vendredi 1 novembre 2024

Anora

Lorsqu’elle rencontre le prince charmant dans sa boite de strip-tease aux confins de Brooklyn, Anora pense toucher le gros lot. Elle troque son string à paillette pour un manteau en zibeline et sa barre de lap-dance pour l’intérieur soyeux d’une voiture de luxe ou d’un jet privé. 
Le bal dure une semaine entière, de boites de nuit branchées en appartements luxueux, jusqu’à ce que minuit sonne et que le carrosse se transforme en citrouille quand débarquent le roi débonnaire et la reine intransigeante. Et lorsque les masques tombent, l’argent ne parvient plus à dissimuler la vraie nature des gens. 
Le prince charmant redevient le gamin pourri et égoïste qu’il a toujours été, la reine mère achète sa tranquillité à grands coups de dollars et de menaces et Anora revient à son point de départ car, comme le chantait les Rita Mitsouko en 1986, les histoires d’amour finissent mal en général.
Dés les premières images, le réalisateur Sean Baker introduit son héroïne (impressionnante Mikey Madison) au travers de son corps et de son rapport aux hommes. Battante, grande gueule et survivante, Anora vit de ses charmes sans rien attendre du lendemain ni de son prochain. L’avenir lui donnera raison après une parenthèse enchantée dont elle ne ressortira pas indemne. 
Malgré une durée un peu excessive et quelques longueurs, Anora dresse le portrait de personnages atypiques comme les affectionne le cinéma indépendant américain, et prend systématiquement le spectateur à contre-pied en multipliant les références pour mieux les contourner. 
Films de gangster sans l’ombre d’une arme, thriller sans mort, comédie grinçante, Sean Baker s’amuse avec une galerie de personnages aux réactions imprévisibles et aux comportements irrationnels dont l’alliance contre nature aboutira à un épilogue d’une brutalité parfaitement rationnelle. Entre le cinéma réaliste d’Abel Ferrara et l’absurdité revendiquée des frères Cohen, Anora multiplie les clins d’œil au cinéma de Scorcese tout en évitant une violence sous-jacente systématiquement désamorcée. 
Obnubilé par le langage corporel, Anora ne cesse de s’égosiller alors que son vrai pouvoir sur les hommes passe par son corps, tandis qu’Igor est sensé s’imposer par son physique alors que ses rares paroles font mouche à chaque fois, Sean Baker condense en un seul film le portrait d’une certaine Amérique laissée pour compte, les ravages de l’argent sur les corps et les âmes et le désespoir larvé d’une jeune fille rythmé par le bruit des essuis glaces sur un pare-brise enneigé.
Comme si Pretty Woman se prenait en pleine face le mur d’une réalité bien trop réelle pour être assimilée à un conte de fées.

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