vendredi 13 novembre 2009

L'Imaginarium du Docteur Parnassus

Terry Gilliam est surement le cinéaste le plus contrarié que la Terre ait porté. Après l’enlisement de son Don Quichotte, le tournage de son nouveau film est endeuillé par la mort tragique de son acteur principal Heath Ledger. Plutôt que de retourner toutes ses scènes, il a l’idée géniale de poursuivre son œuvre en remplaçant Heath Ledger par trois acteurs. Ce sont donc Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell qui se relaient pour incarner le personnage de Tony dans l’univers parallèle du fameux Docteur. L’idée est aussi belle que l’hommage rendu à l’acteur disparu est émouvant.
Et d’émotions, le film n’en manque pas.
En suivant cette petite troupe de comédiens itinérants perdus dans un monde moderne d’où l’imagination semble bannie, Terry Gilliam nous invite à un voyage merveilleux à travers l’imaginaire de ses différents personnages. En traversant le miroir, telle Alice au Pays des merveilles, le réalisateur nous convie à des séquences féériques qui nous renvoient directement aux Aventures du Baron de Munchausen, Lily Cole remplaçant Uma Thurman dans le rôle de Vénus. Difficile aussi de ne pas penser aux Frères Grimm devant ce comte de fées aussi cruel et noir que tendre et coloré.

L’imaginarium du Docteur Parnassus est donc un condensé de ce que Terry Gilliam sait faire de mieux, dans le fond comme dans les thèmes abordés. Le Docteur Parnassus qui emmène ses spectateurs dans un voyage fantastique renvoie en effet étrangement au réalisateur, et les difficultés qu’il rencontre font échos aux nombreux heurts qu’il a connu tout au long de sa carrière.
L’une des grandes réussites du film, outre son scénario à plusieurs niveaux de lectures, tiens aussi aux formidables acteurs dont le réalisateur a su s’entourer. Christopher Plummer campe un vieux sage immortel (qui ressemble au Gandalf de Peter Jackson comme deux gouttes d’eau) qui a vendu sa fille au diable et qui n’a plus sa place dans le monde dans lequel il vit à présent. Tom Waits incarne Monsieur Nick, un diable joueur, moqueur, ironique,… diabolique ! Des quatre incarnations de Tony, ce sont surement Johnny Depp et Colin Farrell qui tirent le mieux leur épingle du jeu en jouant la carte de la séduction et de la perversion. Mais la grande révélation du film est à coup sur Lily Cole dont l’étrange beauté envahit chaque scène où elle apparait. A l’instar de Christina Ricci chez Tim Burton, elle incarne une femme enfant tour à tour vulnérable et enjouée, et sa présence s’impose comme une évidence dans ce monde fou, merveilleux et effrayant. Un monde que ne renierait d’ailleurs pas Tim Burton, autre grand loufoque de génie.
L’imaginarium du Docteur Parnassus n’est cependant pas exempte de tout défaut. On peut en effet être gêné par une direction d’acteur parfois trop théâtrale et certains dialogues qui semblent pesant par rapport au reste, la vision du film en version française n’arrangeant pas les choses.

Le film peut être vu comme une somme de l’œuvre de Terry Gilliam, un condensé de séquences (parfois trop ?) hallucinantes, une réflexion sur le pouvoir de l’imaginaire. C’est surtout un voyage fantastique vers des contrées que l’on a peut être tendance à oublier, celles de notre imaginaire.

dimanche 1 novembre 2009

Le ruban blanc

Après le remake américain de son film choc Funny Games, Michael Haneke poursuit ses investigations sur le mal.
Le Ruban blanc met en scène un village allemand à la veille de la Première Guerre Mondiale. Entre pratiques quasi féodales et modernité, toutes les figures traditionnelles d’un village traditionnel de cette époque nous sont présentées dés les premières minutes du film. Le baron qui règne sur ses villageois, le docteur, le prêtre et l’instituteur. Entre chacun d’entre eux, des rapports de force et d’autorité, de domination et de frustration.
Surviennent alors toute une série d’évènements violents à priori accidentels qui vont petit à petit semer le doute, la suspicion et la peur.
Pour illustrer cette nouvelle analyse de la condition humaine dans ce qu’elle a de plus sombre, Michael Haneke fait preuve d’un formalisme impressionnant. Deux heures trente de film sans aucune musique, un noir et (surtout) blanc somptueux qui transforme chaque plan en tableau, et surtout une direction et un choix d’acteurs impeccables. Alors que les enfants sont des sujets difficiles à diriger et à rendre crédibles à l’écran, ceux du Ruban blanc sont fabuleux. On ne peut s’empêcher de penser au Village des damnés en voyant cette bande de gamins froids et inquiétants jamais loin du drame qui vient de se produire. Et lorsqu’un petit garçon interroge sa grande sœur sur la mort, la scène est simplement impeccable et touchante. Les adultes ne sont pas en reste et chaque personnage est écrit et interprété avec le plus grand soin.
Une fois de plus, le réalisateur nous questionne sur la violence propre à l’homme, fouillant avec ce film davantage les origines que les conséquences. Comme à son habitude, et contrairement à la majorité des films traitant de ce sujet, les scènes violentes sont la plupart du temps hors champs ou passées. On n’en voit que les conséquences terribles et l’impact en est décuplé.
La seul scène de violence à laquelle on assiste est verbale, et non moins dévastatrice que s’il s’était s’agit de blessures corporelles. Le médecin, lassé de sa maitresse, la rejette avec une violence froide qui transforme ses mots en poignards. La scène est d’une dureté incroyable qui ne passe que par le domaine verbal, et c’est toute la force d’écriture du réalisateur que de nous faire ressentir une telle violence alors que les corps eux ne bougent pas. Les parties du film qui mettent en scène le médecin sont d’ailleurs les seules à ne pas nous être présentées par le prisme du narrateur, l’instituteur que l’on devine vieux et qui nous relate l’histoire tel qu’il s’en souvient. Michael Haneke choisit de nous confronter directement à ce personnage qui cache peut être les plus lourds secrets.
De l’aveu même du réalisateur, le film ne traite pas seulement des origines du nazisme mais de toutes les formes de violence, terrorisme, intégrisme religieux, dictature et autres. Pourtant, il parait difficile de s’affranchir du fait que le film se déroule en Allemagne au début des années 1910 et que nombre des enfants que nous voyons seront vraisemblablement parmi les nazis de 1940. Et c’est là que le film se fait un peu réducteur. Si l’analyse de cette société corsetée par des principes qui paraissent aujourd’hui d’un autre âge, aussi bien moraux que religieux, est passionnante, si le réalisateur filme sans pareil les pires sévices qui se déroulent aussi bien derrière des volets clos que dans l’imagination du spectateur, force est de reconnaitre que c’est un peu rapide d’en faire l’origine même du nazisme. Ou de quelque autre forme de fanatisme politique ou religieux. Ce serait faire abstraction de bon nombre d’éléments économiques et sociaux qui, en 1910 comme en d’autres temps, furent les catalyseurs de ces montées d’extrémismes.
Il n’en demeure pas moins que le Ruban blanc est un film fascinant (l’histoire est racontée comme une enquête policière, à la lisière du fantastique), ambitieux dans les thèmes abordés et les réflexions qu’il suscite à sa sortie, et d’une beauté formelle à couper le souffle. Comme à son habitude, Michael Haneke ne dévoile pas toutes les solutions et nous laisse avec notre propre interprétation des faits.
C’est frustrant, inconfortable mais aussi diablement stimulant !

Le ruban blanc


Après le remake américain de son film choc Funny Games, Michael Haneke poursuit ses investigations sur le mal. Le Ruban blanc met en scène un village allemand à la veille de la Première Guerre Mondiale. Entre pratiques quasi féodales et modernité, toutes les figures traditionnelles d’un village traditionnel de cette époque nous sont présentées dés les premières minutes du film. Le baron qui règne sur ses villageois, le docteur, le prêtre et l’instituteur. Entre chacun d’entre eux, des rapports de force et d’autorité, de domination et de frustration. Surviennent alors toute une série d’évènements violents à priori accidentels qui vont petit à petit semer le doute, la suspicion et la peur. Pour illustrer cette nouvelle analyse de la condition humaine dans ce qu’elle a de plus sombre, Michael Haneke fait preuve d’un formalisme impressionnant. Deux heures trente de film sans aucune musique, un noir et (surtout) blanc somptueux qui transforme chaque plan en tableau, et surtout une direction et un choix d’acteurs impeccables. Alors que les enfants sont des sujets difficiles à diriger et à rendre crédibles à l’écran, ceux du Ruban blanc sont fabuleux. On ne peut s’empêcher de penser au Village des damnés en voyant cette bande de gamins froids et inquiétants jamais loin du drame qui vient de se produire. Et lorsqu’un petit garçon interroge sa grande sœur sur la mort, la scène est simplement impeccable et touchante. Les adultes ne sont pas en reste et chaque personnage est écrit et interprété avec le plus grand soin. Une fois de plus, le réalisateur nous questionne sur la violence propre à l’homme, fouillant avec ce film davantage les origines que les conséquences. Comme à son habitude, et contrairement à la majorité des films traitant de ce sujet, les scènes violentes sont la plupart du temps hors champs ou passées. On n’en voit que les conséquences terribles et l’impact en est décuplé. La seul scène de violence à laquelle on assiste est verbale, et non moins dévastatrice que s’il s’était s’agit de blessures corporelles. Le médecin, lassé de sa maitresse, la rejette avec une violence froide qui transforme ses mots en poignards. La scène est d’une dureté incroyable qui ne passe que par le domaine verbal, et c’est toute la force d’écriture du réalisateur que de nous faire ressentir une telle violence alors que les corps eux ne bougent pas. Les parties du film qui mettent en scène le médecin sont d’ailleurs les seules à ne pas nous être présentées par le prisme du narrateur, l’instituteur que l’on devine vieux et qui nous relate l’histoire tel qu’il s’en souvient. Michael Haneke choisit de nous confronter directement à ce personnage qui cache peut être les plus lourds secrets. De l’aveu même du réalisateur, le film ne traite pas seulement des origines du nazisme mais de toutes les formes de violence, terrorisme, intégrisme religieux, dictature et autres. Pourtant, il parait difficile de s’affranchir du fait que le film se déroule en Allemagne au début des années 1910 et que nombre des enfants que nous voyons seront vraisemblablement parmi les nazis de 1940. Et c’est là que le film se fait un peu réducteur. Si l’analyse de cette société corsetée par des principes qui paraissent aujourd’hui d’un autre âge, aussi bien moraux que religieux, est passionnante, si le réalisateur filme sans pareil les pires sévices qui se déroulent aussi bien derrière des volets clos que dans l’imagination du spectateur, force est de reconnaitre que c’est un peu rapide d’en faire l’origine même du nazisme. Ou de quelque autre forme de fanatisme politique ou religieux. Ce serait faire abstraction de bon nombre d’éléments économiques et sociaux qui, en 1910 comme en d’autres temps, furent les catalyseurs de ces montées d’extrémismes. Il n’en demeure pas moins que le Ruban blanc est un film fascinant (l’histoire est racontée comme une enquête policière, à la lisière du fantastique), ambitieux dans les thèmes abordés et les réflexions qu’il suscite à sa sortie, et d’une beauté formelle à couper le souffle. Comme à son habitude, Michael Haneke ne dévoile pas toutes les solutions et nous laisse avec notre propre interprétation des faits. C’est frustrant, inconfortable mais aussi diablement stimulant !