William Friedkin, 77 ans, livre avec Killer Joe un film uppercut sur la bassesse humaine et la pauvreté qui laissera une trace indélébile dans la mémoire des spectateurs. Car c’est bien de pauvreté dont il s’agit, qu’elle soit sociale, intellectuelle ou affective. Le film met en scène une galerie de personnages abjects, psychopathe au sang froid ou abrutis congénitaux, et pourtant on en vient à s’attacher à chacun d’eux et à espérer qu’ils se sortent de leurs vies minables. Ce qui bien entendu n’arrivera jamais. Killer Joe débute comme un polar tordu quand Chris, jeune paumé texan à la dérive, loue les services de Joe, flic et tueur à gages, pour tuer sa mère et empocher son assurance vie. Le tout avec la bénédiction de son père, de sa belle mère et de sa sœur. Le ton est donné et la suite est à l’avenant. Bien entendu, rien ne se déroulera comme prévu et l’histoire finira dans un bain de sang qui n’épargnera personne. Contrairement à la plupart des films actuels, ce n’est pas ici l’histoire qui prime mais bien les personnages, tous interprétés avec une justesse peu commune par une galerie d’acteurs et d’actrices absolument formidables.
Parmi ce tableau de toutes les tares humainement imaginables, seul le personnage de Dottie, la sœur de Chris, semble apporter un peu de lumière, comme une fleur qui pousserait sur un tas de fumier. Déjà extraordinaire dans Kaboom de Gregg Araki, Juno Temple campe une cendrillon redneck qui serait tombée sur le mauvais prince charmant. Elle incarne avec justesse une femme enfant décalée qui semble se réfugier dans un monde qui lui est propre pour échapper à la laideur qui l’entoure. Mais cette protection va bien vite voler en éclat devant la brutalité et l’avidité des hommes. Déchirée entre son frère et son amant, elle tranchera de manière radicale, la seule possible.
Le réalisateur prend son temps pour filmer ses personnages, installant de longs dialogues décalés que ne renierait pas le Tarantino des débuts. Des moments tendus à l’extrême qui débouchent sur des explosions de violence surréalistes. Le trait est poussé tellement loin que le film prend des allures de conte fantastique. On en vient à douter de la réalité de ces personnages presque iconiques de bêtise, de lâcheté et de perversion, mais jamais caricaturaux.
William Friedkin aime ses personnages, aussi tordus soient ils, et nous fait partager sa joie presque enfantine d’être derrière la caméra et de diriger ce théâtre de marionnettes tragiques. C’est une belle leçon de cinéma dont bon nombre de réalisateurs devraient s’inspirer.
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