jeudi 23 février 2017

Split

Même lorsqu’il est seul, Kevin Wendell Crumb ne s’ennuie jamais. Avec ses vingt-trois personnalités, dont Dennis, Patricia, Hedwig, Barry, Orwell ou Jade, il laisse place tour à tour à un dandy, un manipulateur, un enfant de neuf ans ou une femme autoritaire. Et c’est sans compter la vingt quatrième entité qui pointe son nez et compte bien s’imposer en mâle dominant au sein de cette meute aussi hétérogène que dangereuse. Car malgré un suivi médical attentionné, Kevin perd peu à peu pied avec la réalité, jusqu’à l’enlèvement de trois adolescentes qui va précipiter le drame. 
Après une laborieuse traversée du désert public et critique, M. Night Shyamalan revient aux commandes avec ce qu’il sait faire de mieux, un film malin et savamment troussé qui réserve quelques surprises à des spectateurs qu’il invite dans un défilé de personnalités dérangées que n’aurait pas renié le réalisateur de Psychose. Si la performance d’acteur de James McAvoy est en tout point admirable sans jamais verser dans le cabotinage outrancier, l’interprète aux multiples facettes se trouve aussi particulièrement bien entouré avec en premier plan Anya Taylor-Joy révélée dans The Witch et qui campe un personnage (presque) aussi torturé que son tortionnaire. 
Habilement construit, le réalisateur alterne les faces à faces entre Kevin et la psychiatre, puis Kevin et les adolescentes pour nous faire découvrir peu à peu la complexité de ses personnalités multiples, le film renouvelle habillement un genre mille fois visité (le face à face entre le psychopathe kidnappeur et ses victimes) et emprunte des chemins plutôt originaux. 
Split assure donc un spectacle haletant jusqu’à un final qui, loin du twist final sensé retourner le spectateur, se veut un clin d’œil à la propre filmographie du réalisateur (il faut avoir vu Incassable pour en comprendre le sens) et fait basculer l’histoire dans un registre radicalement différent qui appelle une suite. C’est malin, encore un tantinet égocentrique, mais cela n’enlève rien au plaisir du film.

jeudi 16 février 2017

A Cure for Life

On peut reprocher beaucoup de chose à Gore Verbinski, mais certainement pas sa générosité. Une générosité qui frôle la gourmandise lorsqu’il bourre ses blockbusters de scènes d’anthologie (Pirates des Caraïbes, Lone Ranger) et qui sombre aussi parfois dans l’indigestion comme c’est malheureusement le cas pour ce Cure of Life pourtant prometteur. 
Avec son remake plutôt réussi du Ring de Hideo Nakata, le réalisateur a prouvé qu’il savait susciter l’horreur avec une imagerie certes sophistiquée mais néanmoins personnelle (comme en témoigne par exemple le symbole sacrificiel des gros animaux, le cheval dans Le Cercle, le cerf et la vache dans A Cure for Life). Il récidive ici avec une histoire qui mêle malédiction ancestrale au cœur de l’Europe (terre de légende pour nos voisins américains), expériences contre nature et mythe d’immortalité tout en n’oubliant pas au passage de porter un bon coup de griffe à une industrie qui l’a laissé à genoux après l’échec critique et commercial de Lone Ranger. 
SPOILERS Car comment ne pas voir une allégorie revancharde dans cette cure qui extrait un fluide vitale du corps desséché de ces vieux riches qui n’ont eu de cesse toute leur vie durant de pressuriser leurs employés et leurs associés dans une course sans fin au pouvoir et à l’argent ? FIN DES SPOILERS 
Formaliste abouti, Gore Verbinski s’intéresse finalement davantage à la façon d’illustrer son histoire qu’à l’intrigue elle-même qu’il étire inutilement pendant toute la seconde partie du film. Jouant sur les formes (le cercle, justement, revient régulièrement avec le bassin autour duquel tourne Hanna, l’œil de la mère de Lockhart) et les scènes les plus surréalistes (le cerf qui déambule dans le sanatorium), le réalisateur arrive en quelques plans à imposer une vision dérangeante en citant, volontairement ou non, nombre de films passés. La ressemblance troublante entre Dane DeHaan et Leonardo DiCaprio jeune ainsi que l’atmosphère onirique du film renvoie en effet au Shutter Island de Scorsese, mais le réalisateur puise surtout aux racines du cinéma d’épouvante européen en invoquant aussi bien le monstre de Frankenstein que le Fantôme de l’Opéra. 
Il en résulte une immersion progressive dans un monde inquiétant où le spectateur perd pied en même temps que Lockhart et n’arrive bientôt plus à démêler le vrai du faux, le fantasme du réel. Malheureusement, le film se perd dans une seconde partie qui étire interminablement une intrigue qui se complexifie et s’étiole au fil des minutes pour aboutir enfin à un final libérateur qui aurait dû arriver une heure plus tôt. 
Indécrottable batteur de foire, Gore Verbinski en fait trop et c’est d’autant plus dommage qu’il montre une vraie capacité à instaurer un sentiment de peur et de danger, à marcher sur le fil ténu qui sépare le rêve du cauchemar, la folie de la raison. Ce qui n’est pas donné à tout le monde.

dimanche 5 février 2017

Soumission

Le dernier livre de Michel Houellebecq ressemble à un rendez-vous raté. 
Rendez-vous raté avec la polémique sensée entourer la parution du livre (Soumission semble même programmée pour cela) et occultée par les attentats qui éclatèrent le même jour contre Charlie Hebdo. 
Rendez-vous raté avec son sujet, la prise du pouvoir de façon démocratique en France par un président musulman. Car sous couvert d’une fausse admiration, l’auteur dresse le portrait à charge d’un courant politique tentaculaire et misogyne qui impose ses traditions séculaires à des français résignés ou vendus aux pétrodollars des émirats arabes. 
A cheval entre une étrange fascination pour les thèses pour le moins discutables du mouvement identitaire et une peur jamais totalement assumée d’un courant islamique qui investit l’espace politique, Michel Houellebecq semble plus à son aise pour décrire le parcours cafardeux de François, un professeur de littérature parisien spécialiste de Huysmans, que pour aborder de front le sujet politique de son livre. 
On est loin de la puissance nihiliste et cynique de Plateforme qui reste à ce jour son œuvre phare. Soumission de Michel Houellebecq chez Flammarion