vendredi 31 mai 2019

John Wick Parabellum

John Wick aurait pu se contenter d’être un actionner un peu plus bourrin que la moyenne à l’image des Equalizer et Jack Reacher sortis en même temps. Un plaisir primaire faisant appel à notre fascination pour la violence emballée dans de belles images et des cascades toujours plus incroyables à l’image de ce qu’est devenu la franchise Mission Impossible. Mais la saga John Wick accède à un statu à part pour une raison toute simple, cette volonté d’ancrer les films dans une mythologie patchwork façonnée à partir d’éléments aussi disparates qu’habilement agencés pour former un univers parallèle où tout ou presque peut arriver. 
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le réalisateur Chad Stahelski fut doublure de Keanu Reeves puis coordinateur des cascades sur Matrix Reloaded et Matrix Revolutions, il a su puiser chez les frères frères Wachowski cette propention à créer des univers extrêmement visuels en allant puiser à l’essence même de l’imaginaire populaire. 
Ainsi, John Wick évolue t-il dans un monde essentiellement urbain noyé par une pluie perpétuelle avec un soin particulier apporté aux décors et aux costumes des différents protagonistes. La Grande Table autour de laquelle tourne l’intrigue de ce troisième opus peut se voir comme une version alternative de la Table Ronde autour de laquelle siège, non pas de preux chevaliers mais des tueurs de toutes nationalités experts dans leurs domaines, la mort. Et en matière de mise à mort, John Wick fait preuve d’une originalité incroyable, utilisant tous les éléments à sa portée pour se défendre (livre, cheval, armes blanches, armes à feu, tout y passe) sans pour autant sombrer dans l’invraisemblance cartoonesque. Car aussi incroyables que soient les combats ou les cascades, le réalisateur, lui-même ancien cascadeur, apporte un soin tout particulier à ses chorégraphies qui repoussent les limites jusque là imposées par le cinéma coréen (The Raid et consort). 
Adoptant une structure narrative inspirée des jeux vidéos avec ses zones de repos (les hôtels Continental), ses tirs à la tête pour défaire un adversaire, ses ennemis upgradés avec des blindages inédit et l’ascension final des étages pour atteindre le boss final (Mark Dacascos), John Wick continue de bâtir une saga unique en son genre, un monde où la chair constitue le langage principal, quelle soit déchirée par les balles ou les lames, tatouée ou scarifiée. Et c’est l’un des points les plus intéressants du film que cette fascination pour les mutilations porteuses de sens. 
John Wick se voit en effet brulé par une croix chauffée à blanc, se tranche un doigt et signe un médaillon avec son sang pour entériner des promesses passées ou futures, dans la plus grande tradition des triades japonaises ou des mafia russes. Point d’explosions ou de destruction de masse dans John Wick Parabellum, mais des monceaux de cadavres et des mutilations à la pelle, comme si la matière première principale du film, son moteur était encore et toujours la chair comme élément premier du langage. 
On pourrait disserter à l’infini sur les influences cinématographique de la saga, la qualité de son casting ou sa scénographie martiale absolument incroyable. On peut aussi y prendre un plaisir immédiat déculpabilisé par la richesse d’un film infiniment plus complexe qu’il ne veut bien le laisser paraitre.

samedi 11 mai 2019

Le combat ordinaire

Rares sont les œuvres qui, 15 ans après leur publication, conserve le même impact qu’à la première lecture. Plus rares encore sont celles qui tendent à l’universel par leur capacité à s’adresser à chacun d’entre nous tout en brassant des thèmes aussi personnels et sensibles que la paternité, la mort de nos parents, l’engagement familial. Le combat ordinaire, série de 4 albums scénarisés et dessinés par Manu Larcenet de 2003 à 2008 est de ceux là, ces livres qui nous marquent de façon indélébile et nous accompagnent tout au long de notre existence, ces albums que l’on a envie d’offrir à tous ceux qui nous sont chers pour partager ces tranches de vie, miroirs de nos propres angoisses. 
Idéalement positionné entre l’apparente insouciance du Retour à la terre et la noirceur désespérée de Blast, Le combat ordinaire suit le personnage de Marco, un photographe névrosé qui, de rencontres en analyses, de déceptions en menus plaisirs va trouver sa place dans une existence peuplée par les fantômes du passé et les angoisses du futur. 
Manu Larcenet n’a pas son pareil pour, d’un simple trait de crayon ou d’une réplique ciselée, cerner les doutes et les travers de cette galerie de personnages qui entourent Marco. Refusant toute démagogie quand il aborde des sujets politiques (les électeurs du Front National, la Guerre d’Algérie, la fermeture des usines), l’auteur tisse au fil de ses 4 tomes une réflexion sensible sur ces petits riens qui font une vie. Marco est confronté à la maladie et à la mort de son père, à la vieillesse et à la solitude de sa mère, à ses peurs devant la responsabilité de devenir père à son tour, aux sacrifices qu’il faut consentir pour trouver sa place dans la société, et tout cela est traité avec une infinie délicatesse. 
Manu Larcenet nous parle de ses propres peurs et par là il s’adresse directement à chacun de nous, de l’enfant insouciant à l’adulte angoissé sauvé par quelques parenthèses de vrais bonheurs. Le combat ordinaire est celui de nos vies, Manu Larcenet en a fait une œuvre miroir d’une intelligence et d’une sensibilité rares.

mercredi 8 mai 2019

El Reino


Après avoir exploré les tréfonds les plus noirs du polar avec l’excellent Que Dios Nos Perdone, le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen retrouve Antonio de la Torre pour incarner un homme politique englué dans une affaire de corruption qui va, petit à petit, le perdre corps et âme. 
El Reino nous entraine sur les pas de Manuel López-Vidal, le cadre prometteur d’un parti politique promis à un bel avenir jusqu’à ce que tout dérape. Et nous voilà parti pour deux heures de course haletante, collés à ce personnage arrogant, cynique et cupide pour lequel l’immense talent d’Antonio de la Torre arrive à nous faire partager, sinon de la sympathie, une certaine forme d’empathie. 
Car oui Manuel López-Vidal est un pourri qui détourne de l’argent public et mène une vie de rêve au crochet d’une société qu’il prétend servir à travers sa fonction politique. Un arriviste trahi par ses amis et qui à son tour n’hésitera pas à se retourner contre les siens pour sauver sa peau et ce qu’il reste de sa famille. Et c’est la grande force du réalisateur et de son interpète principal de plonger un carnassier dans des eaux si troubles qu’il en devient presque une victime expiatoire. Nous ne sommes pas loin du tous pourris et pourtant El Reino ne se résume pas à une dénonciation simpliste des travers du pouvoir et de l’argent facile. 
Outre ses qualités de thriller haletant, on ne souffle pas une minute, le film explore du point de vue du coupable tous les rouages d’une descente aux enfers aussi prévisible qu’inéluctable. En convoquant les appareils et le fonctionnement interne d’un parti politique, les médias dont la soif de pouvoir et de reconnaissance n’a rien a envier aux bêtes politiques, et la famille à la fois complice et victime, Rodrigo Sorogoyen livre un nouveau film maitrisé de bout en bout, d’une noirceur totale sans pourtant sombrer dans les travers évident de la démagogie. 
El Reino énonce des vérités connues de tous, le pouvoir corrompt et se protège lui-même. Mais le film va au delà en disséquant minutieusement les rouages d’une machine qui se met à déraper et qui broie tout sur son passage. Malgré un scénario parfois difficile à suivre dans tous ses méandres lorsqu’il s’agit de démêler les fils de la corruption et une fin abrupte, El Reino s’impose comme une nouvelle réussite du thriller espagnol décidément en grande forme ces dernières années.