dimanche 16 mai 2010

La merditude des choses

Des familles Strobbe, tous ceux qui ont vécu à la campagne ou dans de petites villes en ont connus. Chez moi, ils habitaient en face de chez ma grand-mère. L’un des fils était en classe élémentaire avec moi, il était le seul à tenir tête à l’instituteur qui d’ailleurs en avait peur. Il faut dire qu’il avait bien trois ou quatre ans de plus que la plupart des élèves dociles que nous étions tous.
Gunther Strobbe vit une adolescence compliquée entre son père alcoolique, ses trois oncles marginaux et sa grand-mère qui essaie de maintenir tout ce petit monde à flot. Les quatre frères Strobbe forment en effet une famille à part. Grandes gueules, ivrognes, bagarreurs, sales mais pas vraiment méchants, ils vivent au jour le jour de séjours en prison aux bals de campagne.
Le réalisateur belge Félix Van Groeningen nous invite à partager le quotidien haut en couleur de ces gens qui vivent en marge de la société, n’obéissant qu’à leur propres règles ce qui leur confère au final plus de liberté que ne pourra jamais en acheter tout l’argent du monde.
Entre un documentaire de Strip Tease et Les Démons de Jésus, la merditude des choses se révèle au final une réflexion tour à tour amère et drôle sur la vie. Le sens des responsabilités, la vieillesse, le rôle de la famille, les moyens que l’on se donne pour concrétiser ses rêves, tout cela est abordé dans ce film plus grave qu’il n’en a l’air.
Il y a un coté Kusturica chez ce réalisateur qui filme ses personnages démesurés quand ils font la fête ou qu’ils inventent des jeux alliant course cycliste et concours de boissons. Mais Félix Van Groeningen les colle au plus prés, sans chercher le moindre artifice pour faire passer une idée ou un sentiment. La force et le naturel des acteurs suffisent à donner au film une énergie qui oscille entre euphorie et désespoir.
Si l’alcool a un rôle prédominant dans la vie sociale de l’ensemble des protagonistes, ce n’est pas comme par exemple dans Un singe en hiver, un moyen d’évasion. Ici au contraire, l’ivresse ancre encore plus fermement les hommes et les femmes de cette petite ville des Flandres dans leur quotidien. Simplement, la bière leur permet de transformer ce quotidien et de l’adapter à leurs rêves les plus improbables. Des rêves de record du monde d’ingestion de bière ou de Tour de France éthylique. Et c’est dans des moments comme ceux là que le film acquiert une dimension quasi surréaliste. Il se dégage une indéniable poésie des ces personnages extrêmes dans leurs amours comme dans leurs colères. Et ce faisant, le réalisateur nous tend aussi un miroir en nous faisant découvrir une frange de la société qui n’a rien d’exceptionnellement rare. Ces gens là, on veut bien les voir au cinéma ou à la télévision, admettre que leurs excès sont amusants et folkloriques, mais d’ici à les avoir comme voisins…
En grandissant, Gunther Strobbe quitte ce monde un peu fou pour l’internat puis la vie active. Il se confronte alors aux dures réalités du quotidien. La paternité, pas toujours voulue, le travail alimentaire pour subvenir aux besoins de sa famille qui prend chaque jour le pas sur sa véritable passion, l’écriture. Et c’est cette enfance hors du commun pour la plupart des gens, ceux qui sont assis dans la salle du cinéma, qui, couchée sur le papier va lui permettre de se faire publier. Tout comme son oncle à qui un sociologue demande de retranscrire par écrit les chansons paillardes qui ont rythmées ses soirées arrosées.
On passe de l’oralité à l’écrit, comme pour figer et conserver une trace de ces morceaux de rêves, ces tranches de vies hors du commun.

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