jeudi 21 janvier 2010

Le livre d'Eli

Les films post apocalyptiques semblent revenir à la mode depuis quelques temps.
De Terminator Renaissance en passant par La route, dont l’univers est très similaire à celui du Livre d’Eli, et en attendant Fury Road, la désolation post nucléaire occupe une bonne partie des écrans, avec plus ou moins de bonheur.
Pourtant, ce Livre d’Eli ne se contente pas d’être un simple film d’action mais propose une approche inédite de ce type d’histoire.
A la confluence de multiples influences, anticipation donc mais aussi western et quête initiatique, le film des frères Hughes dénote aussi bien par le traitement de l’image que par les thèmes abordés.
Dès le premier plan, nous sommes plongés dans un monde ravagé par le biais d’une photographie magnifique aux tons délavés. Les couleurs oscillent entre le marron et le gris, et de multiples plans larges nous font découvrir d’immenses paysages dévastés jonchés de carcasses de voitures abandonnées, de villes désertées depuis des années. Les réalisateurs nous font suivre les pas d’Eli, un homme taciturne qui marche vers l’Ouest. Guerrier accompli et au demeurant indifférent au sort de ses semblables, il constitue un improbable croisement entre le Pale Rider de Clint Eastwood et le Mad Max de Georges Miller. Eli transporte un livre mystérieux vite convoité par Carnegie qui règne d’une poigne de fer sur un semblant de ville reconstituée et peuplée d’une faune peu recommandable.
Car, et c’est une constante dans ce type de film, en l’absence de règle, d’autorité et de tout ce qui constitue une société, l’homme redevient, au sens propre comme au figuré, un prédateur pour son semblable. Au milieu de cette violence, Eli marche inexorablement vers ce qui semble être sa destinée, animé par une volonté et une force quasi divine.
La démarche des frères Hughes de mettre le religieux au cœur de leur histoire est risquée. Il est tentant de voir en Eli un intégriste ne reculant devant aucun sacrifice pour remplir à bien sa mission. Sobrement interprété par un Denzel Washington pourtant peu habitué à ce type de personnage, Eli est investi d’une mission sacrée, celle de protéger et de transmettre la parole de Dieu. Les athées se demanderont si une telle chose est bien souhaitable et s’il ne serait pas plus sage de repartir de zéro. Carnegie ne s’y trompe pas, lui qui voit dans la Bible une arme de manipulation extrêmement puissante. Alors qu’il réussit enfin à s’en emparer, il découvre horrifié qu’il ne peut le lire, tout comme les non croyants ne peuvent voir Dieu.
Les références bibliques sont d’ailleurs nombreuses et l’ont peut voir l’apocalypse nucléaire comme une allégorie du jugement dernier. L’Enfer est désormais sur Terre et Eli est l’un des derniers prophètes qui protège la parole divine.
Formellement, le film est une réussite. Les réalisateurs montrent une réelle maitrise lors des scènes d’actions et de combat, notamment lors de l’attaque de la maison durant laquelle ils nous offrent des plans acrobatiques tout en gardant une parfaite lisibilité de l’action. La rencontre d’Eli et de Solara avec les habitants de la maison est d’ailleurs un model du genre. On passe en quelques minutes du comique à l’horreur lorsque les deux voyageurs découvrent leur secret, puis à l’action pure quand débarque Carnegie et ses sbires.
Il ne manque donc pas grand-chose pour que le Livre d’Eli soit une réussite majeure. Le seul point faible du film est surement le personnage de Solara interprétée par Mila Kunis. Ses vêtements branchés et sa démarche pimpante dénotent dans cet univers de poussière et de sang. On l’imaginerait plus volontiers dans une comédie romantique ou dans un épisode de Sex and the city. La reprise du flambeau à la fin du film est d’ailleurs peu crédible.
On peut aussi déplorer que le potentiel de méchanceté et de folie de Gary Oldman et de Ray Stevenson n’ait pas été plus exploité.
Ceci étant, le livre d’Eli reste un film qui ose s’aventurer dans des voies inédites, quitte à provoquer la controverse, tout en nous offrant un spectacle de qualité, ce qui est déjà beaucoup.

dimanche 17 janvier 2010

Invictus

Le pardon et la rédemption ont toujours constitué des thèmes majeurs dans la filmographie de Clint Eastwood.
L’adaptation de Mystic River, et des œuvres plus personnelles comme Impitoyable, Gran Torino en sont les exemples les plus récents. Invictus se situe dans la droite ligne de ses précédents films et constitue une pierre supplémentaire dans une œuvre majeure et d’une rare cohérence.
Le film débute en 1994, l’élection de Nelson Mandela sonne le début d’une ère nouvelle pour l’Afrique du Sud. Après des années de prison, le leader noir n’a qu’un mot à la bouche, le pardon pour ses tortionnaires. Un pardon qui devra être partagé par tous et qui permettra au pays de se relever et de se reconstruire. Les tensions entre noirs et blancs restent cependant vives et s’expriment au travers de multiples scènes de la vie quotidienne. Le sport en est un exemple, comme en témoigne ce plan d’ouverture où l’on voit un groupe de blancs bien équipés s’entrainer au rugby alors que de l’autre coté de la route des jeunes noirs en haillons jouent au foot.
Fin stratège et visionnaire, Nelson Mandela pressent que le rugby et l’équipe nationale des Springboks, jusque là symbole de l’Apartheid, pourrait bien devenir un élément national fédérateur à l’occasion de la coupe du monde qui se déroula en Afrique du Sud en 1995. Il se rapproche alors de François Pienaar, capitaine de l’équipe et pur produit de l’Apartheid.
Invictus se rapproche davantage de Mémoires de nos Pères et Lettres d’Iwo Jima que de Million Dollar Baby. Le film privilégie en effet moins des destins individuels que l’histoire d’une nation. Une page de cette histoire nous est présentée ici par le biais de deux hommes, issus de milieux radicalement différents.
Nelson Mandela et François Pienaar n’avaient à priori rien en commun si ce n’est que l’un et l’autre incarnaient de façon symbolique les deux visages de l’Afrique du Sud des années 90. Le vieil homme noir, leader politique et ancien prisonnier va contribuer à transformer le jeune homme blanc, sportif élevé dans une tradition de séparation raciale. Ensemble, ils vont donner à tout un pays une raison de regarder dans la même direction, le temps d’une saison sportive.
Si le film de Clint Eastwood joue surement moins sur la corde sensible que ses précédents longs métrages, le réalisateur réussit cependant à combiner habilement le film sportif et la chronique politique sans sacrifier pour autant ses personnages. Encore une fois, tous les éléments sont rassemblés pour faire d’Invictus un film prenant et réussi. Une bande son impeccable, une direction d’acteur sans faille, une distribution intelligente et surtout, un réel intérêt porté aux personnages qu’il met en scène. Une fois de plus, Clint Eastwood signe un film maitrisé de bout en bout. Alors même que l’on connait le résultat du match de final, il réussit le pari de nous tenir en haleine et de faire de cette rencontre sportive une aventure avant tout humaine. Celle de deux hommes, de deux peuples qui se rapprochent un peu alors qu’ils se haïssaient quelques années auparavant. La personnalité exceptionnelle de Madela est incarnée par un Morgan Freeman habité par son rôle, tour à tour grave et souvent malicieux.
On pourra toujours reprocher au réalisateur quelques scènes un peu forcées lorsqu’à la fin du match des policiers blancs prennent des enfants noirs dans leurs bras, et que chacun s’embrasse dans la liesse la plus totale. C’est surement un peu trop, mais c’est aussi l’expression d’un homme qui croit encore, et de plus en plus en son prochain.
Chaque film en témoigne, chaque film confirme que Clint Eastwood est l’un des plus grands réalisateurs en activité. Vite, la suite !