mercredi 16 novembre 2016

Tu ne tueras point

Il y a l’homme tiraillé par ses zones d’ombre, ses vieux démons et sa ferveur catholique, l’acteur charismatique et le réalisateur incroyablement doué et honteusement sous-estimé. Avec Hacksaw Ridge, Mel Gibson ajoute un jalon de plus à une filmographie qui devient de plus en plus exemplaire et indissociable de ses propres obsessions au fil du temps. 
Fidèle à ses thèmes de prédilection que sont la religion catholique et la souffrance (physique et morale), le réalisateur met en scène l’histoire vraie de Desmond, un jeune américain fervent religieux qui s’engage dans l’armée comme infirmier mais refuse de tenir une arme. Et c’est bien à un véritable chemin de croix que nous assistons, depuis son entrainement jusqu’à l’enfer de la bataille d’Okinawa, Desmond sera soumis à la tentation de tourner le dos à ses convictions par amour pour sa femme, il souffrira dans sa chair et son âme et dans un plan final quasi mystique, accédera à la grâce sans avoir renoncé une seule seconde à ses convictions. 
Présenté comme cela, Tu ne tueras point a tout pour rebuter le spectateur le plus ouvert. Ouvertement religieux, le personnage principal interprété par Andrew Garfield se présente de prime abord comme un garçon gentil, un peu niais et têtu. L’histoire glorifie la non-violence au nom d’un idéal religieux que l’on est en droit de trouver naïf. Le réalisateur creuse encore davantage un sillon déjà bien entamé avec Braveheart, Apocalypto et surtout la Passion du Christ. Alors oui, on pourrait y aller à reculons. Et pourtant la magie opère. 
Tu ne tueras point est un film majeur, captivant de bout en bout, dirigé de main de maitre par un réalisateur en pleine possession de ses moyens et un directeur d’acteur hors pair. Car l’une des plus grandes réussites du film est sans conteste son casting, impeccable de bout en bout. Vince Vaughn est né pour ce rôle de sergent instructeur que n’aurait pas renié le Stanley Kubrick de Full Metal Jacket. Sam Worthington campe un capitaine plus vrai que nature avec une douceur qui cache une autorité jamais démentie par ses hommes. Hugo Weaving hérite peut être du plus beau rôle du film, un père alcoolique et traumatisé par une guerre qui lui ravit ses fils et qu’il habite avec une pudeur et une retenue rarement vues à l’écran. Sans oublier Teresa Palmer, Rachel Griffiths, Luke Bracey et tous les autres. Mel Gibson a eu l’intelligence de s’entourer de comédiens hors pairs qui participent à la cohésion d’un film choral d’une lisibilité exemplaire. 
Alors que l’histoire enchaine les passages obligés (l’enfance, la relation amoureuse, l’entrainement militaire) avant de nous plonger dans l’enfer de la guerre, chaque partie s’avère non seulement passionnante mais déterminante dans la construction de l’homme que va devenir Desmond. Aussi à l’aise dans la légèreté (les passages comiques sont nombreux) que l’action pure (les assauts contre les japonais renvoient directement à la sauvagerie mais également la maitrise de la scène d’ouverture d’Il faut sauver le soldat Ryan), Mel Gibson ne choisit évidemment pas cette histoire au hasard. Il met en scène un homme de conviction qui connait l’enfer et interroge son dieu pour mieux renaitre de ses cendres, porté par sa foi religieuse. Le parallèle serait tentant entre ce jeune soldat et le réalisateur. On se contentera de saluer l’un des meilleurs films de l’année, tout simplement.