Martin s’ennuie. Ou plutôt sa vie l’ennuie. Sa femme, son fils, son quotidien, il ne trouve de réconfort que dans la littérature et les longues promenades dans la campagne normande en compagnie de son chien. Alors quand un beau jour un couple d’anglais s’installe à côté de chez lui et qu’il apprend qu’ils se nomment Gemma et Charles Bovery, son sang ne fait qu’un tour. Il n’en faut pas plus pour qu’il transpose sur eux ses fantasmes de créateur, entendant bien mettre leur vie en scène comme Flaubert écrivit le destin tragique d’Emma Bovary.
Il est des films que l’on va voir pour le réalisateur, d’autres pour le scénario, et d’autres encore pour la distribution. Gemma Bovery est clairement de ceux-là.
Adapté du roman graphique homonyme, le film met en scène deux acteurs que rien ne destinait à se rencontrer et qui incarnent à merveille les affres que traversent les personnages. Fabrice Luchini, tout en retenu (à sa manière…) a la politesse de ne pas phagocyter ses partenaires, allant même jusqu’à les mettre en avant assez subtilement pour que cela passe inaperçu. Gemma Arterton est quant à elle plus belle que jamais. Caressée par la caméra d’Anne Fontaine qui la sublime à chaque plan, elle traverse le film avec une légèreté déconcertante, incarnant avec autant de talent l’innocence qu’une sensualité à toute épreuve.
Gemma Bovery se présente comme une ballade, une tranche de vie tragi-comique portée par un duo de comédiens jubilatoires dans des domaines tout à fait différents. Si la réalisatrice a le tort de se montrer trop démonstrative, notamment en faisant dire à Luchini qu’il met en scène la vie de Gemma au cas où quelques spectateurs assoupis ou distraits auraient manqué le sens du film, et qu’elle se contente d’illustrer le jeu de ses comédiens tous plus justes les uns que les autres, elle le fait avec une justesse et une grâce qui conviennent parfaitement à un film plus profond qu’il n’en a l’air.
Car si Gemma Arterton illumine l’écran à chacune de ses apparitions, le personnage central du film est bien Martin comme en témoigne la dernière partie de l’histoire. (Attention SPOILER) Davantage préoccupé par la manière dont meurt Gemma Bovery que par sa disparation, il parait presque déçu d’apprendre qu’elle n’est pas morte empoisonnée par de l’arsenic mais étouffé par un morceau de pain (fin du SPOILER). Écrivain frustré ou malade mental, il entend orchestrer pour les autres des vies déjà écrites des dizaines d’années plus tôt, échappant ainsi à une existence morose et intellectuellement ennuyeuse. L’histoire tragique à laquelle nous assistons prend alors une dimension particulière. Martin a-t-il précipité Gemma vers un destin que, inconsciemment ou non, il souhaitait fatal pour coller au roman de Flaubert ? Ou assiste-t-on une succession d’évènements déformés par le prisme de Martin, conteur de l’histoire et projection à peine voilée de la réalisatrice ?
Loin d’être une simple tragédie ponctuée de moments franchement comiques (Martin déclarant à son fils « je préférerai que tu te drogues plutôt que de sortir des conneries pareil »), Gemma Bovery va plus loin dans sa réflexion et nous interroge sur le lien qui unit un créateur, quel que soit le mode d’expression, à ses personnages. C’est dommage qu’il le fasse du bout des lèvres, mais on lui pardonnera d’autant plus facilement que ce sont celles de la belle Gemma Arterton.
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