dimanche 16 novembre 2014

Mommy

Xavier Dolan fait partie de ces cinéastes que l’on adore ou que l’on déteste d’emblée. Jeune prodige pour les uns, imposteur pour les autres, il ne laisse personne indifférent et ce n’est pas son dernier film qui changera la donne.
 Les personnages de la mère et du fils sont une fois encore au centre de l’histoire qui pourtant prend rapidement son envol pour nous emmener bien plus loin qu’une simple histoire d’amour ou de haine filiale. Car Mommy ne met pas en scène des personnages ordinaires. Il y a tout d’abord Diane, une mère veuve qui hérite de la garde de son fils Steve, un adolescent TDAH impulsif et violent. Tous les deux vont rencontrer Kyla, une voisine renfermée sur elle-même qui cache un lourd secret. 
Disons-le d’emblée, Xavier Dolan n’a pas peur de la facilité. Car en filmant une scène au ralenti sur du Lana Del Rey, il sait très bien que l’effet sera garanti. Et en calquant une chanson de Céline Dion sur une scène chargée d’émotion, il ne fait que décupler l’effet recherché avec un minimum de moyens. Alors oui, la ficelle est surement un peu grosse, mais le réalisateur est suffisamment doué pour faire passer une émotion extraordinaire à travers ces scènes sans que cela ne paraisse pour autant artificiel une seule seconde. Car Xavier Dolan est doué, cela ne fait aucune doute. Il sait s’entourer d’interprètes absolument époustouflant qu’il dirige avec justesse, ne dérapant jamais dans le pathos alors que le sujet s’y prête. Antoine-Olivier Pilon fait de son personnage une bombe à retardement constamment sur la brèche, oscillant entre exaspération et attachement. Mais le cœur du film ce sont ces deux femmes magnifiquement interprétées par Anne Dorval et Suzanne Clément. Entre fragilité et exubérance, elles se complètent admirablement bien et donnent au film son tempo si particulier. 
Roublard jusque dans sa mise en scène, Xavier Dolan utilise un cadrage serré tout le long du film puis plus large pour signifier un moment de liberté. Le procédé est peut être un tout petit peu téléphoné et simple, voire simpliste, mais force est de constater que cela fonctionne aussi. Car le véritable thème du film est bien celui de l’enfermement. Enfermement de Steve dans des établissements spécialisés et dans cette maladie qui l’empêche de communiquer avec les autres. Enfermement de Diane, menottée par l’amour qu’elle porte à son fils et qui l’empêche de vivre normalement. Enfermement enfin de Kyla, murée dans une souffrance sans nom que Steve et sa mère parviendront, bien malgré eux, à fissurer un trop bref instant. 
Mommy est un film pop dans la forme mais rock dans l’esprit. Xavier Dolan filme des personnages incapables de vivre dans une société trop étroite qui les écrase, et trouvant dans l’amour inconditionnel et si particulier qu’ils se portent les uns aux autres la force de vivre. Le temps d’un rêve, celui d’une vie sans heurts et sans blessures. Un rêve donc.

vendredi 14 novembre 2014

Rec 4 : Apocalypse

En 2007, Rec créait la surprise, non pas en utilisant le procédé du found footage qui commençait déjà à être surexploité, mais en réussissant avec très peu de moyen à créer une atmosphère réellement terrifiante et claustrophobique. 
Trois suites et presque dix ans plus tard, voilà que débarque Rec 4, soit disant dernier volet d’une tétralogie pour le moins inégale. Malgré son titre racoleur annonçant une fin du monde que nous ne verrons jamais et son affiche française repompant allègrement celle du Drag me to Hell de Sam Raimi, le film s’annonçait pourtant comme prometteur avec le retour derrière la caméra de Jaume Balagueró. 
Bon, déjà l’Apocalypse annoncée se limitera au paquebot où sont embarqués une poignée de scientifiques, de militaires, quelques membres d’équipage et des rescapés des précédents épisodes, la toute mignonne Manuela Velasco reprenant le rôle d’Angela Vidal. Si l’on passe sur un scénario qui frôle l’indigence et se contente du minimum syndical, on aura en revanche plus de mal à ignorer le jeu catastrophique du duo de militaires qui tiennent lieu de héros et qui semblent tout droit sortis d’une télénovella de bas étage. 
Reprenant les éléments clefs qui ont fait le succès de la série (les caméras, un lieu clos dont on ne peut s’échapper, des infectés plus agressifs que jamais, et bien sur la charmante Manuela Velasco), Rec 4 marche en terrain connu et ne prend aucun risque. Il reste que la réalisation est suffisamment honnête pour nous réserver quelques effets chocs du plus bel effet (le virus se transmettant de corps en corps), que le réalisateur traite comme à l’accoutumé son sujet avec sérieux et pour une fois sans ce second degrés qui désamorce systématiquement toute scène de terreur. 
Rec 4 se rapproche au final davantage d’un épisode de Resident Evil que les multiples adaptations du jeu mises en scène par Paul W.S. Anderson. Et c’est loin d’être un reproche.

dimanche 9 novembre 2014

Interstellar

Dans un futur peut-être pas aussi lointain que cela, la terre se meurt et devient peu à peu inhospitalière pour des humains qui en ont pompé toutes les ressources. Le seul espoir de l’humanité réside alors dans la conquête spatiale et la colonisation de nouveaux mondes. Plus facile à dire qu’à faire quand cela se traduit par des voyages de plusieurs centaines, voire milliers d’années. 
Avec son nouveau film, Christopher Nolan ne se contente pas de jouer avec l’infiniment grand et un espace que l’on devine infini, il s’amuse aussi avec la dimension temporelle. Car Interstellar multiplie les regards et les thèmes abordés, de la cellule familiale à l’humanité entière, de la survie de l’individu à celui de l’espèce, d’un certain message écologiste à une vision toute particulière de l’humanisme selon Nolan. 
Formellement irréprochable, le film bénéficie du talent de Hoyte Van Hoytema, le directeur de la photographie qui avait déjà magnifié Her de Spike Jonze, d’un casting solide, si l’on excepte une Anne Hathaway plus crédible en Catwoman qu’en scientifique de la NASA, d’effets spéciaux aussi sobres qu’impressionnants (les vagues gigantesques ou l’environnement futuriste) et comme d’habitude d’une réalisation au cordeau d’un cinéaste qui utilise les sauts temporels aussi bien comme sujets scénaristiques (la scène du retour dans la station de Cooper et Brand après leur excursion sur la planète recouverte d’eau est d’un impact et d’une dimension tragique incroyables) que comme élément de langage cinématographique. Il faut voir Matthew McConaughey au volant de sa camionnette pendant que le compte à rebours de la navette qu’il va piloter quelques mois plus tard s’égrène pour comprendre ce qu’un plan de transition réussi signifie. Mais comme à son habitude, et comme il l’a toujours fait tout au long de sa filmographie, Christopher Nolan privilégie la science-fiction au pur fantastique. 
(SPOILER) Là où un James Cameron (Abyss, Avatar) nous aurait proposé une rencontre avec une intelligence extra-terrestre, Christopher Nolan lui est catégorique. Fidèle à l’adage « aide toi, le ciel t’aidera », il nous confirme qu’une aide ne pourra venir que de nous, c’est-à-dire les humains quelques milliers d’années plus tard. Les Autres sont nos enfants qui ont évolués et qui sont capables de nous tendre la main depuis le futur. Certes, mais alors comme à chaque fois que l’on aborde les boucles temporelles, se posent des questions de cohérence. Où donc sont passés ces humains ? Pas sur la Terre qui devient mortelle pour la race humaine. Sur l’un des mondes découverts par les missions Lazare ? Pourquoi alors ne les voient on pas ? Et comment ont-ils réussis à développer une telle technologie, et donc à quitter la Terre, dans la mesure où ce sont eux qui nous donnent la clef pour justement partir de notre planète devenue inhospitalière ? (fin du SPOILER) 
Une fois ces questions résolues, il n’en reste pas moins une vision très particulière de l’humanité. Déjà, on peut être un peu sceptique devant l’admiration du réalisateur suscitée par les pilotes de la NASA et le dédain avec lequel il traite les agriculteurs qui sont devenus, les pieds dans la boue, le seul rempart de la population contre des famines massives. Mais prenons un peu de hauteur par rapport aux autres sujets abordés. 
Si la question entre la survie de l’individu et celui de l’espèce est passionnante, elle devient vite caduque si l’on considère que l’espèce humaine n’est rien d’autre qu’un ensemble d’individualités avec leur instinct de survie et de protection de leurs proches, réflexes grégaires qui font de nous des animaux dits civilisés et sociaux. Oscillant constamment entre deux visions de l’humanité (l’Homme est capable d’atomiser des populations affamées, de détruire les ressources naturelles sur lesquelles il est assis pour assouvir des besoins sans cesse croissants, mais il est aussi capable de conquérir l’espace et de se sacrifier pour la survie de la race), Christopher Nolan conclue par une vision qui se veut optimiste mais qui n’en reste pas moins effrayante. 
Nous sommes seuls dans l’univers, seuls face à nous-même et nous n’avons d’aide à attendre de personne. Une question se pose alors : combien d’années faudra-t-il aux nouveaux colons pour épuiser leur nouvelle planète d’adoption ?

jeudi 6 novembre 2014

Fury

Dans la sous-catégorie des films de guerre, ceux qui axent leur histoire autour de l’équipage d’un tank ne sont pas légion. Jusqu’à présent, la référence en la matière était sans conteste l’époustouflante Bête de Guerre réalisé par Kevin Reynolds en 2002. Désormais, il faudra aussi compter avec le Fury de David Ayer. 
L’histoire se déroule en Allemagne. La fin de la guerre est proche, les derniers combats n’en sont que plus sauvages. Fury suit le parcours de Don 'Wardaddy' Collier et de son équipe, bientôt rejoint par le jeune et inexpérimenté Norman Ellison. C’est à travers son personnage que nous serons confrontés une fois de plus aux horreurs de la guerre, mais aussi à une certaine fraternité qui prend corps au sein de cette bande de frères d’armes confinés dans les entrailles d’un tank Sherman. 
Car c’est bien autour de cette machine de guerre que vont se nouer les liens qui unissent ces hommes entre eux, emmenés par un chef hors du commun auquel Brad Pitt prête, une fois de plus, une présence incroyable. Innocence sacrifiée, virilité guerrière, sacrifice, peur et courage, rien ne manque à la parfaite panoplie du film de guerre. Fury pourrait se dérouler au sein d’un hélicoptère pendant la guerre du Viet Nam, les enjeux seraient les mêmes. Pourtant, malgré quelques poncifs et passages convenus, force est de constater que le film fonctionne. 
Grâce tout d’abord à un excellent casting, parfaitement adapté aux personnages de gueules cassées qui peuplent le film. Même s’il est plus familier des thrillers urbains, David Ayer a maintes fois prouvé qu’il savait parfaitement filmer les scènes d’action, et là encore le film en regorge. D’un impressionnant duel de chars entre trois machines américaines et un tank allemand à la prise d’une ville en ruine en passant par l’affrontement final, Fury nous offre de multiples moments de bravoure parfaitement maitrisés. Et il faut entendre Michael Peña raconter la terrible histoire des chevaux pour bien saisir l’atmosphère viciée qui entoure le film. 
Comme à son habitude, David Ayer filme la violence dans ce qu’elle a de plus crue, n’hésitant pas à multiplier les plans gores pour nous faire ressentir l’horreur des affrontements. Les têtes éclatent sous l’impact des balles, les jambes sont tranchées par des rafales de mitrailleuses, et les prisonniers sont le plus souvent sommairement abattus par des soldats totalement dénués de repères moraux. Heureusement, le réalisateur ne sombre ni dans le manichéisme ni dans la noirceur totale par une dernière lueur d’espoir. 
Il n’en reste pas moins que Fury porte bien son nom. C’est un film violent à l’atmosphère lourde, un film où les giclées de sang se mêlent à la boue et aux cris des mourants. David Ayer réussit à nous mettre devant l’atrocité de la guerre, ce qu’elle produit de plus noble et de plus horrible, ce mélange improbable de cruauté et de grandeur d’âme qui fait de l’Homme ce qu’il est.