mercredi 16 avril 2008

Funny Games US

Michael Haneke, considérant à juste titre que son film original n’a pas été vu par suffisamment de monde, le public américain auquel il était destiné en priorité, en réalise dix ans après le remake au plan prés.
C’est l’occasion pour toute une génération de spectateurs de découvrir enfin cette œuvre choc, véritable analyse clinique de la violence à l’écran.
En effet, l’objectif premier du réalisateur est bien de réagir à la banalisation de cette violence et à sa médiatisation en nous proposant le spectacle frontal d’une famille torturée à mort par deux jeunes hommes en apparence bien sous tous les rapports, et sans motifs réels. En cela, Funny Games prend l’exact contre-pied de Hostel ou Saw qui utilisent la torture à des fins de divertissement.
A l’heure où la violence sous toute ses formes envahit les écrans, où le moindre film de guerre verse dans le gore (John Rambo dernièrement), sans parler des fresques historiques hyper sanglantes (La passion du Christ), alors que les films de torture reviennent sur le devant de la scène (la série des Saw et Hostel justement), Haneke décide de dynamiter le système de l’intérieur en réalisant le remake américain de son brûlot original allemand. Et force est de constater que la claque que l’on se prend est cinglante et amène à réagir.
Haneke condamne et refuse les films qui esthétisent la violence la plus extrême et en font un spectacle captivant. Si il nous place vicieusement en position de spectateur impuissant et pourtant presque complice devant les atrocités qui défilent à l’écran quand Michael Pitt nous prend à partie, il réfute cependant toute idée de voyeurisme. Ainsi, durant le streep tease imposé à Naomie Watts, jamais nous ne verrons le corps nu de l’actrice offert aux regards de ses tortionnaires. Les scènes de meurtres se passent presque toujours hors champs et les seuls effets sanglants que nous verrons n’en sont que les résultantes. Les hurlements des victimes retentissent alors qu’ils sont dans la pièce d’à coté ou hors caméra.
La pression psychologique n’en est pas pour autant atténuée, bien au contraire, mais impossible de prendre un plaisir, il faut bien le dire un peu pervers, à voir des meurtres sadiques à l’écran comme on pourrait le faire en voyant La colline a des yeux par exemple. Funny Games constitue en cela une étude froide de la violence. Ce n’est ni fun ni banal ni jouissif semble nous dire Haneke, une nuit de torture est longue, douloureuse et au combien pénible. Le réalisateur illustre d’ailleurs ses propos par des plans fixes parfois interminables et une bande son agaçante, comme ces commentaires provenant de la télé allumée alors que le corps d’un enfant gît ensanglanté dans le salon. Sans parler du générique qui superpose à des images que l’on croirait issues d’une publicité Kinder une musique agressive qui remplace brutalement des morceaux de classiques.
Le film est servi par des acteurs justes, la victime Naomie Watts et le bourreau Michael Pitt en tête. Ce dernier tout de blanc vêtu n’est d’ailleurs pas sans rappeler avec son compère la bande de délinquants d’Orange Mécanique. Les deux tortionnaires jouent avec leurs victimes et c’est de cette mise en scène de leurs actes que provient leur jouissance. La scène où Michael Pitt guide Naomie Watts pour retrouver le corps de son chien est en cela assez explicite. La femme semble télé guidée par le jeune homme qui en fait sa marionnette. On peut d’ailleurs se demander si tout le film n’est pas le fantasme d’un esprit malsain lorsque, alors que Naomie Watts s’empare du fusil et que la situation lui échappe, Michael Pitt refait défiler toute la scène à l’envers à l’aide d’une télé commande afin d’en reprendre le contrôle.
Le fait que les tortionnaires n’aient aucune raison d’agir comme ils le font (ils jouent d’ailleurs de manière dérisoire, et Haneke à travers eux, à inventer toute une série de motifs pour expliquer leurs gestes), la rapidité avec laquelle ils se débarrassent des membres de la famille que l’on accompagne tout au long de leur calvaire (Naomie Watts meurt sans plus de considération que si ils jetaient un papier dans la rue), la fin exempte de toute morale et de tout espoir font de Funny Games un film dérangeant. Et, que l’on aime ou pas, important.
Cela n’empêche en rien de trouver du plaisir dans le spectacle d’une violence stylisée, caricaturale, exutoire, esthétique, amusante ou effrayante comme en proposent nombre de films d’horreurs ou d’actions. Haneke nous rappelle juste que l’on doit garder en tête que ce n’est que du cinéma et que, si elle peut être source de divertissement, la violence ne devrait jamais être banalisée. Et c’est sûrement davantage du coté de la télévision que des films gore souvent montrés du doigt qu’il faudrait faire preuve de vigilance.

A bord du Darjeeling Limited

Francis, Peter et Jack, interprétés par Owen Wilson, Adrien Brody et Jason Schwartzman, sont trois frères qui ne se sont pas vus depuis l’enterrement de leur père. A l’initiative de l’aîné, ils vont entreprendre un voyage en Inde à la recherche de leur mère.
Bien évidemment, ce voyage sera autant initiatique que géographique et leur permettra de se retrouver, de surmonter leurs différences et de mieux se comprendre. Comme à son habitude, Wes Anderson signe un film extrêmement soigné où le moindre élément, du décor à la bande son, a son importance. En suivant le parcours de ces trois pieds nickelés dans un pays propice à l’introspection et à l’inattendu, le réalisateur nous convie à un voyage aussi drôle que touchant en abordant des thèmes souvent graves comme le poids du passé, la filiation familiale ou l’engagement amoureux.
Mais que ce soit dans les cènes cocasses ou tragiques (la mort accidentelle d’un enfant), il ne se départit jamais de ce ton si particulier qui confère au film cette atmosphère décalée et particulièrement attachante.
A bord du Darjeeling Limited est un film élégant de part l’attention toute particulière que le réalisateur apporte à ses décors. C’est un film drôle et émouvant grâce aux dialogues et aux scènes écrites pour des acteurs qui semblent totalement investis par leurs personnages en perpétuel décalage et pourtant continuellement en phase, en osmose entre eux. Le court métrage qui précède le film, comme un wagon qui viendrait compléter un convoi plus important, ne prend sa véritable dimension qu’au cours du voyage des trois frères, au fur et à mesure que l’on apprend à mieux les connaître.
Que ce soit lors d’un travelling qui fait défiler tous les protagonistes de l’histoire à la manière des passagers d’un même train, ou de la construction minutieuse de chaque personnage, Wes Anderson fait preuve d’une réelle maîtrise de son histoire et d’un sens du rythme et de l’image étonnant. Ce n’est qu’à la fin de leur périple que ces frères enfin réunis laisseront sur le quai les encombrants bagages de leur père, symboles du poids d’un passé qui les empêchait d’exister pour eux même.

Chasseurs de dragons

Ce film prouve si besoin était que l’animation française peut sans rougir soutenir la comparaison avec les meilleurs productions américaines, Pixar en tête.
Si son sujet et sa trame n’ont rien d’exceptionnellement original (une petite fille s’entiche de deux prétendus chasseurs de dragons maladroits afin de sauver le royaume de son oncle, ces derniers révéleront aux travers des épreuves des qualités qu’ils ne soupçonnaient pas), c’est le traitement du film qui en fait son originalité et sa valeur.
Chasseurs de dragons est clairement un film sous influences multiples. On pense tout d’abord aux jeux vidéos et aux jeux de plateau d’héroïc fantasy en suivant le parcours de ce groupe hétéroclite formé d’un barbare au grand cœur, d’un maigrelet calculateur, d’une petite fille aussi bavarde qu’attachante et d’une espèce de chien bleu aux oreilles de lapin. Avant la confrontation finale avec le mangeur de mondes, ils devront traverser des mondes aussi différents que dangereux et affronter des dangers multiples. L’originalité et la beauté du monde en apesanteur dans lequel ils évoluent renvoient aussi bien à l’univers des Final Fantasy que du Château dans le ciel de Miyazaki. Enfin, c’est surtout le ton employé qui fait de Chasseurs de dragons un spectacle qui ravira aussi bien les enfants que les adultes.
Le second degré et le refus des conventions sont omniprésents. Une fois son monde sauvé, l’oncle ne se montrera pas reconnaissant mais au contraire aussi dédaigneux que les paysans qui se moquaient de nos héros au début, et peu enclin à chérir sa nièce. Et malgré une traditionnelle fin heureuse, comment ne pas voir un dynamitage des happy end de Disney dans cet univers final peuplé de verdure et de lapins ahuris qui flottent dans le ciel ?
On pourra reprocher au film une lecture parfois malaisée des scènes d’actions un peu brouillonnes, mais Chasseurs de dragons est à la fois un hommage sincère à toutes ses influences, un spectacle efficace et formellement superbe qui parle aux enfants en ne les prenant pas pour des demeurés (notamment lorsque l’un des chasseurs confie à la petite fille sa crainte qu’ils ne meurent tous), et un renouveau salutaire du film d’animation français.