samedi 16 janvier 2016

Creed

Alors qu’il annonce l’abandon (définitif ?) du dernier opus de la saga Rambo, Sylvester Stallone rempile sous la caméra de Ryan Coogler pour raconter l’épilogue d’une autre légende qui aura marqué sa carrière, celle du boxeur Rocky Balboa. Un Rocky vieillissant qui a raccroché les gants depuis longtemps et qui fréquente moins les salles d’entrainement que son petit restaurant hanté par les fantômes du passé. Apollo Creed, Pauly, Adrian, tous ceux qui ont compté pour lui sont désormais morts et enterrés et Rocky s’apprête doucement à entrer lui aussi dans la légende, celle des grands champions depuis longtemps disparu et dont on parle au passé. Cette retraite douce-amère se voit alors interrompue par l’irruption d’un jeune boxeur plein d’énergie et de colère qui lui demande de l’entrainer. Adonis Johnson, le propre fils de son meilleur ennemi Apollo Creed. 
Creed, sous-titré L’héritage de Rocky Balboa, est en effet moins un simple spin off qu’un chapitre supplémentaire dans la saga Rocky, une page de la légende qui n’a pas à rougir de ses glorieux prédécesseurs. Car si la boxe conserve bien évidemment une place prépondérante dans le film, les séances d’entrainement et les combats étant parfaitement filmé par un réalisateur soucieux de sa mise en scène et de la clarté de son propos, Creed parle tout autant de la vieillesse et du temps qui passe, du passage de relais entre générations et de la difficulté d’assumer l’héritage laissé par ses parents. Le personnage de Rocky dans ce film présente d’ailleurs plus d’une similitude avec Frankie Dunn incarné par Clint Eastwood dans Million Dollar Baby. 
Outre une mise en scène inspirée qui ne sombre jamais dans le maniérisme d’un certain cinéma indépendant américain, Creed est servi par une distribution quasi parfaite. Si les seconds rôles (notamment le staff d’entrainement d’Adonis) semblent parfois trop effacés, on ne peut que saluer la performance de Michael B. Jordan qui pousse le professionnalisme jusqu’à ressembler traits pour traits à Carl Weathers (qui incarnait Apollo Creed) lors de sa course d’entrainement au milieu des motards du quartier. On retiendra bien évidemment un Sylvester Stallone émouvant qui n’hésite pas à se mettre à nu. Il incarne avec sobriété ce champion vieillissant qui renonce un temps à mener son dernier combat avant de retrouver une étincelle de vie à travers un jeune boxeur qui lui renvoie sa propre image quelques dizaines d’années avant. 
On l’a dit, Creed est peuplé de fantômes incarnés par des photos accrochées au mur, le nom d’un restaurant ou des tombes sur lesquelles on vient se reposer comme on le ferait auprès de vieux amis. Et c’est bien là toute l’habileté du scénario que de mettre en image un vrai passage de relais, nostalgique sans pour autant être plombant, émouvant et captivant jusqu’au dernier round d’un combat contre soi.

dimanche 10 janvier 2016

Coffret Freaks’ Squeele tome 7 : pas très cool !
















Difficile à première vue de résister au coffret collector qui vient clore la série Freaks’ Squeele. 5000 exemplaires d’un coffret comprenant le tome 7 donc, mais aussi « un manga de plus de 200 pages qui propose un début alternatif à la saga « ainsi qu’un « guide touristique richement illustré de 64 pages ». La surprise en ouvrant la bête n’en est que plus grande.
Déjà échaudé par l’intégrale Masiko qui comprenait 2 aventures déjà publiées dans Doggy Bags sur les 3 proposées, je m’étais pourtant laissé convaincre tant le travail de Florent Maudoux, en particulier sur ce personnage, est digne d’intérêt, tant par la beauté de ses dessins que ses histoires résolument référentielles et généreuses. Car c’est le mot qui vient tout de suite à l’esprit quand on pense aux publications du Label 619, la générosité et l’envie de faire plaisir au lecteur. Tant pis pour les fans de Doggy Bags donc qui se voient obligés de racheter les deux tiers d’un ouvrage qui reste cependant un incontournable. Revenons donc au coffret Freaks’ Squeele qui comprend en effet un guide richement illustré qui semble tenir toute ses promesses et dans lequel j’ai hâte de me plonger
Le bât blesse en ouvrant le manga de 200 pages doté d’une super couverture couleur, qui se révèle être en fait un crayonné de la première version du projet Freaks’ Squeele. Un crayonné qui arrache un peu les yeux sur 200 pages et que l’on a plus l’habitude de trouver sous forme de 5 ou 6 planches en bonus de fin d’album. Et c’est là que je commence à me demander si Ankama Editions n’est pas en train de prendre ses lecteurs pour des tiroirs caisses ?
Parce que bon, le coffret coute tout de même la modique somme de 34 € pour un prix unitaire du tome 7 à 15 €. Ce qui nous laisse 19 € pour un (très joli) guide de 64 pages et un recyclage que l’on nous vend comme un manga original. Les puristes et les dessinateurs de BD y trouveront peut-être leur compte, moi pas. Si cela n’enlève rien au talent de Florent Maudoux et au plaisir que j’aurai à lire ses prochains titres, le procédé n’est pas très cool et en tout cas indigne de l’esprit pulp et pop dont se réclament le Label 619 et les éditions Ankama.

samedi 9 janvier 2016

Les huit salopards

Une immensité glacée, un Christ à l’abandon disparaissant sous la neige qui symbolise moins une quelconque rédemption qu’une absence totale de valeur. Dès les premières images de son histoire, Quentin Tarantino invoque les grands anciens, de Sergio Corbucci pour le décor enneigé à Ennio Morricone pour le score. Et si son nouveau film se place d’emblée sous le signe du western crépusculaire et nihiliste cher aux italiens des années soixante et soixante-dix, il n’en évoque pas moins la mythologie américaine en pleine (re)construction suite à une sanglante et douloureuse Guerre de Sécession. 
 Comme à son habitude, le réalisateur pioche un peu partout les sources de son inspiration et résume non sans raison Les Huit Salopards comme un croisement entre Dix Petits Nègres et The Thing en plein Far West. Il y a de cela, et bien plus encore, et il faut toute l’habileté d’un Tarantino pour que la sauce prenne. Mais prend-elle vraiment ? Les Huit Salopards se rapproche plus que jamais de son premier essai Réservoir Dogs. Dialogues interminables sur les sujets les plus futiles, personnages baignant dans leur sang qui n’en finissent pas d’agoniser, sadisme et cruauté, huit clos et massacre final, le parallèle entre les deux films est flagrant, encore renforcé par la présence de Tim Roth et Michael Madsen. Mais alors que la magie opérait en 1992, elle atteint ici ses limites et en devient même parfois carrément embarrassante. 
E effet, durant tout le premier tiers du film, la machine tourne à vide. Comme il l’a déjà fait tant de fois, Tarantino se caricature (même s’il a la bonne idée cette fois de ne pas apparaitre dans son propre film), use jusqu’à la corde des procédés qui furent un temps novateurs (le chapitrage, la voix off d’un narrateur sorti de nulle part, les flash back) mais qui ne fonctionnent plus vraiment ou qui font office d’artifices inutiles. 
Passé cette première partie et une fois arrivés à l’auberge, on se laisse pourtant prendre par ce jeu de cache cache géant où chaque personnage joue sa partition avec un plaisir communicatif. Jusqu’au dénouement final qui, une fois encore retombe dans des travers qui plombent le film. Gore outrancier (dans réservoir Dogs le sang giclait, ici les têtes éclatent sous l’impact des balles de revolver…), sadisme et ultra violence exagérée (voire les tortures subies par cette pauvre Jennifer Jason Leigh ou le récit de Samuel L. Jackson concernant le sort qu’il a réservé au fils du Général Sandy Smithers). On ne peut pas reprocher au réalisateur de faire dans la demi-mesure ou la tiédeur. Certes ce sont bien huit personnages pleins de haine qui se retrouvent coincés au milieu du blizzard, huit représentants des différentes strates de la société américaine, chacun symbolisant ce que son sexe, sa couleur de peau ou son idéologie est sensé lui conférer comme rôle au sein d’une nation qui sort à peine d’une guerre civile. On peut aussi remarquer l’imagerie religieuse assez nouvelle chez un réalisateur qui ne nous avait pas habitué à cela. Le Christ du début bien sûr, mais aussi le chemin de croix de Daisy Domergue qui (ATTENTION SPOILER) finit pendue alors qu’en arrière-plan deux raquettes accrochées au mur dessinent des ailes dans son dos (FIN DU SPOILER). 
Trop malin pour s’engager sur la voix du discours ouvertement politique, Tarantino noie ses propos dans un déferlement de tout et n’importe quoi (sadisme, misogynie, racisme illustrés par des gerbes de sang et un déferlement de gore qui finit par devenir risible). Renvoyant chaque camps dos à dos, le réalisateur perd en crédibilité par son outrance et c’est d’autant plus dommage qu’avec une heure de moins et davantage de dépouillement, les Huit Salopards aurait pu devenir ce qu’il est censé être, un vrai huit clos d’horreur, le portrait implacable d’une humanité abandonnée par dieu, seule face à la sauvagerie qui la caractérise et pourrait bien causer sa perte.