vendredi 23 août 2019

Le gangster, le flic et l’assassin

Le gangster, le flic et l’assassin, c’est d’abord et avant tout Ma Dong-seok, acteur déjà remarqué dans le Dernier train pour Busan qui interprète ici un chef de gang et dont la présence occupe tout l’écran dés qu’il apparait dans une scène. Face à lui, le flic joué par Kim Moo-yul multiplie de vaines gesticulations de jeune chien fou tandis que le tueur incarné par Kim Sung-kyu, un instant inquiétant de froideur implacable, se retrouve vite cantonné à un corps malmené que se disputent les deux précédents protagonistes. 
Surfant sur une production sud coréenne foisonnante et souvent de très bonne facture en matière de polar poisseux, le film de Lee Won-Tae fait preuve d’une indéniable maitrise quand il s’agit de mettre en scène des poursuites à pied ou en voiture, ou d’introduire le personnage du parrain lors d’une scène badass à souhait. Pour le reste, le film se cantonne à une chasse à l’homme, démarquage à peine caché de M le Maudit, que l’on pourrait qualifier d’efficace à défaut d’être un modèle du genre si le final à la morale douteuse ne nous laissait pas un sale goût dans la bouche. 
[SPOILER] Relevons d’abord une incohérence de taille lorsque le flic convainc le gangster du titre de se rendre afin de témoigner lors du procès de l’assassin et de le compromettre face à la justice. On peut raisonnablement penser, la suite nous le confirmera, que le chef de gang aurait facilement pu se venger de son agresseur en prison par l’intermédiaire de ses hommes sans avoir besoin de se faire lui-même incarcérer. 
Ceci étant, le véritable problème du film réside tout de même dans l’attitude du flic, présenté comme incorruptible et, c’est précisé à deux reprise dés le début de l’histoire, avide de promotion. Tout l’intérêt de la course poursuite entre lui et le gangster réside dans le fait de faire juger le tueur en série plutôt que de l’exécuter sommairement comme l’exige la loi du talion des gangs. 
On est en droit de tiquer une première fois lorsque le flic se réfère à la peine de mort en vigueur en Corée du sud et qu’il confie au parrain, « tuons le mais légalement ». Mais le plus aberrant réside dans sa volonté de le soustraire à la vengeance du chef de gang mais de s’arranger pour que celui-ci soit incarcéré dans la même prison, le livrant finalement au même châtiment que celui qu’il voulait lui éviter, le procès en prime. 
La véritable motivation du flic ne serait elle donc pas uniquement d’obtenir une promotion pour la capture du tueur, quitte à le livrer ensuite au gangster après avoir décroché son grade ? 
L’histoire se termine sur ce double plan, le flic promu et le tueur livré aux mains du gangster dans le respect des conventions sociales. [FIN DES SPOILER] 
Le gangster, le flic et l’assassin apparait alors comme un thriller malsain, non pas tant par les motivations de ses personnages, un portrait d’un flic pourri comme il en existe tant aurait toute sa place s’il était assumé comme tel, mais par sa pirouette pro vigilante dissimulée par les atours d’un simulacre de justice. Nous sommes loin de l’intelligence d’un Seven qui illustre une fin amorale délicieusement perverse. 
On ne retiendra donc que le jeu outré et parfaitement irritant du flic, le personnage du tueur tellement malmené entre deux chiens enragés qu’il en deviendrait presque humain, la fin plus que douteuse et la présence écrasante de l’imposant Ma Dong-seok. C’est trop peu pour sauver ce film au final assez déplaisant.

samedi 17 août 2019

Once upon a time… in Hollywood

En presque trente ans de carrière, Quentin Tarantino a toujours vénéré le cinéma comme vecteur de narration, utilisant (presque) toutes les ficelles du septième art, détournant les genres pour mieux les fondre dans un univers unique construit films après films, un patchwork de courants parfois oubliés qu’il remet au goût du jour avec plus ou moins de réussite. 
Pour son neuvième (et avant dernier ?) film, il décide de nous emmener derrière le décor, ce qu’il n’avait qu’effleuré par le biais du cascadeur de Boulevard de la mort, et de nous plonger au cœur de l’industrie cinématographique dans ce qu’elle a de plus symbolique. 
Nous voici donc à Hollywood en 1969, là où tout se décide, les réussites fulgurantes comme les descentes en flammes. Dans un univers où se côtoient les personnages réels (Sharon Tate, Roman Polanski, Charles Manson, …) et imaginaires (la star du petit écran Rick Dalton et son cascadeur attitré Cliff Booth), Tarantino nous convie à ce qu’il sait faire de mieux, un chassé croisé de destins entremêlés où petites et grandes histoires se marient dans un maelström de passion et de violence mâtiné d’humour noir. Pourtant ce nouveau film possède quelque chose de nouveau dans la filmographie du réalisateur, une patte plus affirmée teintée d’une nostalgie douce amère qui n’est pas loin de sonner comme le chant du cygne d’un cinéaste plus apaisé dans sa réalisation. En cela, Once upon a time… in Hollywood est certainement l’un des meilleurs films de Quentin Tarantino depuis Kill Bill volume 2. 
Tout d’abord, Tarantino en passionné ultime sait s’entourer d’un casting trois étoiles et celui de son nouveau film est certainement l’un des plus impressionnant. Le duo entre Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, tous les deux absolument impeccables dans des rôles complémentaires mais dissemblables, fonctionne à merveille, et Margot Robbie illumine le film d’une présence solaire. Passons sur une pléiade de seconds rôles parfaitement réussis qui sont depuis longtemps la marque de fabrique du réalisateur, ce dernier ayant compris dès le début que ces rôles dits mineurs assurent le véritable ciment du casting. 
Alors que l’on suit les errements professionnels et les états d’âmes d’un acteur sur le déclin (ou ressenti comme tel), les évènements funestes qui vont conduire à la fin brutale du Flower Power par le biais de Charles Manson et de sa secte se profilent à l’horizon. Alors oui, on voit arriver le dénouement longtemps à l’avance non sans une certaine crainte, celle de renouer avec le final quasi risible d’Inglorious Basterds où le cinéaste modifie le cours des évènements avec une volonté presque enfantine de considérer le cinéma, et donc lui-même en tant que réalisateur, assez puissant pour réécrire l’histoire. Heureusement, et bizarrement, il n’en est rien. Si l’on verse bien dans l’uchronie attendue, celle-ci s’enchaine parfaitement dans le récit pour conclure le film sur une note d’un optimisme plus touchant que béat. 
Alors oui, Once upon a time… in Hollywood n’échappe pas aux défauts récurrents du cinéaste, comme celui de se regarder filmer comme le montre au début du film ces plans insistants sur tel ou tel élément de décor pour souligner plus qu’il ne le faut la contextualisation de l’histoire. Mais encore une fois ce neuvième film fait preuve d’une maturité nouvelle de la part de celui que l’on a longtemps considéré comme un sale gosse doué mais turbulent. Témoin cette scène de flash back sur le bateau avec Cliff Booth et sa femme ou la visite de ce dernier dans le ranch occupé par les disciples de Charles Manson, un vrai modèle de tension sur le fil du rasoir. Alors que le récit pouvait sombrer à tout moment dans une violence exacerbée, le réalisateur prend une autre direction ou coupe la scène avant le dénouement, comme un clin d’œil complice à ses débordements de jeunesse. En attendant un final expiatoire où Tarantino se déchaine enfin pour une scène d’anthologie. 
Si les quasi trois heures de Once upon a time… in Hollywood nous baladent sans une seconde d’ennui, on ne peut s’empêcher de regretter le traitement fait du personnage de Sharon Tate interprété par une Margot Robbie pratiquement relégué au rang de faire valoir. Un faire valoir de luxe servant de véhicule aux obsessions de Tarantino (sa fixation sur les pieds des femmes, les plans sur ses jambes) mais servis par quelques lignes de dialogue pour incarner un personnage au final assez fade. En comparaison, Margaret Qualley, la fille d’Andie MacDowell qui interprète Cat crève l’écran de part sa présence mais aussi l’écriture de son personnage qui lui permet d’exprimer toute sa personnalité. 
C’est là le principal reproche que l’on pourra faire à ce film émouvant, une réflexion sur ce qu’implique être acteur dans tout ce que cela a de plus fragile et vain mais aussi de plus beau et nécessaire. Le traitement du personnage de Sharon tate n’en est que moins compréhensible. Gageons que son dixième film sera parfait.

dimanche 4 août 2019

Midsommar

Malgré des différences de traitement sommes toute mineures (le choix de l’atmosphère obscure ou lumineuse est la plus évidente), le nouveau film d’Ari Aster se situe dans la lignée directe de son premier opus Hérédité avec une évidence thématique qui saute aux yeux. 
Tout commence avec un trauma familial qui va confronter un groupe (la famille d’Hérédité, le groupe d’amis gravitant autour du couple de Midsommar) à des manifestations de plus en plus oppressantes et étranges jusqu’au dénouement final où, plongé au fond de l’abime, le personnage central trouve enfin sa propre voie et révèle sa vraie personnalité. 
Ari Aster est un cinéaste habité par des visions et des thèmes que l’on devine récurrents après seulement deux films. Le dysfonctionnement familial (le rapport mère fils dans Hérédité, le délitement d’un couple dans Midsommar) traité comme catalyseur des évènements à venir s’accompagne systématiquement de représentations d’enfants difformes et d’une étrange fascination pour les têtes éclatées en gros plan, véritable gimmick pour le cinéaste. Mais là où Hérédité utilisait l’argument fantastique sans beaucoup de retenue lors d’un final filmé sur le fil du rasoir, Midsommar se veut plus nuancé dans son approche du mal. 
Nul besoin de recourir à une quelconque sorcellerie (même si la scène de l’accouplement fait écho au final d’Hérédité) pour illustrer le cauchemar éveillé vécu par Dani et ses amis au sein d’une secte suédoise. [SPOILER] Si Ari Aster invoque une fois de plus une mythologie païenne adepte des sacrifices humains, l’argument surnaturel s’efface au profit d’un voyage initiatique à base de psychotropes et de cultes anciens. [FIN DU SPOILER] 
A l’heure où la plupart des films d’horreurs adoptent une surenchère d’effets spéciaux et de jump scares, Ari Aster fait preuve d’une maitrise formelle apte à créer un véritable malaise en jouant sur le jeu des acteurs, les distorsions visuelles ou un simple cadrage en gros plan. 
Mêlant une nouvelle fois habillement le désordre psychologique de son héroïne et l’environnement cauchemardesque où elle se retrouve plongée malgré elle, le réalisateur nous prouve une fois de plus que l’on peut faire de ses obsessions les plus profondes un spectacle malin et véritablement dérangeant. Le vrai pari sera pour ce cinéaste plein d’avenir d’arriver à se renouveler sans tomber dans le piège de la répétition.