jeudi 28 août 2014

Enemy

Il vaut mieux avoir vu le film avant de lire cet article. Je vous aurai prévenu.

Enemy fait partie des films qui se méritent. Labyrinthique, maniéré, tortueux, captivant, intellectuel, les qualificatifs abondent pour cerner un film qui ne ressemble à aucun autre, tout en ayant un air de déjà-vu. L’histoire couchée sur le papier parait simple. Le film s’ouvre sur Adam, un professeur d’histoire discret à l’existence morne, ponctuée par les visites de Mary avec qui il semble entretenir une relation essentiellement physique. En visionnant un film au nom prédestiné de Qui cherche trouve, il tombe sur Anthony, un acteur de seconde zone qui est son sosie parfait. Intrigué, il entre en contact avec lui et sa femme Helen, enceinte de six mois. S’instaure alors un jeu étrange entre les deux hommes qui vont aller jusqu’à échanger leur propre vie le temps d’un week end. 
Enemy est tout cela mais bien d’autres choses encore. C’est un déferlement de sensations contradictoires, un questionnement constant sur le sens de ce que l’on voit à l’écran. Denis Villeneuve se place clairement du côté des questions plutôt que de celui des réponses, laissant le spectateur dans une position inconfortable, libre de faire sa propre interprétation de ce qui se déroule devant lui, et cela jusqu’au plan final qui enfonce encore un peu plus le clou. 
Si l’on peut reprocher un certain maniérisme et quelques longueurs au réalisateur, force est de constater que le film nous poursuit longtemps après être sorti de la salle. Quelle est donc le sens de cette histoire de doubles qui se rencontrent, que représentent les araignées qui parsèment le film ? Assiste-t-on à un rêve éveillé, au naufrage d’un homme en train de devenir fou, ou simplement aux délires d’un réalisateur soucieux d’exorciser ses propres peurs sur grand écran ? Chacun se fera sa propre réponse, il n’y a pas une seule vérité et c’est très bien ainsi. Essayons toutefois de dégager quelques pistes de réflexion autour des personnages d’Adam et d’Anthony. 
Et si Adam, austère professeur à la vie trop bien rangée se rêvait acteur pour briller sous les feux de la rampe ? Marié à Helen qui l’accuse d’être infidèle et qui reconnait de moins en moins son mari, il a en effet une liaison avec Mary qu’il retrouve régulièrement dans un appartement du centre de Toronto. Incapable de supporter plus longtemps cette double vie, Adam sombre peu à peu dans une schizophrénie qui lui fait imaginer un double qui n’est autre que l’image qu’il projette de lui-même. Qui est le vrai Adam/Anthony, le professeur ou l’acteur ? Le mari ou l’amant ? Cela n’a plus guère d’importance pour lui, et le miroir finit par voler en éclat lors d’un spectaculaire accident de la route qui fait disparaitre ce double fantasmé ainsi que sa maitresse. La normalité et la morale reprennent leur droit, jusqu’à ce dernier plan qui replonge Adam, et nous avec, dans son cauchemar.
C’est une interprétation possible du film, il y en a bien d’autres. Ce qui est certain, c’est le rôle prépondérant des femmes qui entourent Adam et Anthony et qui sont à chaque fois liées, de près ou de loin, à l’image d’une araignée. Sont-elles de cette race qui mange le mâle après leur accouplement ? Entre une mère envahissante, une épouse et future mère paranoïaque et une amante fantomatique, elles sont tour à tour un refuge et un élément déstabilisateur qui tissent leur toile autour de cet, ou plutôt ces hommes perdus dans une ville elle aussi labyrinthique.
Car Toronto est bien le deuxième élément crucial du film. Le réalisateur filme la ville en hauteur enveloppée d’un brouillard épais, saturée de teintes grises et marron, comme un piège dont on ne peut espérer sortir. Miroir de l’esprit perturbé du héros, comme le montre explicitement l’affiche du film, Toronto devient ainsi un personnage à part entière et participe du sentiment de claustrophobie qui émane du film. 
Si Denis Villeneuve va chercher ses influences autant du coté de Kubrick et de son Eyes Wide Shut que de David Lynch, il pose avec Enemy une nouvelle pierre dans une filmographie qui ne nous donne envie que d’une chose, vite découvrir la suite.

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