dimanche 15 novembre 2015

Spectre

2006, Daniel Craig incarne James Bond pour la première fois à l’écran dans ce qui reste à ce jour l’un des meilleurs épisodes de la série, Casino Royale dirigé de main de maitre par Martin Campbell et magnifié par la présence de la sublime Eva Green qui incarne l’une des plus belles James Bond girls de la série. Le ton résolument introspectif et sombre du film marque un vrai tournant dans la saga. Tournant qui sera assez mal négocié deux ans plus tard avec le très inégal Quantum of Solace, mais parfaitement redressé en 2012 avec un Skyfall qui tient toutes ses promesses et renoue avec la thématique initiée dans Casino Royale. Dans ce contexte, Spectre fait figure de transition avec son prédécesseur. 
Toujours réalisé par Sam Mendes et interprété par Daniel Craig, Bond explore à nouveau les méandres de son passé pour remonter aux sources de sa Némésis, l’homme responsable de tous les deuils qui l’ont touchés depuis Casino Royale, le mythique Ernst Stavro Blofeld. Pourtant, Spectre marque une rupture de ton avec les épisodes précédents qui se rapprochaient davantage du personnage décrit par Ian Fleming dans ses romans que de l’espion incarné par Roger Moore ou Pierce Brosnan. 
La noirceur de Casino Royale ou Skyfall fait place à plus d’humour, un détachement qui renvoie directement à la période post Goldfinger où Bond devient davantage un espion tombeur de filles que le tueur alcoolique et névrosé imaginé et décrit par Ian Fleming dans ses romans. On peut regretter ce revirement tant la direction initiée par Martin Campbell en 2006 traçait la route à une mythologie sombre mais captivante, mettant en scène un tueur usé et vieillissant mais d’autant plus dangereux. 
Spectre se révèle donc être un film toujours spectaculaire, divertissant et respectant à la lettre le cahier des charges de la saga, tout en se permettant, signe des temps, quelques clins d’œil à l’ensemble des épisodes qui l’ont précédés et une auto parodie que l’on est en droit de trouver inutile. Ainsi l’arrivée de Bond et de Madeleine Swann (Bond serait donc à la recherche du temps perdu…) sur la base secrète de Franz Oberhauser alias Blofeld renvoie directement à Docteur No et Goldfinger. Christoph Waltz coincé par un personnage de méchant qui a été mainte fois caricaturé essaie de trouver le juste milieu entre cabotinage et sobriété. Même chose pour Léa Seydoux qui a la lourde tâche de passer après Eva Green, Diana Riggs et tant d’autres pointures. La française fait ce qu’elle peut pour exister dans un rôle qui ne lui laisse que peu de marge de manœuvre, mais tout de même d’avantage que Monica Bellucci cantonnée à faire de la figuration. 
Le film nous propose tout de même quelques scènes particulièrement réussies comme cette poursuite en voiture avec Monsieur Hinx ou une bagarre homérique et sauvage avec le même Dave Bautista. On s’amuse aussi de voir le réalisateur convoquer Stanley Kubrick et son Eyes Wide Shut lors de la réunion secrète du spectre dans laquelle s’incruste James Bond. Handicapé par une chanson de générique très basique (après Amy Winehouse, Lana del Rey sera donc l’autre grand rendez-vous manqué de la série), une scène pré générique certes impressionnante mais aux ressorts dramatiques limités, Spectre se limite donc à un très bon spectacle, une sorte de best of de ce que la saga Bond nous a proposé tout au long de ces cinquante dernières années. Ce n’est pas si mal mais au regard des derniers épisodes, on attendait mieux.

dimanche 8 novembre 2015

Regression

Cinéaste malin pour ne pas dire roublard, Alejandro Amenábar a l’habitude de jouer avec la perception de la réalité qui cache souvent une toute autre vérité. Ouvre les yeux, Les Autres en sont les brillantes démonstrations. Une fois encore, le réalisateur chilien nous plonge dans un contexte qu’il prendra un malin plaisir à déconstruire dans la dernière demi-heure du film. 
Nous sommes au début des années 90 dans une petite bourgade américaine secouée par des présomptions de plus en plus fortes d’activités satanistes. L'inspecteur Bruce Kenner recueille le témoignage troublant d’une fragile jeune fille qui semble avoir été victime de violences en tous genres de la part de son entourage le plus proche. Dès les premières images du film, Alejandro Amenábar instaure un climat pesant, chargé de menaces latentes sensées nous conforter dans l’idée que le Malin existe bel et bien et que ses adeptes sont partout. Et la plupart du temps le concept fonctionne. Au fur et à mesure que progresse l’enquête, nous perdons pieds en même temps que Bruce Kenner qui a de plus en plus de mal à démêler le vrai du faux, les menaces réelles ou fantasmées. Alourdi par quelques effets trop soulignés, le film s’engage pourtant sur des rails solides, mêlant sectes satanistes et sacrifices au sein d’une communauté où tout le monde semble se connaitre. Le virage que prend le réalisateur n’en reste que plus déstabilisant, et aurait pu apparaitre comme opportuniste s’il n’avait pas illustré sa première partie d’une aussi solide manière. 
Car les films qui se servent de l’argument fantastique pour ensuite le renier de façon condescendante ou pour le moins incompréhensible ne manquent pas. Citons par exemple The Secret de Pascal Laugier pour les dernières sorties. Alejandro Amenábar propose une toute autre manière d’aborder les choses en renvoyant dos à dos science et magie dans un final qui n’en reste pas moins effrayant. Car loin de se cacher derrière un pseudo argument fantastique, le réalisateur met à nu la nature même de l’homme, ou de la femme, capable de construire de toute pièce une réalité parallèle tellement effroyable qu’elle va entrainer dans son sillage une communauté toute entière. Pouvoir et responsabilité des médias, dérives de la science, manipulation, autant de thèmes qui servent de trame de fond à un film qui nous entraine dans une lecture biaisée de la réalité. 
Une façon brillante d’illustrer le thème même du film et de rappeler la célèbre maxime : et si la ruse ultime du diable était de nous faire croire qu’il n’existe pas ?