Passons tout de suite sur la polémique suscitée par le film (ce qui est finalement plutôt bon signe, il vaut mieux susciter une polémique que l’apathie). De deux choses l’une, soit Clint est un vieux réactionnaire (étiquette qui le poursuit depuis le début de sa carrière soi dit en passant) et American Sniper est le portrait au premier degré d’un tueur patenté au service de l’Etat, soit Clint est un sacré malin et son dernier film est un portrait particulièrement lucide d’une société américaine qui se laisse parfois aveugler par ses idéologies bellicistes.
On croyait l’affaire classée depuis Gran Torino, démonstration éclatante que non, Clint n’est pas aussi con et buté que bon nombre de ses détracteurs voudraient le faire penser, il faut croire que les préjugés ont la vie dure. Pourtant, force est de constater que ce grand monsieur ne fait rien pour éclaircir les lanternes des sceptiques. Convenons déjà d’une chose, personne d’autre que le dernier cowboy Hollywood n’était mieux placé pour dresser le portrait de celui qui justement se rêvait cowboy.
La première partie du film ressemble presque à une publicité pour les valeurs immuables de l’Amérique tant elle frôle à tout moment la caricature. On y parle religion et chasse, armes à feu et rodéo, patriotisme et famille, bref, tout ce qui fait les fondements d’une société américaine qui heureusement ne se résume pas à cela. Il est apparait alors, pas forcément clairement je le concède, que le film ne sera pas à prendre au premier degré. Et cela est confirmé dès le premier tir meurtrier de Chris Kyle en Irak. Il abat froidement un enfant et sa mère, ceux-ci étant sur le point d’attaquer un convoi de militaire. Le réalisateur se met alors dans une position intenable s’il entend dresser un portrait aussi fidèle que possible d’un soldat patriote, celui de cautionner le meurtre d’un enfant et le fait que, à partir du moment où il tient une arme entre ses mains, il perd le statu d’enfant pour celui de combattant.
En ayant le courage de nous imposer ce dont est capable cet homme, Clint prend d’emblée ses distances avec celui qui ne sera tout au long du film que le prisme déformant d’une certaine morale américaine. Le fait que Kyle soit un tireur d’élite n’est pas innocent car ce qu’il voit à travers sa lunette de visée n’est qu’une partie de la réalité, un fragment de vérité aperçue à plusieurs centaines de mètres de distance. Et c’est cette vision pour le moins partielle qui va peu à peu lui permettre de déshumaniser des hommes, des femmes et des enfants qui ne deviennent pour lui que des cibles car un danger potentiel pour ses compatriotes, et par extension pour son pays.
Chris Kyle n’est pas un psychopathe assoiffé de sang, un mercenaire qui tue par plaisir. C’est le produit d’une société qui prône des valeurs patriotiques, qui perpétue de père en fils un droit à l’autodéfense et une foi parfois aveugle en la religion, qui défend une politique étrangère parfois irresponsable qui frôle souvent l’ingérence. Chris Kyle n’est jamais si bon que quand il est sur le terrain, et le film a aussi le mérite de poser la question de ce qu’il advient de ces hommes formatés pour tuer, confrontés à la pire des violences et ensuite recrachés dans une société qui ne veut pas forcement voir en face ce qu’elle a produit. La scène où il est assis dans son fauteuil face à sa télévision éteinte qui lui renvoie sa propre image résume à elle seule une bonne partie du film. Ces soldats ne quittent jamais vraiment le champ de bataille dont le vacarme les hantera jusqu’à leur mort. C’est d’ailleurs ce qui provoquera, de manière aussi tragique qu’ironique, la mort de ce soldat hors du commun.
Porté par un Bradley Cooper aussi physiquement que psychologiquement monolithique, cet homme qui se cherche comme père autant que comme mari résume à lui seul des années de discours politiques simplistes servies par des politiciens sans scrupules pour arriver à leur fin. Il y a le bien et le mal, les moutons, les loups et les chiens de berger, point. C’est simple et rassurant, aussi séduisant que faux bien entendu.
Les dernières images d’archives montrant l’engouement populaire au moment de ses obsèques, ainsi que le formidable succès du film aux Etats Unis viennent enfoncer un clou planté déjà bien profondément dans notre conscience. Ce que nous venons de voir n’est pas une apologie gratuite d’un quelconque engagement militaire mais la réalité glaçante de ce que l’homme peut produire en temps de guerre, et le reflet pas toujours agréable de l’une des plus grandes démocraties du monde. Alors oui, Clint est bien le dernier des géants et quelque chose me dit qu’il n’est pas prêt d’étouffer la polémique qui l’entoure.
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