mercredi 24 décembre 2014

Le Hobbit : la bataille des cinq armées

Treize ans après le premier volet du Seigneur des Anneaux, Peter Jackson clôt une saga unique en son genre qui a totalement renouvelé les codes de l’imagerie héroïque fantasy au cinéma.
Reprenant le poste de réalisateur sur la trilogie du Hobbit après le désistement de Guillermo del Toro qui se contente d’une accréditation au scénario, il quitte la Terre du Milieu avec une extension de la trilogie originale qui, malgré ses qualités indéniables et de réels moments de bravoure, n’arrivera jamais à se hisser au niveau de celle du Seigneur des Anneaux. 
Etirant une histoire plutôt condensée en inventant des personnages (Tauriel, le Nécromancien) ou des situations (l’histoire d’amour entre un nain et une elfe), en réinterprétant à sa façon certains caractères (les nains sont décrits par Tolkien comme un peuple noble alors que le réalisateur les dotent pour la plupart de physiques d’handicapés congénitaux et en fait des personnages souvent burlesques) Peter Jackson prend le parti du film d’aventure grand public au détriment de l’esprit héroïque fantasy qui traversait la première trilogie. Mais paradoxalement, les défauts qui sautaient aux yeux dans les deux premiers épisodes du Hobbit semblent ici atténués au profit d’un spectacle plus en phase avec ce que l’on attendait d’un tel réalisateur. 
Évacuons d’emblée la mort de Smaug expédiée trop hâtivement et des erreurs manifestes de montage (les plans furtifs montrant Gandalf prisonnier ou chevauchant vers la montagne intercalés entre deux scènes sans que l‘on sache trop pourquoi), une bataille finale qui se termine sans que l’on sache comment et la présence à peine esquissée des grands aigles. Il reste que si une fois encore ce dernier épisode ne tient guère la comparaison avec le Retour du Roi et son souffle épique, il n’en demeure pas moins un spectacle réjouissant. 
Martin Freeman semble enfin trouver la pleine mesure de son personnage et campe un Bilbon convaincant. On retrouve avec un plaisir toujours intact les personnages récurrents de la saga (Saroumane, Gandalf, Legolas,..) et on a enfin l’occasion de voir une armée de nains en action. Les quelques secondes d’apparition de Smaug sont bluffantes et les scènes de batailles rangées ou de guérilla urbaine sont encore une fois parfaitement maitrisées. Le parti pris du traitement des personnages des nains est clairement plus sombre que dans les deux premiers épisodes et l’on ne peut que s’en réjouir. 
Peter Jackson boucle sa saga en nous renvoyant vers le début du Seigneur des Anneaux comme un ultime signe de la main. Il n’en reste pas moins que l’on ne peut que rester pensif en s’imaginant la version qu’un Guillermo del Toro en aurait donné.

mercredi 10 décembre 2014

La French



Jean Dujardin, Gilles Lellouche. Le juge Michel, Gaëtan Zampa. Deux des acteurs les plus charismatiques du cinéma français actuels incarnent deux figures qui ont défrayé la chronique judiciaire des années soixante-dix en France. La French retrace sur plusieurs années le combat acharné que Pierre Michel, jeune magistrat promu juge du grand banditisme à Marseille mena contre l’une des plus grandes organisations criminelles de notre pays, celle qui a alimenté les Etats Unis en héroïne pendant des années. 
Le parti pris du film, celui de nous immerger dans les années soixante-dix et de faire intervenir des figures publiques (Gaston Deferre entre autres) en dénonçant les implications troubles du pouvoir en place avec les filières mafieuses n’était pas sans risque. Le pari est tenu haut la main tant le film est porté par une distribution impeccable, une reconstitution minutieuse de l’époque et un sens du rythme et de l’action tout à fait correct. 
Si la mise en scène reste classique, la direction d’acteur sert un propos qui se veut autant dénonciateur d’une corruption de très haut niveau qu’un film policier dont le rythme est d’autant plus difficile à maintenir que l’on en connait la fin. S’il est plus courant d’être fasciné par les bandits que par les forces de l’ordre (de Scarface au Parrain en passant par Les Affranchis), Cédric Jimenez réussit à maintenir un équilibre constant entre ses deux personnages centraux. Oscillant comme nombre de ses prédécesseurs entre sympathie et méfiance, Gaëtan Zampa trouve en Pierre Michel un adversaire plus trouble qu’il n’y parait, obsessionnel et colérique, ancien joueur invétéré constamment sur la brèche. C’est du moins le portrait qui nous est fait du juge Michel, une fois de plus parfaitement incarné par un Jean Dujardin totalement investi dans son rôle. 
Touchant dans sa solitude et son obstination, souvent drôle dans les moments les plus graves, il donne à ce personnage hors du commun une dimension qui va au-delà du simple justicier qui nous est trop souvent proposé. Pierre Michel est finalement un homme simple qui va aller au bout de ses convictions, un homme seul qui s’approche trop près du soleil et qui va se brûler les ailes, entrainant dans sa chute celui dont il avait juré la perte. 
La French renoue avec la grande tradition du polar français, ancré dans son époque et porté par des interprètes solides. C’est efficace, instructif et distrayant, que demander de plus ?

dimanche 16 novembre 2014

Mommy

Xavier Dolan fait partie de ces cinéastes que l’on adore ou que l’on déteste d’emblée. Jeune prodige pour les uns, imposteur pour les autres, il ne laisse personne indifférent et ce n’est pas son dernier film qui changera la donne.
 Les personnages de la mère et du fils sont une fois encore au centre de l’histoire qui pourtant prend rapidement son envol pour nous emmener bien plus loin qu’une simple histoire d’amour ou de haine filiale. Car Mommy ne met pas en scène des personnages ordinaires. Il y a tout d’abord Diane, une mère veuve qui hérite de la garde de son fils Steve, un adolescent TDAH impulsif et violent. Tous les deux vont rencontrer Kyla, une voisine renfermée sur elle-même qui cache un lourd secret. 
Disons-le d’emblée, Xavier Dolan n’a pas peur de la facilité. Car en filmant une scène au ralenti sur du Lana Del Rey, il sait très bien que l’effet sera garanti. Et en calquant une chanson de Céline Dion sur une scène chargée d’émotion, il ne fait que décupler l’effet recherché avec un minimum de moyens. Alors oui, la ficelle est surement un peu grosse, mais le réalisateur est suffisamment doué pour faire passer une émotion extraordinaire à travers ces scènes sans que cela ne paraisse pour autant artificiel une seule seconde. Car Xavier Dolan est doué, cela ne fait aucune doute. Il sait s’entourer d’interprètes absolument époustouflant qu’il dirige avec justesse, ne dérapant jamais dans le pathos alors que le sujet s’y prête. Antoine-Olivier Pilon fait de son personnage une bombe à retardement constamment sur la brèche, oscillant entre exaspération et attachement. Mais le cœur du film ce sont ces deux femmes magnifiquement interprétées par Anne Dorval et Suzanne Clément. Entre fragilité et exubérance, elles se complètent admirablement bien et donnent au film son tempo si particulier. 
Roublard jusque dans sa mise en scène, Xavier Dolan utilise un cadrage serré tout le long du film puis plus large pour signifier un moment de liberté. Le procédé est peut être un tout petit peu téléphoné et simple, voire simpliste, mais force est de constater que cela fonctionne aussi. Car le véritable thème du film est bien celui de l’enfermement. Enfermement de Steve dans des établissements spécialisés et dans cette maladie qui l’empêche de communiquer avec les autres. Enfermement de Diane, menottée par l’amour qu’elle porte à son fils et qui l’empêche de vivre normalement. Enfermement enfin de Kyla, murée dans une souffrance sans nom que Steve et sa mère parviendront, bien malgré eux, à fissurer un trop bref instant. 
Mommy est un film pop dans la forme mais rock dans l’esprit. Xavier Dolan filme des personnages incapables de vivre dans une société trop étroite qui les écrase, et trouvant dans l’amour inconditionnel et si particulier qu’ils se portent les uns aux autres la force de vivre. Le temps d’un rêve, celui d’une vie sans heurts et sans blessures. Un rêve donc.

vendredi 14 novembre 2014

Rec 4 : Apocalypse

En 2007, Rec créait la surprise, non pas en utilisant le procédé du found footage qui commençait déjà à être surexploité, mais en réussissant avec très peu de moyen à créer une atmosphère réellement terrifiante et claustrophobique. 
Trois suites et presque dix ans plus tard, voilà que débarque Rec 4, soit disant dernier volet d’une tétralogie pour le moins inégale. Malgré son titre racoleur annonçant une fin du monde que nous ne verrons jamais et son affiche française repompant allègrement celle du Drag me to Hell de Sam Raimi, le film s’annonçait pourtant comme prometteur avec le retour derrière la caméra de Jaume Balagueró. 
Bon, déjà l’Apocalypse annoncée se limitera au paquebot où sont embarqués une poignée de scientifiques, de militaires, quelques membres d’équipage et des rescapés des précédents épisodes, la toute mignonne Manuela Velasco reprenant le rôle d’Angela Vidal. Si l’on passe sur un scénario qui frôle l’indigence et se contente du minimum syndical, on aura en revanche plus de mal à ignorer le jeu catastrophique du duo de militaires qui tiennent lieu de héros et qui semblent tout droit sortis d’une télénovella de bas étage. 
Reprenant les éléments clefs qui ont fait le succès de la série (les caméras, un lieu clos dont on ne peut s’échapper, des infectés plus agressifs que jamais, et bien sur la charmante Manuela Velasco), Rec 4 marche en terrain connu et ne prend aucun risque. Il reste que la réalisation est suffisamment honnête pour nous réserver quelques effets chocs du plus bel effet (le virus se transmettant de corps en corps), que le réalisateur traite comme à l’accoutumé son sujet avec sérieux et pour une fois sans ce second degrés qui désamorce systématiquement toute scène de terreur. 
Rec 4 se rapproche au final davantage d’un épisode de Resident Evil que les multiples adaptations du jeu mises en scène par Paul W.S. Anderson. Et c’est loin d’être un reproche.

dimanche 9 novembre 2014

Interstellar

Dans un futur peut-être pas aussi lointain que cela, la terre se meurt et devient peu à peu inhospitalière pour des humains qui en ont pompé toutes les ressources. Le seul espoir de l’humanité réside alors dans la conquête spatiale et la colonisation de nouveaux mondes. Plus facile à dire qu’à faire quand cela se traduit par des voyages de plusieurs centaines, voire milliers d’années. 
Avec son nouveau film, Christopher Nolan ne se contente pas de jouer avec l’infiniment grand et un espace que l’on devine infini, il s’amuse aussi avec la dimension temporelle. Car Interstellar multiplie les regards et les thèmes abordés, de la cellule familiale à l’humanité entière, de la survie de l’individu à celui de l’espèce, d’un certain message écologiste à une vision toute particulière de l’humanisme selon Nolan. 
Formellement irréprochable, le film bénéficie du talent de Hoyte Van Hoytema, le directeur de la photographie qui avait déjà magnifié Her de Spike Jonze, d’un casting solide, si l’on excepte une Anne Hathaway plus crédible en Catwoman qu’en scientifique de la NASA, d’effets spéciaux aussi sobres qu’impressionnants (les vagues gigantesques ou l’environnement futuriste) et comme d’habitude d’une réalisation au cordeau d’un cinéaste qui utilise les sauts temporels aussi bien comme sujets scénaristiques (la scène du retour dans la station de Cooper et Brand après leur excursion sur la planète recouverte d’eau est d’un impact et d’une dimension tragique incroyables) que comme élément de langage cinématographique. Il faut voir Matthew McConaughey au volant de sa camionnette pendant que le compte à rebours de la navette qu’il va piloter quelques mois plus tard s’égrène pour comprendre ce qu’un plan de transition réussi signifie. Mais comme à son habitude, et comme il l’a toujours fait tout au long de sa filmographie, Christopher Nolan privilégie la science-fiction au pur fantastique. 
(SPOILER) Là où un James Cameron (Abyss, Avatar) nous aurait proposé une rencontre avec une intelligence extra-terrestre, Christopher Nolan lui est catégorique. Fidèle à l’adage « aide toi, le ciel t’aidera », il nous confirme qu’une aide ne pourra venir que de nous, c’est-à-dire les humains quelques milliers d’années plus tard. Les Autres sont nos enfants qui ont évolués et qui sont capables de nous tendre la main depuis le futur. Certes, mais alors comme à chaque fois que l’on aborde les boucles temporelles, se posent des questions de cohérence. Où donc sont passés ces humains ? Pas sur la Terre qui devient mortelle pour la race humaine. Sur l’un des mondes découverts par les missions Lazare ? Pourquoi alors ne les voient on pas ? Et comment ont-ils réussis à développer une telle technologie, et donc à quitter la Terre, dans la mesure où ce sont eux qui nous donnent la clef pour justement partir de notre planète devenue inhospitalière ? (fin du SPOILER) 
Une fois ces questions résolues, il n’en reste pas moins une vision très particulière de l’humanité. Déjà, on peut être un peu sceptique devant l’admiration du réalisateur suscitée par les pilotes de la NASA et le dédain avec lequel il traite les agriculteurs qui sont devenus, les pieds dans la boue, le seul rempart de la population contre des famines massives. Mais prenons un peu de hauteur par rapport aux autres sujets abordés. 
Si la question entre la survie de l’individu et celui de l’espèce est passionnante, elle devient vite caduque si l’on considère que l’espèce humaine n’est rien d’autre qu’un ensemble d’individualités avec leur instinct de survie et de protection de leurs proches, réflexes grégaires qui font de nous des animaux dits civilisés et sociaux. Oscillant constamment entre deux visions de l’humanité (l’Homme est capable d’atomiser des populations affamées, de détruire les ressources naturelles sur lesquelles il est assis pour assouvir des besoins sans cesse croissants, mais il est aussi capable de conquérir l’espace et de se sacrifier pour la survie de la race), Christopher Nolan conclue par une vision qui se veut optimiste mais qui n’en reste pas moins effrayante. 
Nous sommes seuls dans l’univers, seuls face à nous-même et nous n’avons d’aide à attendre de personne. Une question se pose alors : combien d’années faudra-t-il aux nouveaux colons pour épuiser leur nouvelle planète d’adoption ?

jeudi 6 novembre 2014

Fury

Dans la sous-catégorie des films de guerre, ceux qui axent leur histoire autour de l’équipage d’un tank ne sont pas légion. Jusqu’à présent, la référence en la matière était sans conteste l’époustouflante Bête de Guerre réalisé par Kevin Reynolds en 2002. Désormais, il faudra aussi compter avec le Fury de David Ayer. 
L’histoire se déroule en Allemagne. La fin de la guerre est proche, les derniers combats n’en sont que plus sauvages. Fury suit le parcours de Don 'Wardaddy' Collier et de son équipe, bientôt rejoint par le jeune et inexpérimenté Norman Ellison. C’est à travers son personnage que nous serons confrontés une fois de plus aux horreurs de la guerre, mais aussi à une certaine fraternité qui prend corps au sein de cette bande de frères d’armes confinés dans les entrailles d’un tank Sherman. 
Car c’est bien autour de cette machine de guerre que vont se nouer les liens qui unissent ces hommes entre eux, emmenés par un chef hors du commun auquel Brad Pitt prête, une fois de plus, une présence incroyable. Innocence sacrifiée, virilité guerrière, sacrifice, peur et courage, rien ne manque à la parfaite panoplie du film de guerre. Fury pourrait se dérouler au sein d’un hélicoptère pendant la guerre du Viet Nam, les enjeux seraient les mêmes. Pourtant, malgré quelques poncifs et passages convenus, force est de constater que le film fonctionne. 
Grâce tout d’abord à un excellent casting, parfaitement adapté aux personnages de gueules cassées qui peuplent le film. Même s’il est plus familier des thrillers urbains, David Ayer a maintes fois prouvé qu’il savait parfaitement filmer les scènes d’action, et là encore le film en regorge. D’un impressionnant duel de chars entre trois machines américaines et un tank allemand à la prise d’une ville en ruine en passant par l’affrontement final, Fury nous offre de multiples moments de bravoure parfaitement maitrisés. Et il faut entendre Michael Peña raconter la terrible histoire des chevaux pour bien saisir l’atmosphère viciée qui entoure le film. 
Comme à son habitude, David Ayer filme la violence dans ce qu’elle a de plus crue, n’hésitant pas à multiplier les plans gores pour nous faire ressentir l’horreur des affrontements. Les têtes éclatent sous l’impact des balles, les jambes sont tranchées par des rafales de mitrailleuses, et les prisonniers sont le plus souvent sommairement abattus par des soldats totalement dénués de repères moraux. Heureusement, le réalisateur ne sombre ni dans le manichéisme ni dans la noirceur totale par une dernière lueur d’espoir. 
Il n’en reste pas moins que Fury porte bien son nom. C’est un film violent à l’atmosphère lourde, un film où les giclées de sang se mêlent à la boue et aux cris des mourants. David Ayer réussit à nous mettre devant l’atrocité de la guerre, ce qu’elle produit de plus noble et de plus horrible, ce mélange improbable de cruauté et de grandeur d’âme qui fait de l’Homme ce qu’il est.

dimanche 12 octobre 2014

Gone Girl

Nick et Amy Dunne forment un couple parfait, en apparence. Car derrière une façade idyllique, le bonheur et l’euphorie des premiers moments se lézardent, faisant apparaitre une réalité glaçante. Jusqu’au jour où Amy disparait et où Nick est accusé de meurtre. Commence alors une course contre la montre pour le confondre ou l’innocenter, selon le bord où l’on se situe. Jusqu’à la découverte d’une vérité dépassant tout ce que l’on pouvait imaginer. 
Car oui, outre son pitch dévastateur, Gone Girl est bien tout cela à la fois. Un thriller haletant, une critique corrosive d’une certaine société américaine, une radiographie sans concession de ce que peut devenir un couple, tout en nous réservant des moments d’humour noir et grinçant. Et c’est bien là que David Fincher parvient à nous surprendre une fois encore. 
Si le réalisateur nous a habitué à une photographie soignée, une réalisation parfois glaciale mais toujours impeccable, un casting parfaitement dirigé, s’il met en scène depuis des années les cas les plus improbables de tueurs déséquilibrés tout en analysant leur rapport à l’image (thèmes que l’on retrouve bien évidemment ici), il ne nous avait pas, ou si peu, habitué à cet humour macabre qui frôle parfois le surréalisme, comme en témoignage la dernière partie du film. 
Gone Girl est un film axé sur les femmes. Si le personnage campé par Ben Affleck est central, il n’est qu’un pantin bringuebalé entre les mains de sa femme, sa sœur, sa belle-mère et l’inspecteur de police en charge de l’enquête. Tous les rôles sont interprétés avec une justesse qui donne au film une parfaite cohésion, pourtant il est difficile de ne pas être particulièrement impressionné par la performance de Rosamund Pike. 
(Attention SPOILER) D’une beauté glaciale, elle bascule de la candeur à la menace en un mouvement de sourcil et rejoint allégrement Catherine Tramell au panthéon des psychopathes aussi sexy que dangereuses (fin du SPOILER). 
Aussi à l’aise dans le thriller que dans l’autopsie d’un couple, David Fincher n’épargne personne, et surtout pas les médias prêts à tout pour faire de l’audience. Car l’un des thèmes majeurs de Gone Girl est bien l’image, celle que l’on projette et celle qui est relayée dans des millions de foyers. Celle qui se fait et se défait en quelques minutes de prime time, celle qui s’achète ou qui se pervertit au fil des années. Et c’est bien là le nœud de l’intrigue, cette impossibilité, pourtant niée, de modeler son entourage à l’image que l’on s’en fait, et les actes extrêmes qui en résultent. 
Le réalisateur pousse très loin le bouchon, nous offrant un dernier acte oscillant constamment entre l’absurde et le cauchemar. Tous les personnages sont pris à leur propre jeu, ne pouvant en sortir sans que tout le château de cartes sur lequel ils ont bâtis leur vie ne s’écroule. David Fincher s’amuse avec le spectateur et non pas à ses dépens. C’est fort, maitrisé, captivant, la marque des grands.

jeudi 9 octobre 2014

Horns

Une ville de province, une douce jeune fille que tout le monde adore, un meurtre sordide, son amant qui remonte la trace du tueur et qui découvre que sa bien-aimée n’était peut-être pas celle qu’il pensait connaitre, à moins que… Ce pourrait être le pitch de La Vérité sur l'affaire Harry Quebert, le pétard mouillé du romancier Joël Dicker. Sauf que non, c’est celui du nouveau film d’Alexandre Aja qui adapte pour l’occasion une nouvelle de Joe Hill (fils de) et qui produit la même frustration que celle ressentie en tournant les pages de L'affaire Harry Quebert. 
Non pas que Horns soit dépourvu de qualité, bien au contraire. Le casting est parfait, la photographie soignée, la réalisation très correcte. Alors quoi ? Le scénario opte pour un mélange des genres assez osé et force est de constater que la sauce ne prend pas. 
L’histoire commence comme un thriller, se poursuit par une comédie noire pour se conclure par un peu n’importe quoi. La partie centrale du film est certainement la plus réussie. Maniant avec délectation un humour parfois potache mais toujours corrosif, pour ne pas dire subversif, Alexandre Aja dresse en quelques plans bien sentis le portrait d’une Amérique refoulant ses instincts les plus primaires. Grace au nouveau pouvoir que lui confèrent ses cornes, Ignatius provoque une série de réactions en chaine, permettant à chacun de libérer ses pulsions les plus inavouables. D’une mère de famille coincée qui avoue avoir envie de cogner sa fille au duo de policiers homosexuels refoulés en passant par le médecin junky, toutes les strates de la société y passent. La famille, la religion, la police, personne n’est épargné à tel point que l’on se croirait dans un film de John Waters. Le réalisateur retrouve l’esprit de Piranha 3D pour le meilleur, mais pas suffisamment longtemps malheureusement. 
Après une enquête pour le moins surréaliste, il semble ne plus savoir comment conclure et se noie dans une imagerie religieuse embarrassante que l’on retrouve (tiens donc) dans les derniers romans de Stephen King. Passant du franchement ridicule (Ignatius et ses ailes d’ange) à la pâle copie (Ignatius en ersatz du Darkness de Legend), sombrant sans vergogne dans la mièvrerie (Merrin et son secret) en totale rupture de ton avec ce qui précède, Alexandre Aja rate le coche. A vouloir toucher à tout, il n’aboutit finalement à pas grand-chose. 
C’est d’autant plus dommage que Horns portait les germes d’une comédie noire et grinçante bien sentie. Il eut fallu pour cela se détacher d’un scénario trop grand public et oser aller au bout du concept, comme ce fut le cas pour le réjouissant Piranha 3D. Vivement le prochain remake, c’est encore ce qu’Aja sait faire de mieux.

vendredi 26 septembre 2014

Sin City : j’ai tué pour elle

Il aura fallu presque dix ans pour que Robert Rodriguez et Franck Miller se décident à donner une suite à leur premier opus qui, en son temps, révolutionna l’adaptation d’une bande dessinée à l’écran. 
Pendant ces dix ans, le réalisateur mexicain aura tourné quelques films et pas mal de publicités, fidèle à son univers mais sans jamais trop se forcer non plus. Quant au génie que reste Franck Miller, il continue tranquillement sa chute avec comme point d’orgue une Terreur Sainte de bien triste mémoire. Les retrouvailles de ces deux talents qui ont depuis quelques années tendance à se reposer sur leurs lauriers pouvaient donc laisser présager le pire. A la vision de ce nouvel opus de la ville des péchés, force est de constater que nous ne sommes qu’à moitié rassurés. 
 Visuellement, le film reste dans le même univers que le premier Sin City, rehaussé par une 3D comme d’habitude hautement dispensable. Ceux qui avaient détestés le style dix ans avant resteront sur leurs positions. Les autres retrouveront avec joie un univers agressif et jubilatoire, véritable écrin pour les cases d’un Franck Miller tout à fait à son aise dans ce microcosme urbain violent et anxiogène. 
Porté par un casting de haut vol mêlant anciens (Jessica Alba, Bruce Willis, Mickey Rourke et d’autres reprennent vaillamment du service) et nouveaux venus, parmi lesquels Eva Green et Ray Liotta mangent littéralement l’écran à chacune de leurs apparitions. Le vrai problème ne se situe donc pas dans la forme mais bien sur le fond. Car les images, aussi belles soient telles, illustrent un scénario anémique croisant trois histoires manquant vraiment d’épaisseur. 
Le personnage d’Ava, caricature de la femme fatale des films noirs des années cinquante, est tellement prévisible qu’elle frôle la caricature. Et si c’est toujours un plaisir de voir Eva Green dans le plus simple appareil, là pour le coup c’est presque trop. Le secret de Johnny, inattendu et franchement malsain, est expédié en quelques plans. Enfin, la vengeance de Nancy est tellement téléphonée qu’elle en devient presque ennuyeuse. C’est d’autant plus dommage qu’avec une palette d’acteurs telle qu’en aligne Sin City : j’ai tué pour elle, le film avait tout pour s’inscrire dans la lignée vénéneuse de son prédécesseur. 
Certes on ne s’ennuie pas et on prend même un vrai plaisir à entrer de nouveau dans la vieille ville, suivre les déambulations mortelles de la petite Miho et les errances meurtrières d’un Marv plus que jamais indestructible. Mais tout cela sent un peu trop le prémâché pour que l’on soit vraiment surpris. Plutôt que de faire des caméos narcissiques, Miller et Rodriguez feraient bien de se remettre sérieusement au travail et de préparer un troisième opus digne de cette franchise au potentiel encore intact.

samedi 13 septembre 2014

Gemma Bovery

Martin s’ennuie. Ou plutôt sa vie l’ennuie. Sa femme, son fils, son quotidien, il ne trouve de réconfort que dans la littérature et les longues promenades dans la campagne normande en compagnie de son chien. Alors quand un beau jour un couple d’anglais s’installe à côté de chez lui et qu’il apprend qu’ils se nomment Gemma et Charles Bovery, son sang ne fait qu’un tour. Il n’en faut pas plus pour qu’il transpose sur eux ses fantasmes de créateur, entendant bien mettre leur vie en scène comme Flaubert écrivit le destin tragique d’Emma Bovary. 
Il est des films que l’on va voir pour le réalisateur, d’autres pour le scénario, et d’autres encore pour la distribution. Gemma Bovery est clairement de ceux-là. 
Adapté du roman graphique homonyme, le film met en scène deux acteurs que rien ne destinait à se rencontrer et qui incarnent à merveille les affres que traversent les personnages. Fabrice Luchini, tout en retenu (à sa manière…) a la politesse de ne pas phagocyter ses partenaires, allant même jusqu’à les mettre en avant assez subtilement pour que cela passe inaperçu. Gemma Arterton est quant à elle plus belle que jamais. Caressée par la caméra d’Anne Fontaine qui la sublime à chaque plan, elle traverse le film avec une légèreté déconcertante, incarnant avec autant de talent l’innocence qu’une sensualité à toute épreuve. 
Gemma Bovery se présente comme une ballade, une tranche de vie tragi-comique portée par un duo de comédiens jubilatoires dans des domaines tout à fait différents. Si la réalisatrice a le tort de se montrer trop démonstrative, notamment en faisant dire à Luchini qu’il met en scène la vie de Gemma au cas où quelques spectateurs assoupis ou distraits auraient manqué le sens du film, et qu’elle se contente d’illustrer le jeu de ses comédiens tous plus justes les uns que les autres, elle le fait avec une justesse et une grâce qui conviennent parfaitement à un film plus profond qu’il n’en a l’air. 
Car si Gemma Arterton illumine l’écran à chacune de ses apparitions, le personnage central du film est bien Martin comme en témoigne la dernière partie de l’histoire. (Attention SPOILER) Davantage préoccupé par la manière dont meurt Gemma Bovery que par sa disparation, il parait presque déçu d’apprendre qu’elle n’est pas morte empoisonnée par de l’arsenic mais étouffé par un morceau de pain (fin du SPOILER). Écrivain frustré ou malade mental, il entend orchestrer pour les autres des vies déjà écrites des dizaines d’années plus tôt, échappant ainsi à une existence morose et intellectuellement ennuyeuse. L’histoire tragique à laquelle nous assistons prend alors une dimension particulière. Martin a-t-il précipité Gemma vers un destin que, inconsciemment ou non, il souhaitait fatal pour coller au roman de Flaubert ? Ou assiste-t-on une succession d’évènements déformés par le prisme de Martin, conteur de l’histoire et projection à peine voilée de la réalisatrice ? 
Loin d’être une simple tragédie ponctuée de moments franchement comiques (Martin déclarant à son fils « je préférerai que tu te drogues plutôt que de sortir des conneries pareil »), Gemma Bovery va plus loin dans sa réflexion et nous interroge sur le lien qui unit un créateur, quel que soit le mode d’expression, à ses personnages. C’est dommage qu’il le fasse du bout des lèvres, mais on lui pardonnera d’autant plus facilement que ce sont celles de la belle Gemma Arterton.

jeudi 28 août 2014

Enemy

Il vaut mieux avoir vu le film avant de lire cet article. Je vous aurai prévenu.

Enemy fait partie des films qui se méritent. Labyrinthique, maniéré, tortueux, captivant, intellectuel, les qualificatifs abondent pour cerner un film qui ne ressemble à aucun autre, tout en ayant un air de déjà-vu. L’histoire couchée sur le papier parait simple. Le film s’ouvre sur Adam, un professeur d’histoire discret à l’existence morne, ponctuée par les visites de Mary avec qui il semble entretenir une relation essentiellement physique. En visionnant un film au nom prédestiné de Qui cherche trouve, il tombe sur Anthony, un acteur de seconde zone qui est son sosie parfait. Intrigué, il entre en contact avec lui et sa femme Helen, enceinte de six mois. S’instaure alors un jeu étrange entre les deux hommes qui vont aller jusqu’à échanger leur propre vie le temps d’un week end. 
Enemy est tout cela mais bien d’autres choses encore. C’est un déferlement de sensations contradictoires, un questionnement constant sur le sens de ce que l’on voit à l’écran. Denis Villeneuve se place clairement du côté des questions plutôt que de celui des réponses, laissant le spectateur dans une position inconfortable, libre de faire sa propre interprétation de ce qui se déroule devant lui, et cela jusqu’au plan final qui enfonce encore un peu plus le clou. 
Si l’on peut reprocher un certain maniérisme et quelques longueurs au réalisateur, force est de constater que le film nous poursuit longtemps après être sorti de la salle. Quelle est donc le sens de cette histoire de doubles qui se rencontrent, que représentent les araignées qui parsèment le film ? Assiste-t-on à un rêve éveillé, au naufrage d’un homme en train de devenir fou, ou simplement aux délires d’un réalisateur soucieux d’exorciser ses propres peurs sur grand écran ? Chacun se fera sa propre réponse, il n’y a pas une seule vérité et c’est très bien ainsi. Essayons toutefois de dégager quelques pistes de réflexion autour des personnages d’Adam et d’Anthony. 
Et si Adam, austère professeur à la vie trop bien rangée se rêvait acteur pour briller sous les feux de la rampe ? Marié à Helen qui l’accuse d’être infidèle et qui reconnait de moins en moins son mari, il a en effet une liaison avec Mary qu’il retrouve régulièrement dans un appartement du centre de Toronto. Incapable de supporter plus longtemps cette double vie, Adam sombre peu à peu dans une schizophrénie qui lui fait imaginer un double qui n’est autre que l’image qu’il projette de lui-même. Qui est le vrai Adam/Anthony, le professeur ou l’acteur ? Le mari ou l’amant ? Cela n’a plus guère d’importance pour lui, et le miroir finit par voler en éclat lors d’un spectaculaire accident de la route qui fait disparaitre ce double fantasmé ainsi que sa maitresse. La normalité et la morale reprennent leur droit, jusqu’à ce dernier plan qui replonge Adam, et nous avec, dans son cauchemar.
C’est une interprétation possible du film, il y en a bien d’autres. Ce qui est certain, c’est le rôle prépondérant des femmes qui entourent Adam et Anthony et qui sont à chaque fois liées, de près ou de loin, à l’image d’une araignée. Sont-elles de cette race qui mange le mâle après leur accouplement ? Entre une mère envahissante, une épouse et future mère paranoïaque et une amante fantomatique, elles sont tour à tour un refuge et un élément déstabilisateur qui tissent leur toile autour de cet, ou plutôt ces hommes perdus dans une ville elle aussi labyrinthique.
Car Toronto est bien le deuxième élément crucial du film. Le réalisateur filme la ville en hauteur enveloppée d’un brouillard épais, saturée de teintes grises et marron, comme un piège dont on ne peut espérer sortir. Miroir de l’esprit perturbé du héros, comme le montre explicitement l’affiche du film, Toronto devient ainsi un personnage à part entière et participe du sentiment de claustrophobie qui émane du film. 
Si Denis Villeneuve va chercher ses influences autant du coté de Kubrick et de son Eyes Wide Shut que de David Lynch, il pose avec Enemy une nouvelle pierre dans une filmographie qui ne nous donne envie que d’une chose, vite découvrir la suite.

dimanche 24 août 2014

Les Gardiens de la Galaxie

Il y a les films qui font tout pour être cool, et ceux qui le sont vraiment. Les Gardiens de la Galaxie appartient définitivement à la seconde catégorie. 
Au commande de cet OVNI sorti de nulle part on retrouve James Gunn, jeune réalisateur issu de l’école Troma qui a réalisé en 2005 Horribilis, sympathique série B d’horreur avec, déjà, un Michael Rooker au meilleur de sa forme.
Inconnus du grand public jusqu’alors, Les Gardiens de la Galaxie font partie de ces centaines de supers héros peuplant l’écurie Marvel sans pour autant faire partie du panthéon des Avengers, X Men et autres Spiderman. Porté par un engouement sans précédent pour les aventures super héroïques, Marvel ressort donc de ses cartons cette bande de mercenaires extra-terrestres et en confie les rênes à un réalisateur prometteur mais (presque) novice dans ce domaine, si l’on excepte une première approche du genre avec Super en 2010. La formule s’avère gagnante, au-delà même de ce que l’on pouvait en attendre. 
A quoi tient le succès Des Gardiens de la Galaxie ? Tout d’abord, les scénaristes ont eu la bonne idée de ne pas se cantonner au film de super héros mais de faire de leur histoire un vrai space opéra. En choisissant de ne pas dérouler leur intrigue sur la Terre, ils font des Gardiens de la Galaxie un film plus proche des Star Wars que des précédentes productions Marvel. De fait, Peter Quill n’est pas sans rappeler Han Solo dans sa manière d’appréhender les choses avec un mélange de nonchalance et de second degré, le bestiaire qui peuple le film semble tout droit sorti de la cantina de Mos Eisley, jusqu’à l’affiche du film qui reprend la composition de celle de la Guerre des Etoiles. 
En se dédouanant des codes propres aux films de super héros, Les Gardiens de la Galaxie acquiert une identité propre et une dynamique essentiellement basée sur la force des personnages. Car c’est l’un des grands atouts du film que de nous proposer toute une série de protagonistes hauts en couleurs, possédant chacun une histoire parfaitement développées et inter agissant intelligemment les uns avec les autres. Aucun des nombreux seconds rôles n’est sacrifié et le personnage de Peter Quill, qui reste central jusqu’à la fin, n’éclipse jamais les autres comme c’est trop souvent le cas dans ce genre de production. 
Très riche visuellement, un peu trop parfois, Les Gardiens de la Galaxie nous propulsent d’un bout à l’autre de l’espace, d’une prison de haute sécurité à l’antre de Thanos en passant par les planètes les plus inhospitalières qui soit. James Gunn maitrise parfaitement les scènes de combat, la première confrontation entre Peter Quill, Rocket, Groot et Gamora étant un modèle de dynamisme et de lisibilité, et alterne avec brio les séquences d’action et d’humour, sans oublier quelques moments émouvants. Généreux, Les Gardiens de la Galaxie réussit le pari d’être impertinent sans être cynique, détournant constamment les scènes clefs des films d’action pour en faire des moments de second degré parfaitement réussis. 
Si l’on peut reprocher au film quelques faiblesses, ce serait au niveau des méchants à tiroirs (Thanos, Ronan, Nebula, Korath), ainsi que quelques boulettes au niveau de la VF (l’allusion de Peter Quill à Jack Sparrow alors qu’il a quitté la terre en 1986 pour ne plus jamais y remettre les pieds). 
Bourré des références (l’apparition d’un invité surprise lors de la séance post générique, la galerie du Collectionneur), assurant une certaine continuité avec les autres films Marvel via le personnage de Thanos qui apparait aussi à la fin des Avengers, Les Gardiens de la Galaxie annoncent clairement une suite vu la réussite du premier épisode, et on ne peut que s’en réjouir.

mercredi 13 août 2014

Colt 45

L’intrusion du réalisateur de Calvaire dans l’univers ultra codifié du polar ne pouvait que susciter au minimum une curiosité légitime doublée d’une forte envie de découvrir ce que ce réalisateur atypique pouvait faire dans ce domaine. 
L’histoire prend place en pleine guerre des polices, un conflit latent opposant deux hommes et deux services. D’un côté le commandant Chavez de la BRB, de l’autre, le commandant Denard de la BRI. Au centre, Vincent Milès, orphelin protégé par les deux hommes, armurier et instructeur de tir à la Police Nationale, et jeune prodige en tir de combat. Sa rencontre avec Milo Cardena, un flic étrange sorti de nulle part, va l’entrainer dans une spirale de violence dont personne ne ressortira indemne. 
A première vue, avec son scénario linéaire, ses personnages taillés à la serpe et son intrigue ramassée sur moins d’une heure trente (un exploit vue la durée moyenne des films actuels), Colt 45 s’apparente à un polar efficace mais classique et balisé. En apparence seulement. Car derrière sa violence sèche et son final cynique, le film s’inscrit dans la continuité des thèmes chers à Fabrice Du Welz. 
En effet, Colt 45 reprend, à quelques détails près, une trame similaire à celle de Calvaire. Un jeune homme innocent et un peu candide (chanteur de variété dans Calvaire ou armurier dans Colt 45) se retrouve plongé dans un monde de violence et de perversion qui va le transformer de façon irréversible. L’univers des deux films est essentiellement masculin, le seul personnage féminin que nos deux héros vont croiser étant amené à disparaitre rapidement, au sens propre ou au sens figuré. Brigitte Lahaie qui symbolise la maitresse dans Calvaire se superposant à Alice Taglioni en mère de substitution dans Colt 45. Car si Calvaire n’était autre qu’une histoire d’amour pervertie et extrême, le thème récurrent de Colt 45 demeure la recherche du père. Un père par défaut symbolisé tour à tour par les personnages de Gérard Lanvin et Simon Abkarian, voire même de Joey Starr. Un père qu’il faudra tuer inconsciemment pour accéder au monde adulte et renaitre sous une autre forme. Et de fait, le personnage interprété par l’excellent Ymanol Perset est physiquement et psychologiquement différent au début et à la fin du film. 
Fabrice Du Welz réussi donc à livrer un film d’action efficace en s’entourant d’une solide distribution. Du trop rare Simon Abkarian aux inoxydables Philippe Nahon et Jo Prestia, le réalisateur sait comme personne peupler ses films de vrais gueules et donner corps à des personnages dotés de véritables personnalités. Collant au plus près à la réalité du terrain (les assauts sont orchestrés par la BRI, les hommes de la BRB n’intervenant qu’après, la solidarité ou les rivalités entre les différents services), filmant des personnages qui sont loin d’être binaires (le commandant Chavez préfère fuir devant les hommes de Denard plutôt que de provoquer une autre bavure), Fabrice Du Welz réussit son intrusion dans un genre qu’il n’avait jusque-là jamais abordé sans pour autant se renier.

jeudi 31 juillet 2014

La Planète des singes : l’affrontement

Il est toujours extrêmement désagréable d’être pris pour un imbécile, surtout quand on paye pour cela. C’est à peu près ce qui arrive aux spectateurs du nouveau film de Matt Reeves, déjà responsable d’un très surestimé Cloverfield. 
Le film débute sous les meilleurs hospices par une séquence quasiment muette d’une dizaine de minutes. Nous y découvrons la vie d’une communauté de singes après qu’un virus ait décimé une bonne partie de l’espèce humaine. D’une chasse épique à des relations sociales en devenir, on se croirait revenu aux premiers pas de l’Humanité des milliers d’années en arrière. Jusqu’à ce que surgisse des hommes justement, et une femme. A partir de là, le film prend l’eau de toutes parts pour ne jamais s’en relever.
 Qu’est ce qui cloche dans un blockbuster comme La Planète des singes ? Tâchons d’y voir plus clair. 
Commençons par la caractérisation des personnages. Le héros Malcolm, volontaire comme un scout (Malcolm va dans le village des singes, Malcolm va chercher des médicaments, Malcolm aide les singes à s’échapper,..) est entouré de son fils, un adolescent tardif renfermé sur lui-même qui ne communique qu’à travers ses dessins (autant dire que l’on n’a jamais vu cela ailleurs) et sa copine qui passe son temps à s’inquiéter pour lui, à essayer de sympathiser avec son fils et qui tient aussi lieu d’infirmière, soit un condensé de tous les clichés féminins tendance maternelle au cinéma. Comme dans chaque camp il y a des bons et des gentils, le méchant coté homme est vraiment un « sale con » (dixit dans le film) qui passe son temps à braquer les singes, tandis que le méchant singe a une balafre en plein visage, un œil crevé et des dents pointus. Comme cela, si un spectateur un peu discret ou endormi perd le fil de l’histoire, il est sur de différencier le grain de l’ivraie au premier coup d’œil. 
 Continuons par l’interprétation. Jason Clarke est d’une fadeur rarement vue à l’écran, bien entouré par ses compagnons qui récitent tous des dialogues vides de sens sans vraiment y croire. Le seul à tirer un peu son épingle du jeu est Gary Oldman dont le personnage, dont on ne comprend jamais vraiment les motivations, finit par lâcher un très douteux « tirez sur eux, ce ne sont pas des personnes » ! 
 L’histoire entend véhiculer des messages de tolérance et d’humanité mais elle le fait avec tant de lourdeur et de didactisme que cela en devient insupportable. Les dialogues sont à l’avenant d’un scénario qui cumule tous les poncifs du genre sans jamais s’embêter de la moindre crédibilité Passons sur le fait que les singes maitrisent le feu et le langage en quelques années et le maniement des armes à feu (fusil d’assaut et mitrailleuses lourdes) en quelques heures. Citons trois exemples (à ce niveau-là je ne parlerai pas de spoilers tellement les situations se devinent dix minutes à l’avance). 
La première fois que Malcom va dans le village des singes, il est poussé et trainé dans la boue avant d’échouer sur la place principale devant César. La deuxième fois, ce dernier est au chevet de sa femme (femelle ?) malade. On devine tout de suite que nos héros vont gagner sa confiance en la sauvant, ce qui ne loupe pas. Alors qu’il a été banni, Malcom se voit gentiment conduire dans la demeure même de César, alors qu’il n’aurait même pas dû franchir l’entrée du village. 
Deuxième exemple, lors de l’attaque des singes et de l’infiltration de Malcom, ce dernier se retrouve nez à nez avec l’un deux. Il y a peut-être deux cents singes en furie dans la tour, mais c’est devant le fils de César qu’il tombe, ce qui tombe bien pour la suite du scénario. 
Dernière scène aberrante, Malcom, toujours lui, au pied de la tour et entouré par des kilos d’explosifs C4 que Dreyfus s’apprête à faire exploser. Un petit saut de côté au moment de l’explosion et de la chute de tonnes de béton et de ferraille et le voici qui ressurgit quelques minutes plus tard comme si de rien n’était. 
A ce niveau-là ce n’est plus de la paresse scénaristique, c’est du mépris pur et simple envers le spectateur. Les producteurs et le réalisateur ont tout misé sur les singes, et La Planète des singes : l’affrontement est en effet une magnifique vitrine pour le travail incroyable réalisé par les équipes de Weta Digital. Mais un film est avant tout une histoire et des personnages auxquels on croit. Ici rien de tout cela, seule la scène inaugurale et le plan final sont à sauver. En fin de compte, il aurait été beaucoup plus intéressant d’évacuer toute présence humaine et de se concentrer uniquement sur les singes puisque tout le reste a été bâclé.

mardi 29 juillet 2014

The Raid 2

En 2011, Gareth Evans redéfinissait les contours du film d’action avec les bastons énervées et sauvages de The Raid. Trois ans plus tard, il n’a d’autres choix que de mettre la barre encore plus haut pour sa suite. Ce qu’il fait, sans pour cela trahir l’esprit de son premier acte, bien au contraire. 
Commençons par ce qui fâche, Gareth Evans est meilleur réalisateur que scénariste. Animé des meilleures intentions et ne voulant pas se cantonner à un pur film d’action, le gallois nous livre deux heures trente de ce qu’il imagine comme une saga criminelle lorgnant du côté du Parrain. Sauf que dès les premières minutes du film le spectateur ne retrouve pas ses petits entre les multiples personnages et les intrigues qui partent dans tous les sens. Il s’ensuit deux heures trente d’une histoire cousue de fil blanc au sein de laquelle on perd tout intérêt pour ce qui arrive au héros lui-même. Gareth Evans n’a clairement pas les moyens de ses ambitions scénaristiques et c’est bien dommage. Car passée cette scorie, il nous offre un spectacle tout simplement inouï et jusque-là inégalé en termes de combats et d’action pure. 
Alors que The Raid calquait sa structure narrative sur le jeu vidéo avec sa construction en niveaux et ses boss qu’il faut vaincre pour passer d’un étage à l’autre, The Raid 2 s’apparente quant à lui aux GTA et leurs mondes complètement ouverts. Quand on a compris que le déroulement de l’intrigue n’était pas le plus important, on prend un plaisir fou car, outre ses qualité de réalisateur et le soin qu’il apporte à ses décors et à sa photographie (on pense parfois à Only God Forgives de Nicolas Winding Refn), Gareth Evans apporte un soin tout particulier à ses personnages secondaires. 
A l’instar d’un Quentin Tarantino à l’apogée de son talent à l’époque de Kill Bill, et qui déjà puisait son inspiration dans l’univers des mangas, le réalisateur créé des personnages iconiques que l’on n’est pas prêt d’oublier. Hammer Girl, l’Homme à la batte de base ball et le l’Assassin, en plus de nous offrir les plus beaux combats d’un film qui en compte des dizaines, ne se contentent pas d’être des hommes (et femme) de main parmi d’autres. En quelques plans le réalisateur les fait exister (les relations entre Hammer Girl et l’Homme à la batte de base ball par exemple), leur prête des sentiments et les rend plus vivants que le pauvre Rama qui traverse le film en rendant coup pour coup. 
Citer les innombrables scènes d’anthologie ne suffirait pas à rendre justice au formidable travail des caméramans et des cascadeurs qui entourent Gareth Evans. Que ce soit la bataille rangée dans la prison, la poursuite automobile ou le combat dans la cuisine, on n’en finit pas d’écarquiller les yeux devant autant de générosité et de maitrise. Car oui, Gareth Evans maitrise sa caméra et son propos.
Assumant l’usage du gore et une violence décomplexée (il faut voir les chargeurs se vider en pleine tête à bout portant, ou le combat dans les cuisines du restaurant pour comprendre), ne versant pas dans la facilité d’un montage cut pour masquer la faiblesse des combats ou dans un humour potache pour désamorcer une violence que l’on n’assume plus (Expendables forever), le gallois fait le film qu’il veut envers et contre tout. Car on imagine que sortir un film de deux heures trente interdit aux moins de seize ans n’a pas dû être une partie de plaisir. Et quand on voit sur le net une scène coupée d’anthologie qui explore encore un peu plus la sauvagerie de l’affrontement entre les deux bandes rivales, on se dit que le garçon en a encore sous la pédale. 
Que Gareth Evans embauche un scénariste digne de ce nom et il sera le roi du monde. Quant au troisième épisode, je n’ose même pas imaginer ce qu’il nous réserve.

mercredi 9 juillet 2014

Dragons 2

En 2010, Dragons des studios DreamWorks créait la surprise par le brio de sa réalisation virevoltante, des personnages solidement caractérisés et attachants, ainsi qu’un scénario adulte ne reculant devant aucune concession pour asseoir son propos (voir l’état dans lequel Harold se retrouve à la fin). Le succès aidant, une suite est mise en chantier pour aboutir à ce Dragons 2 quatre ans après. Porté par l’aura du premier opus mais ne bénéficiant plus de l’effet de surprise, le réalisateur Dean DeBlois se retrouve seul, son comparse Chris Sanders ayant quitté le navire. Cette suite tient-elle toute ses promesses ? 
Plus que jamais, le parallèle entre les dragons qui vivent désormais en parfaite harmonie avec les vikings, et ces derniers est évidente, peut-être trop. Alors que dans le premier épisode Harold parvenait à apprivoiser un jeune dragon estropié avant de se voir lui-même amputé d’un pied, les analogies entre les humains et les dragons sont ici encore plus frappantes et viennent appuyer des thèmes classiques des films d’animation. 
(Attention SPOILERS) 
Ainsi, la mort du dragon Alpha ne vient qu’annoncer celle du père d’Harold. De même, Krokmou s’impose comme le nouveau roi des dragons au moment même où Harold accepte enfin son rôle de chef. Le propos, effleuré dans le premier épisode devient ici un peu plus accentué. De même, alors que dans lors de leur première rencontre, Harold et Krokmou vivaient des aventures assez linéaires, on assiste ici à une abondance de péripéties (la mère d’Harold, Drago) et un thème principal qui est le passage d’Harold du monde de l’enfance à l’âge adulte. Pour cela, il doit prendre la place de son père au moment même où sa mère disparue depuis des années ressurgie du passé (le complexe œdipien affleure), et à l’image de Krokmou, affronter de nombreuses épreuves afin d’accéder au statut de chef et surtout de s’accepter en tant que tel. 
(Fin des SPOILERS) 
La réalisation est toujours aussi fluide, le placement de la caméra et les angles de prises de vue (si l’on peut parler ainsi pour un film d’animation) sont toujours aussi pertinents, particulièrement pendant les scènes de vols qui sont d’une beauté époustouflantes. 
S’il ne renie pas ses influences, Dean DeBlois cite ouvertement Avatar quand on découvre l’antre des dragons menés par Valka, et va chercher du côté de chez Guillermo del Toro (d’ailleurs remercié dans le générique de fin) et son Pacific Rim pour l’aspect du Leviathan. On pense aussi aux peintures de Segrelles lors de la première apparition d’Harold casqué et harnaché, comme le Mercenaire du dessinateur espagnol sur son propre dragon. 
Techniquement toujours aussi bon, un peu en dessous de son modèle original pour ce qui est du scénario, Dragons 2 reste un film d’animation bien au-dessus de la moyenne qui ouvre la porte sur une inévitable suite.