lundi 29 avril 2024

Civil War

This is fucking war ! 
Ça y est, nous y sommes et les Etats Unis sont passés d’une société fracturée à une véritable guerre civile où des états armés font sécession contre le gouvernement fédéral. 
Mais plus que l’aspect politique du conflit, le film pourrait se dérouler dans n’importe quel pays du monde, c’est bien la guerre dans toute son horreur et sa brutalité, et la couverture de l’information que le réalisateur prend à bras le corps à travers une série de vignettes illustrant le périple d’un groupe de journalistes dans un pays dévasté. 
Dans Civil War il est question de reporters plutôt que de soldats, de déshumanisation plutôt que d’héroïsme. Car, et c’est le pari risqué du film, les personnages principaux de ce voyage au bout de l’enfer n’ont rien de sympathiques. 
Reporters de guerre shootés à l’adrénaline ou lessivés à force de regarder l’horreur droit dans les yeux, apprentie journaliste prête à tout pour faire sa place, l’humain n’existe plus à travers l’objectif d’un appareil photo et les cadavres ont beau s’entasser sur le bord du chemin, le principal reste l’interview ultime ou le cliché mythique. On pleurera les morts plus tard si on les pleure, et on se forge une carapace tellement épaisse pour durer dans le métier et éviter de sombrer dans la folie que l’on en perd sa propre humanité. 
Alex Garland conclut son film par une séquence glaçante mais avant cela le réalisateur d’Annihilation et de Men nous embarque dans un périple sur le fil du rasoir et d’une tension extrême, la traversée d’une Amérique en feu où tout peut arriver, surtout le pire, et où des soldats en uniforme affrontent les services secrets du Président à coup d’armes automatiques dans une Maison Blanche en proie aux flammes. 
Reflet déformant d’une réalité de plus en plus anxiogène, Civil War reste avant tout le portrait d’individus qui, livrés à eux même, sont capables des pires atrocités et de la froideur la plus totale pour s’en faire le témoin. Eprouvant et pourtant désespérément lucide.

samedi 20 avril 2024

Monkey Man

Retrouver la star de Slumdog Millionaire derrière et devant la caméra d’un film de baston énervé produit par Jordan Peele a de quoi éveiller la curiosité si ce n’est une attente fébrile. 
Le résultat, s’il n’est pas toujours à la hauteur de la hype générée par le film, est assez honnête pour susciter une bienveillance immédiate. 
Film d’action aux influences multiples, des récentes pellicules indonésiennes et thaïlandaises en termes de combats chorégraphiés jusqu’aux canons du genre américains pour la caractérisation du héros, Monkey Man puise à la fois dans l’iconographie de la culture indienne et dans les stéréotypes d’un genre très codifié. 
D’un divertissement très premier degrés à une dimension sociale exacerbée quand le personnage principal s’érige en défenseur des opprimés, les hijras (transgenres et homosexuels) en tête, le film de Dev Patel oscille constamment entre brutalité crue et onirisme, saillie gore et sentimentalisme à l’eau de rose, spectacle primaire et brûlot politique parfois naïf. 
Immergé dans les traditions hindoues par la figure du dieu Hanuman, le film n’en demeure pas moins résolument connecté à une modernité tout aussi prégnante en Inde, symbole de la prédation des plus riches et d’une avidité à peine voilée par le vernis du fanatisme religieux, des brutalités policières et des manœuvres politiques. 
Maladroit, épuisant dans son éclectisme, codifié à l’extrême et pourtant unique en son genre, Monkey Man est suffisamment sincère et généreux dans sa démesure pour engendrer la sympathie.

dimanche 14 avril 2024

La Malédiction : l'origine

Une jeune religieuse américaine se retrouve en Italie, enceinte malgré elle, dans un couvent peuplé de personnages inquiétants et de nonnes austères qui fomentent en secret un complot visant à restaurer la toute puissance de l’église, quitte pour cela à jouer avec des forces qui les dépassent.
Hasard du calendrier ou fuite malencontreuses, le scénario de ce prequel du film de Richard Donner ressemble tellement à celui d’Immaculée sorti sur les écrans français deux semaines plus tôt que la comparaison devient inévitable. Et si les deux films partagent un personnage principal porté par une interprète totalement investie dans son rôle (épatantes Sydney Sweeney dans Immaculée et Nell Tiger Free dans La Malédiction : l'origine qui a bien grandi depuis son rôle de Myrcella Baratheon dans Game of Thrones), la ressemblance s’arrête là. 
Car là où Immaculée réussissait à condenser en une heure trente un film de genre engagé et rageur, La Malédiction : l'origine étire sur deux heures une intrigue qui aurait gagné à plus de concision, coincée entre un cahier des charges obligatoire et des efforts manifestes pour développer sa propre identité. Et c’est précisément sur ce point que réside l’intérêt du film. 
Au travers de quelques scènes chocs, d’une mise en scène soignée et de la prestation de Nell Tiger Free, le film d’Arkasha Stevenson réussit à exister par lui-même tout en respectant les codes de la série (le prologue semble d’ailleurs tout droit sorti du film original de 1976). 
Moins viscéral et frontal qu’Immaculée, La Malédiction : l'origine n’en demeure pas moins un préquel à la fois fidèle et incarné d’une saga qui n’a pas inspiré que des chefs d’œuvres.

lundi 8 avril 2024

Pas de vagues

Comme le personnage d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, Julien aimerait changer la vie de ses élèves, ou du moins leur laisser un souvenir impérissable, celui du professeur de collège dont on reparle des dizaines d’années après avec reconnaissance et un brin de nostalgie dans la voix. 

Comme tant d’autres professeurs, Julien passe ses journées entre une falaise et un précipice. Le mur administratif et le bloc de ses collègues dont la bienveillance de principe ne supporte que mal leur remise en cause, et le numéro de funambule qu’il exécute chaque jour devant une classe qu’il tient à bout de bras comme une charge de nitroglycérine qui ne demande qu’un choc pour exploser. 

Ce choc, ce sera une expression mal interprétée, un traitement de faveur maladroit, un enchainement de quiproquos et de rumeurs aussi explosifs qu’une trainée de poudre. Alors commence une lente mais inexorable descente aux enfers que rien ni personne ne pourra enrailler. 

Des cours de récréations aux classes en passant par la salle des profs, la caméra de Teddy Lussi-Modeste suit ses acteurs au plus près et dresse le portrait sans concession d’une machine administrative et d’un corporatisme dont la nocivité passive n’a rien à envier à la brutalité d’élèves à la dérive. 

Si l’on peut reprocher au film un parti pris trop centré sur le professeur alors que le point de vue de Leslie n’est que trop tardivement explicité, Pas de vague se regarde comme un thriller passionnant dont la montée en tension s’accompagne d’une photographie glaçante de la solitude des professeurs confrontés à des situations qui les dépassent.