vendredi 26 septembre 2014

Sin City : j’ai tué pour elle

Il aura fallu presque dix ans pour que Robert Rodriguez et Franck Miller se décident à donner une suite à leur premier opus qui, en son temps, révolutionna l’adaptation d’une bande dessinée à l’écran. 
Pendant ces dix ans, le réalisateur mexicain aura tourné quelques films et pas mal de publicités, fidèle à son univers mais sans jamais trop se forcer non plus. Quant au génie que reste Franck Miller, il continue tranquillement sa chute avec comme point d’orgue une Terreur Sainte de bien triste mémoire. Les retrouvailles de ces deux talents qui ont depuis quelques années tendance à se reposer sur leurs lauriers pouvaient donc laisser présager le pire. A la vision de ce nouvel opus de la ville des péchés, force est de constater que nous ne sommes qu’à moitié rassurés. 
 Visuellement, le film reste dans le même univers que le premier Sin City, rehaussé par une 3D comme d’habitude hautement dispensable. Ceux qui avaient détestés le style dix ans avant resteront sur leurs positions. Les autres retrouveront avec joie un univers agressif et jubilatoire, véritable écrin pour les cases d’un Franck Miller tout à fait à son aise dans ce microcosme urbain violent et anxiogène. 
Porté par un casting de haut vol mêlant anciens (Jessica Alba, Bruce Willis, Mickey Rourke et d’autres reprennent vaillamment du service) et nouveaux venus, parmi lesquels Eva Green et Ray Liotta mangent littéralement l’écran à chacune de leurs apparitions. Le vrai problème ne se situe donc pas dans la forme mais bien sur le fond. Car les images, aussi belles soient telles, illustrent un scénario anémique croisant trois histoires manquant vraiment d’épaisseur. 
Le personnage d’Ava, caricature de la femme fatale des films noirs des années cinquante, est tellement prévisible qu’elle frôle la caricature. Et si c’est toujours un plaisir de voir Eva Green dans le plus simple appareil, là pour le coup c’est presque trop. Le secret de Johnny, inattendu et franchement malsain, est expédié en quelques plans. Enfin, la vengeance de Nancy est tellement téléphonée qu’elle en devient presque ennuyeuse. C’est d’autant plus dommage qu’avec une palette d’acteurs telle qu’en aligne Sin City : j’ai tué pour elle, le film avait tout pour s’inscrire dans la lignée vénéneuse de son prédécesseur. 
Certes on ne s’ennuie pas et on prend même un vrai plaisir à entrer de nouveau dans la vieille ville, suivre les déambulations mortelles de la petite Miho et les errances meurtrières d’un Marv plus que jamais indestructible. Mais tout cela sent un peu trop le prémâché pour que l’on soit vraiment surpris. Plutôt que de faire des caméos narcissiques, Miller et Rodriguez feraient bien de se remettre sérieusement au travail et de préparer un troisième opus digne de cette franchise au potentiel encore intact.

samedi 13 septembre 2014

Gemma Bovery

Martin s’ennuie. Ou plutôt sa vie l’ennuie. Sa femme, son fils, son quotidien, il ne trouve de réconfort que dans la littérature et les longues promenades dans la campagne normande en compagnie de son chien. Alors quand un beau jour un couple d’anglais s’installe à côté de chez lui et qu’il apprend qu’ils se nomment Gemma et Charles Bovery, son sang ne fait qu’un tour. Il n’en faut pas plus pour qu’il transpose sur eux ses fantasmes de créateur, entendant bien mettre leur vie en scène comme Flaubert écrivit le destin tragique d’Emma Bovary. 
Il est des films que l’on va voir pour le réalisateur, d’autres pour le scénario, et d’autres encore pour la distribution. Gemma Bovery est clairement de ceux-là. 
Adapté du roman graphique homonyme, le film met en scène deux acteurs que rien ne destinait à se rencontrer et qui incarnent à merveille les affres que traversent les personnages. Fabrice Luchini, tout en retenu (à sa manière…) a la politesse de ne pas phagocyter ses partenaires, allant même jusqu’à les mettre en avant assez subtilement pour que cela passe inaperçu. Gemma Arterton est quant à elle plus belle que jamais. Caressée par la caméra d’Anne Fontaine qui la sublime à chaque plan, elle traverse le film avec une légèreté déconcertante, incarnant avec autant de talent l’innocence qu’une sensualité à toute épreuve. 
Gemma Bovery se présente comme une ballade, une tranche de vie tragi-comique portée par un duo de comédiens jubilatoires dans des domaines tout à fait différents. Si la réalisatrice a le tort de se montrer trop démonstrative, notamment en faisant dire à Luchini qu’il met en scène la vie de Gemma au cas où quelques spectateurs assoupis ou distraits auraient manqué le sens du film, et qu’elle se contente d’illustrer le jeu de ses comédiens tous plus justes les uns que les autres, elle le fait avec une justesse et une grâce qui conviennent parfaitement à un film plus profond qu’il n’en a l’air. 
Car si Gemma Arterton illumine l’écran à chacune de ses apparitions, le personnage central du film est bien Martin comme en témoigne la dernière partie de l’histoire. (Attention SPOILER) Davantage préoccupé par la manière dont meurt Gemma Bovery que par sa disparation, il parait presque déçu d’apprendre qu’elle n’est pas morte empoisonnée par de l’arsenic mais étouffé par un morceau de pain (fin du SPOILER). Écrivain frustré ou malade mental, il entend orchestrer pour les autres des vies déjà écrites des dizaines d’années plus tôt, échappant ainsi à une existence morose et intellectuellement ennuyeuse. L’histoire tragique à laquelle nous assistons prend alors une dimension particulière. Martin a-t-il précipité Gemma vers un destin que, inconsciemment ou non, il souhaitait fatal pour coller au roman de Flaubert ? Ou assiste-t-on une succession d’évènements déformés par le prisme de Martin, conteur de l’histoire et projection à peine voilée de la réalisatrice ? 
Loin d’être une simple tragédie ponctuée de moments franchement comiques (Martin déclarant à son fils « je préférerai que tu te drogues plutôt que de sortir des conneries pareil »), Gemma Bovery va plus loin dans sa réflexion et nous interroge sur le lien qui unit un créateur, quel que soit le mode d’expression, à ses personnages. C’est dommage qu’il le fasse du bout des lèvres, mais on lui pardonnera d’autant plus facilement que ce sont celles de la belle Gemma Arterton.