jeudi 15 décembre 2016

Premier contact

Une fois de plus Denis Villeneuve frappe là où on ne l’attend pas. 
Janvier 2011, Incendies. A travers une fable guerrière qui reprend en toile de fond un conflit israélo palestinien à peine fantasmé, le réalisateur nous prend par surprise avec un drame familial poignant et un dénouement qui restera longtemps gravé dans la mémoire des spectateurs. 
Décembre 2016, Premier contact. Le film présenté comme une histoire de science-fiction ne prend son véritable sens qu’à travers le récit intimiste d’une mère de famille confronté au pire drame que l’on puisse imaginer. 
Car oui, si l’on suit pendant une heure quarante-cinq avec un certain intérêt l’arrivée de ces extraterrestres sur terre, et les bouleversements à l’échelle mondiale qu’ils provoquent, force est de constater que le film ne décolle véritablement que lors du dernier quart d’heure. 
Porté par de solides interprètes et une réalisation sans faille, l’intrigue qui se déroule autour de Louise Banks pour éviter que le monde ne sombre dans le chaos d’une guerre mondiale, le message pacifique porté par les visiteurs et l’esthétique même de ces créatures et de leurs vaisseaux suscitent au mieux une vraie curiosité, au pire une sensation de déjà vue si l’on se remémore Abyss qui traite d’un sujet similaire avec plus d’émotions, d’empathie pour les personnages et de tension pour le spectateur. On sent bien tout au long du film la volonté du réalisateur de semer des indices comme autant de petites pierres sensées nous guider vers le dénouement final. Le prénom de la fille de Louise, Hannah, qui se lit dans les deux sens, l’écriture des extraterrestres en formes de cercles, tout concourt à nous orienter vers cette notion au début diffuse de boucle temporelle, d’inéluctabilité des évènements à venir. Et c’est alors que petit à petit les pièces du puzzle se mettent en place. 
Il suffit d’une dizaine de minutes au réalisateur pour faire basculer son film vers une autre dimension. On passe de l’infiniment grand (l’espace, la Terre) à l’intime (la famille) avec une émotion décuplée. En posant à Louise, et par ricochet au spectateur que nous sommes, une question d’une infinie douleur, et en proposant deux points de vues différents en guise de réponse (celui de Louise et celui de Ian), Denis Villeneuve touche une fois de plus au sublime. D’une soit disant fresque science fictionnel somme toute assez balisée, il passe en quelques minutes à un condensé d’émotions qui clôt le film sur une note d’une intensité dramatique rarement égalée. 
Premier contact nous ramène à l’essentiel, l’amour filial et le sens d’une vie, aussi courte soit elle. Une fois encore, chapeau bas monsieur Villeneuve.

dimanche 11 décembre 2016

Vaiana, la légende du bout du monde

Alors que les studios Disney reculent chaque jour davantage les limites en termes d’animations qui se veulent, à juste titre, toujours plus belles et impressionnantes, ils ne sont pas à l’abri d’une panne d’inspiration concernant les thèmes et le traitement de leurs histoires qui ont parfois du mal à se renouveler. Vaiana en est le plus récent exemple et pas le moins décevant.
Reprenant à son compte la culture et les légendes des peuples d’Océanie, les spectaculaires paysages de ces îles paradisiaques, ce nouveau film d’animation met en scène une jeune fille intrépide et rebelle, fille d’un chef et qui n’aura de cesse de s’élever contre les traditions ancestrales de son peuple pour sauver son île et se trouver elle-même. Il flotte comme une impression de déjà vu ? Rien de plus normal car Vaiana reprend des ingrédients mille fois exploités auparavant et, chose plus grave, les scénaristes semblent s’enfermer eux même dans une impasse qu’ils n’ont eu de cesse de construire au cours des vingt dernières années. 
Prenons par exemple, le personnage de l’animal secondaire sensé aider l’héroïne dans sa quête et apporter les ressorts comiques à l’histoire (l’une des marques de fabrique de la firme) se réduit ici à un coq abruti inexpressif dont les running gags n’amusent plus vraiment au bout de la deux ou troisième fois, alors que le cochon au potentiel beaucoup plus intéressant reste à quai. Autre symptôme de ce passage à vide, le second degré et les clins d’œil qui desservent le film plus qu’ils ne le mettent en abîme. Ainsi, le demi -dieu Maui déclare à Vaiana qu’il va la frapper si elle se met à chanter, hors l’un des plus gros handicaps du film reste justement cette surabondance de chansons toutes plus pénibles les unes que les autres. 
On a l’impression que la mécanique tourne à vide et que personne ne tient la barre alors que le film enchaine presque mécaniquement les séquences chantées, émotives, chantées, effrayantes, chantées, comiques, chantées,… C’est d’autant plus dommage que le voyage de Vaiana regorge de moments de bravoure (l’attaque des pirates, les titans, le crabe géant) et que l’héroïne, malgré le poids des stéréotypes, reste attachante. 
Loin des grands classiques du genre, Vaiana se borne à être un spectacle impressionnant mais un peu vain, très éloigné de la Reine des Neiges pour ne citer que la plus récente réussite de Disney qui, malgré l’emballage marketing, se posait comme un conte en tous points dignes du niveau d’excellence du studio.

mercredi 16 novembre 2016

Tu ne tueras point

Il y a l’homme tiraillé par ses zones d’ombre, ses vieux démons et sa ferveur catholique, l’acteur charismatique et le réalisateur incroyablement doué et honteusement sous-estimé. Avec Hacksaw Ridge, Mel Gibson ajoute un jalon de plus à une filmographie qui devient de plus en plus exemplaire et indissociable de ses propres obsessions au fil du temps. 
Fidèle à ses thèmes de prédilection que sont la religion catholique et la souffrance (physique et morale), le réalisateur met en scène l’histoire vraie de Desmond, un jeune américain fervent religieux qui s’engage dans l’armée comme infirmier mais refuse de tenir une arme. Et c’est bien à un véritable chemin de croix que nous assistons, depuis son entrainement jusqu’à l’enfer de la bataille d’Okinawa, Desmond sera soumis à la tentation de tourner le dos à ses convictions par amour pour sa femme, il souffrira dans sa chair et son âme et dans un plan final quasi mystique, accédera à la grâce sans avoir renoncé une seule seconde à ses convictions. 
Présenté comme cela, Tu ne tueras point a tout pour rebuter le spectateur le plus ouvert. Ouvertement religieux, le personnage principal interprété par Andrew Garfield se présente de prime abord comme un garçon gentil, un peu niais et têtu. L’histoire glorifie la non-violence au nom d’un idéal religieux que l’on est en droit de trouver naïf. Le réalisateur creuse encore davantage un sillon déjà bien entamé avec Braveheart, Apocalypto et surtout la Passion du Christ. Alors oui, on pourrait y aller à reculons. Et pourtant la magie opère. 
Tu ne tueras point est un film majeur, captivant de bout en bout, dirigé de main de maitre par un réalisateur en pleine possession de ses moyens et un directeur d’acteur hors pair. Car l’une des plus grandes réussites du film est sans conteste son casting, impeccable de bout en bout. Vince Vaughn est né pour ce rôle de sergent instructeur que n’aurait pas renié le Stanley Kubrick de Full Metal Jacket. Sam Worthington campe un capitaine plus vrai que nature avec une douceur qui cache une autorité jamais démentie par ses hommes. Hugo Weaving hérite peut être du plus beau rôle du film, un père alcoolique et traumatisé par une guerre qui lui ravit ses fils et qu’il habite avec une pudeur et une retenue rarement vues à l’écran. Sans oublier Teresa Palmer, Rachel Griffiths, Luke Bracey et tous les autres. Mel Gibson a eu l’intelligence de s’entourer de comédiens hors pairs qui participent à la cohésion d’un film choral d’une lisibilité exemplaire. 
Alors que l’histoire enchaine les passages obligés (l’enfance, la relation amoureuse, l’entrainement militaire) avant de nous plonger dans l’enfer de la guerre, chaque partie s’avère non seulement passionnante mais déterminante dans la construction de l’homme que va devenir Desmond. Aussi à l’aise dans la légèreté (les passages comiques sont nombreux) que l’action pure (les assauts contre les japonais renvoient directement à la sauvagerie mais également la maitrise de la scène d’ouverture d’Il faut sauver le soldat Ryan), Mel Gibson ne choisit évidemment pas cette histoire au hasard. Il met en scène un homme de conviction qui connait l’enfer et interroge son dieu pour mieux renaitre de ses cendres, porté par sa foi religieuse. Le parallèle serait tentant entre ce jeune soldat et le réalisateur. On se contentera de saluer l’un des meilleurs films de l’année, tout simplement.

mercredi 12 octobre 2016

Don’t breathe – La maison des ténèbres

Un peu trop rapidement propulsé nouvelle star montante de l’horreur avec un remake inégal d’Evil Dead, Fede Alvarez revient sur le devant de la scène avec un thriller qui présente à peu près les même caractéristiques. Tendu et sans temps mort, efficace et plutôt bien réalisé, Don’t breathe n’en reste pas moins un huis clos classique qui ne révolutionne pas le genre. Capitalisant sur le thème du chasseur chassé et allant piocher dans quelques références du genre (Cujo, Le sous seul de la peur), le réalisateur uruguayen met en scène trois jeunes adultes issus des classes moyennes de Détroit qui cambriolent des maisons huppées pour s’offrir une vie meilleure. Jusqu’au jour où ils entrent dans la mauvaise demeure. Un film d’épouvante ou d’horreur tient en grande partie au charisme de son méchant et c’est peut-être là l’une des principales faiblesses du film. Si Stephen Lang joue bien son rôle, on ne peut s’empêcher de penser qu’il représentait une menace plus oppressante dans Avatar en militaire jusque boutiste. Son personnage de vétéran psychopathe qui tourne son handicap à son avantage pour traquer ses proies dans le noir ne se révèle vraiment que dans les dix dernières minutes déviantes du film. S’il fonctionne bien sur le papier, la figure de l’aveugle pervers qui utilise principalement des armes à feu n’est jamais vraiment traumatisante. Ajoutons à cela une caméra souvent trop démonstrative (le gros plan sur le marteau lors de la visite de l’atelier par exemple), des mises à mort relativement soft pour un film interdit aux moins de 16 ans, et on en ressort un peu frustré. D’autant plus que le réalisateur se montre doué pour filmer une course poursuite haletante, accumulant les rebondissements jusqu’à un climax poisseux à souhait. Don’t breathe se révèle donc un bon thriller horrifique mais surement trop balisé pour rester dans les mémoires de cinéphiles.

lundi 26 septembre 2016

Juste la fin du monde

Xavier Dolan est un roublard qui utilise pour parvenir à ses fins des ficelles tellement grosses qu’elles devraient nous rester en travers de la gorge. Sauf qu’il combine tellement roublardise et talent que la formule, toute prévisible qu’elle soit, fonctionne, la plupart du temps. 
En adaptant pour son dernier film une pièce de théâtre servie par des acteurs français, le réalisateur n’évite pas certains écueils qui éloignent Juste la fin du monde du coup de boule émotionnel que reste à ce jour Mommy. Très, parfois trop écrit, le scénario ne laisse pas toujours une place suffisante aux cinq interprètes qui déroulent pourtant une partition intéressante. 
Mis à part un Gaspard Ulliel souvent agaçant derrière un mutisme un peu poseur, la famille comme d’habitude dysfonctionnelle chez Xavier Dolan, constitue un véritable champ de bataille heureusement apaisé par le personnage de Marion Cotillard que l’on n’a pas vu aussi juste depuis longtemps. Entre Nathalie Baye grimée à l’excès (les mères sont de toute façon physiquement et psychologiquement excessives chez le réalisateur), Léa Seydoux en jeune adulte paumée en manque de modèle et Vincent Cassel sur le point d’exploser à chaque instant, Louis a bien du mal à annoncer sa mort prochaine, à trouver sa place au sein de ce clan dont il s’est éloigné, et à se retrouver lui-même, entre souvenirs d’enfance, rendez-vous manqués et futur incertain. 
Et c’est bien de la difficulté d’exprimer nos sentiments dont il est question, particulièrement entre membres d’une même famille qui s’aiment au moins autant qu’ils se haïssent. Toujours juste sur les dialogues et malgré une direction d’acteurs un peu trop figée, Xavier Dolan use de la musique comme il l’avait fait dans Mommy pour exacerber trop facilement des sentiments ou des moments clefs partagés par les protagonistes. Et comme dans son précédent film le procédé fonctionne, on se laisse entrainer par ce tourbillon d’engueulades et d’injures, de cris et de pleurs qui cachent mal une tendresse trop difficile à exprimer. 
Toujours entier, pour ne pas dire excessif, Xavier Dolan dépeint en frôlant parfois la caricature ces deux frères que tout oppose dans une perpétuelle confrontation émotionnelle, incapable de se sauver l’un l’autre et encore moins de se comprendre. En dépit de quelques moments de longueur, Juste la fin du monde marque un jalon supplémentaire sur le chemin que suit un réalisateur aussi brillant qu’agaçant.

jeudi 18 août 2016

Dernier train pour Busan

Gros phénomène en Corée du Sud dont est originaire le film, Dernier train pour Busan débarque enfin sur nos écrans en plein milieu de l’été après avoir fait son petit effet en séance de minuit sur la Croisette. A la croisée des chemins du film catastrophe et d’infectés (sans vouloir pinailler il ne s’agit pas de zombies), la première réalisation live du sud-coréen Sang-Ho Yeon apparait comme un savant mélange de films d’horizons différents assemblés pour donner un hybride tantôt impressionnant d’efficacité, tantôt laborieux dans ses passages les plus chargés émotionnellement. 
Avec son évasion d’infectés contaminés par un virus mortel, Dernier train pour Busan renvoie bien évidemment aux précédents films de Danny Boyle (28 jours et 28 semaines plus tard) mais encore davantage à la dynamique du plus récent World War Z, particulièrement dans ses séquences les plus impressionnantes (les infectés agrippés aux hélicoptères ou agglutinés et trainés par une locomotive, les vitres brisées sous la pression des assaillants). Alors que le lieu même de l’action (un train) n’est pas sans rappeler un autre film sud-coréen, Snowpiercer, Dernier train pour Busan calque exactement sa trame à la grande tradition des films catastrophes, le contexte politique compris. Un lieu clos (le fameux train donc) dans lequel se trouvent enfermés un groupe d’individus confrontés à une menace extérieure (coucou the Mist), lequel groupe ne figure rien d’autre qu’une société miniature. 
Chaque personnage se trouve donc caractérisé selon une trame bien établie, de l’arriviste repenti au couard opportuniste mais puissant qui distille un mélange d’autorité et de rejet, du groupe de jeunes au couple sympathique, on devine dès le début qui survivra, ou pas, à la fin de l’histoire. Enfin presque car de ce point de vue le réalisateur se montre plutôt dur, acheminant son film vers un final qui lorgne ouvertement du côté de la Nuit des morts vivants sans toutefois oser conclure de façon aussi nihiliste que George Romero en 1968. Original, le film ne le sera donc que pour ceux qui n’ont pas ses illustres modèles en tête. 
Il n’en reste pas moins que le film possède une personnalité singulière avec un héros antipathique auquel on peine à s’identifier, des séquences d’attaques fulgurantes et vraiment impressionnantes, une scène d’ouverture originale et des personnages particulièrement réussis comme la femme enceinte et son mari interprétés respectivement par les très bons Yu-mi Jeong et Dong-seok Ma. 
Trop long, le film aurait gagné en intensité avec vingt minutes de moins, alourdi par des personnages secondaires trop nombreux et pas suffisamment développés (on aimerait en savoir davantage sur ces deux sœurs qui voyagent ensemble pour expliquer ce qui motive le geste de la cadette), handicapé par un jeu d’acteur parfois théâtrale, notamment lors des scènes sensées être les plus touchantes, Dernier train pour Busan reste néanmoins un bon film d’action plaquant les codes des films catastrophe sur une histoire d’infectés à l’échelle d’un pays. Rien de vraiment nouveau donc mais un habile enchevêtrement qui tient la route.

Instinct de survie - The Shallows

Soyons honnêtes, l’intérêt principal de cet Instinct de survie réside dans une Blake Lively en bikini et au meilleur de sa forme luttant pendant une heure trente pour échapper aux crocs d’un requin un peu énervé. Et de ce point de vue, le film tient toutes ses promesses. 
Porté à bout de bras par l’actrice présente dans pratiquement tous les plans, Instinct de survie se montre généreux en exotisme aussi bien qu’en suspens et en séquences chocs. Solide artisan et réalisateur aguerri (La maison de cire et Esther restent d’excellentes séries B), Jaume Collet-Serra nous livre un nouveau film de genre qui, s’il ne restera pas au panthéon des films de requins, n’a pas à rougir de ses glorieux prédécesseurs.
Si nous sommes loin du mythique Les dents de la mer qui restera encore longtemps le maitre étalon du genre, de l’angoisse distillée par The Reef et du plaisir décomplexé de Peur Bleu, Instinct de survie demeure cependant bien plus jouissif qu’un Open Water de triste mémoire. 
Bien sûr, le film n’évite pas certains écueils comme le très dispensable pathos familial qui accompagne l’héroïne tout au long de son périple, la première sortie surf de Nancy filmée comme un clip publicitaire, ou la trop faible caractérisation des personnages secondaires. Centré autour de Blake Lively qui livre une prestation fort convaincante, l’histoire laisse de côté tout autre protagoniste, réduisant à néant l’implication du spectateur lorsque certains se font croquer par le requin. De plus, le réalisateur choisit (mais est-ce vraiment un choix délibéré ?) de faire de son prédateur un simple animal. Un requin certes dangereux et vindicatif mais loin de la dimension quasi mythologique, de la Bête surgit du néant qui entourait le requin des Dents de la mer, et dans une moindre mesure The Reef. 
Une fois accepté ce positionnement ainsi que quelques raccords malheureux (les lèvres de Nancy sont méchamment gercées, ou pas, selon les plans), on se laisse porter avec plaisir vers un final, sinon vraisemblable, en tout cas suffisamment bestial pour justifier tout le plaisir que procure le film. Épaulé par la musique du très prolifique Marco Beltrami, des effets spéciaux convaincants, une réalisation solide et l’omniprésence de la sculpturale Blake Lively, Instinct de survie demeure un film efficace, sans autre prétention que de nous procurer notre lot de frissons, de plaisir ou de peur, ce qui reste la plus noble des causes.

mardi 26 juillet 2016

American Nightmare 3 : Elections

Voici déjà le troisième opus d’une série reposant sur un pitch simple mais génial : au cœur d’une Amérique gangrénée par la violence, le gouvernement instaure l’impunité générale pour tous les crimes commis au cours d’une seule nuit par an, la nuit de la Purge. Ce qui devait à l’origine canaliser la violence d’une société à la dérive se transforme bientôt en instrument politique visant à nettoyer les villes des classes les plus défavorisées pour asseoir encore davantage la domination des Nouveaux Pères de la Nation. 
Car alors que le premier épisode d’American Nightmare se focalisait sur une famille tentant de survivre à cette fameuse nuit, ce nouvel opus éclate la cellule familiale au niveau d’une ville toute entière, puis d’un pays en pleine campagne présidentielle. Si les ingrédients de base restent les même (ultra violence du citoyen ordinaire qui se transforme en tueur en puissance lorsqu’on lui lâche la bride, survival construit autour d’un groupe d’individus qui tente de rester vivant jusqu’au matin), American Nightmare 3 : Elections gravit un échelon supplémentaire dans le pamphlet en faisant de la Purge une ligne de conduite politique et religieuse. 
Et c’est là que le film prend tout son sens, à la fois divertissement bourrin décomplexé et charge au bulldozer contre une élite sociale qui se travestit dans ses oripeaux nationaliste et religieux pour mieux écraser des pauvres qui n’ont même plus le droit de vivre. Point de message subliminal dans ce film qui se revendique comme une pure série B dans la tradition du genre, avec ses méchants qui roulent outrageusement des yeux, son (anti) héro à peine sympathique à force de serrer les mâchoires et ses seconds rôles qui meurent les uns après les autres. 
Une sympathique série B qui s’assume comme telle donc, néanmoins parsemée de scène réellement effrayantes lorsque le chaos envahit les rues. On se souvient longtemps après être sorti de la salle de cette guillotine noyée dans le brouillard, de cet arbre aux pendus autour duquel dansent des silhouettes fantomatiques, ou encore de ces masques cauchemardesques qui dissimulent peut être votre voisin ou votre meilleur ami venu régler ses comptes. 
Moins abruti qu’il ne le laisse apparaitre au premier abord dans son approche d’une société de classes finalement pas si lointaine, American Nightmare 3 : Elections demeure un film d’action horrifique efficace qui n’en oublie pas pour autant de nous projeter en pleine figure le miroir déformant de nos pulsions les moins avouables.

mardi 5 juillet 2016

Conjuring 2 : le cas Enfield

En 2010 avec Insidious, puis en 2013 avec Conjuring : Les dossiers Warren, James Wan prouve qu’il est l’un des rares réalisateurs à savoir instiller une peur véritable aux spectateurs, l’équivalent d’un Hideo Nakata avec la même propension à graver dans notre esprit des visions cauchemardesques qui ne sont pas prêtes de s’effacer. La tentation de donner suite à Conjuring et d’explorer les dossiers Warren était grande. Bonne nouvelle, cette nouvelle aventure des enquêteurs paranormaux est toujours dirigée par James Wan. Mauvaise nouvelle, ce dernier n’a pas pu résister au piège de la surenchère. 
Précisons dès le départ que Conjuring 2 : le cas Enfield est un bon, voir un très bon film, réalisé avec talent et servi par une galerie d’interprètes de premier ordre. La reconstitution de l’époque, des posters dans la chambre des filles Hodgson aux costumes et matériels utilisés pour enregistrer les phénomènes paranormaux (clin d’œil d’Ed Warren qui s’extasie devant la légèreté et la maniabilité de la caméra qu’il porte sur l’épaule) est parfaite, le contexte social difficile auquel est confrontée la famille Hodgson est retranscrit avec justesse et l’ensemble des protagonistes servent leurs personnages avec une précision qui force le respect. En premier lieu le couple attachant que forment la formidable Vera Farmiga et le non moins juste Patrick Wilson. 
Un couple que ce deuxième épisode nous permet de mieux connaitre et qui ressert encore les liens qui les unissent. Et c’est là toute la force de James Wan que d’aimer ses personnages, de leur conférer une véritable identité qui sert d’autant plus le sujet du film et en renforce l’impact. Car si le thème reste classique (un autre cas de possession démoniaque et de maison hantée), c’est tout autant l’environnement social et familial que les phénomènes paranormaux qui donnent au film sa force.
Bien sûr, on retiendra à la sortie la succession de scènes destinées à faire sursauter le spectateur, appuyées par une musique de circonstance et des visions la plupart du temps réellement traumatisantes. La plupart du temps, car le recours maladroit aux effets numériques pour donner vie au bonhomme tordu cassent le rythme en montrant trop explicitement ne menace qui aurait gagné à rester dans l’ombre. 
En faisant appel un peu trop systématiquement aux jump scare et aux effets sonores, le réalisateur tombe parfois dans une surenchère facile qui au final dessert le film plus qu’il ne le renforce. Il n’en reste pas moins que James Wan ne vend pas son âme au diable avec une dernière scène où il met en scène Ed et Lorraine Warren amoureusement enlacés là ou bien d’autres auraient opté pour un énième effet horrifique. Il en ressort que les personnages deviennent plus intéressants que les fantômes qui les hantent, et c’est là toute la force d’un film certes parfois inégal mais encore largement supérieur à la production actuelle d’épouvante.

Le monde de Dory

La mise en chantier des suites des premiers succès du studio Pixar est toujours un exercice périlleux, non pas en termes de rentabilité (il est toujours plus facile de parier sur une franchise qui a fait ses preuves que de se lancer dans une aventure inédite) mais d’un point de vue artistique. Entre de franches réussites (Toy Story) et des réalisations plus mitigées (Monstres Academy), Pixar, malgré ses récentes déclarations, ne semble pas près de lâcher des filons lucratifs avec en ligne de mire Cars 3, Toy Story 4 et Les Indestructibles 2. 
Le monde de Dory n’est pas une suite à proprement parlé mais un spin off qui reprend donc les aventures d’un personnage secondaire mais au combien attachant du Monde de Nemo, la fameuse Dory et ses problèmes de mémoire immédiate. 
Entre un début touchant qui met en lumière une Dory bébé couvée par ses parents et un final absolument irrésistible qui emprunte au passage la scène finale de Thelma et Louise, force est de constater que le film souffre de quelques faiblesses. 
Le scénario d’abord, qui n’est autre qu’une adaptation à peine masquée des aventures de Nemo avec cette fois une inversion des rôles puisque le petit poisson clown et son père Marin sont les compagnons de voyage d’une Dory qu’ils n’auront de cesse de pourchasser à travers des lieux aussi insolites que périlleux. Le film souffre également du manque de personnages vraiment méchants, à l’instar de la bande de requin du premier épisode. Mise à part une scène assez brève avec une pieuvre impressionnante, les protagonistes affrontent des difficultés liées à leur environnement plutôt qu’un ennemi personnifiant le danger. Et sans méchant digne de ce nom un film apparait souvent comme déséquilibré, à quelques exceptions près (Wall-E) qui font figures de miracles. 
Si quelques scènes trainent un peu en longueur (l’aquarium avec les mains menaçantes des enfants), Le monde de Dory possède cependant une personnalité décalée avec une galerie de personnages tous plus étranges les uns que les autres. Les loups de mer, les oiseaux (qui sont les seuls protagonistes de la saga à ne pas être dotés de parole), Claire Chazal (…), toutes ces entités contribuent à un ton à part, presque surréaliste qui confère au film une lecture à double sens comme c’est souvent le cas chez Pixar. 
Le voyage de Dory, tout comme celui de Nemo, est donc autant un parcours initiatique qu’une véritable quête. Emancipation pour Nemo, prise de conscience et gestion d’un handicap pour Dory, chacun trouve au bout du chemin bien plus que ce qu’il cherchait initialement. Loin des plus récentes réussites du studio (Vice Versa), le monde de Dory n’en reste pas moins un exercice réussi, un film d’animation intelligent et chargé d’émotions, une aventure certes inégale mais au cours de laquelle on ne s’ennuie pas, ce qui est déjà beaucoup.

mardi 21 juin 2016

The Witch

1630, Nouvelle Angleterre. Bannis de leur colonie, les membres d’une famille s’établissent à l’écart de toute civilisation à la lisière d’une forêt profonde. Après la mystérieuse disparition de leur nouveau-né, des évènements aussi étranges que tragiques s’enchainent et rien, pas même leur croyance chevillée au corps, ne semble pouvoir les protéger d’un danger imminent autant que surnaturel. 
On peut trouver la mise en scène de Robert Eggers pesante et démonstrative, le jeu des acteurs un tantinet théâtral, à raison, ils le sont. Il n’empêche qu’il se dégage de ce film indépendant une atmosphère assez unique et suffisamment de thèmes sous-jacents pour que l’on s’y attarde. 
Loin d’être la nouvelle bombe d’épouvante annoncée, le film est plus inquiétant que réellement effrayant, The Witch n’en demeure pas moins un exercice de style tout sauf vain. Car le réalisateur a d’abord l’intelligence de suggérer plus que de montrer explicitement les manifestations démoniaques. Un gros plan sur un lapin aux yeux exorbités, l’omniprésence d’un bouc noir ou l’esquisse du sacrifice puis du pilonnage (…) d’un bébé confèrent ainsi au film une tension et une aura d’autant plus malsaines. 
Refusant la facilité des jump scares, Robert Eggers choisit de nous faire partager le quotidien d’une famille de colons croyants et pratiquants à l’extrême, face à une nature qui n’entend pas se laisser dominer aussi facilement. A ces deux thèmes majeurs que sont la religion et la nature s’ajoute l’éveil à la sexualité de deux adolescents frère et sœur. Au rigorisme de la religion incarné par une mère bigote que l’on imagine sans mal se recueillir aux pieds des bûchers s’opposent une nature sauvage et des corps impatients corsetés par une morale castratrice. Il en résulte une avalanche d’évènements aussi perturbants que dangereux qui conduiront toute la famille dans un ultime bain de sang libérateur. 
Des évènements qui pourraient tout aussi bien être le fruit d’une hallucination collective que d’une sorcière. Et c’est bien là tout le mérite de ce film qui puise son imagerie dans les peintures de Jérôme Bosch et de Johannes Vermeer que de nous laisser libre de nous faire notre propre opinion. Car n’oublions pas que nombre de sorcières n’étaient autres que les premières féministes qui osèrent se rebeller contre un ordre social et religieux matriarcaux qui les cantonnaient au second plan. 
Beau et envoutant, campé par des interprètes en totale osmose avec leurs rôles, The Witch souffre parfois d’un manque d’audace qui en ferait un vrai grand film d’épouvante comme ce fut le cas pour It Follows. Il n’en reste pas moins un film soigné et anxiogène qui parle de sexe, de religion et de sorcellerie, ce qui est déjà beaucoup.

vendredi 10 juin 2016

Elle

Ce qui surprend en premier lieu dans le nouveau Paul Verhoeven, c’est son absence totale d’érotisme. Les personnages baisent ou parlent plus ou moins ouvertement de sexe une scène sur deux, la sexualité libre, refoulée ou imposée est l’un des thèmes centraux du film qui pourtant ne laisse apparaitre que malaise et sadisme, perversion (physique et morale) et animosité, mais jamais d’érotisme qui demeure pourtant l’une des marques de fabrique du réalisateur hollandais. 
Qu’il soit délibérément absent de ses histoires pour marquer le totalitarisme des sociétés décrites (Robocop, Starship Troopers) ou au contraire magnifiquement exacerbé (La chair et le sang, Basic Instinct, Black Book et même Show Girls), le sexe chez Paul Verhoeven est toujours intimement lié à la violence et à la mort. Perverti à outrance dans Elle, le sexe apparait davantage comme une ultime manière d’exister pour des personnages à la dérive que comme une véritable source de plaisir. Brutal ou apathique, les relations charnelles entre les protagonistes de Elle ne mène à rien sinon au néant. Et c’est bien ce vide abyssal qui se cache derrière de fragiles bonnes manières que le réalisateur se plait à mettre en scène. 
En plantant son décor dans la bourgeoisie parisienne, Paul Verhoeven filme avec délectation une galerie d’hommes et de femmes qui tutoient la folie, et dont le vernis civilisé craque sous la pression de pulsions peu avouables. On pense bien sûr à Claude Chabrol mais aussi au David lynch de Blue Velvet et au Luis Buñuel du Charme Discret de la Bourgeoisie. Si le choix d’Isabelle Huppert, parfaite dans le rôle de cette femme qui, sous couvert de contrôle de sa vie frôle constamment l’abime, parait s’imposer comme une évidence (comment ne pas penser à La Pianiste ?), on ne peut que regretter l’absence d’une Sharon Stone un moment envisagée pour interpréter Michèle. Le film aurait gagné en sensualité ce qu’il aurait peut-être perdu en folie malsaine mais lorsque l’on sait comment le réalisateur transcende ses rôles féminins, on peut trouver dommage qu’il n’ait pas opté pour une interprète moins glaciale. 
Au final, Elle ressemble presque à un aparté surréaliste dans la filmographie du cinéaste, un film qui oscille constamment entre comique décalé, thriller (encore que cet aspect soit de loin le moins intéressant) et autopsie brutale d’une certaine frange de la société française. Un film étrange dont on ressort dubitatif, partagé entre malaise, amusement et circonspection.

lundi 23 mai 2016

X Men : Apocalypse

Autant le dire tout de suite, après les belles réussites que furent First Class et Days of Future Past, X Men : Apocalypse déçoit. Loin de la maitrise scénaristique, du contexte politique et des enjeux dramatiques de ses prédécesseurs, le nouveau film de Bryan Singer fait office de divertissement honnête, de blockbuster solide mais vidé de l’âme qui faisait le charme et l’essence même de la série X Men jusqu’à présent (non, l’épisode de Brett Ratner n’existe pas). 
Affaibli par un méchant au design pour le moins hasardeux que l’on pourrait croire sorti tout droit d’un épisode de X-Or, sans véritables enjeux si ce n’est une énième domination du monde par un super vilain et l’éternelle confrontation entre Magnéto et le professeur Xavier, Apocalypse souffre d’un scénario basique qui ne semble exister que pour aligner un maximum de personnages à l’écran. Si le film reste un spectacle choral solidement réalisé et toujours bien interprété, on pouvait cependant attendre davantage qu’un film de super héros à peine plus profond qu’un Avengers 2. 
Il n’en reste pas moins qu’Apocalypse multiplie les séquences jouissives pour tout fan qui se respecte, du clin d’œil à l’Arme X à un Phénix Noir en devenir, ou encore les apparitions toujours très cool de Vif Argent sur fond de musique pop. Introduisant de nouveaux personnages souvent intéressants dont une Tornade en devenir (d’origine égyptienne ???), une jeune Phénix parfaitement habitée par Sophie Turner qui réussit son passage sur grand écran et une Psylocke très réussie que l’on devrait retrouver sous peu, le film peine néanmoins à les faire exister en dehors de quelques combats vite troussés. 
Mais avant d’intégrer un nouveau méchant d’envergure comme le laisse entendre une scène post générique moins accessible que d’habitude, les studios devront prendre conscience que la poule aux œufs d’or pourrait bien dépérir très rapidement si la qualité n’est pas au rendez-vous comme ce fut le cas jusqu’à présent pour une saga d’une qualité et d’une ambition remarquable (non, l’épisode de Brett Ratner n’existe toujours pas).

lundi 16 mai 2016

Captain America : Civil War

En reprenant l’un des arcs narratifs les plus célèbres de l’écurie Marvel (Civil War), Anthony et Joe Russo réussissent à synthétiser en un seul film Captain America 3, Iron Man 4 et Avengers 3. Car tout le monde ou presque répond présent dans cette nouvelle aventure du groupe de justiciers qui les oppose à l’ennemi le plus redoutable qui soit : eux même. 
L’évacuation des deux personnages les plus puissants en termes de force brute (Thor et Hulk) n’est d’ailleurs pas anecdotique car hormis quelques exceptions (Vision et la Sorcière Rouge), les supers héros qui s’affrontent au nom d’une conception radicalement différente de leur statut ne possèdent pas de pouvoirs démesurés mais font plutôt figure d’hommes ou de femmes « augmentés ». Agents surentrainés (La Veuve Noire, le Soldat de l’Hiver ou Œil de Faucon), suréquipés (Iron Man, le Faucon ou War Machine), la plupart restent humains avec leur fragilité et leurs faiblesses. Et c’est là l’intérêt de ce Civil War que de repositionner les combats à une dimension moins dantesque que dans les deux premiers Avengers, renouant en cela avec le deuxième opus de Captain America qui reste encore aujourd’hui l’un des modèles du genre. 
En effet, ce que les affrontements pourraient perdre en démesure, ils le gagnent en intensité à tel point que l’on a rarement vu des coups portés aussi violents dans un film illustrant l’univers Marvel. Que ce soit dans la première séquence en Afrique ou dans l’affrontement entre les deux groupes de supers héros, qui sont d’ailleurs les deux scènes d’action les plus réussies du film, Captain America et sa bande cognent secs. Le sang coule et, dans le sillage de Batman vs Superman, on évoque les morts provoqués par les affrontements titanesques des deux premiers Avengers. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre les deux films qui traite, à travers l’affrontement de deux super héros ou groupe de supers héros, un positionnement pour le moins différent par rapport à la société qu’ils sont censés protéger. 
Sans être pour le moment aussi définitif que le comic dont il s’inspire, Civil War réussit son pari de prolonger l’univers Marvel par l’introduction plutôt réussi de nouvelles figures (la Panthère Noire) ou de héros issus de films antérieurs (Ant Man et Spiderman). L’homme araignée est d’ailleurs le nouveau personnage le plus réussi du lot, maniant avec bonheur humour et action et repositionnant Peter Parker comme un adolescent qui expérimente ses super pouvoirs avec une joie presque enfantine. 
Moins intéressant que Le soldat de l’Hiver par le traitement de ses personnages mais beaucoup plus réussi qu’Avengers 2, Civil War ouvre la porte à un nouveau cycle qui pourrait se révéler passionnant s’il est traité correctement. Il est d’autant plus dommage, et inquiétant, que les réalisateurs désamorcent toute la tension construite pendant le film avec une dernière scène consensuelle (la lettre de Captain America) qui laisse entrevoir une possible réconciliation alors que l’essence même de Civil War est justement cette cassure irréparable qui changera l’univers Marvel pour toujours.

dimanche 8 mai 2016

Braqueurs

Julien Leclercq ne s’en cache pas, il voue une grande admiration au cinéma de Michael Mann, au point d’avoir acheté pour Braqueurs une partie du bruitage des fusillades de Heat (douilles éjectées, culasses qui claquent, impact des balles, détonations) qui conféraient au film sa tonalité si particulière. Et Braqueurs suit clairement la trace de son auguste modèle. 
Par son ancrage profondément urbain d’abord. Sans égaler l’esthétique du réalisateur américain, Julien Leclercq s’attache à donner à son film un côté profondément réaliste qui passe avant tout par ses personnages et ses scènes d’actions. Braqueurs de banques ou dealers d’héroïnes, les protagonistes qui se croisent et s’affrontent paraissent tous crédibles grâce à une distribution sans strass mais d’autant plus solide menée par un Sami Bouajila aussi sobre que charismatique. Les personnages de Braqueurs sont issus des banlieues, de toutes origines ethniques et des classes sociales les moins favorisées. Blancs, noirs ou rebeus, le réalisateur parvient à caractériser chaque rôle en quelques plans et à faire exister ses nombreux protagonistes tout au long de l’histoire. Les scènes de fusillades qui servent à faire avancer l’histoire, ce qui n’est pas toujours le cas dans le genre codifié du thriller, sont parfaitement maitrisées et crédibles, filmées au plus près de l’action avec un constant souci d’immersion de la part du réalisateur. 
Si Braqueurs se montre redevable à l’univers de Michael Mann, c’est aussi à travers le personnage de Yanis interprété par Sami Bouajila. Un grand frère protecteur, un fils répudié et un homme solitaire, constamment sur le fil du rasoir. Un chef de bande qui parle peu et qui ne vibre plus que par les braquages qu’il planifie des semaines à l’avance. Un personnage que l’on pourrait retrouver dans Heat et qui a plus d’un point commun avec Neil McCauley joué par Robert De Niro. 
Concis, sec et nerveux, Braqueurs nous embarque dès les premières minutes au sein de cette communauté hors la loi qui vit en marge de la société, des hommes aux motivations aussi multiples que leurs personnalités et leurs vécus. Loin des clichés habituels, Julien Leclercq invoque la banlieue parisienne et prolétaire plutôt que les boites de nuit luxueuses comme décor de son intrigue. Quand les braqueurs fêtent leur prise de butin, c’est dans un restaurant asiatique et quasiment en famille, pas dans une boite avec des rails de coke. Lorsque le réalisateur filme une scène de sexe, il évite les bimbos siliconées et les putes de luxe pour laisser place à un ouvrier et une serveuse qui font l’amour comme on s’accrocherait à une bouée de sauvetage, et cela n’en est que plus beau. 
Loin d’être une pâle copie de ses grands frères américains, Braqueurs prouve une fois de plus l’excellent santé du polar français, et on ne peut que s’en féliciter.

samedi 30 avril 2016

Green Room

Précédé d’une réputation flatteuse acquise dans les festivals où le film a fait grande impression, Green Room débarque enfin sur les écrans français. 
L’histoire se résume à une intrigue toute simple. Un groupe de punk rock qui galère à trouver des dates de concert échoue au fin fond de l’Orégon dans un bar qui se révèle être le repère d’une bande de skinheads armés et dangereux. Témoins d’un meurtre malgré eux, les membres du groupe se voient alors assiégés par le redoutable Darcy Banker et sa bande de nazillon bien décidés à éliminer ces témoins gênants. S’ensuit un jeu de massacre où les plus sauvages ne seront pas forcément ceux que l’on croit. 
Sans révolutionner le genre du thriller horrifique, le nouveau film de Jeremy Saulnier figure tout de même parmi les très bonnes surprises de cette année. Jouant sur une quasi unité de temps et de lieu, Green Room déroule des scènes tendues d’assaut et de fuite autour de cette fameuse pièce où les protagonistes n’en finissent pas de revenir, toujours moins nombreux après chaque tentatives d’évasion. 
Refusant le rythme syncopé de la plupart des films d’actions actuels, Jeremy Saulnier instaure en quelques plans une atmosphère à la fois nerveuse et malsaine, jouant à la fois sur les décors, la distribution (mention spéciale à quelques gueules bien choisies parmi les skinheads) et des exécutions sauvages qu’il déroule avec une belle constance. Chiens de combat, machette, fusil, pistolets, tous les moyens sont bons pour trucider son prochain et tenter de survivre à une nuit de siège. 
Si les propos et les manœuvres du dirigeant d’extrême droite Darcy Banker interprété par un Patrick Stewart somme toute assez peu inquiétant semblent parfois assez confus, la bande son, le montage et l’énergie qui émanent de Green Room font de ce film un excellent défouloir et de Jeremy Saulnier un réalisateur à suivre.

dimanche 27 mars 2016

Batman vs Superman : l’aube de la justice

Quelques jours à peine après la sortie de l’Aube de la justice, on a tout écrit ou presque sur le nouveau film de Zack Snyder. Réponse évidente de DC Comics à l’écurie Marvel, longue bande annonce de la franchise Justice League annoncée l’année prochaine, mise au pilori d’un Ben Affleck déjà crucifié dès l’annonce de son rôle dans le costume du justicier de Gotham, etc, etc. S’il reste évident que Zack Snyder demeure un formaliste hors pair, il serait pour le moins hasardeux de le cantonner à un exercice de style certes réussi visuellement mais un peu vain parce que des super héros drapés dans leurs capes qui se cognent dessus ce n’est finalement pas très profond. 
En mettant en scène deux icones du panthéon super héroïque, le réalisateur prend à contrepied la vision résolument décomplexée d’un Joss Whedon qui fait de ses Avengers des figures pop avant d’être tragiques. Car c’est bien de tragédie qu’il s’agit ici. 
Plus semblables qu’il n’y parait (orphelins, leur mère porte le même prénom et aussi bien Superman que Batman sont présentés en marge d’une société qu’ils s’échinent à préserver des forces du mal), les deux justiciers n’en sont pas moins aussi proches des criminels qu’ils combattent que des institutions qu’ils défendent. En effet, Superman nous est d’entrée présenté comme un tueur de masse qui sacrifie des milliers de civils, dommages collatéraux de ses affrontements avec le Général Zod. C’est d’ailleurs l’occasion pour le réalisateur de nous plonger dans l’envers du décor, ce qu’il se passe réellement lorsque des surhommes prennent une ville comme champ de bataille. Héros doublement orphelin (de ses parents biologiques et de son père d’adoption), étranger apatride et pourtant image même de la figure héroïque toute puissante, Superman prend toute sa dimension face à un Batman plus névrosé que jamais. Car si le kryptonien sacrifie sans le vouloir des populations entières, le chevalier noir lui agit comme un vigilante qui s’assume pleinement. Si les morts ne sont pas explicitement montrés, Batman mutile ses victimes en les marquants au fer rouge ou en brisant allégrement bras et jambes, s’érigeant en juge et bourreau sans le moindre état d’âme. 
Au milieu de ces deux figures ambigües, le film regorge de personnages aussi bien interprétés qu’écrits, que ce soit une Holly Hunter toujours parfaite dans le rôle de la sénatrice Finch ou une Amy Adams touchante en Loïs Lane qui ne se cantonne pas à jouer la demoiselle en détresse. 
Débarrassé de la lourdeur de la figure christique du Superman de Man of Steel et s’appropriant avec bonheur l’ambiguïté d’un Batman totalement incarné, n’en plaise aux pisses froids, par un Ben Affleck parfait dans son double rôle de Bruce Wayne / Batman, le réalisateur réussit à s’inscrire dans un film très codifié sans jamais renier son style. Car aucun doute ne subsiste dès les premières images du film, nous sommes bien devant un film de Zack Snyder. Comment ne pas penser aux Watchmens lors des dix premières minutes du film, ou à Sucker Punch lorsque le score guerrier de Hans Zimmer fait place à une musique plus rock et qu’apparait pour la première fois une Wonder Woman plus iconique que jamais ? 
Puissant, habité et passionnant dans sa première partie, le film bascule malheureusement dans l’affrontement bourrin et chorale lors d’un final convenu contre un Doomsday surgit de sa boite à la dernière minute. Si le film souffre d’un méchant d’envergure (Jesse Eisenberg peine à convaincre dans le rôle d’un Lex Luthor en devenir), on regrettera aussi et surtout l’absence totale au générique du nom de Franck Miller tant l’ombre de son Dark Knight plane sur tout le film. Dans l’affrontement entre les deux justiciers bien entendu, mais aussi au travers de l’armure de Batman, de son armement à base de kryptonite et de la vision onirique d’un chevalier noir poussiéreux dans un monde post apocalyptique qui semble tout droit sorti des pages des comics de Miller. 
Généreux et sincère dans son projet de représentation des figures super héroïques dans tout ce qu’elles comportent de plus ambigüe, Zack Snyder signe donc un film certes déséquilibré par son final mais plus intéressant que bien des adaptations sorties ces dernières années.

mercredi 16 mars 2016

Triple 9

Triple 9, c’est avant tout une distribution de malade. Entre autres gueules on y croise Chiwetel Ejiofor déjà remarqué dans 12 Years a Slave, Aaron Paul, Norman Reedus, un Woody Harrelson de plus en plus barré, Kate Winslet dans le rôle improbable d’une chef de clan mafieuse israélo russe, Gal « fucking Wonder Woman » Gadot et Casey Affleck, petit frère de Ben « fucking Batman » Affleck. 
Le danger avec un film choral est que chacun joue sa partition dans son coin sans se soucier de la cohérence du film. Il n’en est rien dans ce thriller nerveux et poisseux à souhait qui alterne avec bonheur d’incroyables scènes d’action (mention spéciale à la première séquence de braquage du film) et des face à face réjouissants. 
Refusant d’emblée la carte du thriller social, John Hillcoat opte pour une approche résolument décomplexée, invoquant tour à tour la mafia russe, les gangs latino-américains, les flics ripoux et/ou drogués, les travestis et les prostitués pour nous proposer un spectacle sans temps mort. Visiblement plus intéressé par la face obscure de ses personnages, le réalisateur nous plonge dans une galerie de protagonistes plus dérangés les uns que les autres. Policiers corrompus, anciens militaires et malfrats se croisent et s’entre tuent dans un ballet anarchique au sein duquel tente de surnager un excellent Casey Affleck, seule caution morale dans un univers pourri jusqu’à l’os. 
Assez confus lors des premières minutes à cause de la multitude des rôles, le film se structure rapidement, le réalisateur prenant soin de caractériser chaque personnage, frôlant parfois la caricature (la figure d’Irina Vlaslov interprétée par Kate Winslet aurait facilement pu déraper dans le ridicule) sans jamais desservir son film. 
Sans révolutionner le genre, Triple 9 se révèle comme un excellent thriller porté par des acteurs parfaitement calibrés pour interpréter des personnages noirs comme on les aime.

mercredi 2 mars 2016

The Revenant

Depuis Amours Chiennes, qui reste à ce jour son meilleur film, Alejandro González Iñárritu traite de survie. Survie des défavorisés et des classes moyennes en milieu urbain, survie d’un acteur sur le retour à Broadway, survie d’un trappeur isolé dans une Amérique encore sauvage. Ici point de métaphore mais un vrai survival avec tout ce que cela comporte comme souffrance, abnégation, chutes et résurrection avant d’aboutir enfin à un semblant de libération. 
Pour une première incursion en pleine nature, Alejandro González Iñárritu filme ses paysages comme des personnages à part entière. Alternant les plans larges sur des forêts, des torrents et des montagnes aussi somptueux que menaçants, et les plans serrés sur son acteur principal qu’il filme au plus près, le réalisateur nous invite à un véritable chemin de croix sur la trace de ces pionniers prêts à braver mille dangers pour vendre quelques peaux de bêtes et s’acheter la promesse d’un avenir meilleur. Écrasés par une nature dominante, traqués par des indiens qui ne tarderont pas à se retrouver parqués dans des réserves, ces colons explorent un milieu hostile en plein hiver, oubliant souvent le peu d’humanité qu’il leur reste quand leur survie est en jeu. Et c’est bien là la force de The Revenant, cette immersion dans la boue et le froid, cette sensation omniprésente de danger qui nous ferait presque ressentir les frissons de ces aventuriers de l’extrême, ces chasseurs de peaux aussi crasseux et dénués de morale que les animaux qu’ils traquent. 
Passionnant dans sa première et troisième partie qui multiplient les morceaux de bravoure (l’attaque des indiens, le face à face avec l’ours, le duel final,…), le film souffre malheureusement d’un passage à vide au milieu de l’histoire. Le réalisateur étire à l’envie le calvaire de ce pauvre Hugh Glass campé par un Leonardo DiCaprio habité par son rôle qui n’en finit pas de tomber, de ramper et de grimacer en gros plan. Ce qui apparaissait de prime abord comme crédible et immersif tourne rapidement à vide. Les frissons laissent place à un ennui poli à peine troublé par la beauté des images (la photographie est superbe) et les séquences oniriques qui ponctuent le film comme un métronome. 
Il reste un film ambitieux qui aurait gagné à être traité sur un mode plus modeste (on retrouve ici les travers qui rendaient Birdman aussi spectaculaire qu’agaçant, pour ne pas dire détestable), un vrai film d’aventure plutôt qu’un long, trop long chemin de croix. 
On retiendra aussi ce plan surréaliste d’un Leonardo DiCaprio qui, pour se protéger du froid éventre son cheval, le vide de ses viscères et se blottit dans sa carcasse encore fumante. Il ramène sur lui les flancs découpés de la bête et ne laisse dépasser que sa tête. On a alors la très nette impression d’assister à un accouchement improbable, le visage barbu et hirsute de l’acteur émergeant de ce qui ressemble à s’y méprendre à un sexe de femme. Voulu ou non, cette vision m’a hanté longtemps après avoir quitté la salle.

samedi 16 janvier 2016

Creed

Alors qu’il annonce l’abandon (définitif ?) du dernier opus de la saga Rambo, Sylvester Stallone rempile sous la caméra de Ryan Coogler pour raconter l’épilogue d’une autre légende qui aura marqué sa carrière, celle du boxeur Rocky Balboa. Un Rocky vieillissant qui a raccroché les gants depuis longtemps et qui fréquente moins les salles d’entrainement que son petit restaurant hanté par les fantômes du passé. Apollo Creed, Pauly, Adrian, tous ceux qui ont compté pour lui sont désormais morts et enterrés et Rocky s’apprête doucement à entrer lui aussi dans la légende, celle des grands champions depuis longtemps disparu et dont on parle au passé. Cette retraite douce-amère se voit alors interrompue par l’irruption d’un jeune boxeur plein d’énergie et de colère qui lui demande de l’entrainer. Adonis Johnson, le propre fils de son meilleur ennemi Apollo Creed. 
Creed, sous-titré L’héritage de Rocky Balboa, est en effet moins un simple spin off qu’un chapitre supplémentaire dans la saga Rocky, une page de la légende qui n’a pas à rougir de ses glorieux prédécesseurs. Car si la boxe conserve bien évidemment une place prépondérante dans le film, les séances d’entrainement et les combats étant parfaitement filmé par un réalisateur soucieux de sa mise en scène et de la clarté de son propos, Creed parle tout autant de la vieillesse et du temps qui passe, du passage de relais entre générations et de la difficulté d’assumer l’héritage laissé par ses parents. Le personnage de Rocky dans ce film présente d’ailleurs plus d’une similitude avec Frankie Dunn incarné par Clint Eastwood dans Million Dollar Baby. 
Outre une mise en scène inspirée qui ne sombre jamais dans le maniérisme d’un certain cinéma indépendant américain, Creed est servi par une distribution quasi parfaite. Si les seconds rôles (notamment le staff d’entrainement d’Adonis) semblent parfois trop effacés, on ne peut que saluer la performance de Michael B. Jordan qui pousse le professionnalisme jusqu’à ressembler traits pour traits à Carl Weathers (qui incarnait Apollo Creed) lors de sa course d’entrainement au milieu des motards du quartier. On retiendra bien évidemment un Sylvester Stallone émouvant qui n’hésite pas à se mettre à nu. Il incarne avec sobriété ce champion vieillissant qui renonce un temps à mener son dernier combat avant de retrouver une étincelle de vie à travers un jeune boxeur qui lui renvoie sa propre image quelques dizaines d’années avant. 
On l’a dit, Creed est peuplé de fantômes incarnés par des photos accrochées au mur, le nom d’un restaurant ou des tombes sur lesquelles on vient se reposer comme on le ferait auprès de vieux amis. Et c’est bien là toute l’habileté du scénario que de mettre en image un vrai passage de relais, nostalgique sans pour autant être plombant, émouvant et captivant jusqu’au dernier round d’un combat contre soi.

dimanche 10 janvier 2016

Coffret Freaks’ Squeele tome 7 : pas très cool !
















Difficile à première vue de résister au coffret collector qui vient clore la série Freaks’ Squeele. 5000 exemplaires d’un coffret comprenant le tome 7 donc, mais aussi « un manga de plus de 200 pages qui propose un début alternatif à la saga « ainsi qu’un « guide touristique richement illustré de 64 pages ». La surprise en ouvrant la bête n’en est que plus grande.
Déjà échaudé par l’intégrale Masiko qui comprenait 2 aventures déjà publiées dans Doggy Bags sur les 3 proposées, je m’étais pourtant laissé convaincre tant le travail de Florent Maudoux, en particulier sur ce personnage, est digne d’intérêt, tant par la beauté de ses dessins que ses histoires résolument référentielles et généreuses. Car c’est le mot qui vient tout de suite à l’esprit quand on pense aux publications du Label 619, la générosité et l’envie de faire plaisir au lecteur. Tant pis pour les fans de Doggy Bags donc qui se voient obligés de racheter les deux tiers d’un ouvrage qui reste cependant un incontournable. Revenons donc au coffret Freaks’ Squeele qui comprend en effet un guide richement illustré qui semble tenir toute ses promesses et dans lequel j’ai hâte de me plonger
Le bât blesse en ouvrant le manga de 200 pages doté d’une super couverture couleur, qui se révèle être en fait un crayonné de la première version du projet Freaks’ Squeele. Un crayonné qui arrache un peu les yeux sur 200 pages et que l’on a plus l’habitude de trouver sous forme de 5 ou 6 planches en bonus de fin d’album. Et c’est là que je commence à me demander si Ankama Editions n’est pas en train de prendre ses lecteurs pour des tiroirs caisses ?
Parce que bon, le coffret coute tout de même la modique somme de 34 € pour un prix unitaire du tome 7 à 15 €. Ce qui nous laisse 19 € pour un (très joli) guide de 64 pages et un recyclage que l’on nous vend comme un manga original. Les puristes et les dessinateurs de BD y trouveront peut-être leur compte, moi pas. Si cela n’enlève rien au talent de Florent Maudoux et au plaisir que j’aurai à lire ses prochains titres, le procédé n’est pas très cool et en tout cas indigne de l’esprit pulp et pop dont se réclament le Label 619 et les éditions Ankama.

samedi 9 janvier 2016

Les huit salopards

Une immensité glacée, un Christ à l’abandon disparaissant sous la neige qui symbolise moins une quelconque rédemption qu’une absence totale de valeur. Dès les premières images de son histoire, Quentin Tarantino invoque les grands anciens, de Sergio Corbucci pour le décor enneigé à Ennio Morricone pour le score. Et si son nouveau film se place d’emblée sous le signe du western crépusculaire et nihiliste cher aux italiens des années soixante et soixante-dix, il n’en évoque pas moins la mythologie américaine en pleine (re)construction suite à une sanglante et douloureuse Guerre de Sécession. 
 Comme à son habitude, le réalisateur pioche un peu partout les sources de son inspiration et résume non sans raison Les Huit Salopards comme un croisement entre Dix Petits Nègres et The Thing en plein Far West. Il y a de cela, et bien plus encore, et il faut toute l’habileté d’un Tarantino pour que la sauce prenne. Mais prend-elle vraiment ? Les Huit Salopards se rapproche plus que jamais de son premier essai Réservoir Dogs. Dialogues interminables sur les sujets les plus futiles, personnages baignant dans leur sang qui n’en finissent pas d’agoniser, sadisme et cruauté, huit clos et massacre final, le parallèle entre les deux films est flagrant, encore renforcé par la présence de Tim Roth et Michael Madsen. Mais alors que la magie opérait en 1992, elle atteint ici ses limites et en devient même parfois carrément embarrassante. 
E effet, durant tout le premier tiers du film, la machine tourne à vide. Comme il l’a déjà fait tant de fois, Tarantino se caricature (même s’il a la bonne idée cette fois de ne pas apparaitre dans son propre film), use jusqu’à la corde des procédés qui furent un temps novateurs (le chapitrage, la voix off d’un narrateur sorti de nulle part, les flash back) mais qui ne fonctionnent plus vraiment ou qui font office d’artifices inutiles. 
Passé cette première partie et une fois arrivés à l’auberge, on se laisse pourtant prendre par ce jeu de cache cache géant où chaque personnage joue sa partition avec un plaisir communicatif. Jusqu’au dénouement final qui, une fois encore retombe dans des travers qui plombent le film. Gore outrancier (dans réservoir Dogs le sang giclait, ici les têtes éclatent sous l’impact des balles de revolver…), sadisme et ultra violence exagérée (voire les tortures subies par cette pauvre Jennifer Jason Leigh ou le récit de Samuel L. Jackson concernant le sort qu’il a réservé au fils du Général Sandy Smithers). On ne peut pas reprocher au réalisateur de faire dans la demi-mesure ou la tiédeur. Certes ce sont bien huit personnages pleins de haine qui se retrouvent coincés au milieu du blizzard, huit représentants des différentes strates de la société américaine, chacun symbolisant ce que son sexe, sa couleur de peau ou son idéologie est sensé lui conférer comme rôle au sein d’une nation qui sort à peine d’une guerre civile. On peut aussi remarquer l’imagerie religieuse assez nouvelle chez un réalisateur qui ne nous avait pas habitué à cela. Le Christ du début bien sûr, mais aussi le chemin de croix de Daisy Domergue qui (ATTENTION SPOILER) finit pendue alors qu’en arrière-plan deux raquettes accrochées au mur dessinent des ailes dans son dos (FIN DU SPOILER). 
Trop malin pour s’engager sur la voix du discours ouvertement politique, Tarantino noie ses propos dans un déferlement de tout et n’importe quoi (sadisme, misogynie, racisme illustrés par des gerbes de sang et un déferlement de gore qui finit par devenir risible). Renvoyant chaque camps dos à dos, le réalisateur perd en crédibilité par son outrance et c’est d’autant plus dommage qu’avec une heure de moins et davantage de dépouillement, les Huit Salopards aurait pu devenir ce qu’il est censé être, un vrai huit clos d’horreur, le portrait implacable d’une humanité abandonnée par dieu, seule face à la sauvagerie qui la caractérise et pourrait bien causer sa perte.