jeudi 31 mars 2011

Sucker Punch

Zack Snyder délaisse pour un temps les remakes et adaptations de comics pour mettre se pencher sur un scénario original. Celui de Sucker Punch met en scène une jeune fille qui, à la suite de la mort de sa mère et de sa jeune sœur, se voit interner par son beau père dans un asile psychiatrique. Le seul moyen pour retrouver sa liberté est de s’enfuir dans un monde fantasmé en compagnie de quatre autres détenues. Baby Doll, Sweet Pea, Blondie, Rocket et Amber vont alors traverser toute une série d’épreuves pour rassembler les cinq éléments qui doivent leur ouvrir les portes de leur prison. Une prison aussi bien matérielle que mentale. Mais la liberté a un prix.

Zack Snyder a prouvé tout au long de sa filmographie qu’il était un réalisateur capable de matérialiser comme personne des univers esthétiquement prodigieux. Sucker Punch ne fait pas exception à la règle.

Au confluent d’influences aussi diverses que le manga, le jeu vidéo, l’héroïc fantasy ou le film de guerre, le réalisateur fait de chaque missions du commando de filles un tableau d’une puissance incroyable.

La première confrontation de Baby Doll avec ses ennemis met en scène la jeune fille en tenue d’écolière, jupette et couettes comprises, armée d’un katana et d’un pistolet. Aux prises avec des guerriers japonais géants, elle représente un condensé de l’imagerie manga à elle seule.

Les missions suivantes verront les filles combattre des soldats allemands revenus d’entre les morts dans des tableaux qui semblent sortis d’une bande dessinée d’un Tardi à mi chemin entre ses travaux sur la première guerre mondiale et l’univers déjanté d’Adèle Blanc Sec. Ou bien un dragon et une armée d’orques que n’aurait pas reniés le Peter Jackson du Seigneur des Anneaux.

Quand aux missions en elles même, qui débutent par le brief d’un mystérieux vieil homme omniprésent et se concluent par la confrontation avec un boss, elles obéissent en tous points aux règles des jeux vidéos.

Zack Snyder assure donc le spectacle comme il sait si bien le faire, en s’appuyant sur une grosse bande son et des ralentis artistiques que certains pourront trouver agaçants. Mais à l’image de 300, le film souffre aussi d’un manque d’humanité qui nous empêche de nous attacher aux personnages. Baby Doll et ses copines sont plus des icones que de vrais femmes, tout comme l’étaient Leonidas et ses spartiates. A force de styliser chaque séquence à l’extrême, le réalisateur oublie qu’une histoire tient surtout par ses personnages et l’empathie qu’ils suscitent auprès des spectateurs.

Alors oui, le spectacle est parfait, chaque combat est un morceau de bravoure, mais l’ensemble reste froid et déshumanisé. C’est d’autant plus dommage que Zack Snyder sait raconter une histoire.

Preuve en est cet incroyable prologue aux allures de clip durant lequel, sans une seule ligne de dialogue, il met en scène la tragédie qui va conduire Baby Doll en enfer. Le tout est parfaitement lisible, le réalisateur raconte une histoire sans que ses personnages aient besoin de prononcer un seul mot.

Cette humanité, il avait réussi à l’insuffler dans cet incroyable remake de Zombie qu’est l’Armée des morts, sans parler de l’adaptation réussie et pourtant casse gueule des Watchmens. Telle une Salomé, Baby Doll danse pour ensorceler les hommes et emmener le spectateur dans un monde magique à chaque fois différent, promesse d’un spectacle puissant et généreux, bien que parfois trop envahissant et démonstratif. Le problème c’est qu’entre deux missions, il ne se passe par grand-chose.

Sucker Punch est une belle machine à laquelle il manque une âme pour emporter totalement l’adhésion des spectateurs. On se contentera donc de cette claque visuelle tout de même jouissive en attendant de voir ce que le réalisateur fera du prochain Superman.

samedi 12 mars 2011

Winter Bones

Winter Bones sonne comme un lointain écho à Frozen River sorti deux ans plus tôt. Deux titres glacials pour deux films qui décrivent le difficile quotidien des pauvres aux Etats Unis.
Mais alors que dans le premier une mère se démenait pour offrir une vie décente à ses enfants, il n’y a plus aucune présence parentale dans Winter Bones.
A 17 ans, Ree Dolly se débrouille comme elle peut pour s’occuper de son frère et de sa sœur. Sa mère est apathique et son père, trafiquant de drogue, a disparu. Si elle veut éviter la saisie de sa maison placée sous caution, la jeune fille va devoir retrouver ce père absent. Commence alors pour elle une quête désespérée qui la conduira à croiser la route de personnages tous plus inquiétants les uns que les autres.
Winter Bones se déroule en plein hiver dans le Missouri, et la nature magnifiquement filmée y a une place prépondérante. Tour à tour nourricière et inquiétante, elle environne la famille de Ree et la communauté fermée dans laquelle elle vit.
Ces marginaux qui survivent comme ils le peuvent en marge d’une société qui les a oubliés font régner une loi tacite faite d’entre aide mais aussi d’omerta. Quiconque cherche à briser cette loi du silence est passible de mort. C’est dans ce contexte que cette jeune fille obstinée et adulte avant l’heure devra lutter pour préserver le peu qu’elle possède.
Le parallèle avec le récent True Grit des frères Cohen est d’ailleurs évident. Les deux films mettent en scène la quête obstinée et peuplée de rencontres inhabituelles d’une adolescente têtue et débrouillarde autour de la figure du père. Mais alors que Mattie est mue par un sentiment de vengeance, c’est l’instinct de survie et de protection de sa famille qui fait avancer Ree.
Winter Bones regorge de qualités, et la plus évidente est surement le regard dénué de toute condescendance que la réalisatrice porte à ses personnages. Loin du moindre apitoiement, Debra Granik dresse les portraits de personnages hors du commun, des héros ordinaire comme Ree, littéralement habitée par une Jennifer Lawrence étonnante ou son oncle Teardrop magnifiquement interprété par John Hawkes.
Le film s’ouvre d’ailleurs sur un plan montrant le frère et la sœur de Ree jouant sur un trampoline comme n’importe quels enfants. Ils ne possèdent rien, ou si peu, ce qui ne les empêche pas d’être heureux ensemble. Comme les poussins de la scène finale, ils se serrent les uns contre les autres pour affronter la rudesse de l’hiver et de la vie.
Mais Winter Bones ne se contente pas d’être une énième chronique sociale sur une classe rarement montrée au cinéma. Le film diffuse une atmosphère étrange, à la limite du fantastique, au travers d’une galerie de personnages peu fréquentables que leur réputation précède. Hommes ou femmes, ils forment une société aux règles strictes absolument hermétique à toute personne étrangère. Ree, et surtout Teardrop, apprendront à leurs dépens le prix à payer pour enfreindre ces règles.
Les personnages de Winter Bones ne correspondent à aucun des stéréotypes si souvent employés dans le cinéma. Par exemple, alors que Ree et sa petite sœur guettent les écureuils dans la forêt, on s’attendrait à ce que la fillette soit émerveillée par ces petits animaux d’ordinaire si charmants. Au contraire, elle aide sa grande sœur à les tuer à la carabine, tout simplement parce qu’ils représentent pour elle un repas potentiel.
Winter Bones regorge de scènes puissantes portées par des interprètes littéralement habités par leurs rôles. (Attention spoilers !) Comme cette promenade en barque hallucinante au cours de laquelle Ree et deux femmes vont couper à la tronçonneuse les mains du cadavre de son père pour prouver qu’il est bien mort.
Ou cette confrontation incroyable entre Teardrop et le sheriff sur une route de nuit, au cours de laquelle ils s’affrontent verbalement. La tension est palpable sans que les deux hommes ne se regardent une seule fois autrement qu’à travers le rétroviseur de la voiture.
L’histoire se conclue sur une note presque heureuse en coupure avec la tonalité du film. Une scène de famille recomposée touchante et apaisée. Jusqu’à ce que Teardrop avoue à sa nièce qu’il sait à présent qui a tué son jeune frère. Ce qui est pour lui synonyme de mort. Il le sait, Ree le sait et elle le regarde partir une dernière fois sans pouvoir faire quoi que ce soit.
Peu de mots sont échangés et pourtant l’impact émotionnel est énorme. C’est cette économie de moyens au service des personnages qui fait de Winter Bones l’un des films les plus réussis et touchants de ces dernières années.

mercredi 2 mars 2011

Batalla en el cielo

Drôle de film que ce Batalla en el cielo. En 1985, Carlos Reygadas filme des personnages mutiques et tragiques dans le théâtre urbain de la ville de Mexico. Cette ville, il la fait vivre au travers de scènes les plus représentatives de cette gigantesque mégalopole. Le levé de drapeau quotidien, le pèlerinage des repentants, les milliers de voitures qui quadrillent la cité, le métro bondé, les marchands de babioles à la sauvette.
C’est dans cette ruche en constante effervescence qu’évoluent les personnages de Batalla en el cielo.
Marcos, le chauffeur et homme à tout faire d’un général que l’on ne verra jamais, sa femme obèse et Anna, la fille de son patron qui se prostitue occasionnellement par plaisir.
Marcos et sa femme ont enlevé un bébé pour toucher une rançon. Mais le bébé est mort accidentellement et ce drame hante Marcos qui avoue son crime à Anna. Dès lors s’enclenche pour lui un processus d’autodestruction à l’issu forcement fatale.
Batalla en el cielo se caractérise principalement par sa lenteur, son statisme et le visage buté et fermé de Marcos et de sa femme. Carlos Reygadas filme en un long travelling circulaire les murs décrépis des immeubles, réalise un plan fixe sur un moteur de voiture et s’attarde sur ces personnages qui semblent déjà mort.
C’est du moins le cas de Marcos et de sa femme que tout oppose à Anna, et c’est cette opposition qui semble être le moteur du film. Marcos est un indien pauvre, laid, âgé, apathique. Anna est une jeune fille blanche, belle, riche et pleine de vie. Ces deux êtres que rien ne devrait réunir finiront par faire l’amour ensemble et par se détruire mutuellement.
Le filme s’ouvre et se termine d’ailleurs par une scène de fellation explicite et douce entre eux, qui s’apparente à une réalité fantasmée. Carlos Reygadas filme ses scènes de sexe de manière frontale, à la manière d’un Larry Clark qui serait fasciné par la trivialité, pour ne pas dire la laideur du quotidien et de la pauvreté, quelle soit matérielle ou intellectuelle. Que ce soit lors d’une scène d’amour entre deux obèses ou quand Marcos urine dans son pantalon avant son déchainement de violence, le réalisateur semble vouloir coute que coute nous mettre face à une certaine réalité.
Malgré la présence impressionnante de l’ensemble des acteurs, la beauté, la jeunesse et le naturel d’Anapola Mushkadiz qui interprète Anna face au mutisme du couple interprété par Bertha Ruiz et Marcos Hernandez, force est de constater que l’on sent passer les une heure trente du film. On a du mal à voir où veut en venir le réalisateur, l’ennui prenant souvent le pas sur la poésie.
Il n’en reste pas moins que Batalla en el cielo est un film suffisamment atypique, osé et en marge de la plupart des productions actuelles pour nous interpeller. Dommage que ce soit l’incompréhension et un imperceptible sentiment d’ennui qui prennent souvent le pas sur l’intérêt qu’aurait pu susciter un tel projet.