lundi 30 janvier 2012

Il n'y a pas de rapport sexuel

Le film de Raphaël Siboni se présente comme une sorte de making off compilant des milliers d’heures enregistrées lors des tournages de l’acteur, réalisateur et producteur HPG. Cela aurait été d’un ennui monstrueux s’il ne s’agissait de montrer l’envers du décor d’un genre bien particulier, celui des films X genre méprisé et ghettoïsé par excellence (le film, qui n’est pourtant pas un film X au sens propre du terme, est diffusé avec six copies en France…).
La pornographie souffre en effet d’un manque flagrant de talent, particulièrement au niveau de la réalisation et l’on comprend un peu mieux pourquoi en voyant HPG travailler au quotidien. Personnage entier, réalisateur proche de ses acteurs qu’il ne cesse d’encourager et de motiver, le réalisateur n’en demeure pas moins un homme à tout faire, passionné par son métier mais incapable d’écrire un scénario qui tienne la route. La scène où il improvise une histoire et tente de faire comprendre à des acteurs pleins de bonne volonté mais complètement largués où il veut en venir est aussi comique que révélatrice.
Loin d’être une réflexion définitive sur le sujet, le film n’en reste pas moins un document saisissant de vérité sur une équipe au travail, avec toutes les fatigues, les moments de joie et bien entendu les limites du genre. Il n’y a pas de rapport sexuel enchaine les scènes franchement drôle comme ce dialogue surréaliste de lutte des classes entre HPG et un jeune noir qui voudrait bien devenir une star du X et qui commence sa carrière en se faisant sodomiser (!), le portrait tour à tour amusant ou pitoyable de jeunes filles dont c’est la première expérience devant la caméra. Et même des instants de grâce, une scène presque amoureuse entre l’acteur fétiche de HPG et Sexy Black durant laquelle, après une scène hard, on ne sait plus si les deux protagonistes simulent ou font réellement l’amour.
Ce genre de scène montre bien qu’il y a moyen dans le X comme ailleurs de faire de bons films, encore faut il des scénaristes et des réalisateurs dignes de ce nom. Beaucoup de cinéastes tournent autour du sujet (Gaspar Noé, Lars von Trier) sans jamais oser se lancer. Espérons que l’un d’eux ouvre la voix et sorte enfin le X de cette impasse, coincé qu’il est entre un intellectualisme méprisant et des productions hard rabaissant ses acteurs à l’état d’objets sexuels.

samedi 28 janvier 2012

J. Edgar

L’homme et la légende ont toujours été au centre de la filmographie de Clint Eastwood. Ce thème fut magistralement traité avec Impitoyable où la légende rattrape l’homme qui tente de lui échapper, et avec Gran Torino où l’homme s’émancipe enfin de son passé dans une forme de rédemption.
Dans ces deux films, Clint Eastwood se confronte avec une légende qu’il connait bien, la sienne. Ses multiples personnages de western dans Impitoyable, et une version vieillissante de l’inspecteur Harry dans Gran Torino. D’ailleurs, dans les deux films en question, c’est le réalisateur lui-même qui se met en scène et qui interprète ces personnages magnifiques et crépusculaires.
Avec J. Edgar, Clint s’attaque à un tout autre sujet puisqu’il s’agit d’un personnage réel, le créateur du FBI J. Edgar Hoover interprété par Léonardo DiCaprio. Et plutôt que de traiter ce personnage par le biais du mythe que son incroyable parcours a suscité, il préfère se concentrer sur l’homme, ou du moins l’image qu’il entend nous en donner.
De ce point de vue, le film est une réussite. Captivant dans les rapports que J. Edgar entretient avec une mère ultra possessive, dans la naissance du FBI tel que nous le connaissons actuellement, avec notamment l’acte fondateur que fut l’enlèvement et le meurtre du bébé Lindbergh, ou dans ses multiples confrontations avec huit présidents qui essaient de déloger un personnage qu’ils soupçonnent à juste titre de posséder sur eux un ascendant de plus en plus fort, le film est cependant frustrant quand il s’agit de traiter la face la plus sombre du patron du FBI.
Mais bien que traversant les époques et évoquant les pages les plus importantes de l’histoire récente des Etats Unis (l’assassinat de JFK par exemple), le film ne fait qu’efflorer la vraie nature de Hoover. Si son aversion des communistes et des radicaux de gauche qui a était l’un des moteurs de son existence est parfaitement mise en évidence, sa chasse ambigüe des homosexuels, ses liens plus ou moins avérés avec les assassinats de Martin Luther King, voire même de JFK et de son frère Robert Kennedy, sont en grande partie occultés.
Clint Eastwood décrit un personnage complexe, déchiré par ses contradictions (son amour pour son associé et sa nature homosexuelle qui s’opposent à la rigidité d’une mère qu’il vénère), manipulateur et avide de pouvoir. Mais il passe à coté de la Grande Histoire, de ses liens complexes avec les pages les plus sombres de l’histoire des Etats Unis. Décrit comme un homme rigide et puritain, Hoover ne reculait devant aucun moyen pour parvenir à ses fins, y compris le meurtre, commandité à distance bien entendu. Le réalisateur a préféré se concentrer sur un autre aspect du personnage, et l’histoire qu’il raconte est en tout point passionnante et maitrisée. Il est juste dommage que devant une telle icône, il préfère la lumière à l’ombre contrairement à James Ellroy par exemple qui dépeint dans ses romans un homme bien différent.
Dernier point de dissonance, les maquillages vieillissant les personnages. Si celui de Naomi Watts est réussi, Léonardo DiCaprio apparait tour à tour comme un vieillard et comme un acteur portant un masque de vieillard. Quand à Armie Hammer dans le rôle de Clyde Tolson, il ressemble carrément au grand père momifié de Massacre à la Tronçonneuse.
Le parti pris par Clint Eastwood pour traiter le personnage de Hoover est discutable, mais si l’on accepte cette vision forcement subjective de l’homme, alors J. Edgar reste un film passionnant qui dépeint une page important de l’histoire de l’Amérique.

dimanche 15 janvier 2012

Take Shelter

Est-ce une coïncidence ou une influence, mais en cette année 2012 annoncée comme celle de la fin du monde par nombre de prophètes de pacotille, ce thème aura engendré en quelques mois des films majeurs.
Melancholia fut l’un, sinon le plus beau film de 2011 et Take Shelter débute l’année 2012 sur en fanfare. La façon magistrale dont sont traités les deux films n’est d’ailleurs pas leur seul point commun. L’un comme l’autre abordent en effet la fin du monde, réelle ou fantasmée, la maladie mentale et utilisent pour illustrer leurs propos des tableaux de toute beauté. Aux peintures oniriques de Lars Von Trier répondent les scènes magistrales de tempêtes et d’orages de Take Shleter.
L’histoire débute de façon classique. Curtis LaForche est un ouvrier américain moyen, père d’une petite fille sourde muette et mari d’une femme dynamique qui vend sur les marchés des objets qu’elle confectionne elle-même. Leur vie jusque là sans histoire est perturbée par des cauchemars qui hantent les nuits de Curtis. Des visions annonçant la fin du monde et un futur apocalyptique où les humains s’entre tuent. Sachant que sa mère a été internée à l’âge de trente ans pour cause de paranoïa, Curtis s’interroge. Est-il malade ou voit-il avant tout le monde une catastrophe inexorable ? Peu à peu, ces terribles visions vont le couper des êtres qui l’entourent. Son chien d’abord, puis son meilleur ami, son patron et bientôt sa femme.
Take Shelter oscille constamment entre le film d’anticipation et l’étude clinique d’une maladie mentale sans jamais imposer sa vison au spectateur. Au contraire, le film alterne les moments de doutes, les visions de plus en plus terrifiantes de Curtis avant de nous délivrer par un final tétanisant. Ces cauchemars, le réalisateur les traite de façon presque elliptique, particulièrement pour ce qui est du devenir des humains après la supposée catastrophe. Alors qu’il aurait pu en rajouter dans la surenchère, il nous dévoile des scènes aussi brèves que terrifiantes. L’apothéose survient lorsque Curtis rêve de sa propre femme en chemise de nuit et ruisselante de pluie dans la cuisine. Pâle et hagarde, elle regarde alternativement son mari et un couteau posé sur le plan de travail. On s’attend à tout moment à une explosion de violence qui n’arrive jamais ailleurs que dans notre imagination que le réalisateur laisse travailler, nous laissant pantois à imaginer le pire. Rarement des scènes sont allées aussi loin dans la terreur avec une telle économie de moyen. Et quand l’homme est confronté aux éléments déchainé qu’il est seul à voir ou à entendre, ce sont des descriptions aussi belles que puissantes de ce que serait en effet une fin du monde. Une pluie jaune et visqueuse qui se met à tomber, orages dévastateurs, un ciel chargé de toutes les menaces que la nature puisse faire peser sur la race humaine, des oiseaux morts qui tombent du ciel par milliers. Alors que les bruits naturels remplacent la musique, rendant ces scènes paradoxalement encore plus effrayantes, le spectateur ne sait plus s’il est prisonnier de la paranoïa de Curtis ou s’il partage avec lui les derniers instants de l’humanité.
Interprété par un casting parfait dominé par le monolithique Michael Shannon, Take Shelter se conclut en deux temps. Le réalisateur nous propose une première fin clinique et raisonnable quand la famille sort de l’abri anti tempête. Quelques minutes après, une scène qui marquera nos esprits longtemps après avoir quitté la salle clos de manière définitive le film sur une note fantastique, d’une beauté et d’une force absolues. Loin des poncifs du genre, des débordements outranciers des films catastrophes ou post apocalyptiques, Jeff Nichols réalise avec ce second film plus qu’un coup de maitre. Une œuvre forte, dérangeante, belle et maitrisée de bout en bout.