mardi 21 juin 2016

The Witch

1630, Nouvelle Angleterre. Bannis de leur colonie, les membres d’une famille s’établissent à l’écart de toute civilisation à la lisière d’une forêt profonde. Après la mystérieuse disparition de leur nouveau-né, des évènements aussi étranges que tragiques s’enchainent et rien, pas même leur croyance chevillée au corps, ne semble pouvoir les protéger d’un danger imminent autant que surnaturel. 
On peut trouver la mise en scène de Robert Eggers pesante et démonstrative, le jeu des acteurs un tantinet théâtral, à raison, ils le sont. Il n’empêche qu’il se dégage de ce film indépendant une atmosphère assez unique et suffisamment de thèmes sous-jacents pour que l’on s’y attarde. 
Loin d’être la nouvelle bombe d’épouvante annoncée, le film est plus inquiétant que réellement effrayant, The Witch n’en demeure pas moins un exercice de style tout sauf vain. Car le réalisateur a d’abord l’intelligence de suggérer plus que de montrer explicitement les manifestations démoniaques. Un gros plan sur un lapin aux yeux exorbités, l’omniprésence d’un bouc noir ou l’esquisse du sacrifice puis du pilonnage (…) d’un bébé confèrent ainsi au film une tension et une aura d’autant plus malsaines. 
Refusant la facilité des jump scares, Robert Eggers choisit de nous faire partager le quotidien d’une famille de colons croyants et pratiquants à l’extrême, face à une nature qui n’entend pas se laisser dominer aussi facilement. A ces deux thèmes majeurs que sont la religion et la nature s’ajoute l’éveil à la sexualité de deux adolescents frère et sœur. Au rigorisme de la religion incarné par une mère bigote que l’on imagine sans mal se recueillir aux pieds des bûchers s’opposent une nature sauvage et des corps impatients corsetés par une morale castratrice. Il en résulte une avalanche d’évènements aussi perturbants que dangereux qui conduiront toute la famille dans un ultime bain de sang libérateur. 
Des évènements qui pourraient tout aussi bien être le fruit d’une hallucination collective que d’une sorcière. Et c’est bien là tout le mérite de ce film qui puise son imagerie dans les peintures de Jérôme Bosch et de Johannes Vermeer que de nous laisser libre de nous faire notre propre opinion. Car n’oublions pas que nombre de sorcières n’étaient autres que les premières féministes qui osèrent se rebeller contre un ordre social et religieux matriarcaux qui les cantonnaient au second plan. 
Beau et envoutant, campé par des interprètes en totale osmose avec leurs rôles, The Witch souffre parfois d’un manque d’audace qui en ferait un vrai grand film d’épouvante comme ce fut le cas pour It Follows. Il n’en reste pas moins un film soigné et anxiogène qui parle de sexe, de religion et de sorcellerie, ce qui est déjà beaucoup.

vendredi 10 juin 2016

Elle

Ce qui surprend en premier lieu dans le nouveau Paul Verhoeven, c’est son absence totale d’érotisme. Les personnages baisent ou parlent plus ou moins ouvertement de sexe une scène sur deux, la sexualité libre, refoulée ou imposée est l’un des thèmes centraux du film qui pourtant ne laisse apparaitre que malaise et sadisme, perversion (physique et morale) et animosité, mais jamais d’érotisme qui demeure pourtant l’une des marques de fabrique du réalisateur hollandais. 
Qu’il soit délibérément absent de ses histoires pour marquer le totalitarisme des sociétés décrites (Robocop, Starship Troopers) ou au contraire magnifiquement exacerbé (La chair et le sang, Basic Instinct, Black Book et même Show Girls), le sexe chez Paul Verhoeven est toujours intimement lié à la violence et à la mort. Perverti à outrance dans Elle, le sexe apparait davantage comme une ultime manière d’exister pour des personnages à la dérive que comme une véritable source de plaisir. Brutal ou apathique, les relations charnelles entre les protagonistes de Elle ne mène à rien sinon au néant. Et c’est bien ce vide abyssal qui se cache derrière de fragiles bonnes manières que le réalisateur se plait à mettre en scène. 
En plantant son décor dans la bourgeoisie parisienne, Paul Verhoeven filme avec délectation une galerie d’hommes et de femmes qui tutoient la folie, et dont le vernis civilisé craque sous la pression de pulsions peu avouables. On pense bien sûr à Claude Chabrol mais aussi au David lynch de Blue Velvet et au Luis Buñuel du Charme Discret de la Bourgeoisie. Si le choix d’Isabelle Huppert, parfaite dans le rôle de cette femme qui, sous couvert de contrôle de sa vie frôle constamment l’abime, parait s’imposer comme une évidence (comment ne pas penser à La Pianiste ?), on ne peut que regretter l’absence d’une Sharon Stone un moment envisagée pour interpréter Michèle. Le film aurait gagné en sensualité ce qu’il aurait peut-être perdu en folie malsaine mais lorsque l’on sait comment le réalisateur transcende ses rôles féminins, on peut trouver dommage qu’il n’ait pas opté pour une interprète moins glaciale. 
Au final, Elle ressemble presque à un aparté surréaliste dans la filmographie du cinéaste, un film qui oscille constamment entre comique décalé, thriller (encore que cet aspect soit de loin le moins intéressant) et autopsie brutale d’une certaine frange de la société française. Un film étrange dont on ressort dubitatif, partagé entre malaise, amusement et circonspection.