La première sensation que l’on éprouve à la vision de Birdman est physique. Le vrai faux plan séquence qui constitue le film et qui nous oblige à suivre sans une minute de répit des personnages plongés dans des états d’âme que leur envierait Woody Allen nous laisse d’abord surpris, puis admiratifs et enfin éreintés. Ereintés et dubitatifs, pour ne pas dire agacés.
Car oui, Alejandro González Iñárritu est un cinéaste brillant. Il le prouve ici avec un choix d’interprètes qui sont tous à leurs places et meilleurs que jamais, et qui sont dirigés à la perfection. Il nous montre que techniquement il arrive à nous capter pour ne plus nous lâcher pendant deux heures, alternant des mouvements de caméra virtuoses et des dialogues souvent franchement comiques. Iñárritu est brillant et cinéphile, multipliant les clins d’œil et les références à travers son film (coucou Mulholland Drive) comme on sème des petits cailloux pour ne pas se perdre en route. Mais tout cela pour nous dire quoi ? On fait souvent le parallèle entre le personnage de Riggan Thomson et la carrière de son interprète Michael Keaton, qui lui aussi a interprété un rôle de super héros (Batman / Birdman) qui a fait sa gloire avant une longue traversée du désert durant laquelle plus personne, réalisateurs, critiques ou public, ne s’intéressait à lui. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Birdman nous parle bien davantage de son réalisateur que de son acteur principal.
Car au-delà des propos souvent convenus sur la critique assassine qui tue les pièces de théâtre avant de les avoir vues et pour qui la réhabilitation ne peut se faire que par le sang versé, l’acteur brillant mais égocentrique, invivable et incontrôlable, l’actrice fragile en quête de reconnaissance (un père absent ?), le manager au bord de l’ulcère, le réalisateur laisse surtout poindre une amertume envers le système qui laisse songeur. Lui aussi se retrouve en Riggan Thomson, cet acteur qui sue sang et eau pour enfin faire de l’art et tourner la page de ce qui a fait son succès et qui ne lui inspire plus que du mépris. Et c’est bien là que réside le vrai problème du film.
Car oui, Iñárritu pourrait lui aussi faire des blockbusters remplis d’explosions dans tous les sens, il nous en donne d’ailleurs un petit aperçu (coucou Transformers), mais ce n’est pas Broadway, ce n’est pas de l’art, ce n’est même pas digne d’une critique. Les allusions aux acteurs bankables est d’ailleurs lourde de sens. « Ils font tous des films en collant ? » Bah oui, ils font tous des films en collant et gagnent des millions de dollars. Et alors, est ce à ce point incompatible ? Ne peut-on concilier film de genre, réussite commerciale et intelligence ? Doit-on à tout prix opposer l’argent, la célébrité et la culture de masse d’un côté, contre une certaine intelligencia qui dicterait ce qui est de bon goût ou pas, ce qui est de la culture et ce qui ne l’est pas ? Car n’en déplaise à Alejandro Iñárritu, les comics et leurs corollaires, les « acteurs en collant » sont aussi de la culture. Une culture main street, une culture populaire surement bien éloignée des standards de Broadway, mais une culture qui a (enfin) gagné sa reconnaissance après des années de mise à l’écart.
Prenons un exemple parmi tant d’autres qui est la franchise X-Men. Les adaptations récentes nous ont prouvé, si besoin était, que l’on peut allier réussite commerciale, spectacle total et réflexion. Et la question du droit à la différence ou des responsabilités qu’impliquent un super pouvoir est surement aussi intéressante que les états d’âme d’acteurs hystériques sur le retour. Alors non, on n’est pas obligé de mépriser les films de pur divertissement dont la trilogie Birdman (le film dans le film donc) est le fer de lance pour parler de la vieillesse, du succès ou de la difficulté d’être un père ou un créateur.
La dernière pierre à l’édifice d’une entreprise de plus en plus étrange est la vision qu’a Alejandro Iñárritu de la culture selon les générations. Lorsque la salle de théâtre s’éclaire après l’ultime coup d’éclat de Riggan Thomson sur scène, c’est pour nous révéler une salle bondée par des personnes âgées en costumes et robes de soirées. Les jeunes eux sont sur les réseaux sociaux, à s’enthousiasmer devant des vidéos pourries qui récoltent des millions de vues. Drôle de parti pris que l’on pourrait taxer, en d’autres circonstances, de réactionnaire. Alors je pose la question Monsieur Iñárritu, vaut-il mieux jouer une pièce de théâtre devant une salle plus préoccupée par l’endroit où elle ira boire un café en sortant que par ce qui se passe sur scène (c’est dit dans le film, je ne fais que répéter), une pièce qui sera descendue par des critiques ne prenant même pas la peine de la voir, ou réaliser un film qui sera attendu, vu et revu par des millions de fans qui le disséquerons ensuite sur les réseaux sociaux pour en extraire la substantifique moëlle ?
Le personnage de Birdman, et les milliers de fans qu’il représente, sont-ils à ce point honteux qu’on le réduise à la mauvaise conscience du héros ? Tout cela est d’autant plus dommage que Birdman est traversé de vrais moments de magie, il reste juste à mettre cette magie au service d’un vrai amour du cinéma, de tous les cinémas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire