Les années 60, Henry Hill, Les Affranchis. Les années 70, Ace Rothstein, Casino. Les années 80, Jordan Belfort, Le Loup de Wall Street. Martin Scorsese poursuit (conclue ?) avec Le Loup de Wall Street son exploration d’une certaine Amérique, celle de tous les possibles, de tous les excès, où les chutes sont aussi rapides et spectaculaires que les ascensions. Une Amérique dominée par l’argent, le pouvoir et la corruption.
Les points communs entre Jordan Belfort, Ace Rothstein et Henry Hill sont en effets légions. Ce sont des hommes partis de rien, ou presque, qui à force d’ambition et sans s’embarrasser de la moindre morale, vont gravir un à un les échelons d’un milieu propice à leur ascension. Ce sont des hommes accroc au pouvoir sous toutes ses formes, qui deviennent dépendant à toutes les formes d’addiction possibles (argent, alcool, sexe, drogue), qui trompent allégrement leurs femmes et n’hésitent pas à sacrifier leur vie de famille.
Au fil des années, on passe de la criminalité la plus basique des Affranchis (extorsion, proxénétisme, drogue) au monde plus complexe des jeux avec Casino, pour finir dans l’univers de la haute finance et des traders en compagnie du Loup de Wall Street. Mais ce qui différencie le monde de Jordan Belfort de celui des Affranchis ou de Casino, c’est l’absence totale de valeurs, même les plus discutables. Là où les gangsters chers à Scorsese pouvaient au mois s’accrocher à un semblant de code d’honneur, les traders décris dans le film sont seuls. Ils n’hésitent pas à trahir leurs proches (parlons de collaborateurs plutôt que d’amis), rejoignant en cela le narrateur des Affranchis, mais sans que cela ne vienne heurter le moindre code moral qui de toute façon n’existe pas.
Jordan Belfort s’est construit tout seul, et malgré les centaines de personnes qui l’entourent, il le restera jusqu’à la fin. Il est remarquablement interprété par un DiCaprio littéralement habité par son rôle, impressionnant aussi bien lors de ses harangues que lors de ses errances hallucinées ou de ses débordements.
Magistralement maitrisé, Le Loup de Wall Street marque le pas sur la réalisation habituellement plus classique d’un Scorsese qui se lâche à tous les sens du terme. Le film restitue tout à fait l’ambiance que l’on imagine régner dans les salles de transactions, celle d’un monde à part où évoluent des hommes et des femmes en rupture totale avec la réalité. Que ce soit dans leur mode de vie ou leur travail quotidien qui consiste à spéculer sur des biens immatériels, pour ne pas dire inexistants, ils représentent ce que le libéralisme débridé et le self made man peut engendre de pire. Individualisme forcené, arrivisme et au final perte de toute valeur, sans parler des milliers de personnes entrainées dans leur chute inexorable.
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