dimanche 28 novembre 2010

Outrage

Outrage marque le grand retour de Takeshi Kitano, devant et derrière la caméra, au film de yakuzas qui l’ont rendu célèbre.
Ici, nulle place pour l’humour qui pointait dans certains de ses films. Beat Takeshi filme le monde des yakuzas avec un cynisme, certains diront un réalisme, qui place immédiatement Outrage dans le registre d’une noirceur totale.
Les yakuzas sont montrés comme des êtres avides de pouvoir qui passent leur temps à se trahir et à fomenter des plans pour accéder au plus haut de l’échelle hiérarchique. Parmi eux, Otomo interprété par Kitano, est un homme de main de la vieille école qui se fait manipuler par ses supérieurs. Ces derniers n’hésiteront d’ailleurs pas à le sacrifier comme tant d’autres pour parvenir à leurs fins.
Le film suit une construction assez similaire à celle du Parrain de Coppola.
La première partie est une introduction des différents personnages et des luttes entre les différents clans. On a d’ailleurs un certain mal à comprendre qui fait quoi tellement les machinations et les luttes de pouvoirs sont tortueuses et les personnages nombreux.
Dans sa seconde partie, le film n’est autre qu’une succession d’exécutions sommaires, de tortures et de règlements de compte. On a à peine démêlé les relations entre les différents personnages que Kitano s’amuse à les faire disparaitre les uns après les autres de manière pour le moins brutales.
Le réalisateur semble d’ailleurs prendre un malin plaisir à dresser une liste de toutes les exactions dont peuvent faire preuve les mafieux pour faire parler ou tuer leur prochain. Des doigts coupés au hachoir aux baguettes enfoncées dans l’oreille en passant par des passages à tabac multiples et une quasi décapitation dans une voiture, c’est à un véritable festivals de torture que se livre le réalisateur. Comme pour mieux nous rappeler l’aspect bestial et dénué de toute noblesse de ce milieu.
Car ici, il n’y a pas de place pour une quelconque vision romancée du grand banditisme. Le monde des yakuzas est brutal, c’est un combat perpétuel sans aucun code de l’honneur et les personnages ressemblent plus à des chiens enragés qu’à des hommes. Les grands chefs tirent les ficelles d’intrigues tortueuses mettant en scène des soldats dont la vie n’importe pas plus que celle de marionnettes. Jusqu’à ce qu’un bras droit plus retors ou ambitieux ne prenne leur place pour recommencer cette ronde sanglante et absurde.
Au milieu de ce chaos, Takeshi Kitano prête son visage immuable semblable à un masque de théâtre kabuki à un homme dépassé par un monde qui change trop vite pour lui. Le fait de se couper le petit doigt en signe d’offrande pour réparer une faute commise n’a plus de signification pour cette nouvelle race de prédateur. Seul compte le pouvoir et l’argent, peut importe le moyen d’y parvenir et les vies qu’il faut sacrifier pour cela.
Outrage est donc un film qui se démarque dans la filmographie de Takeshi Kitano par le regard sans concession qu’il porte sur le monde des yakuzas, et par extension la société actuelle ? Pourtant, il manque au film une réelle consistance au niveau des personnages que l’on ne voit que d’un point de vue « professionnel » pour égaler les plus grands.
S’il n’atteint pas le niveau d’un Casino, des Affranchis ou des Parrains, Outrage reste un film qui par son quasi nihilisme marque les esprits. Beat Takeshi est de retour !

dimanche 7 novembre 2010

Buried

Buried est un film sacrément gonflé car reposant sur un principe risqué : nous faire partager 90 minutes de l’existence d’un homme enterré vivant dans un cercueil.
Un seul acteur filmé en gros plan, avec une unité de lieu et une durée en temps réel, il fallait du cran pour oser en faire un film qui tienne la route.
Car Buried aurait très bien pu se contenter d’être un coup de bluff, de reposer sur un concept unique sans chercher à aller plus loin, bref de sacrifier au syndrome « Snakes on a plane » (par ailleurs totalement jouissif).
Mais en situant l’action en Irak, en faisant du seul protagoniste visible à l’écran un travailleur américain de la classe moyenne kidnappé par une organisation mafieuse qui réclame une rançon, Rodrigo Cortes ancre son film dans une toute autre réalité que celle du seul huit clos ultime.
Si le film débute de manière mystérieuse (qui est cet homme ? Pourquoi est il enfermé sous terre ?), appuyé en cela par des numéros de téléphone et des noms notés sur le bois du cercueil par Paul, comme autant de pièces d’un puzzle qu’il tente de reconstituer, il prend rapidement une toute autre direction.
Nous ne sommes pas dans un épisode de la Quatrième Dimension mais dans un contexte politico économique bien réel. Paul est enfermé parce qu’il est américain, non pas pour ce qu’il est mais pour ce qu’il représente. Les dialogues qu’il engage avec son ravisseur sont d’ailleurs assez clairs et mettent en évidence le fait qu’il symbolise à lui tout seul la politique américaine en Irak. Pas étonnant que Buried soit réalisé par un espagnol, on imagine difficilement un américain ayant un tel discours sur l’action de son pays.
Buried est donc un film engagé, même si ce n’est pas le propos principal du film. C’est aussi un sacré tour de force visuel. Car à aucun moment l’attention du spectateur ne faiblit et on reste scotché devant cet homme qui tente de survivre à l’aide d’un briquet et d’un téléphone portable, seul moyen de communication possible avec l’extérieur. Nous découvrons d’ailleurs en fonction des interlocuteurs qu’il appelle combien il peut être difficile de communiquer avec les gens et comment une mise en attente peut se révéler traumatisante.
Porté par une excellente interprétation de Ryan Reynolds et une réalisation parfaitement maitrisée et inventive de Rodrigo Cortes, Buried bénéficie aussi d’un très beau travail sur la lumière. Alors qu’il est plongé dans le noir le plus profond, Paul ne peut s’éclairer qu’à l’aide de son Zippo, d’une lampe torche, ou de son téléphone portable. En fonction de ce qu’il utilise, le film est baigné par une couleur jaune (la lampe, le briquet), rouge (la lampe avec filtre) ou bleu (le portable). Chaque séquence possède ainsi une identité propre qui nous permet de voir Paul sous un jour à chaque fois différent.
Le seul reproche que l’on pourrait faire un film serait de ne pas rendre assez compte de la claustrophobie que doit engendrer une telle situation. A plusieurs moments, la caméra prend de la hauteur pour nous montrer ce corps enfermé entre quatre planches comme si on l’observait d’en haut. On imagine mal le réalisateur filmant pendant des semaines un homme dans une vraie caisse en bois fermée de toute part mais de ce fait le film perd une partie de son capital anxiogène.
Film syndrome (parmi tant d’autres) de l’invasion américaine en Irak, tour de force en matière de mise en scène, d’éclairage et d’interprétation, Buried se termine sur une note noire et désespérée. On peut parier qu’un remake américain en 3D n’est pas prés de voir le jour !