Lorsqu’elle rencontre le prince
charmant dans sa boite de strip-tease aux confins de Brooklyn, Anora pense
toucher le gros lot. Elle troque son string à paillette pour un manteau en zibeline
et sa barre de lap-dance pour l’intérieur soyeux d’une voiture de luxe ou d’un
jet privé.
Le bal dure une semaine entière, de boites de nuit branchées en
appartements luxueux, jusqu’à ce que minuit sonne et que le carrosse se
transforme en citrouille quand débarquent le roi débonnaire et la reine intransigeante.
Et lorsque les masques tombent, l’argent ne parvient plus à dissimuler la vraie
nature des gens.
Le prince charmant redevient le gamin pourri et égoïste qu’il
a toujours été, la reine mère achète sa tranquillité à grands coups de dollars
et de menaces et Anora revient à son point de départ car, comme le chantait les
Rita Mitsouko en 1986, les histoires d’amour finissent mal en général.
Dés les
premières images, le réalisateur Sean Baker introduit son héroïne (impressionnante
Mikey Madison) au travers de son corps et de son rapport aux hommes. Battante,
grande gueule et survivante, Anora vit de ses charmes sans rien attendre du
lendemain ni de son prochain. L’avenir lui donnera raison après une parenthèse
enchantée dont elle ne ressortira pas indemne.
Malgré une durée un peu excessive
et quelques longueurs, Anora dresse le portrait de personnages atypiques comme
les affectionne le cinéma indépendant américain, et prend systématiquement le
spectateur à contre-pied en multipliant les références pour mieux les
contourner.
Films de gangster sans l’ombre d’une arme, thriller sans mort,
comédie grinçante, Sean Baker s’amuse avec une galerie de personnages aux
réactions imprévisibles et aux comportements irrationnels dont l’alliance
contre nature aboutira à un épilogue d’une brutalité parfaitement rationnelle.
Entre le cinéma réaliste d’Abel Ferrara et l’absurdité revendiquée des frères Cohen,
Anora multiplie les clins d’œil au cinéma de Scorcese tout en évitant une violence
sous-jacente systématiquement désamorcée.
Obnubilé par le langage corporel,
Anora ne cesse de s’égosiller alors que son vrai pouvoir sur les hommes passe
par son corps, tandis qu’Igor est sensé s’imposer par son physique alors que
ses rares paroles font mouche à chaque fois, Sean Baker condense en un seul
film le portrait d’une certaine Amérique laissée pour compte, les ravages de l’argent
sur les corps et les âmes et le désespoir larvé d’une jeune fille rythmé par le
bruit des essuis glaces sur un pare-brise enneigé.
Comme si Pretty Woman se
prenait en pleine face le mur d’une réalité bien trop réelle pour être
assimilée à un conte de fées.
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