dimanche 27 février 2011

True Grit

True Grit est le deuxième remake réalisé par les frères Coen après Ladykillers qui ne figure d’ailleurs pas parmi leurs meilleurs films.
Remake de 100 dollars pour un shérif avec John Wayne et adaptation d’un roman très populaire aux Etats Unis, True Grit suit le parcours de Mattie Ross, une jeune fille entêtée de quatorze ans qui s’est mise en tête de retrouver elle-même l’assassin de son père devant le peu d’empressement des autorités à poursuivre le tueur. Pour cela, elle s’adjoint les services de Rooster Cogburn, un Marshal bourru et alcoolique, et de LaBoeuf, un Texas Ranger imbu de sa personne. Cette poursuite les mènera en territoire indien sur les traces d’une bande de dangereux hors la loi.
Pour leur première incursion dans l’univers ultra codifié du western, les frères Coen signe un coup de maitre. True Grit est surement l’un de leur film les plus abouti tout en demeurant l’un des meilleurs westerns de ces dernières années.
Comme dans tous leurs films, les frères privilégient les ruptures de ton et alternent des moments comiques (la pendaison de l’indien, la grand-mère avec laquelle Mattie partage son lit), tragiques (le poignant sauvetage de Mattie par Rooster) et des flambées de violence aussi brèves que percutantes (le massacre dans la cabane).
Si l’on devait rapprocher True Grit d’un modèle, ce serait sans nul doute Josey Wales hors la loi réalisé et interprété par Clint Eastwood. Les deux films ont plusieurs points communs, à commencer par une galerie de personnages décalés qui semblent surgir de nulle part sur le chemin des principaux protagonistes. L’indien de Josey Wales a ainsi son pendant dans True Grit en la personne d’un guérisseur vêtu d’une peau d’ours.
D’autre part, lors de l’affrontement final, les deux films mettent en scène le héros (Josey Wales / Rooster Cogburn) confronté à plusieurs adversaires à cheval. Dans une scène statique pour Josey Wales, en mouvement pour True Grit quand Rooster Cogburn lance sa monture au galop contre quatre hommes armés. Cette scène est d’ailleurs filmée au début de la même façon que la poursuite finale entre Josey Wales et le capitaine de cavalerie assassin. Nous observons la course en plongée depuis une hauteur vertigineuse (une falaise pour True Grit, le ciel pour Josey Wales), les hommes et les chevaux n’apparaissant que comme de petits points mouvant au milieu d’une nature immense.
Et dans les deux films, cette nature est remarquablement filmée et mise en valeur par une superbe photographie. Mattie et ses compagnons traversent les paysages et les saisons jusqu’à la scène où, mordue par un serpent, elle est emmené par Rooster Cogburn qui n’hésite pas à tuer son cheval de fatigue puis à la porter jusqu’à épuisement pour la sauver. Les frères Coen nous emmène alors à la frontière du fantastique en nous faisant traverser avec eux la Vallée de la Mort.
Comme à leur habitude, ils n’hésitent pas à multiplier les dialogues et les scènes à rallonge où les protagonistes s’affrontent verbalement. C’est le cas pour les incessantes disputes entre Rooster Cogburn et LaBoeuf, ou pour cette discussion absolument brillante entre Mattie et le vendeur de poneys. La scène est longue, statique et ne souffre pourtant d’aucune rupture de rythme. En quelques minutes, les réalisateurs plantent le caractère inflexible de la jeune fille avec un humour à froid qui n’appartient qu’à eux.
Enfin, la réussite de True Grit tient bien évidemment à ses interprètes. Jeff Bridges tient là un personnage à la mesure du Dude du Big Lebowski, et Josh Brolin est parfait dans le rôle du sale type de service. Les nouveaux venus ne sont pas en reste, Matt Damon interprétant avec une sobriété exemplaire un LaBoeuf aussi caricatural au début que finalement touchant. Quand à Hailee Steinfeld, elle habite littéralement le personnage de cette adolescente bornée et pragmatique confrontée trop tôt à la violence du monde qui l’entoure.
True Grit figure parmi les plus belles réussites des frères Coen qui en comptent déjà pas mal. C’est aussi et avant tout un vrai western, genre qui se fait trop rare pour rater celui-ci.

vendredi 18 février 2011

Black Swan

Nina se dévoue corps et âme à son métier de danseuse. Sa vie se résume à des journées de travail spartiate et des soirées partagées avec une mère possessive qui vit avec elle.
Cette jeune fille douce, timide et un peu ennuyeuse est l’incarnation parfaite pour le personnage du cygne blanc dans le Lac des Cygnes que met en scène le chorégraphe Thomas. Mais son caractère effacé ne s’accorde pas avec son pendant, le cygne noir qu’elle devrait aussi interpréter si elle décroche le rôle.
Poussée par Thomas au comportement de plus en plus ambigu, dévergondée par Lily, une nouvelle danseuse sensuelle et libérée, elle va peu à peu explorer la face la plus sombre de sa personnalité. Au point de ne plus pouvoir revenir en arrière.

Black Swan est un film ambitieux qui brasse plusieurs thèmes à la fois.
Darren Aronofsky met en scène une jeune fille qui sombre peu à peu dans la schizophrénie et dont les délires de plus en plus forts donnent lieux à des scènes d’abord inquiétantes avant de verser dans le pur fantastique.
Il nous invite à suivre la descente aux enfers de ce personnage fragile, écartelé entre des personnalités aussi fortes que disparates (la mère, le père / amant, le double fantasmé) qui ne lui laissent d’autres choix que de se perdre dans les abimes de la folie pour enfin se révéler à elle-même telle qu’elle l’a toujours rêvé.
Au final, elle ne fait plus qu’un avec le personnage tragique qu’elle incarne sur scène, livrant une prestation artistique aussi belle que définitive.
Black Swan nous permet aussi de pénétrer dans ce monde impitoyable qu’est la danse classique. Un monde aussi beau sur scène que dur en coulisse. Les danseuses torturent leur corps pour livrer sur scène des ballets que les spectateurs ne soupçonnent pas construits avec autant de souffrance.
Comme il l’a fait pour Requiem for a Dream ou The Wrestler, le réalisateur suit ses personnages en caméra portée et nous fait partager la moindre de leur souffrance. Les similitudes avec The Wrestler sont d’ailleurs évidentes. Que ce soit pour un match de catch ou un ballet de danse classique, les protagonistes souffrent physiquement et moralement pour aller au bout de leur rêve, quitte à ce que l’issue leur soit fatale. Darren Aronofsky filme comme personne le sang et les larmes nécessaires au dépassement de soi, les blessures quotidiennes, les humiliations et cette heure de gloire si chèrement payée.
Porté par une Nathalie Portman impressionnante et bien entourée par l’ensemble des interprètes du film, Black Swan joue constamment l’ambigüité et n’hésite pas à perdre le spectateur pour mieux le surprendre par la suite. On ne sait jamais si ce que l’on voit est la réalité ou les fantasmes d’une jeune danseuse soumise à trop de pression, l’éveil tardif à la sexualité d’une fille surprotégée par sa mère ou les délires d’un esprit malade.
Le fantastique ne s’invite au début que par petites touches pour finalement éclater en un final aussi beau que tragique, le sacrifice d’une artiste à son art ou la libération d’un esprit définitivement perdu dans les méandres de la folie.

Surement un peu des deux à la fois, c’est ce qui fait de Black Swan une nouvelle réussite dans la filmographie jusqu’à présent exemplaire de Darren Aronofsky.