vendredi 15 octobre 2010

Kaboom


Prenons une secte aussi puissante que dangereuse, des personnages doués de pouvoirs psychiques, une prétendue sorcière, un campus américain, du sexe homo et hétéro, des drogues, une jeunesse dorée américaine, et une apocalypse nucléaire.
Ce pourraient être les ingrédients de base d’une énième série Z ou un mélange indigeste. Ce sont tout simplement quelques éléments du scénario du nouveau film de Gregg Aarki que l’on n’avait pas vu aussi en forme depuis The Doom Generation.

Avec Kaboom, le réalisateur signe un film d’une incroyable énergie, mélange improbable entre la comédie de campus, le thriller parano et le fantastique.
Kaboom fait irrésistiblement penser à un courant de la littérature américaine représenté entre autre par Bret Easton Ellis et Chuck Palahniuk.
Ce dernier pour l’ambiance bizarre qui flirte avec le fantastique avant d’y sombrer entièrement au fur et à mesure que progresse l’intrigue, pour la secte qui renvoie à son roman Survivant, ses personnages qui ne pensent qu’à baiser (on pense à Choke) et par cette atmosphère de suspicion qui nous fait douter de tous les personnages (atmosphère que l’on retrouve dans Journal intime).
Mais Kaboom pourrait tout aussi bien être l’adaptation de l’un des romans de Bret Easton Ellis, improbable croisement entre les Lois de l’attraction (pour sa jeunesse friquée qui oscille entre des études incertaines, les drogues et le sexe) et Lunar Park, roman dans lequel l’auteur lui-même voit son quotidien s’effriter petit à petit en se demandant s’il devient fou ou s’il est le témoin d’évènements para normaux.

Kaboom est tout cela à la fois, la critique sociétale et le mal de vivre en moins. Car le film ne se veut ni un brûlot contre un certain mode de vie américain, ni un état des lieux pessimiste voire désespéré.
Au contraire, le film regorge de couleurs pétantes, de musique et d’une folie réjouissante. Bourré de répliques cultes (une jeune fille à son compagnon qui lui fait (maladroitement) un cunnilingus : c’est un vagin, pas un plat de spaghettis. Ou encore après une étreinte trop rapide à son goût : j’ai connu des frottis vaginaux qui durait plus longtemps), porté par toute une bande de jeunes acteurs et actrices pour la plupart inconnus et terriblement bon(ne)s, débordant d’énergie, Kaboom est une bouffée d’oxygène avant le Grand Cataclysme final.

Même si le film s’essouffle un peu dans sa seconde partie, on est immédiatement happé par cette histoire tellement invraisemblable qu’elle n’en est que plus jouissive. On passe une heure et demi en compagnie de personnages plus drôles et dingues les uns que les autres (le colocataire surfeur abruti, le dealer constamment stone, une galerie incroyable de gays, une sorcière nymphomane et j’en passe) et on sort de la salle avec un sourire béat sur le visage. Merci Gregg Araki pour ce trip joyeux et coloré, vivement la suite !

mardi 12 octobre 2010

Des hommes et des dieux

Des hommes et des dieux apparait de prime abord comme un film difficile par le traitement de son sujet. Il n’en est rien. Le réalisateur refuse simplement tout effet de facilité dans la forme pour servir au mieux son sujet.
On oublie les montages cut, les scènes d’action épileptiques ou les effets larmoyants qui constituent la grande majorité des productions actuelles. Le réalisateur fait le pari de la simplicité, de la contemplation et de la lenteur en nous invitant à suivre la vie quotidienne des moines de Tibéhirine, et remporte haut la main le défi.
Le fait divers qui sert de base au scénario est connu de tous, le moindre effet de suspens est donc éliminé dés le début. L’intérêt du film est ailleurs, dans le partage des semaines douloureuses qui aboutirent à la mort de la plupart de ces moines Cisterciens.
Cette communauté, nous y pénétrons pas à pas, progressivement comme le montrent les scènes de chant qui ponctuent le film comme autant de chapitres. Au début, les moines prient et chantent dos au spectateur. Vers le milieu du film, nous les voyons se tourner et apparaitre de coté, pour finalement dans la dernière partie nous faire face dans une scène magnifique où leur chant tente de couvrir le bruit des pâles d’un hélicoptère de l’armée qui survole le monastère.
Comme le titre du film l’indique, Xavier Beauvois parle des hommes avant tout et évite ainsi le piège grossier d’un hymne à la religion ou d’une ode au sacrifice religieux. Car les moines dont nous partageons la vie quotidienne sont avant tout des hommes qui ont peur de mourir, de souffrir. Leur condition même d’hommes d’église, plutôt que de les protéger, accentue encore les doutes qui les assaillent. Certains veulent partir, d’autres insistent pour rester, mais tous partagent la même peur devant la menace terroriste ou étatique.
Car le film renvoie dos à dos les combattants islamiques et l’armée algérienne. Chaque camp commet des atrocités et on ne sait toujours pas avec certitude qui porte la responsabilité du massacre des moines. Quelle importance d’ailleurs ? Xavier Beauvois nous fait ressentir l’atrocité, l’imbécilité et l’inéluctabilité de la guerre de l’intérieur.
La menace est d’abord diffuse, prenant la forme de rumeurs d’attentats colportées par les villageois. Puis, petit à petit, elle se précise. Nous assistons d’abord au meurtre d’ouvriers croates, puis c’est l’irruption des terroristes dans le monastère et la première confrontation avec les moines.
Une scène capitale intervient à ce moment là, qui résume à elle seule tout le film. Alors que le chef des combattants se voit refuser par les moines les médicaments qu’il entend bien confisquer à son profit, il dit à frère Christian interprété par Lambert Wilson qu’ils n’ont pas le choix. Ce à quoi ce dernier répond, si, nous avons le choix. Et c’est bien ce choix et toutes les conséquences qu’ils devront en assumer qui fait le sujet du film.
Il est ici question de moines, mais ce pourrait être des ouvriers, des soldats ou des paysans, la question serait la même. Jusqu’où accepte t‘on d’aller pour assumer les choix les plus graves et être en accord avec soit même ? Alors même que l’un des moines déclare aux villageois qu’ils sont comme des oiseaux sur une branche, ne sachant s’ils doivent partir ou rester, une femme leur répond que ce sont eux les oiseaux et que les moines sont la branche. S’ils partent, alors les habitants du village ne sauront plus où se poser.
Il n’est pas question ici de religion puisque les deux communautés célèbrent des dieux différents, ou du moins d’une manière différente. Il est question de solidarité, de partage et d’aide envers son prochain. C’est ce choix douloureux que les moines vont assumer jusqu’au bout, non sans passer par des périodes de doute, de renoncement et de lâcheté.
Le pas est franchi lors d’une autre scène poignante qui n’est pas sans rappeler la dernière Cène. Les moines se mettent à table, frère Luc apporte deux bouteilles de vin au grand étonnement de ses compagnons. Alors que retentit le Lac des Cygnes de Tchaikovski, les moines dégustent ce verre de vin et prennent conscience que ce plaisir est peut être le dernier qu’ils vivront ensemble. Le réalisateur filme sans aucun dialogue ces visages transfigurés par l’émotion et nous offre un moment d’une rare émotion.
Servi par un casting impeccable dominé par un Michael Lonsdale toute en ironie contenue, Des hommes et des dieux est un film qui refuse toute concession et toute facilité. On aime ou pas, on peut trouver cela chiant mais on ne peut qu’être admiratif devant l’honnêteté et la cohérence de l’œuvre.