samedi 29 juin 2019

Golden Glove

Découvrir Golden Glove en salle équivaut à peu de chose prés à se prendre un tampon hygiénique usagé en pleine poire. On a beau être prévenu, l’expérience n’en demeure pas moins sale, brutale et traumatisante. 
C’est surement l’explication d’un échec commercial annoncé (j’ai rarement l’occasion de voir un film seul dans une salle de cinéma). Et pourtant. Réduire Golden Glove à ses scènes de meurtres, aussi frontales et glauques soit elles, revient à ne voir dans l’écriture d’un Bukowski qu’une succession de beuveries, de bagarres et de gueules de bois. 
Et c’est là où le nouvel opus de Fatih Akin dépasse son statu de film de serial killer et transcende un genre déjà bien représenté (Maniac, Henri portrait of a serial killer, …). Car à l’instar d’un Bukowski justement, à travers leurs turpitudes, leurs violences et leur détresse social, Golden Glove parle des gens. 
Le réalisateur ne se pose jamais en juge ni en procureur pour dresser le portrait d’une galerie de personnages inoubliables, affreux sales et méchants. Des laissés pour compte qui trainent leurs tares physiques et mentales dans un brouillard éthyliques dont ils n’émergent que pour commettre l’irréparable. 
Cultivant une atmosphère anxiogène et claustrophobe entre l’appartement de Fritz Honka et le fameux Golden Glove, bar cosmopolite et lieu de rencontre de toute la misère humaine du Hambourg des années 70, le film ne se permet que de rares apartés dans les rues de la ville comme pour mieux prendre une grande aspiration avant de replonger dans la fumée de cigarettes et la puanteur des cadavres en décomposition. Mais une fois encore, la force incroyable du film vient du soin avec lequel le réalisateur peint ses personnages. 
Nulle condescendance et encore moins de jugement ou de fausses excuses pour ces damnés dont les tranches de vies éclipsent peu à peu les scènes de meurtres que l’on attend avec un mélange d’effroi et d’appréhension à chaque fois qu’une nouvelle femme franchit le palier de l’appartement de Fritz Honka. Fatih Akin plonge au cœur de ce qu’une vie de misère peut engendrer, n’hésitant pas à faire se côtoyer dans le même bar un ancien officier SS et une prostituée ayant officié de force dans les camps de concentration allemands. Le réalisateur nous oblige à regarder cette misère en face dans ce qu’elle a de plus abjecte et là encore, les meurtres pourtant brutaux sont presque relégués au second plan tant la force de cette peinture des gueules cassées de l’après-guerre nous prend aux tripes pour ne plus nous lâcher. 
Porté par une série d’interprètes d’un réalisme jusqu’alors peu vus sur grand écran, avec en tête l’interprétation hallucinée d’un Jonas Dassler littéralement habité par son rôle, Golden Glove est un film important par le regard qu’il porte sur cette frange de l’humanité gangrénée par son propre malheur. Des hommes et des femmes brisés qui s’entre dévorent dans un dernier sursaut de vie avant de vomir leurs tripes dans un caniveau sous l’œil indifférent des passants. Quinze ans après Head On, Fatih Akin retrouve sa rage et ça fait un bien fou.

lundi 10 juin 2019

Parasite

Film de la consécration pour Bong Joon Ho avec une palme d’or au dernier festival de Cannes, Parasite n’en reste pas moins une œuvre profondément ancrée dans la filmographie du réalisateur, brassant des thèmes familiers déjà abordés dans ses précédentes réalisations. Parasite aborde la déliquescence de la société qui engendre ses propres monstres (Memories of Murder), la cellule familiale comme dernier rempart contre une menace extérieure (The Host) et bien sur la lutte des classes au sein d’une société hiérarchisée à l’extrême (Snowpiercer). 
C’est donc sans surprise mais avec un plaisir intact que l’on retrouve la maitrise scénaristique et visuelle de Bong Joon Ho au service d’une histoire sous tension qui passe allègrement de la comédie au drame social et lorgnant au passage du coté du slasher et du thriller. Et c’est bien ce mélange des genres porté par un casting absolument impeccable qui fait la réussite d’une chronique sociale lucide et néanmoins frontale avec cette subversion propre au cinéma coréen. 
Bong Joon Ho regarde la violence dans les yeux, qu’elle soit physique ou morale, et nous donne en pâture un spectacle que même la patine de la comédie ne suffit pas à édulcorer. Car au-delà du clivage entre les pauvres et les nantis qui existera toujours, le réalisateur porte un regard sans concession sur cette frange de la population que nous refusons de voir, et qui se révèle au final capable d’un jusque boutisme désespéré pour accéder à ce que la société leur met sous le nez sans jamais leur permettre d’y gouter. La luxueuse maison de la famille Park abrite donc en son sein les riches propriétaires, les pauvres domestiques et les damnés, ceux que la société condamne et qui doivent vivre cachés pour échapper aux poursuites (les créanciers, la justice). 
Avec un sens de l’espace central dans son processus narratif (la famille de de Ki-taek vit sous le niveau de la rue, alors que la maison des Park se situe en hauteur mais [SPOLIER] abrite en son sein un souterrain où se terrent les fameux damnés [FIN DU SPOLIER]), Bong Joon Ho met en scène une famille pauvre, attachante et solidaire mais impitoyable envers autrui lorsqu’il faut pousser les oiseaux hors du nid pour prendre leur place. 
Nulle concession à une quelconque solidarité entre pauvres donc ; rompus à la loi du plus fort ils se montrent sans pitié et manipulateurs pour s’imposer au sein d’une famille aveuglée par son propre nombrilisme. Le ver est dans le fruit qu’il grignote patiemment, jusqu’à l’explosion finale, débordement de violence expiatoire lorsque l’on se rend compte que l’argent ne peut pas tout acheter et qu’en dernier lieu il reste la dignité à défendre, quelqu’un soit le prix. 
Bong Joon Ho conclue son film par une énième retournement avec un faux happy end bouleversant et nous laisse groggy mais ravi devant une telle profusion d’émotions et de maitrise filmique.