mercredi 29 décembre 2021

Matrix Résurrections

Mensonge ou vérité, artifice ou réalité, pilule bleue ou pilule rouge ? Vingt ans après la révolution Matrix, Lana Wachowski renoue avec sa mythologie plus méta que jamais et s’essaie à une critique acerbe de l’industrie du blockbuster. 

Limpide et gentiment taquin envers la Warner dans sa première partie, le discours désenchanté de la réalisatrice envers l’industrie du divertissement actuel se pare ensuite des atours de ce qu’elle vient justement de dénoncer (on reprend les mêmes ingrédients et on rallonge la sauce) pour nous jeter à la figure un état des lieux amer de notre condition de spectateurs. 

Car si Thomas Anderson peut se voir comme l’incarnation de l’artiste aux prises avec des considérations mercantiles qui le dépassent, la nouvelle figure de l’agent Smith pourrait incarner cette même industrie pourvoyeuse de suites et de remakes à une foule de consommateurs dociles et décérébrés. La multitude des bots se jetant des immeubles sur Néo et ses comparses est à ce point suffisamment explicite pour incarner cet aveuglement mercantile par ailleurs encouragé par le système (la Matrice ?). 

Et c’est là qu’ironiquement Lana Wachowski se prend les pieds dans le tapis en livrant un épilogue maladroit et formellement sans commune mesure avec la maestria du premier opus. L’absence de Yuen Woo-ping pour chorégraphier les combats se fait cruellement sentir et malgré une scène post générique désabusée comme ultime pied de nez, on ne peut que se sentir diviser devant cette Résurrection, maline et lucide dans son propos méta mais résolument décevante lorsqu’elle embrasse son histoire à bras le corps. 

La mythologie Matrix est elle à ce point achevée que même sa créatrice ne peut en tirer qu’une redite en termes de conclusion ? Il est des fantômes qu’il vaut mieux laisser dormir et des virus informatiques qu’il est préférable de ne pas réveiller.

mercredi 22 décembre 2021

Océan Noir

Il n’existe pas d’exercice plus périlleux que la reprise d’une série mythique après la mort de son créateur. Écartelé entre nécessaire devoir de mémoire et désir d’émancipation artistique, coincé entre un cahier des charges écrasant et l’attente d’un renouveau salvateur, l’entreprise se révèle souvent décevante et aligne plus d’échecs que de franches réussites. 

La rencontre entre Bastien Vivès, l’un des dessinateurs les plus doués et clivant de sa génération, et le personnage culte d’Hugo Pratt avait de quoi intriguer et c’est avec une curiosité un peu inquiète que l’on se plonge dans cet Océan Noir. Et dés les premières cases l’évidence saute aux yeux. 

Sans parler d’héritage ou de lignée, Bastien Vivès, épaulé par le scénariste et historien Martin Quenehen, est sans conteste l’homme de la situation pour prolonger les aventures au long court de l’aventurier maltais. Sobre et encore plus soigné que d’habitude, son travail sur le noir et blanc offre un parfait écrin à un Corto résolument rajeuni mais toujours aussi faussement désinvolte, plus accessible aussi et plus marin que jamais. 

Loin des délires mystiques du dernier album d’Hugo Pratt, les auteurs nous embarquent dans une chasse au trésor propice aux rencontres de ses vieux démons (Raspoutine là où on ne l’attend pas) et d’une galerie de personnages hauts en couleurs parmi lesquels Freya tient une place particulière. Figure plus proche de l’univers de Bastien Vivès que de Pratt, Freya véhicule avec elle cet érotisme discret qui caractéristique les traits du dessinateur et nous donne enfin l’occasion de voir Corto batifoler et côtoyer une femme dans le plus simple appareil. 

Érudit, élégant et follement enthousiasmant, Océan Noir s’inscrit dans les pas d’Hugo Pratt pour parcourir un monde qui n’a pas fini de nous surprendre en compagnie du dernier aventurier encore digne de ce nom.

mercredi 1 décembre 2021

House of Gucci

A travers un fait divers sordide et une course au pouvoir qui ne l’est pas moins, Ridley Scott s’attaque à tout un pan de l’Italie, l’empire Gucci. Car derrière la marque emblématique de la haute couture des années 70 et 80, c’est tout un drame qui s’écrit au fil des décennies, celui d’un empire familial qui n’aura de cesse de s’entre déchirer jusqu’à la chute, inéluctable. 

Et c’est bien par le prisme de la déliquescence de la famille et du couple que le metteur en scène choisit d’illustrer son propos. Un tel sujet aux mains du réalisateur de Dernier duel avait de quoi susciter bien des fantasmes et la distribution haut de gamme promettait un écrin à la démesure du drame à venir. Hélas cette maison semble inhabitée. 

En dépit de la prestation de Jared Leto une fois de plus méconnaissable, malgré la présence de Jeremy Irons et Al Pacino toujours impeccables, malgré les efforts de Lady Gaga pour insuffler toute la vulgarité voulue à son personnage, rien n’y fait, on regarde ces échanges de coups bas et de trahisons avec un intérêt poli. Adam Driver incarne un Maurizio Gucci sans passion et le passage éclair de Camille Cottin ne fait que souligner une étonnante retenue qui aseptise totalement son rôle. House of Gucci manque cruellement de folie, un comble pour une tragédie italienne sur fond de scandale et de corruption.