samedi 23 juillet 2022

As Bestas

C’est chez moi ici. Le nœud gordien du nouveau film de Rodrigo Sorogoyen pourrait se résumer à cette phrase puisqu’il est question du lien à la terre, de la légitimité d’occuper un lieu et de la difficile cohabitation entre les natifs et les nouveaux arrivants. 

As Bestas s’inscrit dans la droite ligne des précédents longs métrages du réalisateur espagnol qui une fois de plus creuse le sillon du film de genre (le tueur en série avec Que Dios nos perdone et le thriller politique avec El Reino) en détournant ses codes pour amener le spectateur sur des terres inconnues et le déstabiliser pour son plus grand plaisir. Car une fois encore la confrontation entre un couple de français venus restaurer des habitations à l’abandon dans un village de Galice avec les paysans du coin se joue des situations attendues pour une montée en tension d’autant plus spectaculaire. 

Quand une jeune femme terrifiée attend dans une voiture, le réalisateur film son angoisse sans jump scare alors que l’on s’attend à tout moment à voir la tête de l’agresseur surgir devant la vitre. Lorsque le chien d’Antoine vient se frotter aux chasseurs, on ne donne pas cher de sa peau, et si Olga retrouve bien la caméra comme prévu, son usage ne sera pas celui que l’on croit. 

As Bestas est construit sur une première partie dont la montée en puissance tient avant tout au savoir-faire de Rodrigo Sorogoyen et à l’interprétation magistrale de l’ensemble de la distribution, Denis Menochet et Luis Zahera en tête comme en témoigne ce long plan séquence dans le café au cours duquel les deux personnages s’affrontent verbalement dans une scène à la tension palpable. Plus faible dans sa seconde partie, le film pâtit entre autres de l’interprétation trop scolaire de Marie Colomb dans le rôle de la fille d’Olga et Antoine et dont la confrontation avec sa mère, formidable Marina Foïs dans un rôle minéral, manque sensiblement de naturel. 

Se refusant à tout manichéisme, la discours de Xan est tout aussi entendable que celui d’Antoine, As Bestas joue habilement sur de multiples touches parfois à peine perceptibles (la frustration sexuelle entre Antoine et sa femme) pour donner lieu à un thriller rural d’une redoutable efficacité, jusqu’au drame quasiment muet et d’autant plus traumatisant dans sa violence primaire. 

Une fois de plus, Rodrigo Sorogoyen confirme son statut de nouveau chef de file du cinéma espagnol avec une constance qui force le respect.

lundi 11 juillet 2022

The sadness

Le plus intrigant avec The sadness reste encore qu’un film comme cela ait pu se frayer un chemin dans les salles de cinéma estivales des plus grands complexes. Un mystère de la distribution qui nous permet de nous plonger dans les rues de Taïwan avec Kat et Jim, un couple charmant dont on devine qu’ils vont passer des moments douloureux (mention spéciale à la très belle et talentueuse Regina Lei) et connaitre une fin funeste alors qu’une épidémie transforme les habitants de l’île en monstres lubriques et sadiques. 

Improbable croisement entre le délire des films de catégories III, l’horreur cradingue d’un Lucio Fulci, les  infectés chers à Danny Boyle et la perversion de Salò ou les 120 Journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini (la dimension politique et le rapport de domination de classes sociales en moins), The sadness déboule de nulle part avec sa hargne et sa volonté presque touchante de revenir à l’essence même du cinéma gore, un cinéma extrême et dérangeant dans sa forme et les excès qu’il nous balance en pleine figure. 

Car ce qui différencie The sadness des autres films d’infectés est bien le caractère particulier de ses monstres, doués de parole et de raison et animés par le besoin, non pas de dévorer son prochain, mais de le faire souffrir et de l’avilir de la pire manière qui soit. Basé sur un scénario convenu dont on devine le dénouement au bout du premier quart d’heure, le film de Rob Jabbaz vaut surtout pour le miroir qu’il nous tend (et moi je ferais quoi à sa place ?) et notre propre réaction devant ce déferlement de violence.

Traversé par de nombreuses scènes d’anthologie dont l’attaque du métro reste le point d’orgue, The sadness nous épargne pourtant le pire (les séquences du viol oculaire et du bébé dans la poubelle restent hors champ) et se clôt sur un final mixant le dénouement de la Nuit des morts vivants (le sort réservé à l’héroïne) et Zombie (l’hélicoptère sur le toit). 

Formellement très maitrisé, nihiliste et vénère mais dépourvu de tout message, The sadness s’adresse finalement davantage à nos tripes qu’à notre cerveau et c’est peut-être là que réside son intérêt principal.