitrise de la mise en scène percutante, comme en témoignage la scène du transfert de prisonnier au sein de Ciudad Juarez, qui reste un sommet de tension. Les interprètes sont tous à la hauteur de leurs personnages et la direction d’acteur est parfaite. 
Alors oui, on peut regretter l’absence de différents points de vue (encore une fois maladroitement esquissée avec le policier ripou et sa famille), notamment du côté mexicain, qui aurait été raccord avec le dernier plan du film. Le réalisateur a choisi de raconter son histoire du point de vue des forces de l’ordre avec l’angle du thriller, et il le fait parfaitement. Oui, le sujet se prêterait à un film fleuve de quatre heures où se croiseraient des dizaines de personnages évoluant sur des années. On peut en rêver en effet, mais ceci est un autre film.

samedi 26 septembre 2015

Knock Knock

Eli Roth poursuit son exploration du cinéma de genre. Après l’infection (Cabin Fever), le torture porn (Hostel 1 et 2) et le cannibalisme (Green Inferno), le voilà qui s’attaque au home invasion avec l’enthousiasme et le mauvais esprit qui le caractérise. Car une fois encore, le genre abordé n’est qu’un prétexte pour dynamiter les codes d’une société qui se voudrait exemplaire et rassurante. Ce cocon familial modèle est caractérisé par un père architecte, une mère artiste et deux enfants qui semblent tout droit sortis d’une publicité pour barre chocolatée. Sans oublier le chien bien entendu. 
Le film commence par un long travelling explorant les couloirs d’une maison dont le moindre élément de décor (photographies de famille, objets d’art fait maison) renvoie à cette image polissée et conservatrice de la famille américaine aisée. La caméra franchit la porte de la chambre où Evan et Karen en sont aux préliminaires amoureux. Ils n’iront pas plus loin, interrompus par les enfants qui envahissent la chambre pour la fête des pères. Les rituels familiaux ont depuis longtemps remplacés une vie sexuelle que l’on devine pour le moins frustrante. C’est dans ce contexte que débarquent par une nuit d’orage Bel et Genesis, deux nymphettes qui vont bien vite faire découvrir à Evan que le plaisir a un prix. 
Comme il est de coutume chez Eli Roth, le sexe et le sang sont toujours étroitement mêlés. Non pas dans une démarche puritaine de punition du péché de chair, bien au contraire. Le réalisateur s’amuse comme un sale gosse à piétiner tout ce qui constitue les fondements de la société américaine par le biais de ses deux héroïnes psychopathes. La famille, et particulièrement la relation père fille, sont avilies, la réussite sociale symbolisée par la maison est saccagée, les œuvres d’art sont tournées en dérision, jusqu’à la sacro-sainte présence d’arme à la maison qui au final ne servira à rien du tout. Il est dommage qu’Eli Roth ne soit pas allé jusqu’au bout de son concept. 
Davantage trublion que véritablement subversif (à la différence d’un John Waters par exemple), il limite les tortures subies par Evan à une fourchette plantée dans l’épaule et quelques décibels dans les oreilles. Venant du réalisateur d’Hostel, on était en droit de s’attendre à pire. (Attention SPOILER) Signe des temps, le film se conclut sur ce qu’il considère comme une punition pire que la mort, la diffusion d’une vidéo compromettante sur FaceBook ! (Fin des POILERS) 
Mal servi par une distribution bancale (Keanu Reeves est crédible tant qu’il n’ouvre pas la bouche alors que Lorenza Izzo et Ana de Armas sont très convaincantes), Knock Knock est un thriller sympathique, surement pas aussi extrême que l’on pouvait espérer mais sacrément jouissif dans son désir de dynamitage de l’ordre établi.

lundi 17 août 2015

Mission Impossible - Rogue Nation

Mission Impossible représente aujourd’hui la seule franchise d’action – espionnage capable de tenir tête à l’agent 007, et les similitudes entre les deux sagas ne s’arrêtent pas là. Car la même année, les deux agents Ethan Hunt et James Bond vont devoir affronter leur Némésis à travers une organisation terroriste tentaculaire et toute puissante (Le Syndicat / Spectre). 
Reprenant des ressorts similaires tout au long de leurs épisodes respectifs (le héros que tout le monde croit mort, la dissolution de l’équipe IMF / le retrait du permis de tuer de Bond) voire une structure narrative comparable avec un prologue forcement spectaculaire, un thème musical immédiatement reconnaissable, une succession de cascades toutes plus spectaculaires les unes que les autres ainsi qu’un voyage aux quatre coins du globe, les deux franchises ont aussi réussi à se renouveler et à développer des univers respectifs parfaitement cohérents. Car là où Bond reste un loup solitaire, les films s’orientant d’ailleurs de plus en plus vers une introspection et un questionnement sur la propre histoire de 007, la saga Mission Impossible reste empreinte du même message depuis ses origines : l’union fait la force. 
Et c’est bien là l’habileté de Tom Cruise, interprète principal mais aussi producteur et colonne vertébrale de la série, que d’avoir su laisser la part belle à ses coéquipiers (le tournant pris dans ce sens par Brad Bird et son protocole Fantôme est ci totalement respecté). Ethan Hunt est certes le personnage principal, le centre des séquences les plus impressionnantes, mais il ne phagocyte pas le film pour autant, laissant tous les personnages secondaires, les nouveaux comme les anciens, exister à part entière. Il faut dire qu’entre Jeremy Renner, Simon Pegg et Ving Rhames pour l’équipe Mission Impossible, et Rebecca Ferguson ou Sean Harris pour les nouvelles têtes, le casting est soigné et impeccablement dirigé. 
Ayant déjà fréquenté Tom Cruise sur Edge Of Tomorrow et Jack Reacher, Christopher McQuarrie assure avec ce nouvel opus un film d’action impeccable, alignant des scènes époustouflantes sans pour autant sacrifier la psychologie de ses personnages. Véritable moteur de la saga, la paranoïa, la traitrise et l’usurpation d’identité sont ici au cœur même de l’histoire. Témoin cette séquence spectaculaire à l’opéra de Vienne qui place un homme politique dans le viseur de tireurs, eux même surveillés par d’autres tueurs. La scène qui alterne plusieurs intrigues sur des niveaux différents (au propre comme au figuré) est brillamment construite et témoigne d’une véritable maitrise de la réalisation au service, non seulement de l’histoire, mais de l’essence même du film. 
Ne tombant pas dans le piège du trop politiquement correct (les morts pleuvent, Ethan Hunt et Ilsa Faust en s’embrassent jamais, même si ce n’est pas l’envie qui leur en manque,…), généreux sans avoir la grosse tête, spectaculaire et parfois ironique (la gaufre d’Ethan quand il tente de sauter par-dessus le capot de sa voiture), Mission Impossible - Rogue Nation est un vrai bon moment de cinéma. 
Alors oui, même si la barre est haute (mais ne l’était-elle pas après Protocole Fantôme ?), on redemande des épisodes d’une saga qui reste à la hauteur de sa réputation. Heureusement qu’il y a le prochain Bond pour patienter jusque-là...

vendredi 31 juillet 2015

La rage au ventre

Le film de boxe, genre à part entière répondant à un certain nombre de règles et de passages obligés (victoire, chute, entrainement, rédemption) n’est jamais mieux représenté que lorsqu’il arrive à s’extraire de ces dogmes, à les transcender pour mieux se les approprier. Ce n’est pas le cas de La rage au ventre qui déroule sans surprise un scénario balisé sur lequel le spectateur un tant soit peu averti aura systématiquement dix minutes d’avance. 
Plus à l’aise dans le film d’action que dans le drame familiale, Antoine Fuqua sort la grosse artillerie pour nous émouvoir et nous tirer quelques larmes entre deux combats de boxe pour le coup plutôt réussis. Tout y passe, de la disparition d’un être cher à la perte de tous ses biens matériels, des foyers sociaux à l’appartement crasseux, de la perte des amis à celle de sa fille, le pauvre Billy Hope se retrouve pris dans une tempête qui le dépasse et ne lui épargne rien. Il devra alors tout reconstruire pour prouver à la société (représentée par le juge) et à lui-même qu’il est capable de s’assumer en tant que père et adulte responsable. Le problème, c’est que l’on a le plus grand mal à y croire. 
Les personnages sont taillés à la serpe, Jake Gyllenhaal sombre dans la performance à tout prix et le pourtant formidable en toutes circonstances Forest Whitaker a le plus grand mal à se sortir d’un rôle qui frôle la caricature, sinon le déjà vu. Les évènements se succèdent à une vitesse inimaginable (il se passe quelques semaines entre le drame et le match final), ne nous laissant pas le temps de nous attacher à des personnages trop lisses et policés malgré les efforts du réalisateur pour filmer un Billy Hope le regard bas et le visage constamment tuméfié. Jusqu’au final que l’on voit arriver à des lieues et qui vient couronner une morale si typiquement américaine qu’elle en devient gênante. 
Antoine Fuqua a oublié en cours de route que, de Raging Bull à Rocky en passant par Million Dollars Baby, les plus beaux films de boxe mettaient en scène des perdants (sur ou en dehors du ring), plutôt que des champions que l’on ne sent jamais vraiment en danger. C’est d’autant plus dommage que le film décolle légèrement dans sa seconde partie, on en vient à s’intéresser à des personnages secondaires (l’assistante sociale Angela Rivera) qui ne seront malheureusement pas développés. Les matchs sont bien filmés mais le réalisateur passe à côté de son vrai sujet. 
Comme l’annonce l’affiche du film, « son plus grand combat se joue hors du ring ». C’est loin d’être le plus intéressant pour le spectateur.

lundi 20 juillet 2015

La Isla mínima

Une petite ville d’Andalousie dans l’Espagne post franquiste des années 80. Deux policiers antinomiques débarquent pour enquêter sur la disparition de deux jeunes adolescentes. Dès les premières images du film durant lesquelles une vue aérienne préfigure les circonvolutions d’un cerveau humain, on se laisse emmener dans un voyage au cœur des ténèbres, dans une société en pleine mutation qui cache les plus noirs dessins de pervers en tous genres. 
Juan, flic coriace et malade, en fin de carrière dissimule un lourd secret. Pedro lui est un jeune policier idéaliste, plein de doutes et bientôt père de famille. A eux deux, ils symbolisent les deux facettes de cette société espagnole en train de tourner le dos à un passé fasciste pour se tourner vers une démocratie encore incertaine. Car les rancœurs ont la vie dure et le passé est parfois lourd à porter. Mais comment construire son avenir, bâtir pour ses enfants sans regarder en face l’histoire récente de son pays ? 
Bien plus qu’un thriller, par ailleurs parfaitement maitrisé, La Isla mínima se paye aussi le luxe d’être un film social, l’étude anthropologique d’un microcosme qui vit replié sur lui-même, les deux pieds dans le passé alors que la modernité (les revendications salariales des ouvriers, le désir des jeunes filles de quitter le village, le travail des femmes) frappe à sa porte. Certes, le réalisateur Alberto Rodriguez n’hésite pas à puiser aux sources des plus grands classiques pour nourrir son film. On pense à David Fincher (Zodiac), David Lynch (Twin Peaks) et bien évidemment à la saison 1 de True Detective. Mais cela n’empêche pas La Isla mínima d’avoir son identité propre grâce à une interprétation au cordeau de l’ensemble du casting, dominé par le duo Raúl Arévalo et Javier Gutiérrez, au soin tout particulier apporté à la photographie qui sert une atmosphère poisseuse et envoutante. 
Le film n’est pas exempt de quelques défaut, comme ce sentiment que tout est trop millimétré, chaque indice étant distillé au bon moment, chaque rencontre, même fortuite, arrivant à point nommé. Il manque surement un brin de folie pour transformer ce film excellent en chef d’œuvre, mais comment ne pas rester scotché par le simple fait qu’une course poursuite nocturne en Dyane Citroën et en pleine campagne procure dix fois plus de frissons que tout ce que l’on a pu avoir ces dernières années avec des dizaines de voitures de luxe s’encastrant les unes dans les autres ? 
Comme souvent, c’est une fois encore le voyage qui importe plus que la destination. L’intérêt du film ne résulte pas tant dans la révélation finale que dans le parcours intérieur des différents protagonistes et dans le processus narratif, maitrisé de bout en bout par un réalisateur qu’il sera urgent de suivre. 
On se surprend alors à rêver d’un film français mettant en scène un policier ou un militaire, ancien tortionnaire de la guerre d’Algérie, non pas parce que c’est fun ou branché, mais parce qu’un réalisateur et un producteur auront eu le courage de regarder la passé de notre pays dans le blanc des yeux.

samedi 18 juillet 2015

Love

Love aurait pu être un bon film, un très bon film même. Car la note d’intention du réalisateur trublion, réaliser un film d’amour à forte connotation sexuelle, est fort louable. 
Prenant le contre-pied de la plupart des histoires d’amour qui jettent un voile pudique sur les relations sexuelles des protagonistes, qui sont tout de même une composante essentielle d’une relation de couple, ou bien les films ouvertement explicites sur le sexe, dont le porno traditionnel est le représentant le plus répandu, et qui évacuent quasi systématiquement tout sentiment, Gaspar Noé proclamait haut et fort depuis plusieurs années qu’il allait mettre un bon coup de pied dans la fourmilière et nous proposer enfin un vrai film d’amour ET de sexe. 
Alors oui, du sexe il y en a dans Love. Simulé ou non, cadré serré ou en plan large, à deux, trois ou beaucoup plus, il y en a même tellement dans la seconde partie du film que l’on ne sait plus où donner de la tête. Les scènes de coït se succèdent les unes aux autres, gagnant en fébrilité ce qu’elles perdent en tendresse. Car c’est bien là que réside le handicap de Love : l’absence de tendresse, d’amour, d’empathie avec des personnages que l’on aimerait aimer. 
Laissons de côté la vision pessimiste du couple que nous propose Gaspard Noé, là n’est pas le problème. Ce qui plombe le film, c’est en premier des personnages pour le moins antipathiques interprétés par des acteurs auxquels on ne parvient jamais à s’identifier. La palme revient certainement à Murphy, un américain de 25 ans apathique, gonflant, pour ne pas dire complètement abruti. Passant d’une amante sur laquelle il greffe tous ses fantasmes à une concubine à qui il fait un enfant par accident (thème qui revient d’ailleurs à plusieurs reprise au cours de l’histoire), Murphy passe son temps à pleurnicher sur son sort, se droguer, regretter le temps passé, se droguer, baiser pour oublier, se droguer, s’engueuler avec Electra et/ou Omi, se droguer. Bref, un jeune homme plein d’énergie à qui on a envie de mettre deux claques, voire plus si affinité. 
Autre souci, et non des moindres, la propension du réalisateur à se citer lui-même (les personnages filmés de dos, la maquette de l’immeuble sur la table de nuit renvoient directement à Enter the Void, le club échangiste qui n’aurait pas dépareillé dans irréversible), se répéter (la bite filmée depuis l’intérieur d’un vagin, c’est sympa une fois dans Enter the Void, ensuite ça devient lassant) et s’auto référencer (le fils de Murphy s’appelle Gaspar, l’ancien amant d’Electra se nomme Noé…). Bref, on frôle l’auto fellation à tel point que cela en devient gênant. 
Enlevons les scènes de sexe (qui soit dit en passant non rien de bien méchantes pour effaroucher autant de monde) et que reste-t-il ? Rien, ou pas grand-chose. Car d’amour, pas la moindre trace dans Love. Les personnages se croisent en se regardant le nombril, cherchant dans l’autre la matérialisation de ses propres fantasmes et la possibilité de flatter son égo. Ne parlons pas de la 3D que rien, si ce n’est un argument publicitaire de plus, ne justifie (sauf si vous appréciez une éjaculation faciale en relief). 
C’est d’autant plus dommage que Gaspar Noé a du talent, il le montre au détour de quelques plans (la scène d’amour à trois entre Murphy, Electra et Omi par exemple), suffisamment de culot pour oser s’aventurer là où les autres ne vont pas. Mais il ne faudrait pas oublier en route qu’un film, c’est avant tout une histoire, des personnages et la volonté profonde de toucher son public avant de satisfaire son propre égo. Ce que le réalisateur semble avoir oublié en route.

dimanche 21 juin 2015

Vice Versa

Riley est une petite fille de 11 ans, heureuse entre ses parents et ses amis. Jusqu’à ce qu’elle déménage à plusieurs milliers de kilomètres de chez elle. En perdant ses repères, la petite sombre dans la déprime. C’est le branle-bas de combat au Quartier Général où Joie, Colère, Tristesse, Peur et Dégoût gèrent comme ils le peuvent les émotions de l’adolescente.
Après un Rebelle bien en dessous de la moyenne, Pete Docter revient avec un long métrage qui se place d’emblée aux cotés de Monstres et Compagnie, Wall-e et Les Indestructibles, c’est-à-dire les meilleurs crus d’un studio qui fait office de mètre étalon dans le domaine de l’animation. 
Passons sur la qualité technique du film qui, une fois encore tutoie la perfection. Cela devient presque un poncif de louer la fluidité des productions Pixar qui repoussent d’année en année les frontières de l’animation. Une fois encore, c’est également du côté du scénario que les équipes de Pete Docter font mouche. 
Abordant le film d’animation avec un profond respect pour le public, jeune et moins jeune, auquel il s’adresse, Pixar réussit à combiner intelligemment un film d’aventure palpitant avec une modélisation des sentiments et une approche simple (mais jamais simpliste) de mécanismes aussi complexes que les souvenirs, les rêves ou la dépression. Quand Joie et Tristesse explorent la Mémoire à long terme, le Pays de l’Imagination, ou la Pensée Abstraite, c’est à une véritable révision de cours de psychologie que nous invitent les scénaristes. 
En une heure trente, Pete Docter parvient à livrer un condensé d’humour, de trouvailles visuelles et un aperçu pédagogique des modes d’interaction d’un bébé ou d’un adolescent avec le monde qui l’entoure. Il devient même difficile de ne pas penser à son propre centre de contrôle en sortant de la salle, et à tous ces petits personnages qui s’agitent dans notre tête. Vice Versa devrait être projeté à tous les étudiants en psychologie, les professeurs des écoles, les enfants. A tout le monde en fait.

mardi 26 mai 2015

La loi du marché

Dès les premières images, le réalisateur Stéphane Brizé annonce clairement la couleur. Un long plan séquence sur le visage fermé de Vincent Lindon, un dialogue quasi improvisé sans aucun artifice pour nous détourner de l’objectif du film : dresser le portrait d’un père de famille à la recherche d’un emploi, et par là même de l’ensemble d’une classe sociale. 
Le constat est sans appel, à l’image du traitement de l’action. Plans séquences, quasi absence de musique, interprètes amateurs dirigés avec talent, refus de toute mise en scène, tout est mis en œuvre pour que le film soit aussi fidèle que possible au quotidien de ses protagonistes. Et c’est là qu’il atteint ses limites. 
Entre le documentaire qui témoigne d’une certaine réalité, et la fiction qui la met en scène, le film de Stéphane Brizé se retrouve assis entre deux chaises. Car on peut parler du monde ouvrier par le biais de la fiction, comme en témoigne le magnifique Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine. Allant même jusqu’à reprendre l’une de ses scènes mythiques, le départ en retraite, La loi du marché témoigne d’un certain ridicule de situation alors que Mammuth le transcendait avec poésie. Le plus cruel n’est pas forcément celui que l’on croit. 
En refusant toute dramatisation de son histoire, si l’on peut parler d’histoire, le film tient plus de l’instantané, certes réussi, que de la fiction. Genre auquel il s’apparente pourtant par la présence de Vincent Lindon et une trame scénaristique. Il n’y a guère que dans le dernier plan, selon la manière dont on l’interprète, que l’on entre vraiment dans une prise de position. 
Et vient alors la question qui fâche, à qui s’adresse le film ? Surement pas aux ouvriers, aux chômeurs, caissières de supermarché et autres vigiles qui trouveront peut-être amer de payer dix euros pour un miroir surement très fidèle de leur quotidien illustré sans aucun recul. Il reste alors le public cannois, que l’on peut imaginer ravi de s’immiscer avec délice dans le quotidien d’un smicard et d’assister avec délectation à un entretien d’embauche humiliant ou au debrief d’un stage avec un conseiller de Pôle Emploi. 
On ne peut enlever à Stéphane Brizé et Vincent Lindon leur sincérité ni leur talent qui font du film une vraie réussite dans son genre. Mais on peut s’interroger sur la pertinence du point de vue, l’intention du projet en fonction du public auquel il s’adresse. Peut-être les politiques trop éloignés des réalités du terrain pour en appréhender toutes les souffrances ? Alors oui, dans ce sens La loi du marché est un film politique. Et utile.

jeudi 21 mai 2015

Mad Max : Fury Road

Disons le tout de suite, Mad Max : Fury Road est une tuerie. Sans abuser de CGI par ailleurs pour une fois parfaitement intégrés à l’image, George Miller repousse (loin) les limites du film d’action en livrant une œuvre presque parfaite.
Cascades toutes plus impressionnantes les unes que les autres, plans minutieusement composés et image travaillée à l’extrême, ce quatrième opus du guerrier de la route est un spectacle total, une débauche de feu et de tôle déchirée dans un paysage désertique hanté par des personnages hauts en couleur. Car une fois encore le réalisateur assume totalement l’univers post- apocalyptique qu’il a tant contribué à populariser. 
Que ce soit au niveau des véhicules, de la caractérisation visuelle des personnages ou des lieux, tout contribue à porter aux nues un genre que l’on pensait depuis longtemps délaissé. Donc oui, Fury Road est un festival visuel absolument jouissif, une réussite formelle incontestable et une vraie déclaration d’amour au film de genre qui s’assume. Mais en réfléchissant deux secondes, ce n’est rien d’autre que le remake sur vitaminé de Mad Max 2. 
Poussant à l’extrême le concept qui l’a fait connaitre (nombre de spectateurs pensent immédiatement à la fameuse poursuite final de Mad Max 2 quand on évoque la saga), George Miller en réalise la version longue et boostée sans y apporter beaucoup de matière supplémentaire. Certes les idées nouvelles sont légions (les lanciers, les trois seigneurs se partageant l’eau, le pétrole et les balles, le personnage de Furiosa, la tempête de sable, les War Boys,…) mais le fond reste le même. On assiste à une gigantesque couse poursuite entre un Max plutôt effacé et une bande de punks dégénérés au service d’un gourou para militaire. Car l’une des grosses différences entre Fury Road et Mad Max 2 réside justement dans le personnage de Max. 
Attendu au tournant, Tom Hardy ne démérite jamais mais il est loin de l’anti héros égoïste du deuxième épisode de la saga incarné par un Mel Gibson autrement plus habité par son rôle. Le Max original n’aidait son prochain que si cela lui rapportait quelque chose (je suis là pour l’essence). Il n’était pas nécessaire d’avoir recours à des flashes back récurrents, et au final un peu lourds, pour montrer un homme brisé, vide et hanté par un passé qui ne le quittera jamais. Le Max de Fury Road se rallie (trop) vite à la cause de Furiosa et de ses protégées. On est loin du guerrier solitaire qui devient une légende à la fin de Mad Max 2. 
Souffrant de quelques baisses de rythme, notamment lors des retrouvailles de Furiosa et de ce qu’il reste de sa tribu, Fury Road se concentre donc sur la force de ses images sans prendre la peine de renouveler le mythe du guerrier de la route. Le résultat n’en est pas moins jouissif, mais on peut se demander si la grande majorité de tous ceux qui crient au chef d’œuvre ultime ont vu Mad Max 2 sur grand écran. Copiant son modèle parfois plan par plan (l’accident de Max au départ, l’attaque du camion-citerne, les amazones), Fury Road est surement ce qui se fait de mieux depuis longtemps en construction d’action. 
On pourrait passer des heures à décortiquer des plans travaillés au millimètre et à disséquer des cascades parmi les plus impressionnantes jamais vues sur un écran. Dommage qu’il lui manque la présence qui faisait des deux premiers films des classiques instantanés. Il n’y a plus qu’à espérer que George Miller ne tombe pas dans le piège de la surenchère pour les suites qu’il annonce déjà.

mardi 12 mai 2015

Hyena

Dès les premières minutes du film, Gerard Johnson impose son style, violent et agressif, comme les protagonistes de l’histoire qu’il déroule devant nos yeux. Bande son envahissante ou carrément absente, lumières crues et fumigènes, le réalisateur nous plonge dans un Londres fantasmé, ville cosmopolite et tentaculaire qui ne semble vivre que de nuit et où toutes les exactions sont possibles.
 Trafic de drogue, proxénétisme et trafic de femmes, meurtres sauvages et trahisons, c’est à un véritable catalogue des toutes les perversions humaines que nous convie le cinéaste. C’est au milieu de cette fange qu’évolue Michael Logan, officier de police corrompu, drogué et alcoolique qui se débat comme il le peut avec les fantômes de son passé, et pour qui l’équipe de flics avec laquelle il partage son quotidien semble être la seule véritable famille. 
Il y a du Vic Mackey chez ce flic dont la bande de policiers ripoux n’est pas sans évoquer The Shield. Et ce n’est pas la seule image qui nous vient à l’esprit au fur et à mesure que se déroule les évènements qui vont précipiter le destin de cet homme aux tendances autodestructrices. A mi-chemin entre Pusher et Bad Lieutenant, Hyena convoque le cinéma mean stream avec une caméra embarquée qui colle au plus près de ses personnages. 
S’il ne recule devant aucun tabou (le calvaire subi par la comptable des frères Karachi est d’une violence physique et psychologique marquante), Gerard Johnson ne tombe pas pour autant dans le piège de la surenchère, la plupart des scènes de meurtres se déroulant hors champs. C’est donc une excellente surprise que ce Hyena, du moins jusqu’au dernier plan qui laisse le spectateur un peu décontenancé. 
Partant du principe que le plus difficile dans une histoire est la fin, le réalisateur choisit purement et simplement de ne pas en mettre. Autant une fin ouverte peut être délicieuse (et à mon avis souvent souhaitable), autant un plan cut aussi abrupt a toutes les chances de frustrer le spectateur. Ce qui fonctionnait admirablement pour le final des Soprano ne colle pas pour ce film qui aurait mérité un peu plus d’accompagnement vers un final que l’on devine tout de même apocalyptique.

dimanche 10 mai 2015

Pyramide

Depuis le temps qu’il fréquente, et sert le genre dans l’ombre de son complice de toujours Alexandre Aja, on était en droit d’attendre de la première réalisation de Grégory Levasseur un film d’horreur, sinon d’épouvante, tendu et efficace. Le résultat n’en est que plus décevant. 
Non pas que Pyramide soit un ratage total, loin de là, mais le film n’arrive jamais à trouver son rythme pour au final se tirer une balle dans le pied au cours de ses quinze dernière minutes. Convoquant un genre assez peu exploité récemment sur les écrans, celui des malédictions pharaoniques avec un axe résolument horrifique, Pyramide pose ses jalons dès le début avec une utilisation ponctuelle et plutôt réussie du found footage. 
Le casting, au demeurant hétérogène, est porté par une Ashley Hinshaw qui assure à elle seule un capital de sympathie et de charme suffisant pour que le spectateur accroche à son personnage dès le commencement de l’histoire. Il s’en suit quelques scènes savoureuses (celle du personnage interprété par Christa Nicola qui se retrouve empalée et dévorée vivante par des rats géants est particulièrement féroce), une montée en tension qui joue sur des apparitions furtives d’une menace qui ne cesse de se rapprocher. C’est ensuite que les choses se corsent. 
Passe encore le personnage récurrent du caméraman qui aligne les blagues les plus creuses en toutes circonstances, l’apothéose est atteinte lors d’un final qui non seulement aligne les apparitions surprises du monstre les unes après les autres, mais dévoile également celui-ci alors que l’effet le plus efficace repose justement sur ce qui n’est pas montré. Le réalisateur tombe dans le piège du Pacte des loups qui voyaient deux heures de film réussi gâché par une bête dévoilée au grand jour et dépourvu de ce fait de toute son aura de danger. 
Qu’un scénariste et producteur aussi aguerri que Grégory Levasseur tombe dans un piège aussi grossier est pour le moins étrange, et on s’attendrait même à apprendre que cette fin explicite lui a été imposée par son producteur, si le producteur principal n’était pas Alexandre Aja lui-même. Voici donc une autre incursion dans le genre qui se solde par un amer constat d’échec. C’est dommage car elles ne sont pas si nombreuses. Mieux vaut donc visionner une nouvelle fois l’excellent Les ruines qui illustrait un thème assez similaire avec beaucoup plus d’intelligence.

samedi 2 mai 2015

Avengers : L’ère d’Ultron

La réussite du premier Avengers en 2012 tenait presque du petit miracle. Réussir la synthèse d’un groupe de super héros ayant chacun un développement individuel en parallèle était loin d’être gagné. Le pari a pourtant été relevé haut la main par un Joss Whedon inspiré qui nous livrait un film chorale aussi fun que maitrisé. C’était donc peu dire que l’on attendait la suite des héros masqués avec impatience. Hélas, la déception n’en est que plus grande. Car là où le premier Avengers était généreux, L’ère d’Ultron se montre bouffi et, il faut bien le dire, bordélique. 
A la manière des Fast and Furious, et à la différence de James Bond qui a su intelligemment se renouveler, le réalisateur tombe dans le piège de la surenchère et se prend les pieds dans le tapis. Difficile en effet de ne pas voir dans ce deuxième opus un remake à peine déguisé du premier avec davantage d’explosions et de combats, la clarté et la fraîcheur en moins. Car là où Avengers ou Captain America : le soldat de l’hiver déroulaient des combats d’une lisibilité exemplaire, L’ère d’Ultron multiplie les empoignades dantesques avec des dizaines de personnages, renvoyant à une gigantesque partouze où on ne sait plus à qui appartient ce bras ou cette jambe. La 3D, encore une fois totalement hors de propos, n’aide pas à rendre lisible une avalanche d’action qui oublie tout enjeu dramatique et le moindre fil narratif cohérent en chemin. 
Entre les explications pseudo scientifiques complètement incompréhensibles, les raccourcis et les poncifs (Hulk et Black Widow version King Kong ou la Belle et la Bête, au choix), on a du mal à se raccrocher à une histoire qui n’est là que pour aligner les moments de bravoures. Joss Whedon semble oublier qu’un combat n’a de sens que par son enjeu et non par le nombre d’immeubles réduits en miette. Ne jetons toutefois pas le bébé avec l’eau du bain, Avengers : L’ère d’Ultron reste malgré tout un spectacle haut de gamme, certes un peu écœurant mais réservant tout de même quelques bonnes surprises. Le combat entre Hulk et Iron Man (faisant écho à celui opposant Thor et le même Iron Man dans le premier épisode) est dantesque et l’introduction de nouveaux personnages, particulièrement les jumeaux Maximoff, est particulièrement intéressante. Notons que Black Widow trouve une adversaire de taille coté glamour en la personne de la très charmante Scarlet Witch. 
Le film s’achève sur une séance post générique moins généreuse que d’habitude qui annonce le prochain adversaire d’une équipe qui devra trouver le moyen de se ressouder. Joss Whedon annonce avoir quitté la réalisation de ce deuxième Avengers complètement lessivé, qu’il se rassure, nous aussi. Espérons que le dyptique à venir retrouve la voie de la sincérité qui a fait le succès du premier film, sinon c’est l’indigestion assurée.

vendredi 27 mars 2015

Hacker

Michael Mann fait partie de ces cinéastes, avec Ridley Scott et quelques autres, pour lequel l’esthétique du film prend parfois le pas sur le fond, sans pour autant dénaturer le propos du réalisateur. Quelque fois cela fonctionne, d’autres fois c’est plus hasardeux. Hacker ne fait clairement pas partie des réussites majeures d’un réalisateur qui aligne pourtant d’impressionnants faits d’arme tout au long de sa filmographie. 
La faute en incombe principalement à un scénario qui frôle souvent l’indigence, que ce soit dans la succession de rebondissements censés faire avancer l’histoire ou dans des dialogues parfois proches de la caricature. C’est dommage car le sujet, celui de cette nouvelle forme de terrorisme qu’est le piratage informatique, est passionnant et aurait pu donner lieu à un film tendu comme Michael Mann sait si bien le faire. Mais le réalisateur semble effrayé par son sujet qu’il se contente d’illustrer par quelques séquences de propagation du virus informatique, pour ensuite tomber dans le pur film d’action avec filatures et fusillades. 
Contrairement à ce qu’il avait réalisé avec Révélations en 1999, à savoir un film tendu et captivant de bout en bout sans pour autant se cacher derrière de grosses séquences d’action, il recule ici devant son sujet qui traite d’une menace par essence invisible, même si les conséquences sont, elles spectaculaires. Il s’en suit donc un thriller assez classique centré sur le personnage de Chris Hemsworth qui, non content d’être un hacker hors pair, se trouve aussi maitriser le tir et le combat à main nu comme un vrai pro. Un héros monolithique aux failles cousues de fil blanc auquel on a bien du mal à s’attacher, contrairement à la belle de service qui tombe dans ses bras musclés au bout de quelques minutes de film. 
Alors oui, Michael Mann maitrise à la perfection les scènes de fusillades urbaines qui sont toujours aussi impressionnantes, il filme comme personne les villes de nuit et garde un sens aigu de l’action. Mais ce formalisme ne suffit pas à faire un bon film, loin de là. Il a oublié son scénario et la caractérisation de ses personnages principaux en route (les personnages secondaires sont beaucoup plus attachants que les héros). C’est dommage de la part de l’un des plus importants réalisateurs américains de son époque.

mercredi 4 mars 2015

Birdman

La première sensation que l’on éprouve à la vision de Birdman est physique. Le vrai faux plan séquence qui constitue le film et qui nous oblige à suivre sans une minute de répit des personnages plongés dans des états d’âme que leur envierait Woody Allen nous laisse d’abord surpris, puis admiratifs et enfin éreintés. Ereintés et dubitatifs, pour ne pas dire agacés. 
Car oui, Alejandro González Iñárritu est un cinéaste brillant. Il le prouve ici avec un choix d’interprètes qui sont tous à leurs places et meilleurs que jamais, et qui sont dirigés à la perfection. Il nous montre que techniquement il arrive à nous capter pour ne plus nous lâcher pendant deux heures, alternant des mouvements de caméra virtuoses et des dialogues souvent franchement comiques. Iñárritu est brillant et cinéphile, multipliant les clins d’œil et les références à travers son film (coucou Mulholland Drive) comme on sème des petits cailloux pour ne pas se perdre en route. Mais tout cela pour nous dire quoi ? On fait souvent le parallèle entre le personnage de Riggan Thomson et la carrière de son interprète Michael Keaton, qui lui aussi a interprété un rôle de super héros (Batman / Birdman) qui a fait sa gloire avant une longue traversée du désert durant laquelle plus personne, réalisateurs, critiques ou public, ne s’intéressait à lui. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Birdman nous parle bien davantage de son réalisateur que de son acteur principal. 
Car au-delà des propos souvent convenus sur la critique assassine qui tue les pièces de théâtre avant de les avoir vues et pour qui la réhabilitation ne peut se faire que par le sang versé, l’acteur brillant mais égocentrique, invivable et incontrôlable, l’actrice fragile en quête de reconnaissance (un père absent ?), le manager au bord de l’ulcère, le réalisateur laisse surtout poindre une amertume envers le système qui laisse songeur. Lui aussi se retrouve en Riggan Thomson, cet acteur qui sue sang et eau pour enfin faire de l’art et tourner la page de ce qui a fait son succès et qui ne lui inspire plus que du mépris. Et c’est bien là que réside le vrai problème du film. 
Car oui, Iñárritu pourrait lui aussi faire des blockbusters remplis d’explosions dans tous les sens, il nous en donne d’ailleurs un petit aperçu (coucou Transformers), mais ce n’est pas Broadway, ce n’est pas de l’art, ce n’est même pas digne d’une critique. Les allusions aux acteurs bankables est d’ailleurs lourde de sens. « Ils font tous des films en collant ? » Bah oui, ils font tous des films en collant et gagnent des millions de dollars. Et alors, est ce à ce point incompatible ? Ne peut-on concilier film de genre, réussite commerciale et intelligence ? Doit-on à tout prix opposer l’argent, la célébrité et la culture de masse d’un côté, contre une certaine intelligencia qui dicterait ce qui est de bon goût ou pas, ce qui est de la culture et ce qui ne l’est pas ? Car n’en déplaise à Alejandro Iñárritu, les comics et leurs corollaires, les « acteurs en collant » sont aussi de la culture. Une culture main street, une culture populaire surement bien éloignée des standards de Broadway, mais une culture qui a (enfin) gagné sa reconnaissance après des années de mise à l’écart. 
Prenons un exemple parmi tant d’autres qui est la franchise X-Men. Les adaptations récentes nous ont prouvé, si besoin était, que l’on peut allier réussite commerciale, spectacle total et réflexion. Et la question du droit à la différence ou des responsabilités qu’impliquent un super pouvoir est surement aussi intéressante que les états d’âme d’acteurs hystériques sur le retour. Alors non, on n’est pas obligé de mépriser les films de pur divertissement dont la trilogie Birdman (le film dans le film donc) est le fer de lance pour parler de la vieillesse, du succès ou de la difficulté d’être un père ou un créateur. 
La dernière pierre à l’édifice d’une entreprise de plus en plus étrange est la vision qu’a Alejandro Iñárritu de la culture selon les générations. Lorsque la salle de théâtre s’éclaire après l’ultime coup d’éclat de Riggan Thomson sur scène, c’est pour nous révéler une salle bondée par des personnes âgées en costumes et robes de soirées. Les jeunes eux sont sur les réseaux sociaux, à s’enthousiasmer devant des vidéos pourries qui récoltent des millions de vues. Drôle de parti pris que l’on pourrait taxer, en d’autres circonstances, de réactionnaire. Alors je pose la question Monsieur Iñárritu, vaut-il mieux jouer une pièce de théâtre devant une salle plus préoccupée par l’endroit où elle ira boire un café en sortant que par ce qui se passe sur scène (c’est dit dans le film, je ne fais que répéter), une pièce qui sera descendue par des critiques ne prenant même pas la peine de la voir, ou réaliser un film qui sera attendu, vu et revu par des millions de fans qui le disséquerons ensuite sur les réseaux sociaux pour en extraire la substantifique moëlle ? 
Le personnage de Birdman, et les milliers de fans qu’il représente, sont-ils à ce point honteux qu’on le réduise à la mauvaise conscience du héros ? Tout cela est d’autant plus dommage que Birdman est traversé de vrais moments de magie, il reste juste à mettre cette magie au service d’un vrai amour du cinéma, de tous les cinémas.

American Sniper

Passons tout de suite sur la polémique suscitée par le film (ce qui est finalement plutôt bon signe, il vaut mieux susciter une polémique que l’apathie). De deux choses l’une, soit Clint est un vieux réactionnaire (étiquette qui le poursuit depuis le début de sa carrière soi dit en passant) et American Sniper est le portrait au premier degré d’un tueur patenté au service de l’Etat, soit Clint est un sacré malin et son dernier film est un portrait particulièrement lucide d’une société américaine qui se laisse parfois aveugler par ses idéologies bellicistes. 
On croyait l’affaire classée depuis Gran Torino, démonstration éclatante que non, Clint n’est pas aussi con et buté que bon nombre de ses détracteurs voudraient le faire penser, il faut croire que les préjugés ont la vie dure. Pourtant, force est de constater que ce grand monsieur ne fait rien pour éclaircir les lanternes des sceptiques. Convenons déjà d’une chose, personne d’autre que le dernier cowboy Hollywood n’était mieux placé pour dresser le portrait de celui qui justement se rêvait cowboy. 
La première partie du film ressemble presque à une publicité pour les valeurs immuables de l’Amérique tant elle frôle à tout moment la caricature. On y parle religion et chasse, armes à feu et rodéo, patriotisme et famille, bref, tout ce qui fait les fondements d’une société américaine qui heureusement ne se résume pas à cela. Il est apparait alors, pas forcément clairement je le concède, que le film ne sera pas à prendre au premier degré. Et cela est confirmé dès le premier tir meurtrier de Chris Kyle en Irak. Il abat froidement un enfant et sa mère, ceux-ci étant sur le point d’attaquer un convoi de militaire. Le réalisateur se met alors dans une position intenable s’il entend dresser un portrait aussi fidèle que possible d’un soldat patriote, celui de cautionner le meurtre d’un enfant et le fait que, à partir du moment où il tient une arme entre ses mains, il perd le statu d’enfant pour celui de combattant. 
En ayant le courage de nous imposer ce dont est capable cet homme, Clint prend d’emblée ses distances avec celui qui ne sera tout au long du film que le prisme déformant d’une certaine morale américaine. Le fait que Kyle soit un tireur d’élite n’est pas innocent car ce qu’il voit à travers sa lunette de visée n’est qu’une partie de la réalité, un fragment de vérité aperçue à plusieurs centaines de mètres de distance. Et c’est cette vision pour le moins partielle qui va peu à peu lui permettre de déshumaniser des hommes, des femmes et des enfants qui ne deviennent pour lui que des cibles car un danger potentiel pour ses compatriotes, et par extension pour son pays. 
Chris Kyle n’est pas un psychopathe assoiffé de sang, un mercenaire qui tue par plaisir. C’est le produit d’une société qui prône des valeurs patriotiques, qui perpétue de père en fils un droit à l’autodéfense et une foi parfois aveugle en la religion, qui défend une politique étrangère parfois irresponsable qui frôle souvent l’ingérence. Chris Kyle n’est jamais si bon que quand il est sur le terrain, et le film a aussi le mérite de poser la question de ce qu’il advient de ces hommes formatés pour tuer, confrontés à la pire des violences et ensuite recrachés dans une société qui ne veut pas forcement voir en face ce qu’elle a produit. La scène où il est assis dans son fauteuil face à sa télévision éteinte qui lui renvoie sa propre image résume à elle seule une bonne partie du film. Ces soldats ne quittent jamais vraiment le champ de bataille dont le vacarme les hantera jusqu’à leur mort. C’est d’ailleurs ce qui provoquera, de manière aussi tragique qu’ironique, la mort de ce soldat hors du commun. 
Porté par un Bradley Cooper aussi physiquement que psychologiquement monolithique, cet homme qui se cherche comme père autant que comme mari résume à lui seul des années de discours politiques simplistes servies par des politiciens sans scrupules pour arriver à leur fin. Il y a le bien et le mal, les moutons, les loups et les chiens de berger, point. C’est simple et rassurant, aussi séduisant que faux bien entendu. 
Les dernières images d’archives montrant l’engouement populaire au moment de ses obsèques, ainsi que le formidable succès du film aux Etats Unis viennent enfoncer un clou planté déjà bien profondément dans notre conscience. Ce que nous venons de voir n’est pas une apologie gratuite d’un quelconque engagement militaire mais la réalité glaçante de ce que l’homme peut produire en temps de guerre, et le reflet pas toujours agréable de l’une des plus grandes démocraties du monde. Alors oui, Clint est bien le dernier des géants et quelque chose me dit qu’il n’est pas prêt d’étouffer la polémique qui l’entoure.

samedi 7 février 2015

It Follows

 Nb : il vaut mieux avoir vu le film avant d'en démonter tous les mécanismes.

Une affiche multipliant les qualificatifs élogieux, un bouche à oreille dithyrambique, une tournée des festivals triomphante, un grand prix à Gérardmer, et puis quoi encore ? Et puis rien, pour une fois tout cela est amplement justifié, et puis c’est tout. 
Non pas que It Follows révolutionne le genre, loin de là. Payant un large tribu à l’imagerie de Hideo Nakata (Dark Water, Ring) avec ses apparitions fantomatiques (qu’est-ce que c’est que ces critiques qui parlent de morts vivants ???) et mettant au centre du film une sexualité utilisée aussi bien comme vecteur du mal que comme seule issue possible, le film se retrouve à la croisée de chemins maints fois fréquentés. On aborde en vrac le passage à l’âge adulte, les banlieues pavillonnaires cachant un mal être derrière une façade trop parfaite pour être honnête, l’acte sexuel vécu par les jeunes protagonistes comme une malédiction (sexe -> enfant -> famille -> responsabilités -> carcan). 
Réalisé et photographié avec un soin tout particulier, It Follows se démarque de la multitude des films d’horreur mettant en scène des adolescents autant par sa forme que par les thèmes qu’il aborde, et surtout la façon dont il les aborde. David Robert Mitchell soigne chacun de ses plans et oblige surtout le spectateur à une attention constante par la menace même qu’il met en scène. Que ce soit au cours de deux longs plans circulaires ou pendant d’interminables travelling, le réalisateur nous immerge dans une banlieue / une nature d’où va surgir la menace se dirigeant inexorablement vers nous. Où et quand ? Il fait à chaque fois durer le plaisir, nous mettant dans une position d’attente et de constante attention qui nous laisse sur les nerfs, épuisé à la fin du film. Et c’est bien cette empathie dont il use et abuse, ainsi qu’un vrai sens de la mise en scène de purs moment de frayeurs qui font de It Follows une vraie bonne surprise. 
Porté par des interprètes qui incarnent totalement leurs personnages et les rendent immédiatement attachants, le film n’en est pas pour autant facile d’approche. Encore une fois, le réalisateur pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, oscillant sans jamais choisir son camp entre une morale judéo chrétienne (le sexe c’est mal) et son exact opposé (il faut coucher pour s’en sortir). Quasiment déserté par les adultes, It Follows traite donc principalement de ce douloureux passage de l’enfance à la maturité et du lot de terreurs que l’avenir peut réserver à ces adolescents. C’est d’ailleurs ce que représente la première apparition de la chose qui va traquer Jay. Celle-ci, attachée à son fauteuil, assiste impuissante à cette menace diffuse qui avance vers elle sans jamais pouvoir lui échapper. Qu’est-ce c’est sinon sa vie d’adulte dont le passage est symbolisé par l’acte sexuel qu’elle vient de consommer ? Et ce n’est pas sa piscine à la forme tellement ronde qu’elle renvoie directement au ventre maternel, piscine qui finira d’ailleurs éventrée, qui parviendra à la protéger de ce qui l’attend.
Multipliant les métaphores (l’eau, symbole de purification mais aussi de naissance est omniprésente, de la pluie à la mer en passant par la piscine ou l’urine qui dégouline le long des jambes de l’une des apparitions) et jouant avec les codes (le personnage qui lit Dostoïevski est aussi celui qui pète et qui mange bruyamment, l’esprit n’ayant de légitimité qu’à travers un corps), David Robert Mitchell nous prouve si besoin était que l’on peut réaliser l’un des films les plus effrayants de ces dix dernières années sans sacrifier pour autant la forme et la teneur de son propos. Alors oui, It Follows mérite toutes ces louanges, et même davantage.

jeudi 29 janvier 2015

Les nouveaux sauvages

Produit sous l’aile protectrice des frères Almodovar, ce film à sketch venu d’Argentine a le mérite de ne pas s’embarrasser de considérations morales, bien au contraire. C’est d’ailleurs ce qui en fait son moteur autant que son intérêt et peut être sa limite. 
Le ton est donné dès le premier segment (Pasternak), une histoire courte en lieu clos qui vaut plus par son écriture que par une réalisation sans grand relief, heureusement sauvée par un dernier plan incroyable qui annonce à lui seul le ton du film. Et ce sera à chaque fois le même schéma qui se reproduira : une accumulation de brimades à priori anodines qui, mises bout à bout vont prendre des proportions cataclysmiques et donner lieu à de véritables déchainements de violence. 
Si le sketch Las ratas porté par deux excellentes comédiennes déçoit un peu par sa chute, El mas fuerte explore la sauvagerie tapie en nous, tandis que Bombita adopte un ton résolument anarchique. La proposicion est peut-être le segment le plus ironique et le plus dérangeant, jouant sur le pouvoir de l’argent et l’idée que même une vie peut s’acheter. Le film se conclue avec Hasta que la muerte nos separe et sa cérémonie de mariage qui se termine en bain de sang, avec cependant une chute pas si désespérée que cela qui vient un peu adoucir (tout est relatif…) le ton résolument noir et grinçant du film. 
Jouant sur l’attente d’une situation qui ne manquera pas de déraper et dynamitant au passage, au propre comme au figuré, la plupart des institutions qui constitue notre société moderne (la famille, l’administration, le mariage), Les nouveaux sauvages renouent avec la tradition d’un humour noir et corrosif, un humour de sale gosse, libérateur et impertinent. 
Le film de Damian Szifron n’a pas pour ambition de révolutionner le genre mais de nous offrir une soupape de sécurité et une vengeance illusoire face aux vexations quotidiennes, peut-être pour éviter de faire exploser nos voisins ?