dimanche 8 décembre 2019

La Reine des neiges 2

En 2013 déferlait le phénomène Reine des neiges, porté par un titre qui allait faire le tour du monde au point de caricaturer le film lui-même, pourtant l’un des meilleurs long métrage d’animation de ces dernières années. De la caractérisation des personnages à l’histoire en passant par l’animation elle-même et la bande son, La Reine des neiges s’imposait comme une belle réussite et la suite était pour le moins attendue sinon inévitable.
Elsa, Anna, Kristoff, Olaf et Sven reviennent donc en force et en chansons six ans après le premier opus pour de nouvelles aventures tout aussi mouvementées. Après la découverte et l’acceptation des pouvoirs d’Elsa vient le temps de la compréhension, ce qui va mener nos protagonistes au plus profond de la forêt interdite pour sauver le royaume d’une destruction imminente. 
N’y allons pas par quatre chemins, malgré une distance assumée avec les ingrédients du succès du premier épisode (la grimace d’Elsa lorsqu’elle se voit chantonner dans le passé, le passage chanté résolument second degrés de Kristoff), l’équipe de Jennifer Lee et Chris Buck cherche à renouer avec la déferlante de 2013 et multiplie pour cela les passages chantés jusqu’à saturation. Et c’est bien là le principal défaut de cette suite, cette multiplicité des morceaux musicaux dont cette fois pas un seul ne restera dans nos mémoires une fois quittée la salle. 
C’est d’autant plus dommage que le film est par ailleurs réussi, multipliant les morceaux de bravoure entre les esprits de la nature tout droit sortis d’un épisode de God of War et la présence accrue d’Olaf assurant un humour décalé qui fait souvent mouche. Sans compter une Elsa usant de ses pouvoirs à la manière des supers héros (on pense à Frozen des Indestructibles) contre des éléments retors avant d’être apprivoisés. 
Techniquement très abouti et accordant une attention toute particulière à ses deux personnages féminins, Elsa et Anna, La Reine des neiges 2 se prive d’un véritable méchant et réussit pourtant le pari de nous emporter dans une aventure sans trop de temps morts, exception faite des intermèdes musicaux. Une semi réussite donc, loin de la puissance du premier opus mais suffisamment aboutis pour satisfaire parents et enfants.

samedi 23 novembre 2019

Les Misérables

Le film s’ouvre et se termine sur une scène de chaos. Chaos euphorique, métissé et populaire lors de la dernière finale de la coupe du monde de football. Chaos violent, désespéré et destructeur lors d’un final filmé comme une guérilla urbaine. Entre les deux, quelques dizaines d’heures de la vie de Montfermeil dans le 93, entre flics de la BAC, gamins des rues, dealers, frères musulmans, médiateurs, parents dépassés et caïds de quartier. 
Presque vingt cinq ans après la Haine, Les Misérables fait écho au film coup de poing de Mathieu Kassovitz à plus d’un titre. Tout d’abord, la plongée dans le cœur d’une cité de banlieue avec une vraie proposition de cinéma. Ladj Ly comme Kassovitz avant lui ne se contente pas d’un état des lieux, il nous embarque dans son histoire avec de somptueux plans aériens (l’utilisation du drone pour rendre compte de l’enfermement dans lequel les barres d’immeubles confinent les habitants des citées est brillante), de plans tournés caméra à l’épaule dans des cages d’escaliers, de poursuites incroyablement fluides et d’une proximité avec ses acteurs, pour la plupart amateurs, d’une justesse incroyable. Autres points communs aux deux films, l’intrusion d’animaux anachroniques au cœur de la cité (une vache dans la haine, un bébé lion pour Les Misérables), des personnages de flics aux allures de cow boys et la quête d’un objet perdu (un flingue ou la carte mémoire d’une caméra) par qui le drame arrive. 
Mais loin de se contenter de suivre les pas de son ainé, Les Misérables dresse aussi le portrait d’une société malade de sa propre violence et de sa propension à répéter les même modèles d’une génération à l’autre, un univers clos et un fragile équilibre entretenu par les médiateurs, les dealers, les flics et les frères musulmans, véritable contre pouvoir pour une jeunesse privée de tous ses repères. 
L’un des plus grands mérites de Ladj Ly, et pas le moindre, est d’avoir digéré sa colère pendant de longues années et de nous proposer des portraits individuels sans aucune animosité ni jugement. Personne n’a fondamentalement tort ou raison, tout le monde agit selon ses propres motivations et son intérêt personnel, persuadé de son bon droit et de sa légitimité. Et alors que le réalisateur installe ses protagonistes et déroule son histoire, on assiste sans s’en rendre compte à la magie du cinéma. Les scènes d’anthologie s’enchainent (le face à face entre les forains et les noirs est un modèle du genre), les destins se croisent avec une incroyable fluidité pour aboutir à un final aussi tragique qu’inquiétant, un renversement de toute forme d’autorité par des gamins humiliés depuis leur plus jeune âge. 
Ces Misérables nous poursuivent longtemps après avoir quitté la salle, constat implacable d’une situation explosive que nous n’apercevons plus que par le prisme des faits divers. C’est sans aucun doute la marque des très grands films.

samedi 16 novembre 2019

La belle époque

Victor est un vieux con assumé, perdu dans une époque où les communautés virtuelles supplantent les contacts physiques. Il ne comprend plus sa femme, ne supporte plus son fils et passe le plus clair de son temps à fustiger ses contemporains esclaves des évolutions technologiques. Le jour où Antoine, un ami de son fils, lui propose de retrouver l’époque de son choix par le biais d’une reconstitution théâtrale, Victor choisit l’année 1974, le jour où il est tombé amoureux de sa femme dans un café lyonnais. Dés lors, les évènements vont se précipiter, passé et présent se mélangent dans un tourbillon sentimental dont tout le monde sortira changé, pour le meilleur ou pour le pire. 
Loin de l’image de suffisance et d’arrogance qu’il se plait parfois à projeter en public, force est de constater que Nicolas Bedos se révèle avec ce film comme un excellent metteur en scène. La belle époque, loin d’un constat amer sur le thème éculé du « c’était mieux avant » s’inscrit dans la droite ligne des meilleures comédies françaises, portée par des dialogues au cordeau qu’une galerie de comédiens au mieux de leur forme prennent visiblement un plaisir fou à interpréter. 
Mais c’est aussi et surtout dans le montage que le réalisateur impose sa patte et donne à son film ce petit plus indécelable qui le rend si attachant. Maniant les parallèles temporels à la manière de poupées russes s’emboitant les unes dans les autres, Nicolas Bedos impose un rythme soutenu, particulièrement dans la première partie du film comme dans cette scène très découpée des retrouvailles d’Antoine et de Margot. D’engueulades en étreintes, le metteur en scène résume en quelques secondes les relations tumultueuses d’un couple en permanence sur le film du rasoir se nourrissant de ses propres conflits pour avancer. 
Sur le modèle de Tarantino avec Il était une fois à Hollywood, Nicolas Bedos joue sur le personnage de l’acteur interprétant un acteur incarnant lui-même un personnage parfois double (voir à ce propos le rôle de Pierre Arditi) sans pour autant perdre le spectateur, où alors juste le temps de le raccrocher la scène suivante et d’enchainer vers un final profondément émouvant, donnant à Fanny Ardant la pleine mesure de son talent. 
Acerbe et drôle, touchant et déroutant, La belle époque démontre une fois de plus que l’on peut écrire des comédies intelligentes et piquantes sans sombrer dans la caricature grossière ni flatter les plus bas instincts des spectateurs. C’est suffisamment rare pour être souligné et cela fait un bien fou.

samedi 9 novembre 2019

Furie

Tout part d’un fait divers, peu banal il est vrai. De retour de vacances, un couple qui avait prêté sa maison à la nounou de leur fils se retrouve à la rue. Leur demeure, confisquée par les nouveaux occupants, ne leur appartient plus. Ni aux yeux de la loi, ni aux yeux d’une administration aveugle et indifférente à une situation aussi absurde qu’inexplicable. 
Ce qui pourrait passer pour un abus de pouvoir prend des proportions insoupçonnées lorsque le père de famille, un professeur d’histoire pacifique et non violent, se retrouve confronté à ses propres contradictions. Car lorsque la société se montre incapable de nous protéger contre les agressions d’autrui, que nous reste t-il sinon la force brute et primitive ? Mais combien sont capables de s’imposer par la force quand des siècles de civilisation ont gommé nos instincts guerriers et nos réactions purement animales ? 
C’est à partir de ce postulat qu’Olivier Abbou déroule sa trame, celle d’un homme incapable de lever la main sur autrui plongé dans un monde où seuls les plus forts imposent leurs lois. Et lorsque craque le vernis de la civilisation, la couleur de peau et son cortège d’à priori ressurgissent et s’embrasent comme des braises couvant depuis trop longtemps sous la cendre. Car Paul Diallo est un homme noir, trompé par sa femme et spolié de ses biens de la manière la plus brutale et injuste qui soit. Alors quand les humiliations se font trop fortes, il n’aura d’autre choix que de se battre sur le même terrain que ses agresseurs avec tout ce que cela comporte comme sacrifice. 
Porté par un pitch intéressant, Furie, malgré les apparences, se révèle d’un conservatisme étonnant. En premier lieu, la maison symbolise tout ce qui fait Paul Diallo, de sa condition sociale à sa sexualité en passant par son identité d’homme. Sa perte, puis sa reconquête, symbolise donc l’essence même de ce qui constitue ce mâle hétérosexuel attaché à ses biens matériel (mais qui ne l’est pas ?) comme à sa virilité piétinée puis retrouvée à grands coups de barre de fer dans la tête. Vient ensuite l’idée première véhiculée par le film, celle d’une société absente qui nous condamnerait à un combat à mort pour la conquête des territoires et des femmes (traitées ici comme de simples objets sexuels). Sans loi ni protection juridique, voilà ce qui arrive et ce n’est pas beau à voir. 
Passé cette idéologie, Furie reste un thriller tendu et efficace jusqu’à un final qui sombre trop souvent dans le grand guignol pour être vraiment percutant, empruntant au passage quelques idées fortes (la lutte à mort pour un logement, l’asphyxie sous film plastique) au traumatisant Dream Home de Pang Ho-cheung. 
Un effort louable du cinéma hexagonal de sortir des sentiers battus du films d’horreur, pas toujours convaincant mais offrant une vision originale de la condition de l’homme moderne, fragile et aseptisé, protégé par une société castratrice mais dont les plus bas instincts ne demandent qu’à ressurgir pour peu qu’on aille les chercher assez loin.

samedi 2 novembre 2019

Le Traître

La Cosa Nostra avec ses hommes d’honneur et ses codes de conduite voulant que l’on ne touche ni aux femmes, ni aux enfants, ni aux juges, si toutefois elle a existé un jour, est morte depuis longtemps. Depuis que le trafic d’héroïne a supplanté le trafic de cigarettes, générant des bénéfices énormes et des appétits tout aussi démesurés. Alors quand il ne reste plus rien à sauver, quand les familles s’entretuent et entrainent dans leur danse de mort leurs proches et des civils innocents, il ne reste plus qu’un seul moyen de sauver sa peau. 
C’est précisément ce que va faire Tommaso Buscetta exilé au Brésil au début des années 1980 pour échapper aux tueurs du clan Corleone. Arrêté par la police brésilienne puis extradé en Italie, celui que l’on surnomme le boss des deux mondes va travailler avec le juge Falcone pour faire tomber les principaux chefs de la mafia. 
Il existe peu de genres aussi codifiés que celui du film de mafia qui, paradoxalement, n’a été que peu exploité par le cinéma italien. Dominée par les réalisateurs italo-américains (Scorsese, Coppola pour ne citer qu’eux), l’imagerie des mafieux, si elle a donné lieu à quelques chefs d’œuvres incontestés, reste globalement admirative face à une réalité plus complexe que cela. 
Et c’est là tout le mérite de Marco Bellocchio que de prendre le sujet à bras le corps pour, au-delà du film de genre, dresser sur vingt ans le portrait d’une organisation tentaculaire qui ne recule devant rien pour protéger ses propres intérêts, quel qu’en soit le prix. Car au-delà des parrains protecteurs et des hommes d’honneur, la mafia se résume aussi et surtout à des individus grossiers et violents comme le montre la réaction des membres du clan Corleone à la mort du juge Falcone. S’il reprend la trame classique du film de repenti (les années fastes, la chute, la trahison et la vie de reclus), Marco Bellocchio illustre son propos avec une liberté de ton qui force le respect et insuffle à son film un souffle épique incontestable. 
Le procès, pièce maitresse du long métrage, se transforme en opéra où les rôles principaux en premier plan sont accompagnés par le chœur des accusés devant un public de juges souvent dépassés par les évènements. La mort du juge Falcone, filmée depuis l’intérieur de sa propre voiture, nous place au premier plan de l’attentat et il faut remonter au plan séquence des Fils de l’homme d’Alfonso Cuaron pour retrouver pareille prouesse technique. On pourrait lister les moments de bravoure de la vie de cet homme magistralement interprété par Pierfrancesco Favino, un homme partagé entre son instinct de conservation et ses valeurs qu’il brandit comme un étendard pour justifier sa trahison. 
Mêlant la grande histoire et les anecdotes toutes plus captivantes et documentées les unes que les autres, le réalisateur clot son film par une scène dévoilant enfin la vraie nature de Pierfrancesco Favino, un tueur patient et déterminé au service d’une organisation cruelle et cupide, bien loin d’un quelconque idéal de défense des plus défavorisés. 
Le Traître dresse le portrait en creux d’hommes courageux sacrifiés pour combattre une hydre criminelle, de salauds patentés froids et cruels et d’individus essayant en vain de trouver une justification à leurs actes, obligés par le cours de l’histoire à une contrition qui les condamne à une vie passé dans la clandestinité. Marco Bellocchio démystifie l’image mafieuse en utilisant ses propres codes (la scène du baptême, les exécutions, les trahisons) en plus de nous offrir une page d’histoire de son pays ainsi qu’une belle leçon de cinéma.

lundi 28 octobre 2019

Sorry we missed you

A 83 ans, le poing toujours levé, Ken Loach ne lâche rien. On pourrait croire au regard de sa filmographie qu’il a au cours de toutes ces années balayé tout ce que notre société peut engendrer d’inégalités et de souffrance sociale. On peut aussi penser qu’il se livre à un combat sans fin tellement nos sociétés modernes inventent chaque jour de nouveau moyens de faire des bénéfices au détriment d’une masse laborieuse et le plus souvent silencieuse. 
Alors Ken Loach reprend les armes, sa caméra, infatigable, pour dénoncer les injustices, encore et toujours, on on en ressort encore une fois lessivé, abasourdi par ce qui est pourtant sous nos yeux et que l’on se refuse de voir. 
Sorry we missed you, titre ironique à double sens, traite de l’uberisation du travail, en Angleterre comme ailleurs. Si le travail difficile et mal rémunéré est une aberration, le sort réservé à ces nouveaux auto entrepreneurs en est la quintessence. A travers l’histoire d’une famille de Newcastle, le réalisateur dresse le portrait de ce nouveau mode d’exploitation, celui qui consiste à faire miroiter le miroir aux alouettes du libre arbitre et de la liberté d’entreprendre pour mieux pressuriser une main d’œuvre devenu corvéable à merci. 
Car pour satisfaire aux besoins des consommateurs, nous même, les livreurs de chez Amazon, les chauffeurs de chez Uber et les milliers d’autres travailleurs à leur compte personnalisés par Ricky se lancent dans une course à la rentabilité qui ne peut avoir d’autre issue que leur santé physique et mentale et l’implosion d’une vie de famille sacrifiée d’avance. Responsable de son propre outil de travail qu’il doit financer, soumis à des règles d’entreprise alors même qu’il ne bénéficie d’aucune protection de la part de ce même employeur, tributaire d’un emploi du temps directement corrélé à son salaire, Ricky s’enfonce dans un bourbier inexorable et entraine avec lui sa famille en crise. 
Ni binaire (le discours moralisateur mais positif du policier) ni larmoyant ou condescendant lorsqu’il dépeint une classe ouvrière criante de vérité, Ken Loach se pose comme l’un des derniers témoins d’une époque clivante où les différences entre les riches et les pauvres ne cessent de se creuser et où les ouvriers deviennent leurs propres patrons, tributaires et responsables de leurs rendements sans aucune protection sociale. La force de son cinéma n’a d’égal qu’une économie de moyen qui force le respect, le choix d’un casting une fois encore d’une justesse époustouflante qu’il s’agisse des relations professionnelles ou familiales de Ricky. 
Bien que traversé par quelques rares périodes de bonheur, comme cette virée entre le père et sa fille reprise sur l’affiche française, ou ce trajet familiale dans le camion, Sorry we missed you se vit à toute vitesse avec un constant sentiment d’urgence. On est en permanence sur les nerfs, persuadé que le pire peut arriver à tout moment. Un accident, un retard, le moindre accroc a des répercussions irréversible pour cette famille au bord du gouffre. Et c’est cette tension continue vécue par tant de travailleurs précaires que nous balance Ken Loach en pleine figure, histoire de nous faire réfléchir aux conséquences de nos actes, de nos choix de consommation et de notre capacité à tourner la tête devant le malheur des autres. 
Cinéaste infatigable, Ken Loach laboure le même sillon depuis des dizaines d’années et parvient pourtant à se réinventer à chaque fois. La marque des grands.

samedi 12 octobre 2019

Joker

Drôle de film que ce Joker, à cheval entre l’univers DC Comics et la peinture urbaine d’une ville à la dérive, tiraillé entre la naissance de l’un des méchants les plus emblématiques de la mythologie super héroïque et la descente aux enfers d’un homme malade bousculé par une société indifférente se nourrissant du malheur d’autrui. 
Sur le papier, le long métrage avait toutes les chances de se planter en basculant vers la peinture outrancière d’un Joker dépressif ou la chronique larmoyante d’un psychopathe en devenir. Et pourtant il n’en est rien, le miracle opère et Joker se révèle contre toute attente une immense réussite doublé d’un potentiel gros succès public. 
Si l’on retiendra bien sur la performance hallucinante d’un Joaquin Phoenix totalement investi dans son rôle et la réalisation soignée d’un Todd Philipps que l’on n’attendait décidément pas dans cet univers, la force du film tient aussi et surtout dans un scénario malin qui réinvente les origines du Joker de manière nouvelle tout en respectant l’univers du Dark Knight. 
Très librement inspiré du comic The killing Joke dans lequel Alan Moore décrit le Joker comme un comédien raté et frustré de stand up, le film de Todd Philipps n’en est cependant pas une adaptation au sens premier du terme. Nous sommes en effet encore loin de la furie psychotique de la bande dessinée d’Alan Moore et Brian Bolland (il faut voir le sort réservé au commissaire Gordon et à sa fille Barbara pour mesurer toute la perversité du personnage) ou de de la fantasmagorie hallucinée du mythique Arkam Asylum de Grant Morrison et Dave McKean. Ce Joker version 2019 possède sa propre personnalité et pose les fondements de ce qui deviendra l’ennemi juré, le double maléfique de Batman. 
Le lien de parenté, fantasmé ou réel, proposé par le film entre les deux personnages constitue d’ailleurs l’une des idées géniales d’un récit qui n’en manque pas. Tout comme cette propension à ancrer le Joker dans sa propre mythologie (Gotham, Alfred, la famille Wayne, l’asile d’Arkam) et de nous proposer une genèse du futur Batman, posant le super vilain en pierre fondatrice de ce que deviendra bientôt le jeune Bruce. 
Certes, le film dresse le catalogue quasi exhaustif des traumas propre à tout psychopathe qui se respecte, de l’absence du père, génétique ou symbolique, à la mort de ces derniers, en passant par les relations quasi incestueuses avec une mère au passé trouble, aux traumatismes liés à une enfance sacrifiée et à la brutalité d’une société où prévaut la loi du plus fort. C’est sur ce terreau que va (re)naitre le super vilain en chef de Gotham, symbole d’un soulèvement des classes les plus défavorisées dans un final aux délicieux relents anarchistes. 
Parfois trop démonstratif lorsque qu’il nous montre Arthur Fleck montant pesamment les escaliers au début du film et le Joker descendant ces même marches en sautillant, ou lorsque le réalisateur croit nécessaire de nous expliquer la vrai nature de ses relations avec sa voisine Sophie Dumond à grand coups de flash back, Joker n’en demeure pas moins un film d’une maitrise scénaristique et visuelle qui force le respect, la prestation de Joaquin Phoenix, loin de s’opposer à celle de Heath Ledger, se posant justement en matrice de ce que deviendra ensuite le personnage dans le film de Christopher Nolan. 
Réalisateur et co-scénariste, Todd Philipps pose une pierre fondatrice et profondément respectueuse de l’œuvre original en construisant son personnage touche par touche (l’origine de son rire dément, idée brillante, son costume et son maquillage, son nom, son rejet des normes qui se transformera en nihilisme). Il prouve une fois de plus après Logan de James Mangold que le bestiaire super héroïque DC ou Marvel peut engendrer des œuvres adultes et intelligentes, profondément ancrées dans leurs propres codes tout en ouvrant de multiples fenêtres vers un public plus large que les lecteurs de la première heure. C’est une excellente nouvelle, espérons que les studios s’en inspireront.

samedi 28 septembre 2019

Rambo : Last blood

On ne va pas se mentir, l’attente suscitée par ce dernier opus (?) de la saga Rambo était aussi attendue que la déception qu’il suscite. Après le monument d’action barbare et de nihilisme (le péremptoire « Fuck the world ») teinté d’humanisme qu’était John Rambo, véritable résurrection inespérée d’une série sombrant trop souvent dans la caricature, on espérait sans trop y croire que Stallone allait nous réserver un ultime épisode crépusculaire et offrir à son personnage de vétéran une sortie à la hauteur d’Impitoyable de Clint Eastwood ou du Logan de James Mangold. Hélas, le résultat n’est pas au rendez vous, même si le film est loin de la médiocrité dans laquelle on s’apprête à l’enterrer. 
Car malgré ses défauts, ce Last Blood est traversé d’idées géniales. La première est sans nul doute ces tunnels obscurs, véritable métaphore de l’esprit torturé d’un vétéran traumatisé par ses années de guerre et où John Rambo erre comme un ogre de conte de fées, traquant ses ennemis et commettant des actes horribles dans l’obscurité d’un dédale mortel. Ces souterrains mis à nue par une explosion finale alors que l’ancien soldat va peut être enfin connaitre la paix. Hélas, qu’en reste t-il à l’écran sinon une course poursuite torchée en quelques minutes avec des trafiquants anonymes et abrutis, véritable chair à canon pour un prédateur invincible et insaisissable qui exécute ses ennemis à l’arme blanche avec la régularité d’un métronome qui ferait pâlir d’envie Jason Voorhees ? 
 Débutant par un prologue rendu quasiment illisible par un montage cut et des images noyées par la pluie et la pénombre, le film se poursuit sur l’idée, là encore intéressante, d’une famille reconstituée autour de Rambo revenu dans son ranch familial, partagé entre ses traumas et une volonté parfois inquiétante de protéger celle qu’il considère comme sa fille. Là encore, le résultat se résume à une mise en situation pour annoncer le massacre final après une plongée poisseuse dans un Mexique résumé à des proxénètes violents et bas du front. 
Sans aucune concession quant à la violence physique ou psychologique (le calvaire traversé par Gabrielle est réellement traumatisant), Rambo croise le chemin d’une journaliste, Paz Vega, cantonnée à un rôle de pure figuration, et décime un à un tous ceux qui se dressent sur son chemin. Mais alors qu’un John Rambo jouait avec l’idée d’une religion rédemptrice finalement balayée par un nihilisme désespéré, Last Blood se contente d’opposer son personnage à un énième adversaire en effleurant à peine le vide abyssal qui menace à tout moment de l’engloutir. 
Sans être honteux, Last Blood est loin de l’épitaphe que mérite ce personnage iconique et souvent incompris par ceux qui ne voient en lui que l’incarnation d’une imagerie guerrière pro américaine. Ce dernier opus ne va pas arranger les choses.

samedi 14 septembre 2019

Ça chapitre 2

Porté par un script solide de Cary Joji Fukunaga (True Detective forever), une distribution impliquée et une sensibilité proche du Stand By Me de Rob Reiner, le premier chapitre de l’adaptation de l’œuvre de Stephen King s’était révélé être une vraie réussite tant sur le point de la structure narrative que de la trouille suscitée par la confrontation entre Grippe-sous le clown maléfique et les enfants du Club des Ratés. 
Un an après nous retrouvons Gary Dauberman au scénario, lequel a déjà œuvré sur Annabelle et la Dame Blanche. On joue tout de suite dans une autre catégorie. Les enfants sont devenus adultes, le film dure une demi heure de plus (de trop), les effets numériques sont omniprésents et force est de constater que la magie n’opère plus. 
Non pas que Ça chapitre 2 soit un mauvais film, il réserve quelques scènes très réussies (le retour de Beverly dans son ancienne maison), jongle plutôt efficacement entre passé et présent à grands coups de flash back, et conserve cette sauvagerie incroyable lors des attaques du clown, notamment lorsqu’il dévore une gamine sous les gradins d’un stade de base ball. Alors quoi ? 
Le film pêche déjà par sa durée, une bonne demi heure de trop, et par son scénario mécanique qui enchaine la quête des objets du passé par les six membres restant du Club des Ratés. Six scènes mises bout à bout, plutôt efficaces en termes d’ambiance, mais que l’on égrène comme un passage obligé et au final assez ennuyeux. Si la dynamique entre l’entité maléfique et les enfants fonctionnait à plein dans le premier chapitre, il en est tout autrement avec un casting plus ou moins heureux d’interprètes au mieux très investis (le duo Bill Hader – Richie et James Ransone – Eddie), au pire assez anachroniques (Jessica Chastain et James McAvoy en tête d’affiche qui se demandent parfois ce qu’ils font là). 
Introduit par une scène d’agression homophobe étonnante de violence mais sans grand rapport avec la suite, Ca chapitre 2 déroule ensuite son lot de clins d’œil (coucou Stephen King en guest, Freddy Krueger à l’affiche) qui frôlent parfois le repompage (la bave dégoulinant du plafond d’Alien, la tête araignée de The Thing) pour s’acheminer vers un final plombé par un manque flagrant d’inventivité. 
Plutôt que de se lâcher sur la représentation du mal, le réalisateur nous assène un Pennywise doté de pattes tentaculaires, un croisement entre les extra terrestres de Starship Troopers et la figure désormais classique du clown croque mitaine. 
Cette nouvelle adaptation du King restera donc un film en demi teinte porté par un premier chapitre efficace et plombé par une conclusion décevante.

vendredi 23 août 2019

Le gangster, le flic et l’assassin

Le gangster, le flic et l’assassin, c’est d’abord et avant tout Ma Dong-seok, acteur déjà remarqué dans le Dernier train pour Busan qui interprète ici un chef de gang et dont la présence occupe tout l’écran dés qu’il apparait dans une scène. Face à lui, le flic joué par Kim Moo-yul multiplie de vaines gesticulations de jeune chien fou tandis que le tueur incarné par Kim Sung-kyu, un instant inquiétant de froideur implacable, se retrouve vite cantonné à un corps malmené que se disputent les deux précédents protagonistes. 
Surfant sur une production sud coréenne foisonnante et souvent de très bonne facture en matière de polar poisseux, le film de Lee Won-Tae fait preuve d’une indéniable maitrise quand il s’agit de mettre en scène des poursuites à pied ou en voiture, ou d’introduire le personnage du parrain lors d’une scène badass à souhait. Pour le reste, le film se cantonne à une chasse à l’homme, démarquage à peine caché de M le Maudit, que l’on pourrait qualifier d’efficace à défaut d’être un modèle du genre si le final à la morale douteuse ne nous laissait pas un sale goût dans la bouche. 
[SPOILER] Relevons d’abord une incohérence de taille lorsque le flic convainc le gangster du titre de se rendre afin de témoigner lors du procès de l’assassin et de le compromettre face à la justice. On peut raisonnablement penser, la suite nous le confirmera, que le chef de gang aurait facilement pu se venger de son agresseur en prison par l’intermédiaire de ses hommes sans avoir besoin de se faire lui-même incarcérer. 
Ceci étant, le véritable problème du film réside tout de même dans l’attitude du flic, présenté comme incorruptible et, c’est précisé à deux reprise dés le début de l’histoire, avide de promotion. Tout l’intérêt de la course poursuite entre lui et le gangster réside dans le fait de faire juger le tueur en série plutôt que de l’exécuter sommairement comme l’exige la loi du talion des gangs. 
On est en droit de tiquer une première fois lorsque le flic se réfère à la peine de mort en vigueur en Corée du sud et qu’il confie au parrain, « tuons le mais légalement ». Mais le plus aberrant réside dans sa volonté de le soustraire à la vengeance du chef de gang mais de s’arranger pour que celui-ci soit incarcéré dans la même prison, le livrant finalement au même châtiment que celui qu’il voulait lui éviter, le procès en prime. 
La véritable motivation du flic ne serait elle donc pas uniquement d’obtenir une promotion pour la capture du tueur, quitte à le livrer ensuite au gangster après avoir décroché son grade ? 
L’histoire se termine sur ce double plan, le flic promu et le tueur livré aux mains du gangster dans le respect des conventions sociales. [FIN DES SPOILER] 
Le gangster, le flic et l’assassin apparait alors comme un thriller malsain, non pas tant par les motivations de ses personnages, un portrait d’un flic pourri comme il en existe tant aurait toute sa place s’il était assumé comme tel, mais par sa pirouette pro vigilante dissimulée par les atours d’un simulacre de justice. Nous sommes loin de l’intelligence d’un Seven qui illustre une fin amorale délicieusement perverse. 
On ne retiendra donc que le jeu outré et parfaitement irritant du flic, le personnage du tueur tellement malmené entre deux chiens enragés qu’il en deviendrait presque humain, la fin plus que douteuse et la présence écrasante de l’imposant Ma Dong-seok. C’est trop peu pour sauver ce film au final assez déplaisant.

samedi 17 août 2019

Once upon a time… in Hollywood

En presque trente ans de carrière, Quentin Tarantino a toujours vénéré le cinéma comme vecteur de narration, utilisant (presque) toutes les ficelles du septième art, détournant les genres pour mieux les fondre dans un univers unique construit films après films, un patchwork de courants parfois oubliés qu’il remet au goût du jour avec plus ou moins de réussite. 
Pour son neuvième (et avant dernier ?) film, il décide de nous emmener derrière le décor, ce qu’il n’avait qu’effleuré par le biais du cascadeur de Boulevard de la mort, et de nous plonger au cœur de l’industrie cinématographique dans ce qu’elle a de plus symbolique. 
Nous voici donc à Hollywood en 1969, là où tout se décide, les réussites fulgurantes comme les descentes en flammes. Dans un univers où se côtoient les personnages réels (Sharon Tate, Roman Polanski, Charles Manson, …) et imaginaires (la star du petit écran Rick Dalton et son cascadeur attitré Cliff Booth), Tarantino nous convie à ce qu’il sait faire de mieux, un chassé croisé de destins entremêlés où petites et grandes histoires se marient dans un maelström de passion et de violence mâtiné d’humour noir. Pourtant ce nouveau film possède quelque chose de nouveau dans la filmographie du réalisateur, une patte plus affirmée teintée d’une nostalgie douce amère qui n’est pas loin de sonner comme le chant du cygne d’un cinéaste plus apaisé dans sa réalisation. En cela, Once upon a time… in Hollywood est certainement l’un des meilleurs films de Quentin Tarantino depuis Kill Bill volume 2. 
Tout d’abord, Tarantino en passionné ultime sait s’entourer d’un casting trois étoiles et celui de son nouveau film est certainement l’un des plus impressionnant. Le duo entre Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, tous les deux absolument impeccables dans des rôles complémentaires mais dissemblables, fonctionne à merveille, et Margot Robbie illumine le film d’une présence solaire. Passons sur une pléiade de seconds rôles parfaitement réussis qui sont depuis longtemps la marque de fabrique du réalisateur, ce dernier ayant compris dès le début que ces rôles dits mineurs assurent le véritable ciment du casting. 
Alors que l’on suit les errements professionnels et les états d’âmes d’un acteur sur le déclin (ou ressenti comme tel), les évènements funestes qui vont conduire à la fin brutale du Flower Power par le biais de Charles Manson et de sa secte se profilent à l’horizon. Alors oui, on voit arriver le dénouement longtemps à l’avance non sans une certaine crainte, celle de renouer avec le final quasi risible d’Inglorious Basterds où le cinéaste modifie le cours des évènements avec une volonté presque enfantine de considérer le cinéma, et donc lui-même en tant que réalisateur, assez puissant pour réécrire l’histoire. Heureusement, et bizarrement, il n’en est rien. Si l’on verse bien dans l’uchronie attendue, celle-ci s’enchaine parfaitement dans le récit pour conclure le film sur une note d’un optimisme plus touchant que béat. 
Alors oui, Once upon a time… in Hollywood n’échappe pas aux défauts récurrents du cinéaste, comme celui de se regarder filmer comme le montre au début du film ces plans insistants sur tel ou tel élément de décor pour souligner plus qu’il ne le faut la contextualisation de l’histoire. Mais encore une fois ce neuvième film fait preuve d’une maturité nouvelle de la part de celui que l’on a longtemps considéré comme un sale gosse doué mais turbulent. Témoin cette scène de flash back sur le bateau avec Cliff Booth et sa femme ou la visite de ce dernier dans le ranch occupé par les disciples de Charles Manson, un vrai modèle de tension sur le fil du rasoir. Alors que le récit pouvait sombrer à tout moment dans une violence exacerbée, le réalisateur prend une autre direction ou coupe la scène avant le dénouement, comme un clin d’œil complice à ses débordements de jeunesse. En attendant un final expiatoire où Tarantino se déchaine enfin pour une scène d’anthologie. 
Si les quasi trois heures de Once upon a time… in Hollywood nous baladent sans une seconde d’ennui, on ne peut s’empêcher de regretter le traitement fait du personnage de Sharon Tate interprété par une Margot Robbie pratiquement relégué au rang de faire valoir. Un faire valoir de luxe servant de véhicule aux obsessions de Tarantino (sa fixation sur les pieds des femmes, les plans sur ses jambes) mais servis par quelques lignes de dialogue pour incarner un personnage au final assez fade. En comparaison, Margaret Qualley, la fille d’Andie MacDowell qui interprète Cat crève l’écran de part sa présence mais aussi l’écriture de son personnage qui lui permet d’exprimer toute sa personnalité. 
C’est là le principal reproche que l’on pourra faire à ce film émouvant, une réflexion sur ce qu’implique être acteur dans tout ce que cela a de plus fragile et vain mais aussi de plus beau et nécessaire. Le traitement du personnage de Sharon tate n’en est que moins compréhensible. Gageons que son dixième film sera parfait.

dimanche 4 août 2019

Midsommar

Malgré des différences de traitement sommes toute mineures (le choix de l’atmosphère obscure ou lumineuse est la plus évidente), le nouveau film d’Ari Aster se situe dans la lignée directe de son premier opus Hérédité avec une évidence thématique qui saute aux yeux. 
Tout commence avec un trauma familial qui va confronter un groupe (la famille d’Hérédité, le groupe d’amis gravitant autour du couple de Midsommar) à des manifestations de plus en plus oppressantes et étranges jusqu’au dénouement final où, plongé au fond de l’abime, le personnage central trouve enfin sa propre voie et révèle sa vraie personnalité. 
Ari Aster est un cinéaste habité par des visions et des thèmes que l’on devine récurrents après seulement deux films. Le dysfonctionnement familial (le rapport mère fils dans Hérédité, le délitement d’un couple dans Midsommar) traité comme catalyseur des évènements à venir s’accompagne systématiquement de représentations d’enfants difformes et d’une étrange fascination pour les têtes éclatées en gros plan, véritable gimmick pour le cinéaste. Mais là où Hérédité utilisait l’argument fantastique sans beaucoup de retenue lors d’un final filmé sur le fil du rasoir, Midsommar se veut plus nuancé dans son approche du mal. 
Nul besoin de recourir à une quelconque sorcellerie (même si la scène de l’accouplement fait écho au final d’Hérédité) pour illustrer le cauchemar éveillé vécu par Dani et ses amis au sein d’une secte suédoise. [SPOILER] Si Ari Aster invoque une fois de plus une mythologie païenne adepte des sacrifices humains, l’argument surnaturel s’efface au profit d’un voyage initiatique à base de psychotropes et de cultes anciens. [FIN DU SPOILER] 
A l’heure où la plupart des films d’horreurs adoptent une surenchère d’effets spéciaux et de jump scares, Ari Aster fait preuve d’une maitrise formelle apte à créer un véritable malaise en jouant sur le jeu des acteurs, les distorsions visuelles ou un simple cadrage en gros plan. 
Mêlant une nouvelle fois habillement le désordre psychologique de son héroïne et l’environnement cauchemardesque où elle se retrouve plongée malgré elle, le réalisateur nous prouve une fois de plus que l’on peut faire de ses obsessions les plus profondes un spectacle malin et véritablement dérangeant. Le vrai pari sera pour ce cinéaste plein d’avenir d’arriver à se renouveler sans tomber dans le piège de la répétition.

samedi 27 juillet 2019

Crawl

Une maison, deux personnages et un chien, des éléments déchainés, le niveau de l’eau qui monte inexorablement et une flopée d’alligators agressifs, il n’en faut pas plus pour réussir un honnête film de série B bien troussé et tendu à souhait. 
Plus proche dans son concept de Instinct de survie - The Shallows de l’espagnol Jaume Collet-Serra (auquel il va même jusqu’à reprendre la composition de l’affiche) que des Dents de la mer auquel il rend pourtant un hommage sous forme de clin d’œil lors de la première attaque du bateau des pillards, Crawl reprend le principe de la belle (Kaya Scodelario parfaite dans son rôle sportif) confrontée à une meute de prédateurs. 
Servi par le savoir faire et l’efficacité d’Alexandre Aja, le film ne s’encombre pas de fioriture pour nous proposer un spectacle sans autre ambition qu’un divertissement efficace, ce qui est déjà beaucoup. 
Pas de personnage secondaire encombrant ni de sous intrigue embarrassante, si ce n’est la digression quasi obligatoire et un peu éculée sur les rapports père fille et les traumas familiaux. On passera sur cette facilité pour se concentrer sur l’essence même du film, les attaques des alligators. 
Dosant les séquences gores sans excès (le démembrement du policier, bref mais intense), Alexandre Aja réalise son anti Piranha 3D, certes moins jouissif que ce dernier mais enthousiasmant dans son amour sincère du genre et sa volonté de nous proposer l’essence même du film catastrophe mâtiné d’horreur. Crawl est le parfait divertissement pour passer une bonne soirée, sans surprise mais sans déconvenue non plus.

samedi 29 juin 2019

Golden Glove

Découvrir Golden Glove en salle équivaut à peu de chose prés à se prendre un tampon hygiénique usagé en pleine poire. On a beau être prévenu, l’expérience n’en demeure pas moins sale, brutale et traumatisante. 
C’est surement l’explication d’un échec commercial annoncé (j’ai rarement l’occasion de voir un film seul dans une salle de cinéma). Et pourtant. Réduire Golden Glove à ses scènes de meurtres, aussi frontales et glauques soit elles, revient à ne voir dans l’écriture d’un Bukowski qu’une succession de beuveries, de bagarres et de gueules de bois. 
Et c’est là où le nouvel opus de Fatih Akin dépasse son statu de film de serial killer et transcende un genre déjà bien représenté (Maniac, Henri portrait of a serial killer, …). Car à l’instar d’un Bukowski justement, à travers leurs turpitudes, leurs violences et leur détresse social, Golden Glove parle des gens. 
Le réalisateur ne se pose jamais en juge ni en procureur pour dresser le portrait d’une galerie de personnages inoubliables, affreux sales et méchants. Des laissés pour compte qui trainent leurs tares physiques et mentales dans un brouillard éthyliques dont ils n’émergent que pour commettre l’irréparable. 
Cultivant une atmosphère anxiogène et claustrophobe entre l’appartement de Fritz Honka et le fameux Golden Glove, bar cosmopolite et lieu de rencontre de toute la misère humaine du Hambourg des années 70, le film ne se permet que de rares apartés dans les rues de la ville comme pour mieux prendre une grande aspiration avant de replonger dans la fumée de cigarettes et la puanteur des cadavres en décomposition. Mais une fois encore, la force incroyable du film vient du soin avec lequel le réalisateur peint ses personnages. 
Nulle condescendance et encore moins de jugement ou de fausses excuses pour ces damnés dont les tranches de vies éclipsent peu à peu les scènes de meurtres que l’on attend avec un mélange d’effroi et d’appréhension à chaque fois qu’une nouvelle femme franchit le palier de l’appartement de Fritz Honka. Fatih Akin plonge au cœur de ce qu’une vie de misère peut engendrer, n’hésitant pas à faire se côtoyer dans le même bar un ancien officier SS et une prostituée ayant officié de force dans les camps de concentration allemands. Le réalisateur nous oblige à regarder cette misère en face dans ce qu’elle a de plus abjecte et là encore, les meurtres pourtant brutaux sont presque relégués au second plan tant la force de cette peinture des gueules cassées de l’après-guerre nous prend aux tripes pour ne plus nous lâcher. 
Porté par une série d’interprètes d’un réalisme jusqu’alors peu vus sur grand écran, avec en tête l’interprétation hallucinée d’un Jonas Dassler littéralement habité par son rôle, Golden Glove est un film important par le regard qu’il porte sur cette frange de l’humanité gangrénée par son propre malheur. Des hommes et des femmes brisés qui s’entre dévorent dans un dernier sursaut de vie avant de vomir leurs tripes dans un caniveau sous l’œil indifférent des passants. Quinze ans après Head On, Fatih Akin retrouve sa rage et ça fait un bien fou.

lundi 10 juin 2019

Parasite

Film de la consécration pour Bong Joon Ho avec une palme d’or au dernier festival de Cannes, Parasite n’en reste pas moins une œuvre profondément ancrée dans la filmographie du réalisateur, brassant des thèmes familiers déjà abordés dans ses précédentes réalisations. Parasite aborde la déliquescence de la société qui engendre ses propres monstres (Memories of Murder), la cellule familiale comme dernier rempart contre une menace extérieure (The Host) et bien sur la lutte des classes au sein d’une société hiérarchisée à l’extrême (Snowpiercer). 
C’est donc sans surprise mais avec un plaisir intact que l’on retrouve la maitrise scénaristique et visuelle de Bong Joon Ho au service d’une histoire sous tension qui passe allègrement de la comédie au drame social et lorgnant au passage du coté du slasher et du thriller. Et c’est bien ce mélange des genres porté par un casting absolument impeccable qui fait la réussite d’une chronique sociale lucide et néanmoins frontale avec cette subversion propre au cinéma coréen. 
Bong Joon Ho regarde la violence dans les yeux, qu’elle soit physique ou morale, et nous donne en pâture un spectacle que même la patine de la comédie ne suffit pas à édulcorer. Car au-delà du clivage entre les pauvres et les nantis qui existera toujours, le réalisateur porte un regard sans concession sur cette frange de la population que nous refusons de voir, et qui se révèle au final capable d’un jusque boutisme désespéré pour accéder à ce que la société leur met sous le nez sans jamais leur permettre d’y gouter. La luxueuse maison de la famille Park abrite donc en son sein les riches propriétaires, les pauvres domestiques et les damnés, ceux que la société condamne et qui doivent vivre cachés pour échapper aux poursuites (les créanciers, la justice). 
Avec un sens de l’espace central dans son processus narratif (la famille de de Ki-taek vit sous le niveau de la rue, alors que la maison des Park se situe en hauteur mais [SPOLIER] abrite en son sein un souterrain où se terrent les fameux damnés [FIN DU SPOLIER]), Bong Joon Ho met en scène une famille pauvre, attachante et solidaire mais impitoyable envers autrui lorsqu’il faut pousser les oiseaux hors du nid pour prendre leur place. 
Nulle concession à une quelconque solidarité entre pauvres donc ; rompus à la loi du plus fort ils se montrent sans pitié et manipulateurs pour s’imposer au sein d’une famille aveuglée par son propre nombrilisme. Le ver est dans le fruit qu’il grignote patiemment, jusqu’à l’explosion finale, débordement de violence expiatoire lorsque l’on se rend compte que l’argent ne peut pas tout acheter et qu’en dernier lieu il reste la dignité à défendre, quelqu’un soit le prix. 
Bong Joon Ho conclue son film par une énième retournement avec un faux happy end bouleversant et nous laisse groggy mais ravi devant une telle profusion d’émotions et de maitrise filmique.

vendredi 31 mai 2019

John Wick Parabellum

John Wick aurait pu se contenter d’être un actionner un peu plus bourrin que la moyenne à l’image des Equalizer et Jack Reacher sortis en même temps. Un plaisir primaire faisant appel à notre fascination pour la violence emballée dans de belles images et des cascades toujours plus incroyables à l’image de ce qu’est devenu la franchise Mission Impossible. Mais la saga John Wick accède à un statu à part pour une raison toute simple, cette volonté d’ancrer les films dans une mythologie patchwork façonnée à partir d’éléments aussi disparates qu’habilement agencés pour former un univers parallèle où tout ou presque peut arriver. 
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le réalisateur Chad Stahelski fut doublure de Keanu Reeves puis coordinateur des cascades sur Matrix Reloaded et Matrix Revolutions, il a su puiser chez les frères frères Wachowski cette propention à créer des univers extrêmement visuels en allant puiser à l’essence même de l’imaginaire populaire. 
Ainsi, John Wick évolue t-il dans un monde essentiellement urbain noyé par une pluie perpétuelle avec un soin particulier apporté aux décors et aux costumes des différents protagonistes. La Grande Table autour de laquelle tourne l’intrigue de ce troisième opus peut se voir comme une version alternative de la Table Ronde autour de laquelle siège, non pas de preux chevaliers mais des tueurs de toutes nationalités experts dans leurs domaines, la mort. Et en matière de mise à mort, John Wick fait preuve d’une originalité incroyable, utilisant tous les éléments à sa portée pour se défendre (livre, cheval, armes blanches, armes à feu, tout y passe) sans pour autant sombrer dans l’invraisemblance cartoonesque. Car aussi incroyables que soient les combats ou les cascades, le réalisateur, lui-même ancien cascadeur, apporte un soin tout particulier à ses chorégraphies qui repoussent les limites jusque là imposées par le cinéma coréen (The Raid et consort). 
Adoptant une structure narrative inspirée des jeux vidéos avec ses zones de repos (les hôtels Continental), ses tirs à la tête pour défaire un adversaire, ses ennemis upgradés avec des blindages inédit et l’ascension final des étages pour atteindre le boss final (Mark Dacascos), John Wick continue de bâtir une saga unique en son genre, un monde où la chair constitue le langage principal, quelle soit déchirée par les balles ou les lames, tatouée ou scarifiée. Et c’est l’un des points les plus intéressants du film que cette fascination pour les mutilations porteuses de sens. 
John Wick se voit en effet brulé par une croix chauffée à blanc, se tranche un doigt et signe un médaillon avec son sang pour entériner des promesses passées ou futures, dans la plus grande tradition des triades japonaises ou des mafia russes. Point d’explosions ou de destruction de masse dans John Wick Parabellum, mais des monceaux de cadavres et des mutilations à la pelle, comme si la matière première principale du film, son moteur était encore et toujours la chair comme élément premier du langage. 
On pourrait disserter à l’infini sur les influences cinématographique de la saga, la qualité de son casting ou sa scénographie martiale absolument incroyable. On peut aussi y prendre un plaisir immédiat déculpabilisé par la richesse d’un film infiniment plus complexe qu’il ne veut bien le laisser paraitre.

samedi 11 mai 2019

Le combat ordinaire

Rares sont les œuvres qui, 15 ans après leur publication, conserve le même impact qu’à la première lecture. Plus rares encore sont celles qui tendent à l’universel par leur capacité à s’adresser à chacun d’entre nous tout en brassant des thèmes aussi personnels et sensibles que la paternité, la mort de nos parents, l’engagement familial. Le combat ordinaire, série de 4 albums scénarisés et dessinés par Manu Larcenet de 2003 à 2008 est de ceux là, ces livres qui nous marquent de façon indélébile et nous accompagnent tout au long de notre existence, ces albums que l’on a envie d’offrir à tous ceux qui nous sont chers pour partager ces tranches de vie, miroirs de nos propres angoisses. 
Idéalement positionné entre l’apparente insouciance du Retour à la terre et la noirceur désespérée de Blast, Le combat ordinaire suit le personnage de Marco, un photographe névrosé qui, de rencontres en analyses, de déceptions en menus plaisirs va trouver sa place dans une existence peuplée par les fantômes du passé et les angoisses du futur. 
Manu Larcenet n’a pas son pareil pour, d’un simple trait de crayon ou d’une réplique ciselée, cerner les doutes et les travers de cette galerie de personnages qui entourent Marco. Refusant toute démagogie quand il aborde des sujets politiques (les électeurs du Front National, la Guerre d’Algérie, la fermeture des usines), l’auteur tisse au fil de ses 4 tomes une réflexion sensible sur ces petits riens qui font une vie. Marco est confronté à la maladie et à la mort de son père, à la vieillesse et à la solitude de sa mère, à ses peurs devant la responsabilité de devenir père à son tour, aux sacrifices qu’il faut consentir pour trouver sa place dans la société, et tout cela est traité avec une infinie délicatesse. 
Manu Larcenet nous parle de ses propres peurs et par là il s’adresse directement à chacun de nous, de l’enfant insouciant à l’adulte angoissé sauvé par quelques parenthèses de vrais bonheurs. Le combat ordinaire est celui de nos vies, Manu Larcenet en a fait une œuvre miroir d’une intelligence et d’une sensibilité rares.

mercredi 8 mai 2019

El Reino


Après avoir exploré les tréfonds les plus noirs du polar avec l’excellent Que Dios Nos Perdone, le réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen retrouve Antonio de la Torre pour incarner un homme politique englué dans une affaire de corruption qui va, petit à petit, le perdre corps et âme. 
El Reino nous entraine sur les pas de Manuel López-Vidal, le cadre prometteur d’un parti politique promis à un bel avenir jusqu’à ce que tout dérape. Et nous voilà parti pour deux heures de course haletante, collés à ce personnage arrogant, cynique et cupide pour lequel l’immense talent d’Antonio de la Torre arrive à nous faire partager, sinon de la sympathie, une certaine forme d’empathie. 
Car oui Manuel López-Vidal est un pourri qui détourne de l’argent public et mène une vie de rêve au crochet d’une société qu’il prétend servir à travers sa fonction politique. Un arriviste trahi par ses amis et qui à son tour n’hésitera pas à se retourner contre les siens pour sauver sa peau et ce qu’il reste de sa famille. Et c’est la grande force du réalisateur et de son interpète principal de plonger un carnassier dans des eaux si troubles qu’il en devient presque une victime expiatoire. Nous ne sommes pas loin du tous pourris et pourtant El Reino ne se résume pas à une dénonciation simpliste des travers du pouvoir et de l’argent facile. 
Outre ses qualités de thriller haletant, on ne souffle pas une minute, le film explore du point de vue du coupable tous les rouages d’une descente aux enfers aussi prévisible qu’inéluctable. En convoquant les appareils et le fonctionnement interne d’un parti politique, les médias dont la soif de pouvoir et de reconnaissance n’a rien a envier aux bêtes politiques, et la famille à la fois complice et victime, Rodrigo Sorogoyen livre un nouveau film maitrisé de bout en bout, d’une noirceur totale sans pourtant sombrer dans les travers évident de la démagogie. 
El Reino énonce des vérités connues de tous, le pouvoir corrompt et se protège lui-même. Mais le film va au delà en disséquant minutieusement les rouages d’une machine qui se met à déraper et qui broie tout sur son passage. Malgré un scénario parfois difficile à suivre dans tous ses méandres lorsqu’il s’agit de démêler les fils de la corruption et une fin abrupte, El Reino s’impose comme une nouvelle réussite du thriller espagnol décidément en grande forme ces dernières années.