dimanche 30 mai 2010

Mammuth

Mammuth, c’est à la fois le surnom de Serge Pilardosse, employé d’abattoir nouvellement retraité, et la marque de sa vieille moto qu’il va enfourcher pour partir à la recherche des bulletins de salaire qui lui manquent, justifier ses cotisations et toucher sa retraite. Il entame alors un voyage vers son passé qui va lui faire rencontrer toute une galerie de personnages hauts en couleurs.
Mammuth, c’est le nouveau film de Gustave Kervern et Benoît Delépine, ce duo un peu anar à l’origine du programme Grolandais diffusé sur Canal Plus.
Mammuth, c’est un peu l’antithèse de Camping.
Les deux réalisateurs mettent en scène une France prolétaire, socialement ou psychologiquement en marge de la société (mais quelle société ?), avec respect, tendresse et humour. Mais plutôt que de rire de leurs personnages, ils invitent le spectateur à s’immerger dans leur quotidien fait de débrouille, de galères et de moment de pure poésie. On rit avec eux et pas forcement à leur dépend. Et de la poésie et de l’humour, le film en regorge.
Que ce soit à l’occasion d’un pot de départ à la retraite criant de vérité, lors d’un entretien d’embauche surréaliste, ou pendant une conversation téléphonique avec un répondeur interactif, chaque scène, chaque plan du film oscille constamment entre le rire et les larmes, entre une infinie tendresse et le plus profond désespoir.
La réussite du film tient bien sur de l’écriture, juste et sensible, d’un casting taillé sur mesure et du regard sincère que les réalisateurs portent à leurs personnages. Mammuth est interprété par un Depardieu tout en retenu qui trimballe sa masse imposante sur les route de France.
Serge Pilardosse est un homme simple, un travailleur acharné qui tourne en rond comme un lion en cage désœuvré dans son petit appartement. Mais quand il se décide enfin à partir sur sa moto à la recherche de son passé, c’est un homme transformé qui, au fil de ses rencontres, va enfin pouvoir se libérer du fantôme de son amour passé, retrouver sa femme et lui exprimer son amour.
Le casting de Mammuth a un air de copinage, et les rôles sont plus ou moins bien assortis aux acteurs qui les interprètent. Mais le film est traversé par des personnages merveilleux, magnifiquement habités par Yolande Moreau, Isabelle Adjani, Benoit Poelvoorde ou Miss Ming qui transcende son handicap pour construire un personnage unique de femme enfant.
Gustave Kervern et Benoît Delépine filment leurs personnages au plus prés, sans aucune fioriture et avec pour seul objectif de les laisser s’exprimer pleinement à l’écran. Ils font totalement confiance à leurs acteurs et ils ont raison.
Il en résulte un road movie sensible et intelligent, une œuvre drôle et poétique, un regard complice sur ces gens communs au destin banal qui transcendent leur quotidien pour en faire des moments magiques.

dimanche 16 mai 2010

La merditude des choses

Des familles Strobbe, tous ceux qui ont vécu à la campagne ou dans de petites villes en ont connus. Chez moi, ils habitaient en face de chez ma grand-mère. L’un des fils était en classe élémentaire avec moi, il était le seul à tenir tête à l’instituteur qui d’ailleurs en avait peur. Il faut dire qu’il avait bien trois ou quatre ans de plus que la plupart des élèves dociles que nous étions tous.
Gunther Strobbe vit une adolescence compliquée entre son père alcoolique, ses trois oncles marginaux et sa grand-mère qui essaie de maintenir tout ce petit monde à flot. Les quatre frères Strobbe forment en effet une famille à part. Grandes gueules, ivrognes, bagarreurs, sales mais pas vraiment méchants, ils vivent au jour le jour de séjours en prison aux bals de campagne.
Le réalisateur belge Félix Van Groeningen nous invite à partager le quotidien haut en couleur de ces gens qui vivent en marge de la société, n’obéissant qu’à leur propres règles ce qui leur confère au final plus de liberté que ne pourra jamais en acheter tout l’argent du monde.
Entre un documentaire de Strip Tease et Les Démons de Jésus, la merditude des choses se révèle au final une réflexion tour à tour amère et drôle sur la vie. Le sens des responsabilités, la vieillesse, le rôle de la famille, les moyens que l’on se donne pour concrétiser ses rêves, tout cela est abordé dans ce film plus grave qu’il n’en a l’air.
Il y a un coté Kusturica chez ce réalisateur qui filme ses personnages démesurés quand ils font la fête ou qu’ils inventent des jeux alliant course cycliste et concours de boissons. Mais Félix Van Groeningen les colle au plus prés, sans chercher le moindre artifice pour faire passer une idée ou un sentiment. La force et le naturel des acteurs suffisent à donner au film une énergie qui oscille entre euphorie et désespoir.
Si l’alcool a un rôle prédominant dans la vie sociale de l’ensemble des protagonistes, ce n’est pas comme par exemple dans Un singe en hiver, un moyen d’évasion. Ici au contraire, l’ivresse ancre encore plus fermement les hommes et les femmes de cette petite ville des Flandres dans leur quotidien. Simplement, la bière leur permet de transformer ce quotidien et de l’adapter à leurs rêves les plus improbables. Des rêves de record du monde d’ingestion de bière ou de Tour de France éthylique. Et c’est dans des moments comme ceux là que le film acquiert une dimension quasi surréaliste. Il se dégage une indéniable poésie des ces personnages extrêmes dans leurs amours comme dans leurs colères. Et ce faisant, le réalisateur nous tend aussi un miroir en nous faisant découvrir une frange de la société qui n’a rien d’exceptionnellement rare. Ces gens là, on veut bien les voir au cinéma ou à la télévision, admettre que leurs excès sont amusants et folkloriques, mais d’ici à les avoir comme voisins…
En grandissant, Gunther Strobbe quitte ce monde un peu fou pour l’internat puis la vie active. Il se confronte alors aux dures réalités du quotidien. La paternité, pas toujours voulue, le travail alimentaire pour subvenir aux besoins de sa famille qui prend chaque jour le pas sur sa véritable passion, l’écriture. Et c’est cette enfance hors du commun pour la plupart des gens, ceux qui sont assis dans la salle du cinéma, qui, couchée sur le papier va lui permettre de se faire publier. Tout comme son oncle à qui un sociologue demande de retranscrire par écrit les chansons paillardes qui ont rythmées ses soirées arrosées.
On passe de l’oralité à l’écrit, comme pour figer et conserver une trace de ces morceaux de rêves, ces tranches de vies hors du commun.

jeudi 13 mai 2010

Enter the Void

Fidel à son habitude, Gaspar Noé prend un malin plaisir à diviser et à déstabiliser son public. Une fois encore, le film aura ses farouches détracteurs et ses partisans convaincus.
Difficile en effet de se faire un avis après les deux heures trente six minutes du voyage hallucinatoire auquel nous invite ce réalisateur inclassable.
Enter the Void est avant tout une expérience sensorielle. Dés le début du film, quand Oscar, un jeune occidental qui vit à Tokyo, prend des substances hallucinogènes, l’écran se remplit de tentacules phosphorescentes tandis qu’une bande son agresse les oreilles des spectateurs qui n’en sont qu’aux premiers instants de ce voyage hors norme. Déjà, les premiers quittent la salle.
La suite sera un mélange de trip sous LSD ou autre drogue, de scènes de sexe et de fragments de la vie d’Oscar, avec comme fil conducteur le livre des morts tibétain. Car Oscar meurt sous les balles de policiers venus l’arrêter dans un bar alors qu’il dealait de la drogue. Dés lors, son âme quitte son corps et nous l’accompagnons dans son au dessus de Tokyo avant qu’il ne choisisse de se réincarner en un autre être vivant. Gaspar Noé nous convie alors à un survol de Tokyo la nuit (la ville se prête admirablement bien à cette errance urbaine baignée de néons), entre club de strip tease et deal de drogue, tandis que nous revivons les scènes qui ont précédées l’accident jusqu’à remonter à l’enfance d’Oscar et de sa sœur Linda.
Nul doute qu’Enter the Void soit un film de Gaspar Noé, on y retrouve en substance les thèmes majeurs qui ponctuent sa filmographie. Le long tunnel dans lequel se faisait agresser Monica Bellucci dans Irréversible annonçait déjà le couloir de la mort dont parlent les personnes ayant vécu une expérience de mort cérébrale pendant quelques secondes. Les relations ambigües entre Oscar et sa sœur (Linda semble nourrir des pulsions incestueuses envers son frère tandis qu’Oscar tend à la confondre avec une mère de substitution) renvoient directement au boucher amoureux de sa fille dans Carne et Seul contre tous.
Le talent, indéniable, de Gaspar Noé transparait lorsqu’il met en scène ce puzzle de moments vécus par Oscar ou ses proches. Que ce soit l’accident où ses parents trouvent la mort, d’une brutalité et d’une efficacité redoutable, les visions fugitives et pleines de tendresse d’une mère à jamais disparue, la faune hétéroclite dans lequel évolue le jeune homme, toutes ces scènes sont tour à tour touchantes, captivantes ou choquantes.
Mais à force de vouloir choquer justement, le réalisateur prend le risque de sombrer dans la gratuité. Le gros plan un fœtus suite à un avortement ou une pénétration vue depuis l’intérieur d’un vagin ne semblent pas absolument nécessaire au film. Surtout, en réalisant un long métrage aussi atypique de plus de deux heures trente, Gaspar Noé semble vouloir tester les limites de la résistance des spectateurs. Le film aurait gagné en intensité et en cohésion, à être coupé d’une demi-heure, surtout vers la fin. Mais il ne semble pas que cela soit la préoccupation première du réalisateur qui semble prendre un malin plaisir à jouer les sales gosses. On peut imaginer qu’il a du partager quelques champignons ramené du tournage de Blueberry par son copain Jan Kounen et que les effets ne se sont pas complètement dissipés au moment du montage.
Enter the Void apparait par moment comme un improbable croisement sous acide entre Trainspotting et Lost in Translation. Sous des aspects un peu provocateur (la musique agressive, le jeu de Paz de la Huerta qui interprète une Linda tête à claques, la durée excessive, les longues scènes de trip, l’interprétation un peu simpliste des principes de la réincarnation), Enter the Void est traversé de vrais moments d’émotions allant de la douleur extrême à l’amour fusionnel. C’est en tout cas un film suffisamment atypique dans le paysage cinématographique français pour que l’on s’y arrête.

L'élite de Brooklyn

Trois vies, trois destins, trois policiers new yorkais qui vont se croiser au cours d’une journée décisive pour chacun d’eux.
Eddie est à une semaine de la retraite. Alcoolique, suicidaire, c’est un homme usé qui trouve dans les bras d’une prostituée un substitut à sa solitude. Tango est infiltré depuis trop longtemps dans un réseau de dealers et a de plus en plus de mal à faire la différence entre sa vie de gangster et son rôle de flic. Sal est le père de quatre enfants, sa femme malade attend des jumeaux et il n’arrive plus à subvenir aux besoins de sa famille. Alors il franchit la ligne et vole de l’argent sale, allant jusqu’à tuer pour se couvrir.
On savait depuis Training Day qu’Antoine Fuqua était un réalisateur à suivre. Avec l’Elite de Brooklyn, il signe un film bouleversant et d’une efficacité redoutable. Tout semble réuni dans ce film pour en faire un model du genre.
Un scénario écrit au cordeau, simple et ancré dans le réel, qui fait la part belle à ses personnages.
Des interprètes magnifiques totalement investis dans leurs rôles. On n’avait pas vu Richard Gere aussi bon depuis… depuis quand déjà ? La VO permet d’apprécier la voix douce et grave de Don Cheadle qui cache une bombe à retardement toujours prête à exploser. Wesley Snipes est un parrain sur le retour incroyablement charismatique tandis que le personnage interprété Ethan Hawke, désespéré et torturé par une morale chrétienne qui n’arrive pas à le sauver de lui-même, renvoie par moment au Bad Lieutenant d’Abel Ferrara. Quand aux seconds rôles, loin d’être sacrifiés comme c’est trop souvent le cas, ils sont tous parfaitement écrits et interprétés.
La musique accompagne merveilleusement la tragédie qui se déroule devant nos yeux.
La réalisation et le montage du film enfin, sont exemplaires. Alors qu’il aurait pu être tenté par un bouleversement de la chronologie des scènes ou par une succession de scènes ultra courtes pour accentuer encore plus le tragique des situations, Antoine Fuqua opte pour une réalisation d’une lisibilité totale alternant avec grâce les moments d’actions mettant en scène les trois personnages simultanément (la scène de l’épicerie – du règlement de compte sur le toit – de la descente de police, et la scène finale sont à ce titre des modèles d’efficacité), et des instants de répits et d’émotions.
A la fois polar et chronique sociale des classes moyennes américaines, l’Elite de Brooklyn pourrait être le pendant au cinéma de la série The Shield à la télévision. Le film prouve, si besoin était, qu’il n’est nul besoin d’effets spéciaux, de montages cut, de 3D ou autres racolages pour réussir un bon film. Il suffit d’une excellente histoire, de personnages remarquablement bien écrits, d’acteurs qui s’effacent derrière leurs rôles, d’un réalisateur honnête et talentueux.
La coordination de tous ces éléments est suffisamment rare pour que l’on apprécie pleinement la perle noire qu’est l’Elite de Brooklyn.

samedi 8 mai 2010

Iron Man 2

Iron Man 2 comporte de nombreux atouts. L’armure conçue par le milliardaire Tony Stark est complètement crédible, les personnages sont interprétés par des acteurs et actrices de talent, la réalisation est correcte et les effets spéciaux plutôt réussis.
En sortant de la salle, on se demande donc ce qui manque au film pour se hisser au niveau des références du genre que sont les deux premiers X-Men, Spiderman ou Dark Knight.
Sans pour autant tomber dans les abimes des adaptations sacrifiées (Elektra et compagnie), Iron Man se regarde avec plaisir mais il manque définitivement quelque chose au film pour parvenir à transcender un personnage il est vrai moins connu que l’Homme Araignée, Batman ou Super Man.
Les supers héros que sont Iron man et Batman ont d’ailleurs plusieurs points communs. Tony Stark et Bruce Wayne sont tous les deux des hommes sans pouvoirs particuliers mais extrêmement riche et dotés d’une technologie avancée qui leur permet de combattre le crime. Chacun est hanté par ses démons. Bruce Wayne est sombre et tourmenté, parfois proche d’un psychopathe. Tony Stark est un alcoolique chronique qui sombre peu à peu et qui doit même abandonner l’armure d’Iron Man pendant un moment. Batman rejoindra pour un temps la JLA alors qu’Iron Man fera partie des Vengeurs. Quelle est alors la différence de traitement majeur qui fait de The Dark Knight un chef d’œuvre du genre et d’Iron Man un divertissement sympathique ?
La première chose est le coté sombre du héros qui n’est qu’effleuré dans ce second opus d’Iron Man. Tony Stark, toujours impeccablement interprété par un Robert Downey Junior au sommet de sa forme, est un homme peu sympathique. Egocentrique, narcissique, arrogant, il a tendance à un peu trop faire la fête et nous est présenté comme un jet setter à la répartie facile, possédant l’assurance que confère l’argent. Alors que Christopher Nolan exploitait davantage le coté névrosé de son héros, Jon Favreau nous présente un Tony Stark certes agaçant et malade mais loin de l’homme rongé par l’alcool que l’on peut voir dans les comics.
La seconde chose qui différencie les deux films et l’approche des personnages est le méchant, ou plutôt les méchants sans lesquels les super héros n’ont pas de raison d’être. L’une des grandes réussites de The Dark Knight est sans conteste le personnage du Joker, sublimé par l’interprétation magistrale d’un Heath Ledger totalement habité par son rôle. Le Joker apparait comme une sorte de double maléfique de Batman, les deux personnages nourrissant une relation d’amour haine toujours ambiguë. Même si Mickey Rourke campe un Whiplash impressionnant, il est épaulé par un Justin Hammer certes réjouissant mais plus drôle que véritablement menaçant. Le personnage de la Veuve Noire campée par Scarlett Johansson était prometteur mais reste lui aussi sous exploité.
Iron Man est de plus handicapé par une multitude d’intrigues qui, pour tenir dans les deux heures imparties pour une exploitation commerciale optimale, sont traitées au pas de charge. La découverte d’un antidote par Tony Stark ou le combat final contre Whiplash sont rapidement expédiés et ne semblent pas représenter de difficultés majeures pour le héros.
Quand à la bande son qui reprend des morceaux épars de standards du rock des années 80 et 90, AC/DC en tête, elle est certes agréable aux oreilles des 30 – 40 ans, mais fait l’effet d’un patchwork un peu trop commercial qui manque d’homogénéité.
Iron Man va surement plaire au plus grand nombre et le seul fait de voir autant d’enfants dans les salles démontre bien le parti pris du studio d’édulcorer ses personnages. Le film étant parsemé de références aux autres membres des Vengeurs (le bouclier de Capitaine América, le marteau de Thor), il est à prévoir qu’il ouvre la voie à une longue série d’adaptations (celle de Thor étant déjà lancée).
S’ils sont dans la lignée d’Iron Man 2, nous aurons droit à des films bien ficelés, plutôt respectueux d’un genre difficile à aborder, mais trop lisses pour rendre justice à des personnages souvent bien plus tourmentés et ambigus dans les planches des comics que sur grand écran.