Fidel à son habitude, Gaspar Noé prend un malin plaisir à diviser et à déstabiliser son public. Une fois encore, le film aura ses farouches détracteurs et ses partisans convaincus.
Difficile en effet de se faire un avis après les deux heures trente six minutes du voyage hallucinatoire auquel nous invite ce réalisateur inclassable.
Enter the Void est avant tout une expérience sensorielle. Dés le début du film, quand Oscar, un jeune occidental qui vit à Tokyo, prend des substances hallucinogènes, l’écran se remplit de tentacules phosphorescentes tandis qu’une bande son agresse les oreilles des spectateurs qui n’en sont qu’aux premiers instants de ce voyage hors norme. Déjà, les premiers quittent la salle.
La suite sera un mélange de trip sous LSD ou autre drogue, de scènes de sexe et de fragments de la vie d’Oscar, avec comme fil conducteur le livre des morts tibétain. Car Oscar meurt sous les balles de policiers venus l’arrêter dans un bar alors qu’il dealait de la drogue. Dés lors, son âme quitte son corps et nous l’accompagnons dans son au dessus de Tokyo avant qu’il ne choisisse de se réincarner en un autre être vivant. Gaspar Noé nous convie alors à un survol de Tokyo la nuit (la ville se prête admirablement bien à cette errance urbaine baignée de néons), entre club de strip tease et deal de drogue, tandis que nous revivons les scènes qui ont précédées l’accident jusqu’à remonter à l’enfance d’Oscar et de sa sœur Linda.
Nul doute qu’Enter the Void soit un film de Gaspar Noé, on y retrouve en substance les thèmes majeurs qui ponctuent sa filmographie. Le long tunnel dans lequel se faisait agresser Monica Bellucci dans Irréversible annonçait déjà le couloir de la mort dont parlent les personnes ayant vécu une expérience de mort cérébrale pendant quelques secondes. Les relations ambigües entre Oscar et sa sœur (Linda semble nourrir des pulsions incestueuses envers son frère tandis qu’Oscar tend à la confondre avec une mère de substitution) renvoient directement au boucher amoureux de sa fille dans Carne et Seul contre tous.
Le talent, indéniable, de Gaspar Noé transparait lorsqu’il met en scène ce puzzle de moments vécus par Oscar ou ses proches. Que ce soit l’accident où ses parents trouvent la mort, d’une brutalité et d’une efficacité redoutable, les visions fugitives et pleines de tendresse d’une mère à jamais disparue, la faune hétéroclite dans lequel évolue le jeune homme, toutes ces scènes sont tour à tour touchantes, captivantes ou choquantes.
Mais à force de vouloir choquer justement, le réalisateur prend le risque de sombrer dans la gratuité. Le gros plan un fœtus suite à un avortement ou une pénétration vue depuis l’intérieur d’un vagin ne semblent pas absolument nécessaire au film. Surtout, en réalisant un long métrage aussi atypique de plus de deux heures trente, Gaspar Noé semble vouloir tester les limites de la résistance des spectateurs. Le film aurait gagné en intensité et en cohésion, à être coupé d’une demi-heure, surtout vers la fin. Mais il ne semble pas que cela soit la préoccupation première du réalisateur qui semble prendre un malin plaisir à jouer les sales gosses. On peut imaginer qu’il a du partager quelques champignons ramené du tournage de Blueberry par son copain Jan Kounen et que les effets ne se sont pas complètement dissipés au moment du montage.
Enter the Void apparait par moment comme un improbable croisement sous acide entre Trainspotting et Lost in Translation. Sous des aspects un peu provocateur (la musique agressive, le jeu de Paz de la Huerta qui interprète une Linda tête à claques, la durée excessive, les longues scènes de trip, l’interprétation un peu simpliste des principes de la réincarnation), Enter the Void est traversé de vrais moments d’émotions allant de la douleur extrême à l’amour fusionnel. C’est en tout cas un film suffisamment atypique dans le paysage cinématographique français pour que l’on s’y arrête.
1 commentaire:
Gaspar Noé est un dilemme pour tous ceux qui s'intéressent de près au cinéma. Il est à la fois un des cinéastes français les plus avant-gardistes et intéressants, mais il est aussi un spécialiste de la virtuosité superficielle et de la provocation puérile. Je crois qu'Enter the Void, son film le plus extrême et le plus "abouti", a confirmé ces tendances divergentes.
Pour ceux que cela intéresse, nous avons ouvert un débat sur http://www.mercures-galants.com/?p=153.
Enregistrer un commentaire