samedi 9 janvier 2016

Les huit salopards

Une immensité glacée, un Christ à l’abandon disparaissant sous la neige qui symbolise moins une quelconque rédemption qu’une absence totale de valeur. Dès les premières images de son histoire, Quentin Tarantino invoque les grands anciens, de Sergio Corbucci pour le décor enneigé à Ennio Morricone pour le score. Et si son nouveau film se place d’emblée sous le signe du western crépusculaire et nihiliste cher aux italiens des années soixante et soixante-dix, il n’en évoque pas moins la mythologie américaine en pleine (re)construction suite à une sanglante et douloureuse Guerre de Sécession. 
 Comme à son habitude, le réalisateur pioche un peu partout les sources de son inspiration et résume non sans raison Les Huit Salopards comme un croisement entre Dix Petits Nègres et The Thing en plein Far West. Il y a de cela, et bien plus encore, et il faut toute l’habileté d’un Tarantino pour que la sauce prenne. Mais prend-elle vraiment ? Les Huit Salopards se rapproche plus que jamais de son premier essai Réservoir Dogs. Dialogues interminables sur les sujets les plus futiles, personnages baignant dans leur sang qui n’en finissent pas d’agoniser, sadisme et cruauté, huit clos et massacre final, le parallèle entre les deux films est flagrant, encore renforcé par la présence de Tim Roth et Michael Madsen. Mais alors que la magie opérait en 1992, elle atteint ici ses limites et en devient même parfois carrément embarrassante. 
E effet, durant tout le premier tiers du film, la machine tourne à vide. Comme il l’a déjà fait tant de fois, Tarantino se caricature (même s’il a la bonne idée cette fois de ne pas apparaitre dans son propre film), use jusqu’à la corde des procédés qui furent un temps novateurs (le chapitrage, la voix off d’un narrateur sorti de nulle part, les flash back) mais qui ne fonctionnent plus vraiment ou qui font office d’artifices inutiles. 
Passé cette première partie et une fois arrivés à l’auberge, on se laisse pourtant prendre par ce jeu de cache cache géant où chaque personnage joue sa partition avec un plaisir communicatif. Jusqu’au dénouement final qui, une fois encore retombe dans des travers qui plombent le film. Gore outrancier (dans réservoir Dogs le sang giclait, ici les têtes éclatent sous l’impact des balles de revolver…), sadisme et ultra violence exagérée (voire les tortures subies par cette pauvre Jennifer Jason Leigh ou le récit de Samuel L. Jackson concernant le sort qu’il a réservé au fils du Général Sandy Smithers). On ne peut pas reprocher au réalisateur de faire dans la demi-mesure ou la tiédeur. Certes ce sont bien huit personnages pleins de haine qui se retrouvent coincés au milieu du blizzard, huit représentants des différentes strates de la société américaine, chacun symbolisant ce que son sexe, sa couleur de peau ou son idéologie est sensé lui conférer comme rôle au sein d’une nation qui sort à peine d’une guerre civile. On peut aussi remarquer l’imagerie religieuse assez nouvelle chez un réalisateur qui ne nous avait pas habitué à cela. Le Christ du début bien sûr, mais aussi le chemin de croix de Daisy Domergue qui (ATTENTION SPOILER) finit pendue alors qu’en arrière-plan deux raquettes accrochées au mur dessinent des ailes dans son dos (FIN DU SPOILER). 
Trop malin pour s’engager sur la voix du discours ouvertement politique, Tarantino noie ses propos dans un déferlement de tout et n’importe quoi (sadisme, misogynie, racisme illustrés par des gerbes de sang et un déferlement de gore qui finit par devenir risible). Renvoyant chaque camps dos à dos, le réalisateur perd en crédibilité par son outrance et c’est d’autant plus dommage qu’avec une heure de moins et davantage de dépouillement, les Huit Salopards aurait pu devenir ce qu’il est censé être, un vrai huit clos d’horreur, le portrait implacable d’une humanité abandonnée par dieu, seule face à la sauvagerie qui la caractérise et pourrait bien causer sa perte.

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